• Arménie

    Le positionnement diplomatique de l’Arménie l’éloigne de l’Union européenne

    Le président de l’Arménie, Serge Sarkissian, espère pouvoir inscrire son pays dans une position médiane entre la Russie et l’Union européenne.

    Afin de punir l’Arménie de sa future adhésion à l’Union douanière (regroupant la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan) et de ne pas souscrire à la position atlantiste dans l’affaire ukrainienne, l’Union européenne a décidé de ne pas signer d’accord majeur avec Erevan.

    Mécontent, le chef de l’État arménien a interpellé les autorités de Bruxelles, lors d’un rassemblement du programme de partenariat oriental de l’UE qui s’est tenu à Prague :

    « Nous nous engageons à prendre de nouvelles mesures avec nos partenaires de l’UE, afin de créer une fondation juridique régissant nos relations, qui d’une part reflètera le contenu de précédentes discussions entre l’Arménie et l’UE, et qui d’autre part sera compatible avec d’autres formats de coopération. Notre conviction : aucun des pays partenaires ne devrait être forcé de payer un prix parce qu’il décide de participer à tel ou tel autre processus d’intégration. Nous ne voulons pas faire un choix entre nos différents alliés : nous voulons avoir autant d’amis que possible. »

    L’Arménie a sollicité plusieurs fois en 2013 l’Union européenne afin de parvenir à un accord d’association. Bruxelles a systématiquement rejeté ces demandes, y compris la plus récente : une version identique à celle que l’Ukraine a signé avec l’Union européenne après le changement de pouvoir à Kiev.

    Cette dernière a fait clairement comprendre à l’Arménie que son positionnement dans le conflit qui oppose l’Ukraine et la Russie était considéré comme « antieuropéen » et qu’elle était devenu à ses yeux « un satellite russe discrédité ».

    Site Égalité & réconciliation, 28 avril 2014.

     

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    ArménieLa nouvelle stratégie de diversion d’Ankara dans le Caucase

    Le dégel entre la Turquie et l’Arménie profite à l’Azerbaïdjan et aux États-Unis

    Si les relations turco-arméniennes se normalisent, l’Arménie pourrait abandonner le lien étroit qui la lie à la Russie et devenir un vassal de plus des États-Unis dans le Caucase du Sud

    La Turquie et l’Arménie sont récemment convenues d’entamer des négociations en vue d’établir des relations diplomatiques. Dans les deux mois à venir, les négociateurs prévoient d’ouvrir les frontières entre les deux pays voisins. Le rapprochement entre Ankara et Erevan a eu lieu suite à une médiation suisse. Reste à savoir si les rapports entre Turcs et Arméniens se normaliseront et si l’affrontement entre les deux nations, qui dure depuis près de cent ans, s’aplanira. L’avenir devra le prouver.

    Lors des négociations prochaines, on soulèvera immanquablement la question du génocide perpétré par l’Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale contre les Arméniens chrétiens, massacres qui ont fait près d’un million et demi de morts. Cette question ne jouera cependant qu’un rôle subalterne dans les négociations. Elle sera traitée par une commission composée d’historiens issus des deux pays. Le principal point à l’ordre du jour sera la question du Haut-Karabagh. Depuis 1993, les Arméniens occupent en effet cette région montagneuse, ainsi que sept provinces azerbaïdjanaises limitrophes. Le Haut-Karabagh est peuplé d’Arméniens ethniques mais appartient à l’Azerbaïdjan selon le droit international. À cette époque, les Turcs et les Azéris avaient fermé leurs frontières avec l’Arménie,  ce qui avait entraîné des conséquences désastreuses pour l’économie arménienne. Les liens sont étroits entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, car les Azéris sont un peuple turc (turcophone) et musulman ; sur les plans ethnique et linguistique, les Azéris sont donc proches parents des Turcs. C’est pourquoi la Turquie exige de l’Arménie qu’elle retire ses troupes présentes sur le sol de l’Azerbaïdjan.

    Ankara tente de tuer deux mouches d’un seul coup de savate en entamant des négociations avec Erevan pour renouer des relations diplomatiques ; d’une part, les Turcs entendent recevoir quelques “bonnes notes” de Bruxelles avant de réentamer des pourparlers en vue d’une adhésion à l’UE ; Ankara bénéficierait alors de préjugés plus favorables à son adhésion dans le prochain rapport que la Commission rédige, à intervalles réguliers, sur ses “progrès”, car, quoi qu’il en soit, la petite puissance d’Asie Mineure a, ces temps-ci, accumulé bon nombre de “mauvaises notes”. La calcul des Turcs s’avère néanmoins porteur : “Ces accords contribueront à la paix et à la stabilité dans le Caucase méridional”, ont déclaré la Commissaire des Affaires étrangères de l’UE, Benita Ferrero-Waldner et le Commissaire à l’élargissement, Olli Rehn. D’autre part, Ankara  cherche à mettre un terme à l’occupation arménienne de portions importantes du territoire azéri. “La Turquie continuera à soutenir l’Azerbaïdjan dans la question du Haut-Karabagh” vient d’affirmer David Chaanatsarine du “Congrès National Arménien”, un parti d’opposition, suite aux questions que lui posaient des journalistes du quotidien turc Hürrriyet. Cette affirmation de Chaanatsarine correspond parfaitement avec celles de voix officielles turques. “La Turquie n’entreprendra jamais rien qui puisse nuire à ses frères d’Azerbaïdjan”, avait dit le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu aux questions posées par la chaîne de télévision NTV. Finalement, avait-il ajouté, “rien n’est plus important que l’amitié turco-azérie”.

