• Benoist

    BenoistLes racines de la “Nouvelle Droite” 

    ◊ Lorenzo Papini, Radici del pensiero della Nuova Destra : La riflessione politica di Alain de Benoist, Giardini, Pisa, 1995.

    Étude fouillée sur la trajectoire d'Alain de Benoist depuis Europe-Action, les Ca­hiers Univer­si­tai­res et Défense de l'Occident. Pour Lorenzo Papini, docteur en scien­ces politiques formé à Pi­se, enseignant à Rome, le fondement de la pensée de Benoist, d'après ses écrits de jeu­nes­se, est un « racisme grand-européen », pui­sé chez Renan, Gobineau et Chamberlain, vi­sant la défense de la “race blanche” et la création, à terme, d'un “Empire blanc”, qu'il appelait le “Witland”, entité my­thi­que à laquelle il rêvait, à l'époque, avec les racialistes américains (Ku-Klux-Klan, etc.) et sud-africains (White suprematists). À cette é­po­que, l'orientation du fu­tur chef de file de la "nouvelle droite" est encore ra­di­ca­le­ment occidentaliste : De Gaulle est ac­cusé d'avoir « trahi la race » (Europe-Action, 20 déc. 1965), d'ê­tre un « imposteur com­mu­niste » et d'avoir « brisé l'Alliance At­lantique » (ibid., juil. 1967). Tels étaient les péchés de jeu­nesse que de Be­noist ne cessera plus de re­nier, en exprimant parfois des remords pathé­ti­ques, à partir de la création du GRECE, où il opte pour une stratégie “métapolitique”, qui dé­bou­chera sur la for­mulation d'un anti-racisme dif­férentialiste et sur une réfutation du pro­mé­théisme initial de ce mouvement. Il faut reconnaître que, de ce point de vue, l'évolution d'A. de Benoist est in­té­res­sante, constitue une évolution étonnante et positive. Pa­pini retrace clai­rement cette trajectoire, comme Taguieff l'avait fait en Fran­ce, dans son livre intitulé Sur la nou­velle droite. L'étude de Papini permet à l'étu­diant, à celui qui ne connaît pas la ND ou n'en a entendu que vaguement par­ler, d'avoir un fil d'Ariane pour la découvrir. À signaler dans ce li­vre : l'excellent cha­pitre, clair et concis, sur la réception de Nietzsche par de Benoist.

    [photo : Ernst Jünger & Alain de Benoist, Nice, 15 mai 1977]

     

    intertitre

    Les huit questions auxquelles Alain de Benoist n’a jamais voulu répondre…

    • Avant-propos : Fin 1990, début 1991, Alain Benoist me convoque et me soumet un projet. Il voulait que je l’interviewe pour Vouloir ou Orientations, afin de mettre en exergue, par le biais d’un tel en­tretien, les nouvelles pistes que la Nou­velle Droite était sur le point d’em­prunter. A. de Benoist m’explique que la situation politique et intellec­tuelle de la France et les mentalités en général ont considérablement changé depuis la naissance de la Nouvelle Droi­te, plus exactement du GRECE et de la revue Nouvelle école en 1968-69. Dès lors, ajoutait-il, le GRECE ne peut plus véhiculer certains idéolo­gè­mes, devenus obsolètes au fil du temps. En revanche, il s’avère impé­ra­tif d’explorer de nouvelles pistes. Mais cette nouveauté risque de provoquer le désarroi chez d’anciens militants, en­core trop prisonniers de schémas dé­passés, m’a-t-il précisé. Vouloir ou Orientations sont des revues extérieu­res au mouvement, elles sont publiées hors de France : elles sont donc le trem­­plin idéal pour lancer ces nou­vel­les pistes.

    Les arguments d’Alain de Benoist me semblaient judicieux et correspon­daient effectivement à mon analyse de­puis 1989, où, en juin de cette an­née, par ma première conférence of­fi­cielle au GRECE depuis mon retour (1), j’avais réclamé (en vain !) une ou­ver­ture aux nouvelles recherches pros­pec­tives et fondamentales de la phi­losophie française. En réclamant cette ouverture, je suivais un conseil d’Ar­min Mohler, engageant les lec­teurs de Criticón à lire les post-mo­der­nes français à travers l’analyse de leurs œuvres que proposait, avec un re­­marquable esprit de synthèse, le pro­­fesseur allemand Wolfgang Welsch, spécialiste incontesté de ces problématiques. A. de Benoist a souvent écouté Armin Mohler, recopié ce qu’il disait, béatement paraphrasé ce qu’il énonçait dans le contexte alle­mand, sauf en ce qui concerne les post-modernes et les synthèses de Welsch, où il n’a pas été le bon petit é­lève obéissant, mais plutôt le cancre, sourd à tout bon conseil.

    J’ai donc, à la demande explicite de de Benoist, composé les questions ci-des­sous que je lui ai faxées 5 jours plus tard. Mon objectif en posant ces questions : pouvoir expliciter les muta­tions idéologiques qui avaient jalonné l’itinéraire intellectuel du GRECE et de son animateur principal. Quand de Be­noist a reçu ces questions, il les a tout de suite contestées en montrant une ner­vosité incompréhensible, il a criti­qué des détails sans importance (le fait d’utiliser le terme “dada” pour dé­signer des engouements philoso­phi­ques), il n’a abordé aucune des thé­matiques de fond, soulevées par mes questions. Lors d’une entrevue quel­ques semaines plus tard, il a ré­i­té­ré ces critiques sans me donner d’ex­plications satisfaisantes. De Be­noist é­tait dans un état de nervosité bizarre, ses paroles étaient ponctuées de drô­les de rictus, ses doigts se cram­pon­naient à ses longues cigaret­tes, dont il as­pirait la fumée à grosses bouffées. Inutile de préciser qu’il n’a JA­MAIS ré­pondu à cette proposition d’en­tretien, qu’il avait lui-même récla­mé ! Pour­tant, une brochure avec des réponses clai­res aurait permis de cla­ri­fier les po­sitions de la Nouvelle Droi­te, d’orienter les militants et les sym­pa­thisants de ce courant de pensée. Je soumets au­jour­d’hui ces questions aux lecteurs de Vouloir. À eux de ju­ger comme il se doit le silence du gou­rou de la Nou­velle Droite. Un silence plus révélateur que tous ses discours et écrits… (RS)

