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Haushofer
L’œuvre géopolitique de Karl Haushofer
Né le 27 août 1869 à Munich, Karl Haushofer choisit la carrière militaire dès 1887. Officier d'artillerie dans l'armée bavaroise en 1890, il épouse le 8 juillet 1896, Martha Mayer-Doss, issue d'une famille d'origine israélite de Munich. Elle lui donnera deux fils, Albrecht (né en 1903) et Heinz (né en 1906). Gravissant rapidement tous les échelons de la hiérarchie militaire, Haushofer devient professeur à l'Académie de guerre en 1904. En octobre 1908, il est envoyé au Japon pour y organiser l'armée impériale. Il rencontre en Inde Lord Kitchener, qui lui prédit que tout affrontement entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne coûtera aux deux puissances leurs positions dans le Pacifique au profit des États-Unis et du Japon ; remarque prophétique que Haushofer retiendra toujours, surtout quand il élaborera ses thèses sur l'aire pacifique.
Après son long périple, il est affecté au Régiment d'artillerie de campagne de la XVIe Division japonaise. Le 19 novembre 1909, il est présenté à l'Empereur Mutsuhito (1852-1912), initiateur de l'ère Meiji, et à l'Impératrice Haruko. En retournant en Allemagne, il passe par la Sibérie en empruntant le transsibérien, se rendant compte de visu des immensités continentales de l'Eurasie russe. En 1913, paraît son premier ouvrage destiné au grand public, Dai Nihon (le Grand Japon), bilan de son expérience japonaise qui connaîtra un vif succès. En avril 1913, il commence à suivre les cours de géographie à l'Université de Munich, en vue d'obtenir le titre de docteur qu'il obtiendra de fait sous le patronage du Professeur August von Drygalski.
Mobilisé en 1914, il part d'abord pour le front occidental, où il combattra en Lorraine et en Picardie. En 1915, il est déplacé en Galicie pour revenir rapidement en Alsace et en Champagne. En 1916, il est dans les Carpathes. Il termine la guerre en Alsace. Pendant les hostilités, sa pensée (géo)politique se précise : les historiens anglais Macaulay et Gibbon, le théoricien allemand de la politique Albrecht Roscher lui donnent le cadre où s'inscriront ses réflexions historiques et politiques tandis que Ratzel et Kjellen lui procurent l'armature de sa pensée géographique.
Après l'armistice, il est nommé commandeur de la Ière Brigade d'artillerie bavaroise. Il se réinscrit à l'université, présente une thèse sur les mers intérieures du Japon (17 juillet 1919), est nommé professeur de géographie à Munich et donne son premier cours sur l'anthropogéographie de l'Asie orientale. Il fait la connaissance de Rudolf Hess le 4 avril 1919 ; une amitié indéfectible liera les deux hommes. En tant que dirigeant national-socialiste, Hess étendra toujours son aile protectrice sur l'épouse de Haushofer, descendante par son père d'une vieille lignée sépharade, et sur ses fils, considérés comme “demi-juifs” après la promulgation des lois de Nuremberg.
“L’Académie allemande”
Pendant les années 20, Haushofer fonde la célèbre Zeitschrift für Geopolitik (Revue de géopolitique), destinée à donner aux diplomates allemands une conscience pratique des mouvements politiques, économiques et sociaux qui animent le monde. Les plus grands spécialistes des relations internationales y ont collaboré, dès la parution du premier numéro en janvier 1924. Parallèlement à cette activité, il organise une association, le Verein für das Deutschtum im Ausland (Association pour les Allemands de l'étranger), qui se donne pour but de défendre et d'illustrer la culture des minorités allemandes en dehors du Reich.
Dès 1923, Haushofer accepte d'organiser les travaux préparatoires à la fondation d'une Académie allemande, pendant des académies française, italienne et suédoise. Cette académie sera officiellement fondée le 5 mai 1925. En 1927, paraît à Berlin son étude magistrale sur les frontières. Pendant cette décennie, Haushofer rencontre plusieurs personnages importants : Ludendorff, Spengler, les Colonels et diplomates japonais Kashyi, Oshima et Koozuki, l'Amiral Tirpitz, le Général suisse U. Wille, le Cardinal Schulte (Cologne), Konrad Adenauer, Hitler et le Comte Coudenhove-Kalergi, fondateur du concept de “Paneurope”.
Ses fils entament une brillante carrière ; l'aîné, Albrecht, fait un voyage au Brésil après avoir acquis son titre de docteur en philosophie à Munich. Il sera le secrétaire de son père pendant les travaux préparatoires à la fondation de l'Académie allemande, puis deviendra le secrétaire de la Gesellschaft für Erdkunde (Société de géographie) de Berlin. Le cadet, Heinz, obtient son diplôme d'ingénieur agronome.
En 1930, Karl Haushofer devient Fellow de l'American Geographical Society. Il effectue de nombreuses tournées de conférences en Autriche, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Italie et dans les Pays Baltes. Le 10 mars 1933, un commando national-socialiste perquisitionne la maison des Haushofer à la recherche d'armes. Jouissant de la protection de Hess, qui leur accorde une “lettre de protection” le 19 août 1933, Haushofer et ses fils conservent leurs postes universitaires et en acquièrent de nouveaux, malgré les protestations des “enragés” à propos de l'ascendance de leur épouse et mère. Le 11 mars 1934, Haushofer est nommé Président de l'Académie allemande. Il le restera jusqu'en avril 1937. Au cours de cette décennie marquée par l'hitlérisme, Haushofer rencontre, outre les dignitaires du nouveau régime, dont Hitler lui-même, l'historien Hans Kohn, le maire indépendantiste indien de Calcutta, Subra Chandra Bose, le Premier ministre hongrois Gömbös, l'ambassadeur à Rome Ulrich von Hassell, Monseigneur Hudal, Pie XI, Konrad Henlein, le leader des Allemands des Sudètes, l'ambassadeur du Japon, le Comte Mushakoji, l'Amiral Canaris, le Cardinal Pacelli, etc.
C'est surtout son fils aîné, Albrecht Haushofer, qui occupe une place importante dans la diplomatie allemande à partir de 1935. Cette année-là, de février à décembre, Albrecht effectue, pour le compte de la diplomatie allemande, 6 voyages en Angleterre. Il y retourne l'année suivante. En 1936 toujours, il est envoyé pour une “mission secrète” à Prague et rencontre Benes. En 1937, il est aux États-Unis et au Japon.
L’affaire Hess
Quand la guerre éclate, Haushofer entre dans une profonde dépression : il avait voulu l'éviter. Mais le sort de la famille est scellé quand Hess s'envole vers l'Angleterre en mai 1941. Albrecht est arrêté à Berlin et Karl Haushofer est convoqué à la Gestapo. En 1944, après l'attentat manqué du 20 juillet contre Hitler, la Gestapo perquisitionne la maison du géopoliticien et l'interne à Dachau. Albrecht Haushofer entre dans la clandestinité et n'est arrêté qu'en décembre. Heinz, le cadet, est enfermé à la prison de Moabit à Berlin avec sa femme. Le 22 ou le 23 avril 1945, un commando exécute Albrecht d'une balle dans la nuque. Heinz est libéré.