    ArménieL’objectif officiel d’Ankara, comme l’a annoncé le ministre des Affaires étrangères Davutoglu, est de procurer à la Turquie “un environnement stable le long de ses frontières”. Mieux : en négociant afin de mettre un terme à l’occupation arménienne du Haut-Karabagh et des provinces limitrophes, Ankara cherche à renforcer l’Azerbaïdjan et, ainsi, à se profiler comme une puissance régionale efficace au Moyen Orient. En effet, si l’Arménie est neutralisée, il naîtra de facto un “bloc turc(ophone)” plus riche et plus solide du Bosphore à la Caspienne, région où  se trouvent d’énormes gisements de pétrole et de gaz. De cette façon, Ankara pourra mettre encore plus de pression sur l’UE et se positionner comme un espace de transit sûr et incontournable pour les énergies fossiles. Ankara veut acquérir une position telle que son adhésion finira par être complètement acceptable. En 2003, on a rendu opérationnel l’oléoduc BTC (Bakou-Tiflis-Ceyhan), qui part d’Azerbaïdjan, traverse la Géorgie et aboutit en Turquie. De même, cette année-là, on a inauguré le gazoduc BTE (Bakou-Tiflis-Erzouroum). Ce gazoduc et cet oléoduc ont été réalisés avec une participation financière très importante des États-Unis, dans le but d’éviter les territoires de la Russie et de l’Iran.

    Les Américains se félicitent bien entendu des négociations entre Ankara et Erevan. Si les rapports entre la Turquie et l’Arménie se normalisent, alors Moscou perdra son seul allié dans le Caucase du Sud. L’Arménie entretient certes de bons rapports avec les États-Unis et a même envoyé des soldats en Afghanistan mais la Russie reste, pour les Arméniens, la puissance protectrice. Ce n’est qu’avec l’appui de Moscou que l’Arménie, petit pays d’à peine 3,5 millions d’habitants, a pu infliger à son voisin azéri, qui compte, lui, 8 millions d’habitants, une défaite militaire retentissante. L’influence économique de la Russie est également importante : ce sont en effet des entreprises d’État russes qui possèdent les plus grandes usines hydrauliques arméniennes et la centrale nucléaire de Metsamor ; cette dernière est le principal fournisseur d’énergie du pays (40% de l’énergie consommée). Si les relations se normalisent avec la Turquie, membre de l’OTAN, les rapports entre Erevan et Moscou pourraient bien se rafraîchir. Car les États-Unis se montrent particulièrement généreux quand il s’agit de limiter et de refouler l’influence russe dans le Caucase : souvenons-nous que la Géorgie reçoit chaque année un milliard de dollars. Mais le prix que l’Arménie aurait à payer pour son “alignement” serait vraiment fort élevé : surtout l’abandon du Haut-Karabagh. Dans la “République Démocratique du Haut-Karabagh”, non reconnue par les instances internationales, la méfiance croît envers Erevan. Kegham Bagdadcharian, membre du Parlement de cette république, évoque une “déviance dangereuse” en Arménie, car celle-ci  a accepté les “conditions préalables”, exigées par les Turcs, pour entretenir des relations diplomatiques.

    ► Bernhard Tomaschitz, zur Zeit n°37/2009. (tr. fr. : RS)

     

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    Réflexions sur le destin des Arméniens depuis la fin du XIXe siècle

    SYNERGIES EUROPÉENNES – Bruxelles/Vienne – Novembre 2006

    vartan10.jpgAlbrecht Rothacher est journaliste libre. Il écrit notamment pour l’hebdomadaire viennois Zur Zeit. Nous publions ici en traduction française quelques extraits de son long essai sur l’histoire arménienne. L’objectif de son journal est bien évidemment d’éviter à tout prix l’adhésion turque à l’UE, en montrant bien que la Turquie n’a nulle envie d’appliquer les principes de liberté religieuse et intellectuelle que lui imposerait une adhésion à l’Europe bruxelloise. Ensuite, même si nous critiquons, avec l’Académicien et Professeur français René Rémond (voir note en bas d’article), la multiplication déraisonnable des « lois mémorielles », force est tout de même de constater que le cas arménien est différent des autres : il s’agit d’un peuple européen, de souche indo-européenne, qui a courageusement été, à l’époque des Croisades notamment, un bouclier pour protéger le reste de l’Europe des invasions seldjoukides. Nous avons une dette à l’égard de l’Arménie. Il est donc normal que nous la défendions sans fléchir. Et pour cela, nul besoin de « lois mémorielles » : rien que de la volonté, de l’inflexibilité. Cet extrait de l’essai de Rothacher porte sur les diverses péripéties du massacre des Arméniens, qui s’est déroulé en plusieurs phases. Un rappel utile.  

     

    Dès la phase dernière du lent déclin de l’Empire ottoman, sous le règne du Sultan Abdoul Hamid II (1878-1908), les massacres d’Arméniens survenaient à intervalles réguliers. Le déclencheur et le prétexte de ces opérations macabres étaient, la plupart du temps, des protestations arméniennes contre les abus du fisc ottoman ou des manifestations contre l’arbitraire des autorités musulmanes. À cette époque, une idée faisait son chemin au sein de l’Empire ottoman moribond : il fallait absolument maintenir sous la férule turque le noyau territorial anatolien d’Asie Mineure, tandis que le reste de l’Empire, hétéroclite et multiethnique, se désagrégeait. Le moyen ? Imposer une turcisation forcée. Cette politique a bien sûr rencontré la désapprobation des peuples qui vivaient dans cette région depuis des temps immémoriaux, comme les Grecs, les Arméniens, les Chaldéens et les Araméens. Les Kurdes sunnites, eux, s’étaient installés dans l’Est de l’Asie Mineure, avec pour mission militaire de protéger les frontières de l’Empire ottoman contre les Perses chiites. Leurs alliés dans cette mission étaient quelques éléments tcherkesses / circassiens originaires du Caucase du Nord. La Sublime Porte leur a garanti l’impunité et accordé le droit de piller et de s’emparer des propriétés foncières de leurs victimes. Ainsi, entre 1893 et 1896, 320.000 Arméniens ont été massacrés, 570 églises et monastères ont été détruits. En 1909, en Cilicie, les massacres font encore 30.000 victimes supplémentaires.