    HUIT QUESTIONS A ALAIN DE BENOIST

    La Nouvelle Droite : histoire, destin, évolution, ruptures

    ◊ 1. Quand vous avez fondé avec quel­ques-uns de vos amis les structures qui allaient donner naissance à Nou­velle école puis au GRECE et à la mou­vance “Nouvelle Droite”, vous é­tiez animé par un désir de rupture. Une rupture qui tournait le dos à l'agitation politique groupusculaire pour approfondir les fondements, non seulement des sciences politiques, mais de toutes les disciplines humai­nes. Près de 25 ans après, comment jugez-vous cette rupture qui a décidé de votre destin de “journaliste méta­politique”, de “maître-à-penser” d'u­ne génération hostile à bien des com­promissions ?

    ◊ 2. Il serait peut-être utile aussi que vous nous rappeliez le contexte global de cette époque où vous avez amorcé votre rupture, tant sur le plan philo­so­phique, avec la vogue existentialiste, que sur le plan politique, avec les guer­res de décolonisation et du Viet­nam. En effet, les jeunes gens des années 70 et 80, a fortiori ceux qui seront la génération des années 90, ont baigné dans des atmosphères in­tellectuelles et politiques très diffé­ren­tes et certains d'entre eux m'ont déjà exprimé le souhait de connaître les mo­tivations et les sentiments qui ac­com­pagnaient les premiers balbutie­ments de ce qui allait devenir la “Nou­velle Droite” ?

    ◊ 3. Votre “démarche rupturale initiale” est contemporaine de mai '68. Dans l'u­niversité d'alors, sur le terrain po­litique, dans les débats intellectuels, quels ont été les facteurs qui ont dé­terminé vos options, quels sont les cli­vages qui vous semblaient incon­tour­nables et empêchaient tout dialogue avec les “contestataires d'en face”. Je pose cette question en sachant très bien qu'il existe aujourd'hui chez beau­coup d'ex-soixante-huitards une volonté très nette de brûler ce qu'ils ont adoré et de dénoncer “l'anti-humanisme” de leur jeunesse. Dans certains de vos écrits récents, vous soulignez, à rebours des “renégats de 68”, le grand intérêt intellectuel de certains linéaments philosophiques de cette époque contestataire. Quel ju­ge­ment pose l'Alain de Benoist d'au­jour­d'hui ?

    ◊ 4. Vous avez posé un pari faustien et prométhéen au début de votre aven­ture intellectuelle, assorti d'une criti­que de la sinistrose et du mythe du bon sauvage (notamment dans la forme que celui-ci prenait chez Claude Lévi-Strauss) et d'une apologie du “gé­nie européen”. De ce fait, vous a­vez été accusé de “racisme” par quel­ques adversaires manichéens, dont les héritiers sévissent encore au­jourd'hui. Vous étiez sur la même lon­gueur d'onde qu'un André Reszler lorsqu'il écrivait L'intellectuel contre l'Europe (PUF, 1976). Par la suite, vo­tre pensée semble avoir connu une sor­te de retournement : la linéarité quantitativiste du matérialisme occi­den­tal, vous avez commencé à la con­sidérer comme un avatar matérialiste de la linéarité judéo-chrétienne. Ipso facto, cette linéarité est devenue en quelque sorte votre “ennemi prin­ci­pal”, auquel vous opposez les essen­ces identitaires qu'elles soient euro­péen­nes ou extra-européennes. Mais dans ce cheminement philosophique, qui est le vôtre, on assiste à une mu­ta­tion dans votre définition de l'identité européenne : celle-ci ne serait plus ex­clusivement de nature faustienne / pro­méthéenne mais autre, c'est-à-dire moins vectorielle, moins progressiste, moins marquée par les linéarités du judéo-christianisme et de ces avatars laïcisés. Pouvez-vous nous préciser cette nouvelle définition de l'identité eu­ropéenne ?

    ◊ 5. Des auteurs comme Robert Mu­chem­bled (avec sa distinction entre la “culture des élites” et la “culture du peuple”) ou Carlo Ginzburg (avec son analyse des propos d'un meunier friou­lan promis au bûcher de l'In­qui­si­tion) ont-ils joué un rôle dans l'é­volution de votre pensée, partie d'un prométhéisme assez techniciste et quantitativiste ?

    ◊ 6. Toujours dans la même optique, vous êtes passé d'un dada philo­so­phique à un autre : en l'occurrence de l'empirisme logique anglo-saxon, intro­duit en France par l'un de vos maîtres-à-penser, Louis Rougier, pour aboutir à un discours anti-techniciste très mar­qué par Heidegger. Beaucoup de vos lecteurs n'ont pas compris cette évolution. Généralement, quand ils m'en parlent, je réponds que le “chaî­non manquant” dans cette évolution, est peut-être une réflexion sur la pen­sée de Wittgenstein, qui, au-delà de sa logique rigoureuse, de sa critique des ambiguïtés du langage, n'est pas dépourvue de mysticisme. Réflexion qui, de surcroît, n'a pas été consignée dans un texte majeur de vous-même ou de l'un de vos collaborateurs. Quelle est votre explication ? Y a-t-il un lien entre le mysticisme de Witt­gen­stein et votre engouement pour Hei­degger ?