Après l'effondrement du IIIe Reich, Haushofer est interrogé par des officiers américains, parmi lesquels le Professeur Walsh qui tente de le protéger. Le 21 novembre 1945, un décret des autorités d'occupation américaines lui retire son titre de professeur honoraire et ses droits à une pension. Déprimés, Martha et Karl Haushofer se suicident le 10 mars 1946.
Panasiatisme et paneuropéisme
La géopolitique de Haushofer était essentiellement anti-impérialiste, dans le sens où elle s'opposait aux menées conquérantes des puissances thalassocratiques anglo-saxonnes. Ces dernières empêchaient le déploiement harmonieux des peuples qu'elles soumettaient et divisaient inutilement les continents. Séduit par les idées panasiatiques et paneuropéennes (Coudenhove-Kalergi), Haushofer entendait dépasser les nationalismes et voulait contribuer, par ses écrits, à l'émergence de “grands espaces continentaux” formés de nations solidaires. Ensuite, il a souhaité la collaboration des Européens, des Russes et des Japonais dans une grande alliance eurasienne, fermée aux influences anglaises et américaines.
◘ Les frontières et leur signification géographique et politique
(Grenzen in ihrer geographischen und politischen Bedeutung, 1927)Dans cette étude générale sur le phénomène historique/géographique des frontières, Haushofer exhorte ses compatriotes à avoir enfin une idée claire et vivante de ce que sont leurs frontières. Une conscience concrète, quasi instinctuelle, des frontières s'impose tout naturellement chez les peuples forts contre l'absence de formes territoriales qu'impliquent les idéologies cosmopolites, abstraites et ignorant les facteurs temps et espace. Concrètes, les frontières sont des faits biogéographiques qui font craquer les corsets juridiques où l'on veut enfermer les flux vivants. Les corsets juridiques, qui correspondent peut-être à des frontières anciennes, sont des résidus, devenus au fil des temps hostiles à la Vie. Haushofer déduit sa théorie des frontières des œuvres de Ratzel, Penck, Sieger, Volz et des protagonistes des écoles anglaise (Holdich, Curzon, Fawcett, Lyde) et française (E. Ténot). Sir Thomas Holdich est celui qui, aux yeux de Haushofer, a su au mieux théoriser l'art de faire des frontières justes et durables. La mer ne sépare pas mais unit, dans le sens où le littoral opposé attire toujours, attirance qui provoque la communication.
Pour une approche pluridisciplinaire des frontières
Les frontières biologiquement justes sont celles qui sont pensées, conçues et tracées au départ d'une approche pluridisciplinaire et non strictement juridique. L'approche pluridisciplinaire scientifique permet de concevoir et de tracer des frontières stables, capables d'épouser les flux du réel et de changer le cas échéant. Sans conception vivante des frontières, certains peuples, not. ceux qui n'ont pas de colonies, donc pas de réserves territoriales, sont contraints, parfois, de recourir à la limitation des naissances de façon à maintenir constant le chiffre de leur population. Haushofer dénonce l'égoïsme des nations colonialistes qui condamnent à la régression voire à la disparition les peuples qui n'ont pas quitté leur aire de sédentarisation première. Cette inégalité des peuples en matière d'espace est une injustice et, partant, il faut concevoir, désormais, les frontières dans un esprit évolutionnaire et non plus statique/juridique.
Haushofer classe les différents types de frontières (frontières naturelles, frontières qui sont les résultats d'un équilibre diplomatique, frontières défensives, fluviales, littorales, etc.), insistant, dans le sillage du géographe français Eugène Ténot, sur les frontières démembrées, permettant la pénétration militaire du territoire du voisin hostile. La France et l'Allemagne, sans le glacis alsacien-lorrain, ont des frontières démembrées. Haushofer critique les volontés (not. la volonté française, héritée de César) de vouloir établir des frontières durables le long de fleuves : les fleuves, comme les mers, unissent et ne divisent pas. Une étude objective et géopolitique des frontières est utile pour tous les hommes politiques, quelque soit leur appartenance idéologique.
◘ Géopolitique des idées continentalistes
(Geopolitik der Pan-Ideen, 1931)Au début des années 30, Haushofer se fait l'avocat des idées cherchant à promouvoir de grands rassemblements continentaux, dépassant l'étroitesse territoriale et économique des États de type classique. En dimensions, seuls les empires mongols, unificateurs de la masse continentale eurasienne, ont déjà réalisé, avant la lettre, une Panidee. En 1900, le continent australien est unifié en un seul État mais sans son complément insulaire, la Nouvelle-Zélande. L'idée panafricaine repose sur une volonté d'émancipation raciale. L'idée panaméricaine s'est donné au début du siècle des structures juridiques (Doctrine de Monroe de 1823, assemblées régulières des États américains, fondation d'un Bureau panaméricain). La Paneurope n'est restée qu'un rêve. L'histoire a également connu des Panideen “circum-marines”, comme Rome et l'Islam en Méditerranée. L'Empire britannique est “circum-marin” dans l'Océan Indien. Les États-Unis, d'une part, le Japon, d'autre part, tentent d'unifier sous leur égide toutes les rives du Pacifique.
Spécialiste des questions nippones et du Pacifique, Haushofer insiste beaucoup sur les synergies à l'œuvre sur le pourtour et dans les eaux de cette immensité océanique. L'idée panpacifique est vieille de 400 ans : Nunez de Balboa, en 1513, la revendique pour la Couronne d'Espagne. Sir Francis Drake relèvera le défi en 1578, réduisant à néant cette prétention. Les Américains prendront le relais des Espagnols au XIXe siècle, après que le Japon ait renoncé à peupler la Micronésie, que la Russie ait abandonné l'Alaska et la Mer de Bering et que l'alliance tacite entre Russes et Espagnols pour contenir la puissance américaine ait fléchi. Le Pacific Institute d'Honolulu jette désormais les bases d'une administration américaine de la plus grande zone océanique du globe. Pour Haushofer, l'organisation d'un tel empire circum-marin est l'idée politique la plus grandiose de l'histoire. Mais elle scelle en même temps le destin du Japon qui, pour avoir négligé le peuplement de la Micronésie, est arrivé trop tard dans la course et devra s'opposer aux États-Unis pour acquérir de la liberté de mouvement.
Les idées pan-pacifiques et panaméricaines sont évolutionnaires, tandis que les idées panasiatiques sont révolutionnaires et portées par les mouvements communistes russes ou indépendantistes chinois (Sun Ya-Tsen) et indiens (B.K. Sarkar ; Rabindranath Tagore).