    La « forme » de ces épurations ethniques ressemblent aux massacres généraux de chrétiens que l’on repère traditionnellement dans l’histoire des pays majoritairement musulmans ; exemples : les Moluques en Indonésie, le Soudan, le Nigeria où ils sont encore pratique courante. Malgré l’horreur de ces faits, il restait une chance d’échapper à la mort : en corrompant les sicaires de la Porte ou en faisant semblant de se convertir à l’Islam. Le génocide de 1915/16, en revanche, ne s’assimile pas à ces débordements sanglants. Les Jeunes Turcs l’ont planifié sans pitié et l’ont mené avec une précision toute militaire. Leur objectif en perpétrant ces horreurs ? Créer un État national mono-ethnique, excluant tous les non Turcs, et l’étendre à tous les autres peuples de souche turco-mongole jusqu’au cœur de l’Asie centrale. C’est le projet « pantouranien ». Pour assurer une cohérence géographique et une continuité territoriale sans obstacle à ce projet, il fallait régler la question arménienne, du moins liquider tous les Arméniens d’Arménie occidentale.

    Massacres et marches de la mort, résistance héroïque à Van

    Au début de l’année 1915, tous les soldats et officiers arméniens de l’armée turque ont été désarmés et versés, comme tous les Arméniens mâles de 16 à 65 ans, dans des bataillons de travailleurs forcés. On les a contraints à ériger des barricades ou des réseaux de tranchées, à porter des charges, souvent jusqu’à l’épuisement et la mort. Parfois, on les abattait après les travaux qu’ils avaient réalisés. Le 24 avril 1915, toute l’élite intellectuelle et politique arménienne de Constantinople est arrêtée et immédiatement exécutée de la manière la plus sommaire qui soit. À la suite de cette Saint Barthélemy, la population arménienne, dans les régions qu’elle habitait traditionnellement en Cilicie, dans le Nord de la Syrie, en Arménie occidentale et en Anatolie occidentale, a été immédiatement massacrée ou contrainte de déménager, formant de long cortèges, des marches de la mort, qui ont duré plusieurs semaines, tout en subissant pillages et viols dans les régions kurdes et dans les déserts de Syrie et d’Irak septentrional. Les survivants y ont péri de faim ou y ont été molestés jusqu’à ce que mort s’ensuive. À Van, le centre culturel de l’Arménie occidentale, les Arméniens sont parvenus à résister pendant de longues semaines à leurs bourreaux jusqu’à l’arrivée des troupes russes.

    Mais en 1917, le front tenu par les Russes en Arménie occidentale s’effondre, à cause de la révolution menchevique puis bolchevique, ce qui permet aux troupes turques de reprendre l’offensive en direction du Caucase. Au début de l’année 1918, de nombreux civils arméniens tombent aux mains des troupes turques, des bandes kurdes et tcherkesses qui perpètrent de nouveaux massacres. Les prisonniers de guerre arméniens, qui avaient combattu auparavant aux côtés des Russes, sont systématiquement massacrés. 500.000 réfugiés fuient vers l’Arménie orientale, toujours aux mains des Russes. Dans les camps de fortune, qui abritent ces malheureux, épidémies et famines font rage et exigent leur macabre tribut.

    Lors du Traité de Sèvres, l’Arménie obtient en théorie, en 1920, une bonne partie de l’ancienne Arménie occidentale, territoire peuplé d’Arméniens depuis des siècles voire depuis des millénaires, y compris la côte pontique de Batoum à Giresun. Mais Atatürk parvient à s’assurer le soutien de la nouvelle Union Soviétique et refuse de tenir compte des exigences alliées. Les troupes turques pénètrent une nouvelle fois en Arménie occidentale et y commettent une nouvelle vague de massacres. Après un putsch communiste en novembre 1920, que l’on a pu mater en peu de temps, le gouvernement Dajnaken, au pouvoir depuis 1918, lassé de la guerre, harcelé par les menaces d’annexion turque, jette l’éponge quand l’Armée Rouge entre dans le pays en avril 1921. Une fois de plus, l’Arménie disparaît de la carte. Il y avait deux millions et demi d’Arméniens dans l’Empire Ottoman avant la guerre ; après les hostilités et les massacres à grande échelle, il n’en restait plus qu’un million, pour la plupart sous le statut précaire de réfugié. En Cilicie, en Arménie occidentale et dans les grandes villes turques, la vie arménienne s’était éteinte.

    Seule défense turque : les bobards de « Hill & Knowlton »
     
    Bon nombre de Jeunes Turcs, responsables de ces massacres de grande ampleur, se disputèrent avec Atatürk, devenu dictateur, et furent contraints à l’exil. Dans les années 20, des Arméniens exilés les repérèrent et les abattirent. La Turquie conteste, on le sait, le génocide perpétré contre les Arméniens. Et persiste dans sa négation. Tout au plus, reconnaît-elle des pertes humaines dues à des faits de guerre, des épidémies ou des transports mal organisés. Toute personne qui parle de génocide en Turquie aujourd’hui, risque, comme l’écrivain Orhan Pamuk, de subir une peine de prison pour « insulte à la nation ». Pour faire taire toute critique venue de l’étranger, la Turquie fait feu de tout bois. Quand les États-Unis ou la France adoptent des résolutions parlementaires, Ankara menace, avec succès, de faire fermer la base aérienne américaine d’Inçirlik, ou annule, pour faire pression sur Paris, des contrats d’exportation s’élevant à des milliards d’euro. Pour soutenir sa campagne de désinformation, la Turquie a engagé l’agence de manipulation médiatique américaine Hill & Knowlton, véritable fabrique de bobards et de mensonges, pour faire triompher son point de vue. Pour rappel, l’agence Hill & Knowlton avait, en son temps, propagé le bobard des bébés tués dans leurs couveuses par les soldats de Saddam Hussein.