    ◊ 7. La “nouvelle droite” est souvent ca­taloguée dans la mouvance d'un néo-paganisme. Votre critique de la li­néarité judéo-chrétienne vous a induit à ouvrir une réflexion sur le temps et l'histoire. En opérant cette réflexion, vous deviez nécessairement aborder les façons non linéaires de saisir temps et histoire notamment les théo­ries cycliques de l'histoire, propres aux cultures traditionnelles. Par ail­leurs, à la suite d'Armin Mohler, vous avez parlé de la sphéricité du temps : en clair, dans cette optique, le temps est une sphère et n'est pas vectoriel mais, en revanche, le cycle qu'il par­court n'est pas répétitif ; à tout mo­ment, une direction nouvelle peut être impulsée par la volonté d'un peuple, d'un chef, d'une personnalité charis­ma­tique, d'un génie de la pensée, etc. Aujourd'hui, dans vos écrits les plus ré­cents, on aperçoit une influence crois­sante des auteurs traditionalistes comme Guénon, Evola, Schuon ou Coo­maraswamy. Avez-vous renoncé à la théorie sphérique de l'histoire, abandonné l’amor fati de Nietzsche, pour retrouver le silence immobile de la tradition ? Votre approche païenne, approche basée sur une option pour le devenir et non pas pour l'être, s'es­tom­pe-t-elle, passe-t-elle au second plan ?

    ◊ 8. Sigrid Hunke, dans son célèbre ou­vrage Europas andere Religion, dont vous avez patronné la traduction fran­çaise aux éditions Le Labyrinthe, a dé­montré que l'essence de la religiosité européenne était l'unité du monde, l'u­nité fondamentale de toutes les cho­ses qui s'exprime la plupart du temps par la mystique. Dans Comment peut-on être païen ?, vous embrayé dans ce sens, en critiquant systématiquement les théologies et les pensées de la “cé­sure”, des dualismes qui opèrent précisément une césure, en valorisant certaines catégories de choses et de faits et en en rejetant d'autres dans une géhenne d'opprobre, instaurant de la sorte la désacralisation d'une bon­ne partie du monde, notamment de la vie, de la sexualité, des énergies sourdes qui irriguent les cultures de l'hu­manité. À la critique hunkienne du dualisme métaphysique, vous avez quel­ques fois ajouté des éléments très féconds puisés dans la physique non dualiste, dans la logique du tiers-in­clus de Sté­phane Lupasco et de son disciple Basarab Nicolescu. Aujour­d'hui, Jean-Jacques Wunenburger, qui vient de collaborer à votre nouvelle re­vue Kri­sis, a élaboré une “raison contra­­dic­toire”. Comment Alain de Be­noist re­lie-t-il aujourd'hui son option païenne anti-dualiste à la logique lu­pascienne du tiers-inclus voire à la “rai­son con­tra­dictoire” de Wunenbur­ger ?

    ◊ ◊ ◊

    Huit ans plus tard, nous attendons tou­jours les réponses d’Alain de Be­noist…

    ► Robert Steuckers, Vouloir n°146/148, 1999.

    • Note :

    (1) Je ne compte pas mon intervention fortuite lors du Colloque annuel de l’as­so­ciation en novembre 1986, où j’ai été con­voqué à mon grand étonnement, vraisem­blablement parce qu’on craignait la dé­fec­tion de Faye, qui contestait durement la di­rec­tion du GRECE, à ce moment ; après cet­te intervention au colloque de 86, je n’ai plus eu de contacts avec le GRECE jus­qu’en mai-juin 1989, période où Charles Cham­petier m’a demandé de prononcer cet exposé sur la post-modernité de juin 89, à la tribune du Cercle Héraclite. J’avais tou­tefois reçu une lettre de C. Cham­pe­tier en juin 1988, me demandant une col­lection complète de mes publications pour ses archives personnelles. Champetier n’a­vait pas encore pris contact avec le GRE­CE. Je l’ai rencontré pour la première fois le 31 juillet 1988 en Suisse, lors d’une assem­blée de la Lugnasad, organisée à l’occasion de la fête nationale helvétique. Champetier est ensuite venu à Bruxelles en septembre 88 me demander des conseils sur la voie à suivre. Il a investi la ND, où il n’y avait quasi plus personne, donnant au mouvement d’A. de Benoist un souffle nouveau. C’est dans le cadre de ses nouvelles fonctions au GRECE que Champetier m’a invité en juin 1989, ainsi qu’en mars 1990, pour un collo­que sur le futurisme, avec Jean-Marc Viven­za et Omar Vecchio. Alessandra Colla ac­com­pagnait ces exégètes du futurisme. Je n’ai en aucune façon influencé Champetier dans le choix des orateurs. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec la future Prési­dente du Bureau Européen de Synergies Eu­ropéennes et avec J. M. Vivenza, grâce, je tiens encore à le préciser, à l’entremise de C. Champetier et dans le cadre du GRECE. Mais aussitôt a­près cette ma­nifestation consacrée au futu­risme, derrière le dos de Champetier, une campagne de dé­nigrement systématique a été habilement or­chestrée contre Vivenza (un “fou”) et A. Colla (une “dan­gereuse extré­miste”) et, partiellement, con­tre moi-même. Champetier a fini par pren­dre ces ragots pour argent comptant et par perdre son in­dé­pendance d’esprit ; il a ac­quis les réfle­xes sectaires de l’apparatchik et perdu toute originalité intellectuelle. Pire : il a abandon­né ses propres initiatives, le groupe de ré­fle­xion IDEE et, un peu plus tard, sa revue, modeste mais pertinente, Métapo. C. Cham­petier ne s’est jamais posé de ques­tions sur les rai­sons pratiques ou psy­chia­tri­ques qui pous­saient son “chef” à colpor­ter des ra­gots infondés contre cer­taines per­sonnes (sur­tout quand elles sont dotées d’un vérita­ble diplôme universitaire ou, mê­me, d’une pe­tite peau d’âne de ba­chelier !). Un tel com­portement empêchait à l’éviden­ce le mou­vement de se développer : un tel sa­bo­tage systématique est-il le résul­tat d’une dé­faillance comportementale ou psy­chique ou bien, plus subtilement, est-ce une tactique dû­ment réfléchie et inspirée par cert­ains ser­vi­ces ? Trop jeune et finale­ment fort naïf, C. Champetier ne s’est appa­remment ja­mais rendu compte de la si­tua­tion… De mê­me, en ne répondant pas aux questions que je posais (à sa propre de­man­de !!!), l’a­ni­mateur principal du GRE­CE maintenait son mouvement dans un “flou artistique”, per­mettant toutes les ma­ni­pulations. De plus, alors qu’il annonçait vou­loir rompre avec certains éléments pas­séistes de son grou­pe, on constate, dix ans après, que les mê­mes olibrius encombrants et ridicules (un ridicule qui tue !) continuent leurs pitreries drui­dico-avinées, cucu-nazies et pagano-bur­les­ques en marge des dis­cours doctes de de Benoist et Champetier, qui affirment, avec les trémolos de la vierge effarouchée, qu’ils n’ont rien à voir avec le IIIe Reich (ni avec David Mortimerson).