L'organisation sur le long terme d'idées circum-marines n'a pas été possible dans l'antiquité parce que les techniques de communications étaient insuffisantes. Alexandre n'a pu maintenir son empire car il n'a pu absorber l'espace sarmato-scythique, peuplé de nomades rebelles à toute tentative d'organisation.
Grand-Eurasiens et Petits-Eurasiens
Quant à l'idée eurasienne, elle se subdivise en deux courants : le courant grand-eurasien, où l'Europe est considéré comme une simple péninsule de la grande masse territoriale qu'est l'Eurasie, et le courant petit-eurasien, né en Russie, qui souhaite simplement détourner le regard de la Russie de l'Occident et diriger les flux d'énergie russe vers l'Est. Il est impossible de tracer une frontière nette et définitive entre l'Europe et l'Asie, puisque l'immense territoire s'étendant de la Mandchourie aux Carpathes, route des migrations, forme une unité indivisible. Haushofer rejoint en quelque sorte les Eurasiens russes (Nicolas S. Timachev et N. de Boubnov), soulignant avec eux que l'espace ukraino-polonais est une zone de transition et d'affrontement entre la Russie à fondement sarmate et l'Europe à fondement germano-romain. L'Eurasie des théoriciens “eurasiens” russes correspond en ultime instance à l'espace que Mackinder appelait le « pivot central de l'histoire ». Les “Eurasiens” russes, explique Haushofer, développent un projet géopolitique russo-sarmate, hostile aux cultures déclinantes d'Europe et d'Asie, semblable au projet autarcique, autoritaire et conseilliste des Bolchéviques sauf dans le domaine religieux, où ils prévoient un tsar élu et une adhésion obligatoire à la religion orthodoxe.
Face à cette volonté dynamique, les Panasiatiques chinois et indiens opposent une autre volonté révolutionnaire et la Paneurope de Briand et de Coudenhove-Kalergi se réfugie frileusement dans la défense du statu quo, à l'instar de la Sainte Alliance de Metternich. Le panislamisme, l'idée grande-arabe, les idées panindienne et grande-chinoise sont d'autres idées rassembleuses qui s'agitent dans l'espace eurasien. Solution pour éviter tout conflit retardateur et diviseur : réconcilier les idées paneuropéennes, eurasiennes et panasiatiques.
Les douze aires subcontinentales de Banse
Pour Haushofer, la marche de l'humanité vers des entités de dimensions continentales est inéluctable ; une première étape pourrait être les rassemblements “sub-continentaux”, théorisés par le géographe E. Banse en 1912. Celui-ci parlait de douze aires : l'Europe, la Grande-Sibérie (Russie comprise), l'Australie, l'Orient, l'Inde, l'Asie orientale, la “Nigritie”, la Mongolie (avec accès aux mers via la Chine centrale, l'Indochine et l'Indonésie), la Grande-Californie, les Terres andines (tournées vers le Pacifique), l'Amérique (la partie de l'Amérique du Nord tournée vers l'Atlantique) et l'Amazonie. Cette classification permet de penser une organisation des peuples sur base subcontinentale.
La dynamique qui porte tous ces projets réduit à néant les prétentions à vouloir figer une quantité de morceaux de monde dans des frontières exigües et inviables.
◘ Politique mondiale actuelle
(Weltpolitik von heute, 1934)Analyse des grands ressorts de la politique mondiale de l'après-Versailles, Weltpolitik von heute commence par définir l'espace centre-européen (Mitteleuropa) : pour Haushofer comme pour Mackinder, la Mitteleuropa est l'addition des espaces rhénan et danubien. Pour le Français de Martonne, en revanche, c'est le cordon sanitaire ouest-slave allié à la France et instrumentalisé contre l'Allemagne et la Russie. Ce cordon sanitaire est une construction artificielle, affirme Haushofer, maintenue en vie par les règles abstraites de la Société des Nations. En dehors d'Europe, le monde a été européanisé. L'Amérique du Sud a été “dés-indigénisée” ; le Moyen-Orient arabo-persan a été divisé en entités antagonistes au bénéfice des Anglais ; l'Inde est sous tutelle anglaise, etc. Les principales conséquences de la Première Guerre mondiale sont :
- 1) la division de l'Europe entre nations colonisatrices et détentrices de vastes espaces de réserve, d'une part, et nations sans espace de réserve, coincées sur leur aire de peuplement initiale, d'autre part ;
- 2) l'empire britannique se disloque ;
- 3) les peuples colonisés d'Asie réclament leur indépendance. Face à cette donne, Haushofer préconise une politique qui vise à dégager de l'espace sur la planète pour les Européens qui en sont dépourvus (Allemands, Hongrois, Roumains, Polonais, Tchèques, Slovaques, Grecs, Bulgares et Yougoslaves, dont le sort est lié à celui de l'Allemagne en dépit de la “Petite Entente” téléguidée depuis Paris) ; à accélérer la décomposition de l'empire britannique ; à épauler les colonisés en révolte contre leurs maîtres. Cette politique implique d'opposer la lex feranda à la lex lata, le devenir naturel au statisme des paragraphes et des traités imposés par des vainqueurs égoïstes.
Viser l’autarcie, refuser les monoculturesPour acquérir le statut de grande puissance, il faut, explique Haushofer, viser l'autarcie et refuser les monocultures. L'autarcie, réalisable désormais dans le grand espace fédéré et non plus dans le cadre trop exigu des États-Nations classiques, permet l'indépendance alimentaire et industrielle grâce à une agriculture et une industrie diversifiées, répondant à tous les besoins de la population. La tentation d'édifier des “monocultures” ultra-spécialisées déforme l'économie et la fragilise en cas de crise. Weltpolitik von heute définit en outre la notion de “grande puissance”, énumère les types de dépendance politique (vassalité, clientélisme, protectorats virtuels, etc.), explicite les formes d'appropriation d'espaces non encore dominés (les pôles) et de domination des espaces aux défenses démantelées (Allemagne après Versailles).
◘ Mers du monde et puissances mondiales
(Weltmeere und Weltmächte, 1937)Ouvrage entièrement consacré au rapport entre la domination des zones océaniques et la puissance politique et militaire des nations, Weltmeere und Weltmächte commence par recenser les travaux d'océanographie physique qui ont accru le savoir des hommes sur les mers. Ces connaissances factuelles ont débouché sur une pratique politique de maîtrise des océans. La haute mer, depuis les Grecs et les Romains est le “bien de tous les hommes” (koinon panton anthropon, disait Theophos) ou “de par sa nature ouverte à tous” (mare omnibus natura patere). Sir Thomas Barclay inaugure le débat juridique pour savoir si la mer appartient à tous ou à personne (si elle est res communis ou res nullius).