    Les souffrances du peuple arménien n’étaient pas pour autant terminées, avec l’arrivée de l’Armée Rouge. En Arménie soviétique, la situation n’était guère enviable. Entre 1928 et 1934, les collectivisations forcées ont été imposées dans les pays du Caucase méridional, comme partout ailleurs en Union Soviétique. Les purges staliniennes contre les « ennemis du peuple », les « nationalistes » et les églises ont commencé en 1936 en Arménie par la défenestration littérale du Premier Secrétaire du PC arménien, Khandjan, tombé de la fenêtre du bureau de Beria. Trois ans plus tard, elles s’achèvent dans ce pays à la conscience nationale aiguë avec un sinistre bilan : 300.000 victimes. La Deuxième Guerre mondiale provoque la mort de 300.000 autres Arméniens. Après 1945, la répression soviétique fait rage et plonge le pays dans un sous-développement social affligeant, ce qui explique pourquoi les diasporas arméniennes des États-Unis et de France cultivent un héritage culturel, religieux et intellectuel bien plus riche et varié que la patrie est-arménienne. Les conséquences néfastes de l’histoire tumultueuse de ce peuple perdurent.

    Albrecht Rotacher (extrait d’un long essai paru dans l’hebdomadaire viennois Zur Zeit, n°46-47, 2006).

    sasunt10.jpg(*) René Rémond est le Président de la Fondation nationale des sciences politiques en France. Il est également membre de l’Académie française. Ce printemps, en avril 2006, il a publié un ouvrage remarquable, en fait un long entretien accordé à François Azouvi, où il explique pourquoi il a cosigné avec de nombreux historiens éminents une pétition demandant l’abrogation de toutes les lois relatives à l’histoire, dont la Loi Gayssot du 13 juillet 1990, concernant la « Shoah », la loi du 29 janvier 2001 concernant la reconnaissance du génocide arménien, la loi dite Taubira sur la traite négrière et l’article 4 de la loi du 23 février 2005 reconnaissant un « rôle positif » à la présence française outre-mer. Cette pétition résultait directement du scandale de la mise en accusation du respectable professeur Olivier Pétré-Grenouilleau parce qu’il avait écrit un ouvrage scientifique, trois fois primé, intitulé Les Traites négrières : Essai d’histoire globale, paru chez Gallimard en 2004. Pour René Rémond, il fait laisser l’histoire aux histoires et proscrire toutes les interventions de l’État, et de la « justice » à sa solde, dans le travail des historiens. Ce petit ouvrage, lecture impérative pour tout identitaire, a pour références : René Rémond, Quand l’État se mêle de l’histoire, Stock, 2006. C’est l’ouvrage qu’il faudra avoir en main, quand on légifèrera pour abroger définitivement ces lois scélérates, qui interdisent la liberté scientifique, et pour punir très sévèrement tous leurs inventeurs et surtout les magistrats qui auront osé les appliquer, en allant fourrer leur sale groin de juristes cuistres et ignorants dans les arcanes d’une aussi noble science que l’histoire. Suum cuique : les éboueurs évacuent les ordures, les magistrats évacuent les voyous ; les historiens et les narrateurs donnent du sens à l'ensemble de la société, ils énoncent le ciment intellectuel qui fera les sociétés fortes. Car, pour le salut de la communauté scientifique, pour le respect des intellectuels dignes de ce nom, pour le salut de nos enfants à qui il faudra transmettre des corpus intelligents et solides, il faudra bien qu’un jour une répression impavide se déploie et purge les rangs d’une magistrature fondamentalement corrompue. René Rémond, mu par une juste colère, nous indique la voie à suivre dans ce travail d’assainissement de nos sociétés.

    [Habillage musical : Jivan Gasparyan - Qele, Lao]

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    Arménie : nation martyr de l'orthodoxie

    Notes d'un voyage au pays détruit par les invasions turques

     

    armeni10.jpgPlus d'un touriste s'émerveillait jadis, en 1988, à Erevan, capitale de l'Arménie, de pouvoir aller se promener dans les montagnes du Nagorno Karabagh, une région dont le nom signifie “jardin noir” en langue turque. Aujourd'hui, ce pays merveilleux est l'endroit, sur la planète, le plus couvert de mines anti-personnel. Le Nagorno Karabagh, que les Arméniens appellent “Artzhak”, est un nouvel État, né de la résistance et de la guerre des partisans menée par la population arménienne contre l'invasion islamique turque venue d'Azerbaïdjan. Les Azéris, effectivement, se sont rendus maîtres du pays au moment de l'effondrement de l'Union Soviétique. Si on s'y rend en voiture en venant de la cité de Berdzor, il faut traverser un no man's land encore infesté de bandes azéries et passer entre deux colonnes frappée d'un symbole identique au “Soleil des Alpes” placé sur une épée marquée d'une croix. On se trouve alors dans le district de Shushi, une ville accrochée à une montagne escarpée, où Sergey Tsaturian reçoit les visiteurs.