     

    Soljénitsyne

     

    Benoist200.000 livres pour des guerriers de papier

    Le cas Alain de Benoist

    Commentant récemment la victoire de Marine Le Pen au congrès de Tours du FN, Jérôme Bourbon y voyait, en deçà des facteurs conjoncturels, « la conséquence […] d’un effrayant relativisme doctrinal et moral » (1) au sein de ce que l’on est convenu d’appeler le “mouvement national”. À l’heure des indispensables bilans, il ne sera donc pas inutile de revenir sur le cas d’un auteur qui a beaucoup contribué à la diffusion d’une forme de relativisme, Alain de Benoist. Je le ferai en évoquant non pas seulement son œuvre écrite, mais aussi sa personne et, plus encore, l’idée qu’il se fait de sa fonction.

    Pour compléter le propos de ceux qui l’ont déjà mis en cause ici même sur un plan essentiellement politique — Me Éric Delcroix il y a quelques mois, Robert Spieler et Yann Kermadec il y a peu —, je dispose de quelques lettres de créance. En effet, après avoir fait la connaissance d’Alain de Benoist au début des années 1980, j’ai été secrétaire de rédaction de toutes les publications de la Nouvelle Droite pendant deux ans (1985-86), publications auxquelles j’ai également collaboré, sous mon nom et sous différents pseudonymes, de façon plus ou moins régulière, pendant une quinzaine d’années. Mon dernier article pour une revue de la ND remonte à l’année 2001. J’ai mis un terme à toute relation avec celle-ci et son chef de file au printemps 2003.

    Dans le cadre d’un dialogue avec la fille du chef retransmis en direct sur Radio Courtoisie le 19 janvier, Benoist déclarait : «  Je tiens à dire à Marine Le Pen à quel point j’ai eu le cœur soulevé par certaines critiques » (2) à elle adressées. Ceux qui n’ont pas la mémoire courte se rappellent que Benoist, qui était déjà alors une âme sensible, un grand délicat, avait écrit à plusieurs reprises au début des années 1990, dans la Lettre de Magazine Hebdo, que les idées de Jean-Marie Le Pen « lui soulevaient le cœur ». Mais fin 2004, dans un entretien accordé à L’Aviso, éphémère revue mariniste, Benoist affirmait : «  Je n’éprouve aucune animosité personnelle envers Jean-Marie Le Pen. […] De plus, et surtout, je ne suis pas quelqu’un qui hurle avec les loups ».

    UN INTELLECTUEL TYPIQUEMENT MODERNE

    Il convient d’illustrer tout d’abord le paradoxe “bénédictin” (comme dit drôlement Y. Kermadec). Car Benoist, en effet, généralement regardé comme la principale figure intellectuelle des droites radicales françaises depuis plus de 30 ans, est, anthropologiquement parlant, par tous les pores de sa peau suis-je tenté de dire, un homme de gauche, partageant avec celle-ci une même conception de l’intellectuel. Chez lui, le déficit permanent d’incarnation des idées et le manque absolu de style se traduisent, sur le plan éthique, par un comportement non dénué de pleutrerie, par une complaisance pour le libertinisme qui n’a rien à envier aux pires tendances de notre époque et, sur le plan politique, par la coexistence d’une pseudo-radicalité (exprimée en privé ou dans des publications pour initiés) et d’un vrai réformisme public qui ne présente aucun danger pour le Système.

    À l’heure actuelle, Benoist doit posséder environ 200.000 livres, soit peut-être la plus importante bibliothèque privée de France. Avec cet ordre de grandeurs, on en est réduit à l’approximation. Je peux néanmoins attester, pour avoir visité les 3 maisons et l’appartement où sont rangés les livres mais aussi les impressionnantes collections de revues de notre Rhin-et-Danube (je vise son indécrottable germanomanie) de la pensée, que bien des institutions publiques, françaises ou étrangères, pourraient lui envier ce dont il dispose, par ex. sur le fascisme et le national-socialisme. Le moment de sidération passé, c’est cependant le malaise qui prévaut devant le caractère évidemment pathologique de cette bibliomanie aiguë. Plus grave encore : celle-ci reflète dans une large mesure une conception de l’intellectuel qui est intégralement moderne et même typique des Lumières. Benoist, en effet, est un moderne par sa surestimation du savoir livresque et encyclopédique, par l’importance exagérée qu’il accorde à la dialectique et à la logique, par son souci du dialogue et du débat sans fin (dans la double acception : sans finalité et sans terme), par sa propension à voir partout des “problèmes” sur lesquels devrait s’exercer — pour reprendre son horrible expression — “le travail de la pensée”, par son goût pour le commentaire perpétuel de la vie.