En 1894, E.W. Hall dans son Treatise on International Law, rappelle que, parmi les principes indiscutables du droit international moderne, il y a celui qui interdit aux puissances de s'approprier en toute exclusivité des zones maritimes (l'idée de mare liberum formulée par Hugo Grotius en 1609). Pour Haushofer, cette vision est hypocrite : quand la Grande-Bretagne applique sa stratégie de blocus ou s'empare des câbles sous-marins de télécommunications, elle s'empare ipso facto de larges portions de territoire marin. L'idée de mer libre, défendue par les juristes anglais, a donc conduit à une domination quasi exclusive des mers du monde par la Grande-Bretagne, seule puissance capable d'utiliser efficacement l'arme du blocus. Les autres puissances sont de ce fait des laissées-pour-compte dans cette lutte pour la maîtrise des espaces marins.
Thalassocraties insulaires et littorales
La domination des mers survient quand une puissance parvient à se doter d'« organes océaniques » efficaces (flottes). Les thalassocraties, comme l'illustre l'exemple vénitien, déploient leur puissance au départ d'un territoire réduit et conquièrent des comptoirs, des bandes littorales, soit autant de “ventouses aspirantes” reliées à la métropole par des tentacules mouvantes et élastiques. Les thalassocraties commencent souvent par dominer des mers intérieures (l'Égée pour Athènes, la Méditerranée pour Rome, la Mer du Japon pour le Japon moderne). Elles sont soit des États littoraux soit des États insulaires.
Les thalassocraties littorales sont plus fragiles, car directement menacées par leur hinterland. Les thalassocraties insulaires disposent de plus d'atouts pour passer de la domination d'une mer intérieure à la domination des grandes voies de communications transocéaniques. Les thalassocraties littorales sont des constructions hybrides, obligées de mener conjointement deux types de politiques différentes, l'un continental, l'autre maritime (Hollande, Portugal), ce qui épuise leurs ressources et leur fait perdre la compétition face aux thalassocraties insulaires. Les États continentaux, comme l'Allemagne, sont handicapés par leur géographie et ne peuvent donner le meilleur d'eux-mêmes dans un monde désormais fermé, entièrement exploré, où les thalassocraties ont eu une longueur d'avance pour la maîtrise des bases d'outre-mer, des zones économiques assurant la subsistance et des espaces de colonisation où elles déversent le trop-plein de leur population.
La thalassocratie britannique est hostile aux canaux intérieurs et au percement des isthmes car ces ouvrages relativisent ipso facto l'importance des voies maritimes qu'elle contrôle. Lord Palmerston a été hostile au creusement du Canal de Suez parce que la France en avait la maîtrise. L'Angleterre a également critiqué la construction du Canal du Midi, entre Bordeaux et la Méditerranée, car cela réduisait considérablement l'importance stratégique de Gibraltar.
À l'heure où la politique ne peut plus être que mondiale, les peuples qui veulent survivre doivent nécessairement recourir au large, aux océans, ou organiser leurs espaces continentaux de façon à échapper à la domination de l'une ou l'autre puissance maritime. Cette organisation continentale passe par la construction de routes, de voies ferroviaires, de systèmes de navigation fluviale, etc., contrôlés par les seules puissances continentales.
◘ Le bloc continental : Mitteleuropa, Eurasie, Japon
(Der Kontinentalblock - Mitteleuropa - Eurasien - Japan, 1941)Rédigé après le pacte germano-soviétique, cet ouvrage poursuit deux objectifs :
- 1) jeter les bases d'une alliance germano-italo-soviéto-nippone, qui réorganiserait la masse continentale eurasienne et africaine ;
- 2) revendiquer pour l'Allemagne le retour de ses colonies africaines, ôtées après Versailles.
Analysant les textes édités par les instituts britanniques et américains, Haushofer y décèle une crainte récurrente, notamment chez Lord Palmerston et chez le géographe Homer Lea, de voir se constituer une alliance entre l'Allemagne, la Russie et le Japon. Une telle alliance échapperait totalement au contrôle des thalassocraties britannique et américaine. Les thalassocraties, écrit Haushofer, pratiquent la politique de l'anaconda : elles enserrent leurs proies et les étouffent lentement. La masse eurasienne, si elle est dûment organisée, est une proie trop grande pour l'anaconda anglo-américain, une masse territoriale telle, qu'elle échappe à tout blocus. L'idée d'une telle alliance a plutôt germé dans des cerveaux russes et japonais que dans des cerveaux allemands ou européens.Lors de la guerre russo-japonaise de 1905, quand Britanniques et Nippons conjuguent leurs efforts pour tenir les Russes en échec, une partie du corps diplomatique japonais, dont l'Ambassadeur à Londres Hayashi, le Prince Ito, le Premier Ministre Katsura et le Comte Goto, souhaite une alliance entre Allemands, Russes et Japonais contre les tentatives anglaises de contrôler tout le trafic maritime mondial. Face à de telles propositions, l'Allemagne de Guillaume II, déplore Haushofer, reste prisonnière du mythe du “péril jaune”, ne percevant pas que les Asiatiques sont moins dangereux pour l'avenir de l'Allemagne que les Britanniques et les Américains. En Russie, l'idée eurasienne a été incarnée par le Ministre Witte, créateur du chemin de fer transsibérien et partisan d'une paix séparée avec l'Allemagne en 1915. Le Japonais Goto parlait de la nécessité d'une troïka, où le cheval central, le plus corpulent et le plus robuste, aurait été la Russie, flanquée de deux chevaux plus nerveux, l'Allemagne et le Japon.
En Afrique, la mauvaise gestion britannique a laissé aller à vau-l'eau l'œuvre constructrice des colons agriculteurs allemands ; à la volonté de développer des cultures vivrières, les Anglais ont substitué l'exploitation capitaliste, provoquant l'urbanisation des masses africaines, délaissant l'agriculture, ce qui provoque la désertification et les famines. Les Japonais, en revanche, ont très bien géré la Micronésie ex-allemande.
La “troïka”, complétée par l'Italie mussolinienne, doit soutenir les indépendantistes arabes et hindous ; la Russie, en particulier, doit se poser comme la protectrice des Arméniens et des Kurdes de façon à rattacher Mossoul au bloc continental en gestation.
► Robert Steuckers, Vouloir n°137-141, 1997.