    Il est le commandant de la Garde Nationale. Il est l'un des 7 frères de la première famille qui, guidée par le patriarche Grigory Shendyan, âgé de 98 ans, a pris les armes contre les envahisseurs. Avec grande fierté, il nous montre une église dont on achève la construction : les azéris d'ethnie turque l'avaient incendiée puis faite sauter à la dynamite, il y a 3 ans. Aujourd'hui, un jeune prêtre orthodoxe à longue barbe enseigne le catéchisme à de jeunes garçons à l'air libre, alors qu'il pleut. Il me dit : « Nous ne sommes pas encore en mesure de reconstruire l'école primaire et l'école moyenne qui ont été détruites à coups de canon, sous prétexte qu'elles n'étaient pas des “écoles coraniques” ». D'une autre petite chapelle de Shushi, il ne reste plus rien d'autre que les fondements ; des destructions similaires ont frappé Berdadzor, Kanatckala, Zarisli, Kanintak ; avant de se retirer les Azéris d'ethnie turque ont systématiquement détruit les églises, les écoles et les fours à pain.

    À Stephanakert, capitale de la nouvelle république d'Artzhak, de nombreuses églises ont également été frappées et fortement endommagées par des missiles ou des obus, mais le Musée de la Tradition tient encore debout, malgré les attaques au missile, au beau milieu de maisons disloquées. La directrice de ce musée, Mme Mélanie Balayan, me raconte que les familles et les enseignants y emmenaient les enfants et les élèves pour visiter cet écrin de la mémoire arménienne, même sous une pluie d'obus. Les Arméniens de cette région n'ont plus connu la liberté depuis longtemps : domination turque, 70 années de communisme après l'arrivée des bolcheviques, puis, récemment, l'arrivée des Azéris d'ethnie turque. Pire : l'ONU, sous la double pression de la Turquie et de l'Azerbaïdjan, n'a pas reconnu le nouvel État, alors que des élections démocratiques y ont été tenues, qui ont porté au pouvoir des gouvernements sociaux-démocrates ou libéraux.

    Dans le district d'Askeran, seul un monastère isolé dans la montagne a échappé à la furie destructrice. La plupart des villages ou des hameaux n'ont plus que des églises ou des écoles de fortune, installées dans des maisons d'habitation ou dans des vestiges d'anciennes forteresses russes. La ville morte d'Aghdam, dans le no man's land situé entre la frontière incertaine de l'Artzhak et l'État islamique d'Azerbaïdjan, est le véritable monument funéraire de l'“heureuse coexistence” entre orthodoxes et musulmans. Là-bas, tout est miné et les grenades en chapelets de couleur jaune, très semblables à celles que l'OTAN a utilisé contre les Serbes, maculent le vert des champs qui furent jadis fertiles. Les carcasses calcinées des chars de combat émergent des cratères creusés par les obus. Quelqu'un a apporté des fleurs pour les placer sous une petite croix blanche dessinée sur le flanc d'un T-34 détruit. Un calcul approximatif nous permet de dire qu'environ 300 églises et écoles orthodoxes arméniennes ont été détruites par les Turco-Azéris entre 1989 et 1997 au Nagorno Karabagh et dans le Nakhitchevan.

    Épilogue : dans la vallée du fleuve Araxe, sur la frontière turco-iranienne, en 1999, je rencontre un colonel, qui ressemble à l'un de ces Immortels de Cyrus II le Grand. Il me fait visiter l'ancien monastère de la Kelissa Darré Sham, c'est-à-dire l'église de Saint-Bartolomée, arrivé dans la région en l'an 62. Elle a été détruite  à plusieurs reprises par les invasions successives des Turco-Azéris, depuis le XVIe siècle jusque dans les années 70. Aujourd'hui, le complexe monastique est sous la protection de l'UNESCO et le ministère des monuments iranien est en train de le restaurer. Mais le panorama sur la vallée qui s'étend au-delà de la frontière azérie et du chemin de fer me rappelle le passé, aux blessures toujours béantes : des milliers et des milliers de katchar arméniennes, c'est-à-dire de croix rustiques taillées dans la pierre, révèlent des tombes chrétiennes orthodoxes, les tombes de ceux qui ont dû sans cesse fuir les persécutions déchaînées par le Sultan rouge, le génocide scientifiquement planifié par le gouvernement des Jeunes Turcs et, très récemment, les incursions des Azéris. Une seule chose a changé, ce ne sont plus des cimeterres ou des fusils que manient génocideurs ou envahisseurs, mais des chars d'assaut et des lance-roquettes munis de viseurs laser. La civilisation moderne…

    ► Archimede Bontempi, Nouvelles de Synergies Européennes n°50, 2001.

    (article paru dans La Padania, 26 oct. 2000)

     

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    Pièces-jointes :


    LA DÉFAILLANCE DE MÉMOIRE DE LA TURQUIE

    Le génocide arménien tourmente toujours Ankara 90 ans après

     

    En ce weekend d'avril [2005], les Arméniens ont commémoré le 90ème anniversaire du génocide de 1915. Mais la Turquie doit reconnaître maintenant ce crime — le premier génocide du XXe siècle. En refusant d'utiliser le mot « génocide », la Turquie pourrait compliquer ses efforts pour rejoindre l'Union européenne.

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    Victimes des premiers massacres en 1915 (AP/ Armenian National Archives)
     

    La typhoïde, les Russes, l'impérialisme et le Kaiser Wilhelm II en sa lointaine ville de Berlin — tous seraient responsables des morts massives d'Arméniens anatoliens. Tel est du moins le cas si vous lisez les manuels officiels d'histoire en Turquie. Selon la version turque, le seul acteur historique à ne pas avoir sa part de responsabilité seraient les Ottomans, les arrières grands-pères de la Turquie des Temps Modernes, celle qui est maintenant sur le point de rejoindre l'Union Européenne.