    LES “IDÉES”  ET LES “LARVES BLAFARDES”

    Il y a vingt ans, Benoist, répondant à l’invitation de ses interlocuteurs de gauche Alain Caillé et Serge Latouche (celui-ci est devenu depuis l’un des principaux théoriciens français de l’écologie et de la “décroissance”), livrait sans fard sa conception de la cléricature : «  Un intellectuel n’est que la somme de ses lectures et des réflexions qu’elles lui ont inspirées » (3). On ne sort donc pas des êtres de papier et, comme disait Evola dans Révolte contre le monde moderne pour fustiger dans le plus pur style fasciste un certain type humain, du monde des « larves blafardes ». Benoist ne rappelle jamais que l’intellectuel moderne ne représente que le dernier stade d’une dégringolade depuis le contemplatif d’autrefois (qui sait de nos jours que le grec theôria signifiait “contemplation” ?), ne le compare jamais au type de l’ascète, ni ne songe à le rattacher, même lointainement, au sage traditionnel — qui n’est pas une machine à mixer des idées mais qui est incarnation de l’Idée. Il s’agit pour lui, très platement, de mesurer la valeur de l’intellectuel à l’aune de sa capacité à manier plus ou moins subtilement des concepts, à suivre plus ou moins bien des raisonnements, à “problématiser” toutes choses, à utiliser avec plus ou moins d’habileté la dialectique pour prouver ceci et, l’instant d’après, cela, qui est son contraire. Rien, absolument rien, on le voit, qui orienterait vers l’apparition d’un nouveau type de clerc, à la hauteur d’une situation de crise effrayante. On comprend mieux maintenant pourquoi Benoist est tellement à l’aise sur le plateau de “Ce soir (ou jamais !)”, l’émission de Frédéric Taddeï, qu’il a connu à L’Idiot international du guignol parisianiste et mondain Jean-Edern Hallier, déjà presque oublié aujourd’hui.

    LE “STYLE” ET LES “BAVEUX”

    Cette conception de l’intellectuel et ces salons où chacun s’écoute parler campent l’univers des “baveux”, comme on dit à la fois dans les milieux militaires et dans le milieu du grand banditisme, donc chez des gens qui sont censés avoir une expérience directe de la peur et du courage physiques. La conception de l’intellectuel que défend Benoist est en réalité aux antipodes de celle qui irrigue le “cœur profond”  de la pensée de droite, à savoir le traditionalisme antimoderne, considéré aussi bien dans sa version catholique et contre-révolutionnaire classique que dans sa version “surhumaniste”, inspirée de Nietzsche pour l’essentiel. Dans les deux versions, il y a affirmation de l’existence, en amont de la raison raisonnante, d’un mode de connaissance qui ne se réduit pas à l’exercice de l’intelligence discursive, mais lui est au contraire supérieur : un mode appelé “intuition intellectuelle” dans le cas de la philosophia perennis, et, chez Nietzsche qui détrône le cogito et fait éclater l’unité du sujet, « grande raison » de l’organisme humain tout entier.

    Pour autant, il n’est bien sûr pas question, contre Benoist, de devenir des épigones de Millan Astray et de crier à notre tour “À bas l’intelligence !” Il faut seulement rappeler que celle-ci n’est pas le tout de l’homme ni même ce qui importe le plus en l’homme. Aussi bien l’homme de droite authentique n’a-t-il pas — à l’instar de l’artisan, du hobereau ou du prêtre de la société traditionnelle — des “idées”, au sens de Benoist. Il a bien plutôt un style intérieur, une forma mentis qui se projette sur le monde et qui se précise et devient plus cohérente grâce à des lectures, lesquelles peuvent même être nombreuses, mais ne sont jamais la véritable source dudit “style”. C’est Spengler, que je cite ici de mémoire, affirmant : «  Nous, nous n’avons que des idées sans mots héritées de nos pères ». C’est Céline se moquant : « Des ideâs, moi ? » C’est Evola plaçant la Weltanschauung bien au-dessus de la “culture” : «  Ce que nous appelons “vision du monde”  ne repose pas sur les livres ; c’est une forme intérieure qui peut être plus précise chez une personne sans culture particulière que chez un “intellectuel”  et un écrivain » (4).

    SÉRIEUX DE CUISTRE ET INVENTAIRE À LA PRÉVERT

    Quand l’homme de droite authentique, devant tant de “problèmes” qui accablent l’humanité souffrante, passe son chemin en éclatant de rire et en les laissant aux soins diligents d’Isabelle Giordano — qui chaque matin sur France-Inter s’interroge pour nous tous pauvres humains —, Benoist, lui, avec un sérieux de cuistre, a son mot à dire sur tout, sans même craindre le ridicule. Je me souviens d’un numéro d’Éléments des années 1990, dans lequel, à la suite de je ne sais plus quelle grève qui avait duré longtemps, il s’était mis à disserter gravement sur les avantages et inconvénients comparés du transport par la route et du fret ferroviaire — sujet auquel il ne connaissait strictement rien mais qu’il lui eût été insupportable de laisser à un autre… Il faut dire, à sa décharge, qu’à l’époque le grand contre-révolutionnaire colombien Gomez Davila n’avait pas encore été traduit et que Benoist n’avait donc pas pu lire ceci : « Sur une foule de problèmes triviaux, l’attitude intelligente n’est pas d’avoir des opinions intelligentes, mais de ne pas avoir d’opinion »  (5).