[version italienne] – [version espagnole] – [Version portugaise]
◘ Bibliographie
- Dai Nihon : Betrachtungen über Groß-Japans Wehrkraft und Zukunft, Berlin, 1913
- Der deutsche Anteil an der geographischen Erschließung Japans und des subjapanischen Erdraums und deren Förderung durch den Einfluß von Krieg und Wehrpolitik, Munich, 1914 (thèse)
- Grundeinrichtungen in der geographischen Entwicklung des Japanischen Reiches, Munich, 1919
- « Das Japanische Reich in seiner geographischen Entwicklung », in Dr. Grothe, Angewandte Geographie, Vienne, 1921
- « Ostasien, Japanisches Reich, Mandschurei », in E. Banse, Lexikon der Geographie, Braunschweig, 1923
- « Südostasiens Wiederaufstieg zur Selbstbestimmung », in K.A. v. Müller & O. Westphal, Geopolitik der Selbstbestimmung, Leipzig, 1923
- Japan und die Japaner : Eine Landeskunde, Leipzig, 1923 (tr. fr. : Le Japon et les Japonais, Payot, 1937, trad. et intro. de Georges Montandon)
- Wehrhaftigkeit, Munich, 1924 (édition d'un discours)
- Geopolitik des Pazifischen Ozeans, Heidelberg, 1924-1, 1928-2, 1937-3
- « Politische Erdkunde und Geopolitik », in August von Drygalski, Freie Wege vergleichender Erdkunde, Munich, 1925
- Grenzen in ihrer geographischen und politischen Bedeutung, Berlin-Heidelberg, 1927 (2e éd. : 1939)
- « Das Japanische Reich », in Gerbing, Erbbild der Gegenwart, Leipzig, 1927
- Bausteine zur Geopolitik, Berlin, 1927 (avec Lautensach, Maull et Obst)
- Der Rhein, sein Lebensraum, sein Schicksal, Berlin, 1928
- Großmächte vor und nach dem Weltkrieg, Leipzig, 1930 (édition d'un ouvrage de Kjellen retravaillé par Haushofer et complété de cartes)
- Japans Reichserneuerung, Berlin, 1930
- Geopolitik der Panideen, Berlin, 1931
- Deutschlands Weg an der Zeitenwende, Munich, 1931
- Jenseits der Großmächte, Leipzig, 1932 (ouvr. coll.)
- Wehr-Geopolitik, Berlin, 1932
- Mutsuhito, Kaiser von Japan, Lübeck, 1933
- Japans Werdegang als Weltmacht und Empire, Berlin, 1933
- Napoleon I., Lübeck, 1934
- Der nationalsozialistische Gedanke in der Welt, Munich, 1934
- Kitchener, Lübeck, 1934
- Wehrwille als Volksziel, Stuttgart, 1934
- Foch, Lübeck, 1935
- Weltpolitik von heute, Berlin, 1934-1, 1935-2, 1937-3
- Raumüberwindende Mächte, 1934 (ouvr. coll.)
- Geopolitische Grundlagen des N.S. Staates, Berlin, 1935
- « Geopolitik », in Handbuch der neuzeitlichen Wehrwissenschaften, Berlin, 1936
- Welt in Gärung, Leipzig, 1936 (co-écrit av. le Dr. Gustav Fochler-Hauke)
- Weltmeere und Weltmächte, Berlin, 1937
- Alt-Japan, Berlin, 1937
- Probleme der Weltpolitik in Wort und Bild, 1939 (co-écrit av. le Dr. G. Fochler-Hauke)
- Deutsche Kulturpolitik im Indo-Pazifischen Raum, Hambourg, 1939
- Das Werden des deutschen Volkes von der Vielfalt der Stämme zur Einheit der Nation, Berlin, 1939 (co-écrit av. Hans Roeseler)
- Erdenmacht und Völkerschicksal, Stuttgart, 1940 (anthologie de textes de Friedrich Ratzel, préfacée par K.H.)
- Japan baut sein Reich, Berlin, 1941
- Der Kontinentalblock : Mitteleuropa, Eurasien, Japan, Munich, 1941 (tr. fr, cf. infra : K. Haushofer, De la géopolitique)
- Japans Kulturpolitik, s.l., 1944
- De la géopolitique, Fayard, 1986 (préf. de J. Klein et intro. de HA Jacobsen)
◘ Principaux articles dans la Zeitschrift für Geopolitik (en abrégé infra : ZfG) :
- « Die Einheit der Monsunländer », ZfG, 1924, pp. 20-27
- « Das japanische Erdbeben und seine politischen Folgen », ZfG, 1924, pp. 82-89
- « Geopolitische Einflüße bei den Verkörperungsversuchen von nationalem Sozialismus und sozialer Aristokratie », ZfG, 1924, pp. 127-134
- « Der Ost-Eurasiatische Zukunftsblock », ZfG, 2, 1925, pp. 81-87
- « Des deutsche Volk und sein Südseereich », ZfG, 3, 1926, pp. 201-206
- « “Physische Erdkunde” als Grundmauer der Geopolitik », ZfG, 5, 1928, pp. 441-445
- « Vizekönige als geopolitische Größen », ZfG, 7, 1928, pp. 600-601
- « Die Länderfrage in Ostasien und ihre Lehren für Europa », ZfG, 12, 1929, pp. 1081-1092
- « Hermann Lautensach », ZfG, 4, 1929, pp. 265-267
- « Deutsche und romanische Geopolitik », ZfG, 6, 1930, pp. 503-504
- « Ost- und Südafrika im Indischen Lichte », ZfG, 8, 1930, pp. 631-636
- « Wanderwucht der Monsunländer », ZfG, 3, 1931, pp. 224-234
- « Das asiatische Antlitz der Sowjets », ZfG, 6, 1931, pp. 473-481
- « Kurt Wiedenfeld zum 60. Geburtstag », ZfG, 10, 1931, pp. 721-723
- « Großasiatische Dynamik », ZfG, 3, 1932, pp. 129-135
- « Shanghai. Die wehrgeographische Problematik der Großstadt im Kriegsgetriebe », ZfG, 4, 1932, pp. 250-254
- « Geopolitik in Abwehr und auf Wacht », ZfG, 10, 1932, pp. 591-594
- « Die Mandschureifrage », ZfG, 10, 1932, pp. 620-624
- « Rationalisierung und Weltwirtschaft in geopolitischem Lichte », ZfG, 12, 1932, pp. 767-768 (recension d'un livre d'Ernst Streeruwitz)
- « Rückblick und Vorschau auf das geopolitische Kartenwesen », ZfG, 12, 1932, pp. 735-745
- « Fromme Wünsche... Die slawische Idee der Absperrung des Deutschtums vom Osten », ZfG, 6, 1933, pp. 330-333
- « Literatur zum Auslanddeutschtum », ZfG, 2, 1933, p. 126 (recension d'un ouvrage lexicographique de Hugo Grothe)