    Dimanche, les Arméniens du monde entier ont commémoré le 90ème anniversaire du début du génocide. Cette année a ouvert la dernière décennie de commémoration pour les survivants de ce crime, un des pires du siècle passé, et qui sont encore vivants pour y prendre part. Comme jamais avant, la pression internationale sur la Turquie pour assumer sa propre histoire n'avait été aussi forte que maintenant. Et les élite politiques d'Ankara n'ont jamais été plus inébranlables dans leurs efforts pour défendre les mythes que la Turquie use pour expliquer le massacre ou pour taxer les critiques comme traîtres à la patrie.

    L'affirmation que ce qui est arrivé aux Arméniens est un génocide est « catégoriquement inacceptable » prévient Yüksel Söylemez, le président d'un groupe d'anciens ambassadeurs turcs qui cherchent à promouvoir la version turque officielle sur ces événements à l'étranger. Le président turc Ahmet Necdet Sezer a déclaré que ces accusations sont sans fondements et « ont troublé et blessé les sentiments de la nation turque. » C'est à tort, a-t-il ajouté, que « nos amis européens fassent pression sur la Turquie à ce sujet ».

    Au moins un des arguments de ces apologistes modernes n'est pas sans évoquer les mêmes motivations de ceux qui ordonnèrent de déporter les Arméniens : les dirigeants du déclinant Empire Ottoman se sont vus en 1915 comme entourés d'ennemis de toutes parts et statuèrent une situation d'urgence pour la sauvegarde de l'État par lui-même. Cet argument est d'ailleurs toujours en cours chez les défenseurs de la Turquie moderne actuelle. Que ce soient les Kurdes, les Arméniens, la Grèce, l'Europe ou même les États-Unis, clament-ils, à l'intérieur comme à l'extérieur, le pays n'a rien moins que des adversaires. « Depuis le premier jour de son existence », a affirmé Sinan Aygün, le président de la Chambre de Commerce et d'Industrie d'Ankara, certains essayent encore et toujours « d' ébranler et de détruire » la Turquie.

    Le fait que Ankara, en tant que candidat à l'UE, ne pourra pas utiliser plus longtemps cette stratégie argumentative ne prend son caractère d'évidence que peu à peu chez les représentants du gouvernement turc.

    Confronté de plus en plus à des résolutions de l'Arménie dans les parlements européens, l'opinion se renforce parmi quelques uns quant au fait que cette position d'Ankara sur le problème arménien pourrait en fin de compte mettre en péril ses perspectives d' adhésion à l'UE. Bien qu'il n'y ait pas de condition formelle qu' Ankara reconnaisse le meurtre des Arméniens comme « génocide », les politiciens y compris le ministre français des Affaires étrangères Michel Barnier ont abondé des commentaires en cette direction. « Je crois que quand le temps sera venu, la Turquie devra venir à composer avec son passé, à se réconcilier avec sa propre histoire et reconnaitre cette tragédie », a-t-il dit. « Ceci est un problème que nous soulèverons pendant le processus de négociation. Nous aurons à peu près dix ans à agir ainsi et les Turcs auront à peu près dix ans pour méditer leur réponse ». Récemment, la très conservative Union Démocratique Chrétienne allemande, a déposé une résolution sur le problème entre Turquie et Arménie en son propre parlement, le Bundestag, où elle sera discutée cette semaine et mise en vote en juin.

    Dans un effort pour contrarier la pression provenant d'Europe sur le 90ème anniversaire, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et le dirigeant de l'opposition Deniz Baykal se sont accordé sur une position commune début mars. La Turquie est préparée, Erdogan l'a dit, à interroger son passé. Il a ajouté que les archives d'État à Ankara et Istanbul seraient ouvertes à tous et qu'il pourrait concevoir qu'une entité indépendante – telle l'UNESCO – participât à une mission d'information historique.

    Deux membres de l'opposition appartenant au Parti des Républicains, les anciens ambassadeurs Onur Öymen et Sükrü Elekdagi, avaient formulé cette idée. Le fait que cette action soit issue de cette paire d'hommes a créé sa propre série de problèmes, puisque ils sont tous deux de nets partisans de la ligne dure sur le problème arménien. Leur dessein est de prouver que la déportation et le massacre pendant la Première Guerre mondiale ne peuvent nullement être comparés à un génocide, que le nombre de victimes est considérablement plus bas que les Arméniens ne le prétendent, et que les anatoliens musulmans étaient en fait ceux qui ont le plus souffert de ces événements tragiques.

    Pourquoi est-ce si dur pour les Turcs actuels de traiter cette partie de leur histoire ? Les crimes de 1915 ont été commis par l'ancien gouvernement de l'Empire ottoman — un gouvernement dont Mustafa Kemal s'est distancié clairement de ses membres influents quand il est devenu le père fondateur de la République Turque.

    Kemal, qui sera plus tard connu en tant qu'Atatürk, coupa net avec toutes les traditions des temps ottomans quand il prit le pouvoir dans les années 1920. Il rejeta le sultanat, la califat et la loi de la sharia. Il ajouta l'alphabet latin, un système judiciaire européen et introduisit le dimanche chrétien comme un des jours fériés hebdomadaires. En plus, il avait une relation très tendue avec les trois jeunes dirigeants turcs de l'Empire ottoman — Talaat, Cemel et Enver Pasha. Il ne voulut pas inclure un seul des trois, considérés alors comme les premiers responsables de la déportation des Arméniens, dans les rangs du mouvement national turc après la guerre. Il considéra même Enver comme quelqu'un de particulièrement dangereux parce qu'il a vu dans son plan expansionniste "panturquiste" une aventure suicidaire.