    C’est encore le défaut de “forme intérieure” chez Benoist qui explique le caractère construit, inorganique, tel un puzzle, de ses références doctrinales. Dans le texte déjà cité qu’il avait donné à La Revue du MAUSS, il écrivait aussi : «  Ma filiation, s’il en fallait une, ce serait plutôt : Rousseau, la Commune, le socialisme français (surtout Sorel et Pierre Leroux), les non-conformistes des années 30, la Révolution conservatrice allemande, le syndicalisme révolutionnaire italien et le situationnisme. Tirez-en ce que vous voulez » (6).  Notre homme ne croyait pas si bien dire : en effet, que tirer de cet inventaire à la Prévert ? Tout au plus pourrait-on dire qu’il dessine en creux une espèce de « fascisme de gauche », à ceci près que celui-ci — qui a bel et bien existé en Italie où, tout en étant minoritaire, il avait des racines bien réelles — ne correspond à peu près à rien en France. Mais cela fait si longtemps, il est vrai, que Benoist se gargarise avec ses “nouvelles convergences”  et autres “synthèses inédites”…

    IL SAIT TOUT ET FAIT “PEUTT ! PEUTT !”  DANS LE MICRO

    En fait, à considérer de près les choses et la personne — sur laquelle je vais revenir — du chef de file de la ND, on en vient à penser que Benoist répond bien à la description célinienne du lettré français faite au milieu des années 30 de l’autre siècle mais toujours d’actualité :

    «  Rien n’est plus odieux de nos jours, humainement plus odieux, plus humiliant que de regarder un Français moderne dit lettré, dépiauter narquoisement un texte, un ouvrage… […] Mais regardez ce bravache grelot si indécent de suffisance, obscène de muflerie fanfaronne, d’outrecuidance butée, comme il est accablant…Que lui expliquer encore ? lui répondre ?...Il sait tout !...Il est incurable ! » (7).

    Quelques années plus tard, sous l’Occupation, Céline précisait sa description clinique de l’intellectuel reconnu en indiquant clairement et de façon très amusante l’onomatopée qui est comme son signe distinctif  :

    « Comment c’est la consécration ? C’est la maîtrise de faire : peutt ! peutt !... [...] Déjà bien vache en petites lumières, babillard du pour et du contre…[…] Et comment ça se fait les peutt ! peutt ! ? Ça se fait en relevant les babines à propos de tout et de rien. C’est une façon de chier par la bouche sur n’importe quoi on vous présente… » (8).

    UNE VANITÉ INCOMMENSURABLE

    Mais il est encore bien d’autres traits par lesquels Benoist est typiquement un intellectuel moderne si proche des intellectuels de gauche : la vanité et l’égotisme, notamment. En 1982, il publie une brochure qui marque un tournant très important dans son propre itinéraire et celui de la ND : le tournant radicalement anti-américain, qui avait en fait été annoncé par un fameux numéro de Nouvelle École paru en 1975. Cette brochure, Benoist lui donne comme titre Orientations pour des années décisives, ce qui, en soi, est plutôt bien choisi et n’a rien d’illégitime. Sauf que rien, dans son texte, ne renvoie au double parrainage choisi : celui d’Evola, auteur en 1950 d’une brochure qui fit date pour la droite radicale italienne et qui était intitulée Orientations ; et celui de Spengler, dont un livre fut traduit en français sous le titre Années décisives. Sans doute Benoist se prenait-il déjà, à l’époque, pour un hybride improbable d’Evola et de Spengler, et même pour bien plus que cela. Il recommence 17 ans plus tard, avec son journal de l’année 1999, qu’il sous-titre en toute immodestie Notes pour conclure le siècle, mais sans renvoi, là encore, à l’original : Notes pour comprendre le siècle de Drieu La Rochelle. Il y a pourtant beaucoup plus fort. Le pompon a été tout récemment décroché avec une Bibliographie 1960-2010 du Maître, éditée par Les Amis d’Alain de Benoist et officiellement établie par eux. En fait, j’avais eu l’occasion, il y a plus de 20 ans, de voir cette bibliographie, alors à l’état de work in progress. Car le bon Maître avait daigné me montrer comment il tenait régulièrement à jour dans un grand classeur, avec un soin maniaque, l’état de son œuvre publiée et la “réception” de celle-ci  à l’échelle planétaire. Préférant parer à toute éventualité, persuadé que l’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, incertain du jugement de la postérité mais désireux d’élever quand même un monument — de papier, bien sûr — à sa propre gloire impérissable, Benoist s’est donc offert un instrument de travail de 467 pages, où l’on trouve tout : toutes les références de ses livres et articles, ainsi que celles de toutes leurs traductions dans toutes les langues, sans oublier les références de toutes les thèses, françaises et étrangères, qui lui ont été consacrées. Disposer de cela de son vivant, qui dit mieux ? 

    CASQUE DE TRAVERS ET CLOPE AU BEC

    J’ai parlé plus haut du manque de forme intérieure chez Benoist. Ce manque se traduit, à l’extérieur, par un défaut d’allure. On est même tenté de parler de dégaine. Il existe à ce sujet un exemple tout spécialement frappant. Pendant le long conflit entre l’Irak et l’Iran, Benoist effectue un reportage, côté iranien, pour Le Figaro magazine. Une photo, récemment reprise dans un magazine où son influence est de plus en plus sensible (9), le montre sur le front iranien, debout près d’un immense portrait de Khomeiny. Benoist, les yeux mi-clos derrière ses lunettes, porte sur la tête un casque posé de travers et tient à la bouche son éternelle clope qui pendouille. La dégaine générale du maître à penser des droites radicales françaises est affligeante : on est très, très loin de la Division Leibstandarte Adolf Hitler et très, très près de l’ami Bidasse. En fait, on a vraiment l’impression qu’il manque seulement, pour que le tableau soit complet, la bouteille de gnôle dans une main du penseur. Fort heureusement, cela ne risquait guère d’arriver au pays des mollahs !