- « Auftakt zu einem Ostasienheft », ZfG, 12, 1933, pp. 701-706
- « Ein Bilderbogen », ZfG, 12, 1933, pp. 722-724
- « Die erste geopolitische Weltwandkarte », ZfG, 8, 1933, p. 505
- « Georg Wegener zum 70. Geburtstag », ZfG, 7, 1933, p. 436
- « Atemweite, Lebensraum und Gleichberechtigung auf Erden », ZfG, 1934, 1, pp. 1-14
- « Hans Spethmanns Werk und die Geopolitik », ZfG, 1934, 2, p. 142
- « Geopolitische Anmerkungen zum Reichserbhofgesetz », ZfG, 1934, 4, pp. 211-214
- « Einem verstummten Fernost-Forscher zum Gedächtnis ! Oskar Nachod », ZfG, 1934, 4, p. 261
- « Geopolitik in den Handbüchern des Wissens », ZfG, 1934, 8, pp. 525-526
- « Fern-Ost und Naher Osten », ZfG, 1934, 12, pp. 721-724
- « Hochbild als Helfer der Geopolitik », ZfG, 1935, 1, p. 48/49
- « Deutschland von Norden gesehen », ZfG, 1935, 1, pp. 54-55
- « Geopolitik in Hanbüchern des Wissens », ZfG, 1935, 1, pp. 56-57
- « Dem Siebziger Sven von Hedin », ZfG, 1935, 2, p. 126
- « Dem Siebziger Erich von Drygalski », ZfG, 1935, 2, pp. 126-127
- « Iran statt Persien! », ZfG, 1935, 3, pp. 158-160
- « Zum Schrifttum. Geopolitische und wehrgeographische Notizen », ZfG, 1935, 3, pp. 192-196
- « Dem Fünfziger Colin Ross », ZfG, 1935, 4, p. 383
- « Weiter Raum wirkt lebenserhaltend », ZfG, 1935, 7, p. 454
- « Pflicht und Anspruch der Geopolitik als Wissenschaft », ZfG, 1935, 8, pp. 443-448
- « Geopolitik als Grundlage jeder Raumordnung », ZfG, 1936, 2, pp. 128-130
- « Zur Ehrentafel der Geopolitik », ZfG, 1936, 3, p. 182
- « Aus der Totantafel der Geopolitik », ZfG, 1936, 3, p. 182
- « Stimme der Geopolitik zum 29. März 1936 », ZfG, 1936, 4, p. 247
- « Geopolitisches Schrifttum », ZfG, 1936, 4, pp. 285-291
- « Ein geopolitisches Werkzeug ersten Ranges zur Erkenntnis von Chinas Geschichte, Macht- und Wirtschaftsaufbau », ZfG, 1936, 7, p. 491
- « Abschlüße und Krönungen von Handbüchern des Wissens in ihrem Verhältnis zur Geopolitik », ZfG, 1936, 8, pp. 561-563
- « Chiang Kaishek als geopolitische Persönlichkeit im eigenen und im deutschen Lichte », ZfG, 1936, 10, p. 694
- « Ernst Erich Wunderlichs Zusammenbau von Erdkunde, Geopolitik und Auslandswissen », 1936, ZfG, 10, pp. 694-695
- « Mitteleuropa und die Welt », ZfG, 1937, 1, pp. 1-4
- « Ein Führer und sein Werk », ZfG, 1937, 2, pp. 138-139 (étude sur George Washington)
- « Raumüberwindende Männer », ZfG, 1937, 3, pp. 186-188
- « Zur Statik und Dynamik Amerikas », ZfG, 1937, 3, pp. 249-251
- « Schrifttumsproben geopolitischer Dynamik », ZfG, 1937, 3, pp. 251-253
- « Drei Frauenbücher », ZfG, 1937, 4, p. 419
- « Malaya und sein Zerrungsgebiet », ZfG, 1937, 7, pp. 580-581
- « Kulturbewegung und Machterneuerung am Indischen Ozean », ZfG, 1937, 7, pp. 581-583
- « Fernost-Schrifttums-Auslese », ZfG, 1937, 8, pp. 675-678
- « Berichterstattung aus der atlantischen Welt », ZfG, 1937, 9, pp. 738-744 ; 10, pp. 843-848 ; 11, pp. 937-944 (KH reprend ici la rubrique de son fils Albrecht, en misson diplomatique à Tokyo)
- « Der Probepfeil im Fernen Osten », ZfG, 1937, 9, p. 768
- « Aus den mittelasiatischen Pufferzonen », ZfG, 1937, 12, pp. 1043-1044
- « In fremdem Licht! », ZfG, 1938, 1, pp. 52-54
- « Aus der mittelasiatischen Pufferzonen », ZfG, 1938, 2, pp. 129-131
- « Geopolitisch Führendes aus dem Schrifttum », ZfG, 1938, 2, pp. 131-133
- « Geopolitik um Neapel und Sizilischen Frühling », ZfG, 1938, 6, pp. 425-427
- « Unentbehrliches aus dem Schrifttum », ZfG, 1938, 7, pp. 576-578
- « Mitteleuropas Westdrehscheibe », ZfG, 1938, 9, pp. 693-704 (avec jeu de cartes établi par H. Diehl)
- « Geopolitischer Erntedank 1938 ! », ZfG, 1938, 10, pp. 781-782
- « Militärische und seelische Kräfte im Fernen Osten », ZfG, 1938, 12, pp. 937-942
- « Eurafrika ? », ZfG, 1938, 11, pp. 888
- « Weltblick in Bücher », ZfG, 3, 1939, pp. 211-219 (recensions de livres)
- « Zur Geopolitik der mitteleuropäischen Wasserwege », ZfG, 6, 1939, p. 466
- « Der Nahe Osten im Vorschatten eurasiatischer Festlandpolitik », ZfG, 11, 1939, pp. 781-783
- « Herbsten ? », ZfG, 10, 1939, p. 741
- « Schrifttumsauswahl zum indopazifischen Raum », ZfG, 8/9, 1939, pp. 687-691
- « Wie stark ist England ? Ein Sonder-Schriftums-Bericht », ZfG, 7, 1939, p. 537
- « Geopolitischer Neujahrs-Ausblick 1940 », ZfG, 1940, 1, pp. 1-5
- « Strebepfeiler zur Geopolitik », ZfG, 1940, 3, pp. 149-151
- « Eine neue Grundlage der Geopolitik von Indien », ZfG, 1940, 4, p. 200
- « Geopolitische Dynamik im jüngsten Schrifttum », ZfG, 1940, 5, pp. 242-244
- « Um Leben und Tod in Flandern », ZfG, 1940, 8, p. 347
- « Spanische Geopolitik », ZfG, 1940, 8, p. 347
- « Gestaltwandel durch Berührung ? », ZfG, 1940, 9, pp. 446-447
- « Eine geopolitische Dreiecks-Vollendung », ZfG, 1940, 10, pp. 455-456
- « Vom Buchwert transatlantischer Wachstumspitzen », ZfG, 1940, 10, pp. 484-486
- « Einzelbesprechungen », ZfG, 1940, 10, pp. 507-508
- « Ernsthafte Ostasien- und Tropenbücher », ZfG, 1941, 1, pp. 52-53
- « Imperialismen, ihre Träger und Deuter », ZfG, 1941, 2, pp. 123-124
- « Reichsgenick oder Fluchtröhre ? », ZfG, 1941, 4, pp. 237-239 (sur le Canal de Suez)