    Beaucoup des complices aux crimes de guerre ottomans ont néanmoins bien réussi dans la République turque, fondée en 1923. Étonnamment, Atatürk lui-même parlait si ouvertement au sujet de ces crimes que ses commentaires pourraient être suffisants pour l'envoyer derrière les barreaux aujourd'hui. En 1920, au parlement, il condamna le génocide des Arméniens comme une « abomination du passé » et s’engagea à distribuer de manière sélective de sévères punitions aux coupables.

    À maintes reprises, les représentants d'Arménie ont proposé d'accepter la version d'événements telle que dite par Atatürk. En vain. Quand l'historien d'Istanbul Halil Berktay fit des déclarations similaires un peu plus tôt ce mois-ci, il fut attaqué. Ce ne fut presque rien en comparaison de la façon dont l'auteur le plus connu du peuple turc, Orhan Pamuk, fut villipendé après avoir déclaré à un journal suisse en février qu' « un million d'Arméniens avait été tué en Turquie ». Depuis, Berktay a refusé de faire la moindre déclaration sur le problème arménien.

    Les historiens tels que Berktay sont inaptes à participer à la mise en place d'une enquête historique, a déclaré Onur Oymen, ancien ambassadeur de Turquie en Allemagne, maintenant député chef de l'opposition et un des deux initiateurs de l'offensive parlementaire turque. Ces derniers affirment que ces historiens ont été influencés par les préjugés déployés par « la machine de propagande arménienne ». Cependant, les deux soutiennent volontiers la version des événements exposée par l'historien américain Justin McCarthy, qui prit la parole en mars devant l'Assemblée Nationale turque et par la suite dans une réunion à table ouverte avec des scientifiques et des diplomates étrangers.

    Les diplomates ont accueilli sceptiquement la présentation des faits de McCarthy, mais les Turcs le firent avec enthousiasme. Premièrement, dit-il, le nombre de victimes prétendues par les Arméniens (1,5 millions) est basé sur des chiffres de recensement falsifiés : seulement 1,1 million d'âmes aurait pu habiter les provinces de l'est de l'empire ottoman traversées de déportations selon lui. Sur celles-ci, près de 40 % moururent, et encore, 80 % de ces morts le furent de causes naturelles.

    Les Turques mènent un rude combat, affirme McCarthy qui enseigne à Louisville dans le Kentucky, et ont été largement inconsidérés dans ce domaine jusqu'à aujourd'hui. « Ils combattent contre le préjugé, et leurs adversaires sont politiquement forts, mais la vérité est de leur côté » tient-il comme discours à la foule.

    « Oseriez-vous avouer les crimes de vos grand-pères, si ces crimes n'avaient pas vraiment eu lieu ? » demanda l'ambassadeur Öymen. Mais le problème tient précisément dans cette question, confie Hirant Dink, éditeur et rédacteur en chef de l'hebdomadaire arménien Agos situé à Istanbul. L'élite bureaucratique de la Turquie ne s'est jamais réellement défaite de la tradition ottomane ; dans les auteurs (des massacres), ils voient leurs pères dont l'honneur se doit d' être défendu.

    Cette tradition instille un sens identitaire chez les nationalistes turcs ; elle traverse sans discontinuité autant la gauche que la droite et s'est perpétué de génération en génération au moyen du système scolaire. Cette tradition exige également un personnage repoussoir contre lequel elle pourrait se définir elle-même. Depuis l'époque de l'Empire ottoman, les minorités religieuses ont toujours été contraintes à jouer ce rôle.

    Début avril, Dink a été invité avec les autres représentants de la minorité arménienne de Turquie (approximativement 60.000 personnes) à se manifester devant le Comité parlementaire de l'UE . Il lanca un appel passionné pour la réconciliation. Il eut aussi quelques mots vifs pour l'opposition principale en Allemagne, qui récemment a monté en épingle au parlement le problème du génocide arménien. « Mme (Angela) Merkel (de l'Union Démocratique Chrétienne), ne sollicite pas cette requête au parlement allemand parce qu'elle aime les Arméniens aux yeux noirs foncés », dit-il. « Elle joue cette carte parce qu'elle est contre l'adhésion à l'UE de la Turquie. »

    Le journaliste et sociologue turc arménien Etyen Mahcupyan souhaite aussi mettre un bémol à la rhétorique dans cette querelle sémantique. Quelle que soit la vérité historique, dit-il, « le terme de génocide est seulement d'usage chez les extrémistes. Je n'aurais rien contre le fait que ce mot ne soit pas été utilisé. » Rarement dans les décennies récentes, dit Dink Hirant, les opportunités pour une amélioration des relations turco-arméniens n'ont été aussi bonnes qu'elles ne le sont aujourd'hui. Le gouvernement d'Erdogan, dominé par les fondamentalistes musulmans, est bien moins un produit de l'esprit nationaliste de la bureaucratie turque que ses prédécesseurs. Et c'est là quelque chose dont l'Europe devrait chercher à tirer parti.

    L'Allemagne surtout, qui porte aussi en tant qu'ancien allié de l'Empire ottoman sa part de blâme dans la tragédie, serait mal avisée d'écrire n'importe quelle résolution. Elle devrait plutôt faire des propositions concrètes : « Pourquoi les Allemands ne mettraient-ils pas Eriwan au défi de mieux sécuriser le vieux réacteur nucléaire à Metsarot ou ne feraient-ils pas pression sur Ankara pour rouvrir ses frontières avec l'Arménie ? [ndt : depuis, cette question a été réglée] » Selon Dink, Berlin pourrait aider économiquement et et soutenir diplomatiquement les modérés qui existent de part et d'autre : « Véritablement, les possibilités sont inépuisables. »

    ► B. Zand , Der Spiegel (avril 2005).