    Cet effarant déficit d’incarnation prend aussi d’autres formes, dont peuvent témoigner tous ceux qui ont passé quelques jours en compagnie de Benoist. Celui-ci défend depuis longtemps des idées écologistes mais fume depuis plus longtemps encore comme une pétroleuse et prend sa voiture pour aller acheter sa cartouche de cigarettes. Il illustre volontiers ses revues Éléments et Nouvelle École de nus sculpturaux, brekeriens ou autres, mais n’a jamais pratiqué la moindre discipline physique ni ne s’est adonné au moindre art martial — méthodes qui eussent pu lui conférer un peu de densité charnelle. Il exalte le paganisme “solaire” mais ne met jamais le nez dehors, préférant vivre vissé à son fauteuil et rivé à son ordinateur. On me répondra qu’Antoine Blondin a passé une bonne partie de sa vie comme alcoolique quasi clochardisé sans perdre pour autant l’essentiel de son talent. L’objection n’a pas lieu d’être : Blondin, que je sache, était un romancier qui s’exprimait en son nom propre ; Benoist, lui, s’est toujours voulu l’animateur d’une école de pensée. En tant que tel, il se devait, me semble-t-il, d’incarner, au moins dans une certaine mesure, un modèle en lien avec ses convictions.

    BRAS DÉBILES ET CRISE DE NERFS

    Car lorsque l’on souffre d’un déficit d’incarnation des idées que l’on défend et que l’on n’a jamais fait le nécessaire pour remédier peu ou prou à cette situation, il arrive toujours un moment où la réalité vous rattrape en matière de courage. Cela est arrivé à Benoist — qui d’ailleurs, soit dit en passant, n’a toujours pas signé la pétition de soutien à Vincent Reynouard — sous une forme jusque-là connue d’un petit nombre seulement, mais qui le sera désormais d’un nombre bien plus grand. Au lendemain de la première guerre du Golfe, Benoist écrit dans un éditorial d’Éléments :

    «  Il est certes trop tard pour qu’une salve de missiles “Scud” envoie le Mayflower par le fond, et trop tôt pour que le président Bush soit scalpé par le dernier descendant de Sitting Bull ! Il n’en est pas moins légitime, maintenant, que les intérêts américains soient frappés dans le monde par tous les moyens. L’intifada partout ! » (10).

    C’est encore le stade de l’incantation et de la crise de nerfs. Mais 12 ans plus tard, le 20 mars 2003 à 19h 30, Benoist diffuse via Internet, auprès de quelques amis et de correspondants étrangers, un communiqué dont voici l’essentiel :

    «  Ce jeudi 20 mars, à 3h 32, le complexe militaro-industriel dont George W. Bush […] est aujourd’hui le porte-parole, a engagé de manière unilatérale contre la nation et le peuple irakiens une guerre aussi lâche que monstrueuse. […] Cette agression criminelle […] met l’actuel gouvernement américain au ban de l’humanité. À compter de ce jeudi 20 mars, à 3h 32 du matin, tout acte de représailles visant dans le monde les intérêts américains ainsi que le personnel militaire, politique, diplomatique et administratif américain, en quelque endroit qu’il se produise, quelle qu’en soit l’ampleur ou l’étendue, quels qu’en soient les moyens […] est désormais à la fois légitime et nécessaire ».

    Mais Benoist, après avoir fait de ses bras débiles trois petits moulinets anti-impérialistes, tel un vieux débris gauchiste, retire prudemment, dès le lendemain, son communiqué, condamnant par avance, bien sûr, les éventuelles actions terroristes qu’il appelait de ses vœux la veille au soir. Ridicule et risible, son comportement sera qualifié à juste titre, par un néoconservateur français, d’ « esbroufe irresponsable » (11).

    LES PETITS CAPRICES D’UN LIBERTIN

    Werner-GraulEn vieil enfant unique qu’il est, qui s’est toujours arrangé pour avoir les moyens humains et matériels de satisfaire ses caprices et ses obsessions, Benoist se donne aussi parfois l’illusion du courage à travers des télescopages puérils et tordus. Accordant dans Éléments [n°89] un long entretien sur le paganisme à Charles Champetier — jeune normalien très brillant passé depuis à la trappe, comme tous ceux qui peuvent faire de l’ombre au Rhin-et-Danube de la pensée —, il fait se succéder [p. 14] une très belle photographie d’un buste féminin nu [Nude in mirror, Paris 1938] due au portraitiste et photographe de mode Erwin Blumenfeld (1897-1969) — d’origine juive et qui émigra à Paris en 1936 — et la reproduction de 2 gravures [pp. 16-17] du graveur et dessinateur Werner Graul (1905-1984), proche de la mouvance völkisch et dont l’œuvre tourne, pour une grande part, autour de la conversion forcée des Germains au christianisme. Puisque personne ne sait qui est ce Graul, notre penseur peut se dire par devers lui qu’il a joué un bon tour à l’ennemi (12)… On reconnaîtra quand même à Benoist le grand mérite d’avoir fait connaître au public francophone, par le biais de Nouvelle École, les magnifiques gravures de Georg Sluyterman von Langeweyde (1903-1978), qui ont depuis été massivement reprises, à l’échelle européenne, dans la presse des droites radicales.