- « Regionales Schrifttum mit geopolitischem Einschlag », ZfG, 1941, 5, pp. 303-305
- « “Kieler Blätter” und Geopolitik », ZfG, 1941, 6, p. 366
- « Die größte Aufgabe », ZfG, 1941, 7, pp. 369-370
- « Geopolitik und Zeitgeschichte », ZfG, 1941, 8, pp. 421-422
- « Schrifttum über das Mittelmeer », ZfG, 1941, 9, pp. 476-479
- « Groß-Ostasien als Wunschziel », ZfG, 1941, 10, pp. 543-546
- « Eindeutige Standpunkte auf geopolitischem Boden I », ZfG, 1941, 10, pp. 589-590
- « Eindeutige Standpunkte auf geopolitischem Boden II », ZfG, 1941, 11, pp. 639-641
- « Zur Entwicklungsgeschichte von Kaiser- und Reichsgedanken », ZfG, 1941, 12, pp. 689-690
- « Zwei unentbehrliche Japanbücher », ZfG, 1941, 12, pp. 690-691
- « Aus befreundeten italienischen Geopolitik-Werkstätten », ZfG, 1941, 12, p. 691
- « Lothar Stengel von Rutkowski : “Was ist ein Volk ?” », ZfG, 1941, 12, pp. 693-694
- « Gold und das Erbe des Empire », ZfG, 1941, 12, p. 694
- « Der Kriegsausbruch im Pazifik », ZfG, 1942, 1, pp. 24-28
- « Fritz Machatscheks Bildnis von Turkestan », ZfG, 1942, 2, pp. 74-82
- « Schrifttum », ZfG, 1942, 2, pp. 105-106
- « Das Vielerlei des “Ost”-Begriffe », ZfG, 1942, 3, pp. 144-147
- « Ozeanische Anfänge von Japans Wehrgeopolitik », ZfG, 1942, 4, pp. 167-169
- « Eine Indienreihe », ZfG, 1942, 5, pp. 259-260
- « Lebensraumfragen », ZfG, 1942, 6, pp. 301-307 (recensions sur les problèmes géopolitiques en général, la géopolitique défensive en Extrême-Orient, la raciologie de Egon von Eickstedt, la géopolitique de la Scandinavie)
- « Hemisphärenpolitik und Forderungen des Tags », ZfG, 1942, 8, pp. 391-392
- « Großmogul Akbar, Indiens größte geopolitische Kraft », ZfG, 1942, 10, pp. 467-469
- « Geopolitischer Aufbau in Südostasien » & « Tiefenschau in schweizer Kulturlandschaft und Volksseele », ZfG, 1942, 10, pp. 477-478
- « Schrifttum », ZfG, 1942, 11, pp. 516-522 (recensions sur les voies de pénétration culturelle, l'Inde, la géopolitique des steppes et des déserts, la géopolitique coloniale italienne, la géopolitique dans l'enseignement, la notion de grand-espace)
- « Schrifttum », ZfG, 1942, 12, pp. 558-562 (recensions sur l'Amérique dans la confrontation entre les continents, sur les petits espaces face à la constitution de grands espaces, sur l'accès aux mers libres, sur la géopolitique bulgare de la Méditerranée, sur les grandes religions comme forces actives de la géopolitique)
- « Verpflichtung zum klaren Weltbild : Der Großostasiengedanke in der deutschen Geopolitik », ZfG, 1943, 1, pp. 1-7
- « Zeitgemäße Spätlese », ZfG, 1943, 1, p. 44
- « Iran-Geopolitik », ZfG, 1943, 2, pp. 80-81
- « Rasse und Raum », ZfG, 1943, 2, p. 81
- « Hochland-Geopolitik. Ein Nachlaßwunsch an die jüngere Geschlechtsfolge », ZfG, 1943, 3, pp. 85-89
- « Erfahrungen über Erhaltung von Volks- und Stammesart », ZfG, 1943, 3, pp. 119-120
- « Mechanische und organische Raumordnung », ZfG, 1943, 3, pp. 120-121
- « Vom Werden des natürlichen Raums bis zu seiner Kulturpolitischen Umwerbung », ZfG, 1943, 3, pp. 121-123
- « Aus Rumäniens kulturpolitischen Werkstätten », ZfG, 1943, 3, pp. 123-125
- « Ein Schlüssel zur Geopolitik der Türkei », ZfG, 1943, 3, pp. 125-126
- « Kraftfeldverwandlung im amerikanischen Mittelmeer », ZfG, 1943, 4/5, pp. 145-146
- « Ein Satyrspiel zu den USA - Auseinandersetzungen », ZfG, 1943, 4/5, p. 170
- « Druckveränderungen am geopolitischen Seismographen- und Manometer-Dienst », ZfG, 1943, 4/5, p. 171
- « Weltpolitik im auslandswissenschaftlichen Lichte », ZfG, 1943, 4/5, pp. 171-172
- « Gestaltwandel und Dauer-Leitmotive als deutsche Forschungsziele im geopolitischen Licht », ZfG, 1943, 4/5, pp. 172-174
- « Neuere Zeugnisse zur Geopolitik von Afrika », ZfG, 1943, 4/5, pp. 174-176
- « Geopolitische Feinkunst und Großraumtechnik », ZfG, 1943, 4/5, p. 176
- « Formprägende Japanbücher zur Großostasienfrage », ZfG, 1943, 4/5, pp. 176-177
- « Zwei Jahrzehnte Geopolitik », ZfG, 1943, 6, pp. 183-184
- « Die Südfront Großostasiens », ZfG, 1943, 6, pp. 195-196
- « Das politische Schuldkonto der Demokratie in der Verstädterungsfrage und Landflucht », ZfG, 1943, 6, p. 215
- « Der Werdegang Großostasiens als Beweis für die Prognosefähigkeit der Geopolitik », ZfG, 1943, 6, p. 219
- « Bausteine zur Großostasien Geopolitik », ZfG, 1943, 6, p. 220
- « Eisgrenzen der Geopolitik », ZfG, 1943, 6, pp. 220-222
- « Vom Ringen um die Geopolitik europäischer Ostgrenzen », ZfG, 1943, 6, pp. 222-223
- « Die russische Gleichung, “Den ryska Ekvationen” », ZfG, 1943, 6, pp. 223-224
- « Freies Meer, Ozeanopolitik, Seegeltung und Geopolitik von Meeresbecken I », ZfG, 1943, 6, pp. 224-225
- « Bauern in den Bergen », ZfG, 1943, 6, pp. 225-226
- « Das Dorfbuch von Rauris in der Agrarpolitik der Welt », ZfG, 1943, 6, pp. 226
- « Eurafrikas Atlantikfront », ZfG, 1943, 7, pp. 250-251
- « Krisen von Reichen in Streulagen : Geopolitisch-historische Skizzen I », ZfG, 1943, 7, pp. 229-232
- « Zur Geopolitik der pazifischen Großraumfischerei », ZfG, 1943, 7, p. 269