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    mount_10.jpgCommandable sur le site de la revue Nouvelles d'Arménie (revue se réclamant de la diaspora arménienne) un numéro hors-série : 90 ANS APRÈS LE GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS.

    Notons aussi l'étonnante resortie du livre
    La politique du sultan : le massacre des Arméniens : 1894-1896 par Victor Bérard, helléniste et orientaliste (1864-1931), qui enquêtera en s'efforçant à l'impartialité et la mesure (1897 [Revue de Paris puis chez Armand Colin], reprint 2005 chez le Félin, 157 p., 18 €). L'auteur, sous les conseils de Ernest Lavisse qui avait déjà constaté les effroyables massacres d'Arméniens en 1895 à Constantinople, partit courageusement étudier sur le terrain les soubresauts de la politique ottomane du sanguinaire sultan Abdul-Hamid II (1876-1909).

    ◘ Résumé : Le martyre arménien a commencé bien avant le génocide des années 1915-1916. Dès 1895, Victor Bérard, un intellectuel et voyageur français désireux d'étudier « sans opinion préconçue » la question de l'Orient, constatait ainsi les violences répétées faites à cette minorité chrétienne de l'empire ottoman. Observateur incisif, Bérard dévoilait du même coup la personnalité du bourreau en chef, le sultan Abdul-Hamid II. En deux ans, cette chasse aux bouc émissaire coûte la vie à 300.000 êtres humains. Cinq cents communautés arméniennes sont supprimées ou atteintes, leurs biens volés, pillés, détruits. « Comment, en pleine paix, un homme a-t-il pu concevoir une telle entreprise et comment, sous les yeux de l'Europe, a-t-il pu la mener à bien ? » demande Victor Bérard. L'auteur n'est plus sur le terrain en 1915 quand les Jeunes-Turcs la portent à son terme, prenant pour eux le mot prêté à un sbire du Sultan : « On supprimera la question arménienne en supprimant les Arméniens ». Bérard, qui l'avait entendu en son temps, trouvait l'idée « monstrueuse et incompréhensible pour un cerveau européen » ! Mais le XXe siècle européen ne faisait que commencer.

    Ce qu'il y a de précieux dans ce témoignage historique, par-delà sa dimension dramatique, c'est un rappel à notre actualité de l'ignorance irresponsable des gouvernements européens concernant la "question de l'Orient". Comme toujours, le silence profite aux bourreaux... Le gouvernement turc aujourd'hui encore est toujours dans ce jeu de minimisation de son histoire, par peur stupide d'une perte de crédibilité, comptant sur l'affairisme pour calmer les remontrances de l'opinion publique européenne, ce qui en dit sur la réalité politique du pays...

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    ar_710.jpg« Le XXe siècle aura battu tous les records en matière de persécutions, dûment attestées, et dont seule, une certaine veulerie occidentale fait mine de réduire ou d'ignorer l'horreur polymorphe. Ç’aura été l'un des titres de gloire de la Subversion que d'ajouter aux modes de tortures classiques, agissant exclusivement sur le corps, toute la panoplie des tortures psychiques, capables de dépersonnaliser l'individu et d'en faire l'ombre antithétique de lui-même. Les produits chimiques altérant ou détruisant la conscience sont venus prouver a contrario que les croyants en Dieu étaient des anormaux, puisque l'État, expression de la normalité, n'y croit pas, et que c'était donc faire acte d'humanité et de salubrité publique que de les guérir en leur faisant renier leur foi ! Quant à la cohabitation psychiatrique des croyants et des malades mentaux, elle n'a pas d'autre but que celui d'amalgamer la folie et la foi en une caricarure diabolique de la « folie de la croix » : les croyants une fois devenus fous à leur tour par contamination, il est aisé de démontrer que les croyants sont des fous. Devant un tel raffinement dans le sadisme, on est en droit de se demander qui sont les véritables fous, des victimes ou de leurs bourreaux.

    Et de vrai, pour tuer un peuple, le plus commode est de tuer sa foi. C'est en supprimant celle-ci qu'on supprime l'espoir, et c'est quand les hommes sont privés d'espoir qu'on en vient à bout le plus facilement : ils meurent alors de l'intérieur, deviennent tout ce que l'on veut, embrassent même de faux espoirs, ceux des lendemains incantés. Pourtant, si l'on peut tuer les témoins de l'Esprit, on ne peut pas tuer l'Esprit dont ils sont porteurs. Il est connu que le sang des martyrs en suscite toujours plus, que s'organisent les résistances, que toute doctrine spirituelle trouve un regain de vigueur dans les caves du supplice, dans les catacombes du silence. Ce qui fut vrai pour les premiers chrétiens livrés, sous Néron, Dèce et Dioclétien, aux bêtes et aux torches, l'est encore aujourd'hui pour les chrétiens d'un Orient où le soleil se lève en cachette. Mais cela l'est aussi pour les Hassidim traînés au crématoires, pour les Tibétains massacrés dans Lhassa et, d'une façon générale, pour tous les peuples qui, fuyant sous le vent hurleur des épouvantes de l'« Âge sombre », serrent encore contre eux la parole du salut, la syllabe d'éternité. Tous les coups frappent les connaissants, aucun, la Connaissance. Si l'on s'étonne de l'acharnement et de la longueur des tourments, c'est que, même défigurée, la Connaissance pardonne toujours à l'ignorance, et c'est ce que l'ignorance ne lui pardonne pas. »


    ► Jean Biès,
    Retour à l'essentiel, Delphica/L'Âge d'Homme, Lausanne, 2004, p.62-63.

     

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