    Le dernier point qu’il faut aborder concerne le libertinisme de Benoist et de ses amis, surtout, en l’espèce, son vieux compère Michel Marmin. Ce libertinisme se réclame volontiers, pour se donner des allures nobles, de l’immoralisme nietzschéen, mais il n’en est qu’une caricature, une parodie et même, pour tout dire, une trahison. Car entre l’atmosphère solaire de Sils-Maria et d’Ainsi parlait Zarathoustra, d’une part, et celle de Portier de nuit de Liliana Cavani, médiocre ragoût plein de relents sado-masochistes qu’avait encensé en son temps la ND, d’autre part, il y a un monde. Fils de pasteur, âme d’élite à tous égards, Nietzsche a vécu son rapport au christianisme sur le mode du tourment et de la tragédie, comme en attestent notamment plusieurs de ses lettres à ses amis Franz Overbeck et Peter Gast. C’est aussi cela qui explique qu’il ait pu être tant aimé par un catholique comme Gustave Thibon. Nietzsche était un “libre esprit”, non un libre penseur. Et ce n’est pas moi, mais l’auteur du plus grand livre français jamais écrit sur lui, qui affirme : «  Beaucoup voient dans l’athéisme une manière commode de s’affranchir des contraintes que la discipline religieuse imposait à leurs instincts et à leurs caprices » (13). Quand Benoist et Marmin font la claque pour leur vieil ami Gabriel Matzneff, loin de faire acte de “transgression” véritable, ils rejoignent tout simplement les pseudo-rebelles abonnés aux prébendes du Système, les démolisseurs quasi institutionnels d’“interdits” qui ne font plus peur à personne. Mais il est un point à propos duquel nos deux apparatchiks de la grande-révolution-européenne-qui-n’arrivera-jamais, préfèrent garder un silence gêné : la pédophilie. Face à celle-ci, en effet, la morale traditionnelle est une digue qui n’a pas encore cédé.

    UN “SURHOMME”  À MANILLE

    À ce sujet, il faut savoir que Matzneff publia en 1990 chez Gallimard son journal intime des années 1983-84 sous le titre Mes amours décomposés. De ce livre, il faut retenir deux choses : son titre, parfaitement adéquat au contenu, qui sent le faisandé ; et, entre autres épisodes, celui de la description satisfaite et complaisante par l’auteur du rapport sexuel payant qu’il eut à Manille avec un prostitué philippin âgé de 13 ans. Cette leçon de tiers-mondisme revu et corrigé par Gaby le Maléfique est devenue, comme par hasard, introuvable. Mais son contenu n’a jamais fait l’objet d’une quelconque critique dans l’une des revues de la ND, ni n’a conduit celle-ci à prendre ses distances. Au contraire, chaque nouveau livre de Matzneff a droit, dans Éléments, à la brosse à reluire de Marmin, éminent spécialiste du copinage systématique. Et Matzneff a participé, avec son témoignage, au Liber amicorum offert à Benoist par ses amis à l’occasion de son soixantième anniversaire. On ajoutera, mais c’est presque superflu, que le même Marmin fait à intervalles réguliers, avec évidemment l’accord de Benoist, l’éloge de l’ex-actrice pornographique Brigitte Lahaie et qu’Éléments a même publié un entretien avec une autre experte dans le même domaine, laquelle a ceci de particulier qu’elle trouve le temps, en dépit de ses nombreux ébats, de se doter, paraît-il, d’une solide culture philosophique. Mieux vaut en rire : chacun sait combien Kant est obscur, surtout quand on l’aborde par le trou de balle…

    Le bilan est donc globalement négatif : malgré son énorme bibliothèque, dont il faut souhaiter qu’elle soit un jour prise en charge par une fondation ; malgré son immense culture ; malgré son intelligence exceptionnelle ; malgré son incontestable talent de plume et ses grandes qualités de conférencier, Alain de Benoist, pour des raisons qui tiennent d’abord à son “équation personnelle”, ne peut en aucun cas devenir un point de référence politique et culturel dans la perspective de la guerre civilisationnelle et raciale de demain, qui s’annonce déjà par tant de signes tangibles et qui pourrait être le creuset d’une vraie contre-révolution blanche (14).

    ► Philippe Baillet, Rivarol n° 2997, 29 avril 2011.

    • Notes :

    • 1 : J. Bourbon, « Face à Marine Le Pen le combat nationaliste continue », Rivarol n° 2983, 21/01/2011, p. 1.
    • 2 : Cité par R.Spieler, « Chronique… », Rivarol n° 2985, 4/02/2011, p. 3.
    • 3 : A. de Benoist, « Réponses », La Revue du MAUSS n° 13, 3e trimestre 1991, p. 111.
    • 4 : J. Evola, Orientations, Pardès, Puiseaux, 1988, p. 79 (éd. originale : 1950).
    • 5 : N. Gomez Davila, Les Horreurs de la démocratie, Le Rocher, Paris-Monaco, 2003, p. 120.
    • 6 : A. de Benoist, « Réponses », art. cité, p. 129.
    • 7 : LF Céline, Bagatelles pour un massacre, 2e éd., Denoël, Paris, s.d., p. 48.
    • 8 : Id., Les Beaux draps, Nouvelles Éditions Françaises, Paris, 1941, p. 50 et p. 53.
    • 9  :  La photo est reproduite dans Le Choc du mois n° 36, mars 2010, pp. 56-57.
    • 10 : R. de Herte [A. de Benoist], « L’Amérique c’est Carthage », Éléments n° 70, printemps 1991, p. 3.
    • 11 :  P. Rigoulot, L’Antiaméricanisme. Critique d’un prêt-à-penser rétrograde et chauvin, Robert Laffont, Paris, 2004, p. 201, note 1.
    • 12 : Voir « Comment peut-on être païen ? Entretien avec Alain de Benoist », Éléments n° 89, été 1997, p. 14 et pp. 16-17.
    • 13 : J. Granier, Le problème de la Vérité dans la philosophie de Nietzsche, Le Seuil, Paris, 1966, p. 273.
    • 14 : Plusieurs des thèmes abordés dans cet article ont été traités plus longuement dans mon livre Pour la contre-révolution blanche - Portraits fidèles et lectures sans entraves, paru chez Akribeia (45/3 route de Vourles – 69230 Saint-Genis-Laval ; 18 € + 5 € de frais de port), paru l’année dernière. [recension]

     


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