- « Historische Belege zur Religions-Geopolitik : Geopolitisch-historische Skizzen II », ZfG, 1943, 8, pp. 278-281
- « Geopolitische Breiten- und Längsdynamik », ZfG, 1943, 8, pp. 291-293
- « Handliches Werkzeug zur Auslandkunde und Geopolitik », ZfG, 1943, 8, p. 312
- « Irans geopolitische Öl-Schwerlinie Baku-Bahrein-Ormus im Zeitenspiel », ZfG, 1943, 8, p. 313
- « Freies Meer, Ozeanopolitik, Seegeltung und Geopolitik von Meeresbecken II », ZfG, 1943, 8, pp. 313-314
- « Grundzüge der Geopolitik von Groß-Südostasien », ZfG, 1943, 9, pp. 328-330
- « Die Kraft der ungebrochenen Linie : Reichserziehung in Japan auf geopolitischem und geopsychischem Grunde : Geopolitisch-historische Skizzen III », ZfG, 1943, 9, pp. 334-339
- « Wehrgeopolitische Dynamik zwischen Indien und China », ZfG, 1943, 9, pp. 356-357
- « Und doch : Eurafrika-Gedanke ; wissenschaftliche Weltpolitik ; Raumverantwortung und Landschaftspflege weltüber ! », ZfG, 1943, 9, pp. 357-358
- « Die zerstörten Kulturfronten Europas und ihre geopolitischen Wiederaufbau-Chancen », ZfG, 1944, 1, pp. 1-3
- « Binnenbau, Raumordnung und Staatsführung in der Geschichte », ZfG, 1944, 1, pp. 9-11
- « Geopolitische US-Amerikana », ZfG, 1944, 1, pp. 38-39
- « Zur Krise der kapitalistischen und sozialen Standfestigkeit der englisch-sprechenden Völker », ZfG, 1944, 1, pp. 39-40
- « Wehrgeopolitik im Sowjet-Wintersumpf : “Schijäger am Feind” », ZfG, 1944, 1, p. 40
- « Brückenköpfe und Wachstumspitzen », ZfG, 1944, 2, pp. 41-43
- « Zur Vorbereitung der geopolitischen Sprungbretter des “dritten Weltkrieges” der Achsengegner », ZfG, 1944, 2, pp. 48-49
- « Betrachtungen zum Zeitgeschehen », ZfG, 1944, 2, pp. 70-72
- « Großraum-Grenzlandschaften in ihrem geopolitischen Bewußtsein », ZfG, 1944, 2, pp. 77-78
- « Aus dem Instrumentarium der Auslandskunde und Wehrwissenschaft », ZfG, 1944, 2, pp. 79-80
- « Unterwanderung und Überschiebung », ZfG, 1944, 3, pp. 81-84
- « Die russische Gleichung und Großostasiens Festlandfront », ZfG, 1944, 3, pp. 104-106
- « Unterströmungen und Unterwanderung », ZfG, 1944, 3, p. 119
- « Japan first ? », ZfG, 1944, 3, p. 119
- « Die soziale Frage in Indien », ZfG, 1944, 3, p. 120
- « Volk und Boden », ZfG, 1944, 3, p. 120
- « Stammbaum-Blätter der Geopolitik », ZfG, 1944, 4, pp. 121-123
- « Bodenechte Kulturpolitik und Zivilisationsbarbaren », ZfG, 1944, 4, pp. 144-145
- « Weltbild in Ordnung halten! », ZfG, 1944, 4, pp. 160-163
- « Seehaftes Denken, Schreiben und Tun », ZfG, 1944, 4, pp. 163-164
♦ n. b. : Dans chaque numéro de la ZfG, Haushofer publiait deux chroniques intitulées “Bericht über den indopazifischen Raum” et “Literaturbericht über den Indopazifischen Raum”.◘ Préfaces de Haushofer à des ouvrages (géo)politiques importants :
- in Scott Nearing and Joseph Freeman, Dollarimperialismus, 1927
- in Hans Kohn, Geschichte der nationalen Bewegungen im Orient, 1928
- in Gustav Amann, Sun Yatsens Vermächtnis : Geschichte der chinesischen Revolution, 1928
- in Heinrich Gattineau, Verstädterung und Arbeiterherrschaft : Ergebnisse einer kritischen Betrachtung der australischen Verhältnisse, 1929
- in James Fairgrieve, Geographie und Macht, 1930 (tr. Martha Haushofer)
- in A.L. Carthill, Verlorene Herrschaft, 1930 (?), (tr. M. Haushofer)
- in Karl Springenschmid, Die Staaten als Lebewesen : Geopolitisches Skizzenbuch, 1933
- in J. März, Die Adriafrage, 1933
- in Oskar von Niedermayer & J. Semjonow, Die Sowjetunion, 1934
- E. Obst, « Karl Haushofer zum 60. Geburtstag », ZfG, 1929, 9, pp. 709-713
- M. Trautz, « Karl Haushofer in Japan 1908/1910 », ZfG, 1929, 9, pp. 717-720
- A. von Ruith, « Das militärische Wirken Karl Haushofers », ZfG, 1929, 9, pp. 715-717
- Walther Vogel, « Politische Geographie und Geopolitik (1909-1934) », Geograph. Jahrbuch, 1934, pp. 79-304
- P. Grassmann, « Professor Karl Haushofer in Skandinavien », ZfG, 1935, 12, pp. 740-747 (article illustré de nombreuses cartes)
- A.E. Johann, « Zum siebzigsten Geburtstage Karl Haushofers! Von einem Nur-Journalisten », ZfG, 1939, 8/9, pp. 543-546
- Andreas Dorpalen, The World of General Haushofer : Geopolitics in Action, New York, 1942
- Gustav Fochler-Hauke, « Karl Haushofer 75 Jahre », ZfG, 1944, 4, pp. 130-135
- Russel H. Fifield & G. Etzel Percy, Geopolitics in Principle and Action, Boston, 1944
- Edmund Aloysius Walsh, Wahre anstatt falsche Geopolitik für Deutschland, Schriftenreihe des Forum Academicum, 4, 1946
- E.A. Walsh, « Die Tragödie Karl Haushofers », Neue Auslese aus dem Schrifttum der Gegenwart, Allierter Informationsdienst, 2, 1947, Cahier 3
- Carl Troll, « Die geographische Wissenschaft in Deutschland in den Jahren 1933 bis 1945 », Die Erdkunde, Bd. 1, 1947, pp. 3-48
- Peter Schöller, « Wege und Irrwege der politischen Geographie und Geopolitik », Die Erdkunde, Bd. XI, 1957, pp. 1-20
- Karl-Heinz Harbeck, Die Zeitschrift für Geopolitik 1924 bis 1944, Thèse de l'université de Kiel, 1963
- Yung-Hwan Jo, Japanese Geopolitics and the Greater East-Asia-Co-Prosperity Sphere, Thèse de l'université de Washington, 1964 (analyse de l'impact des idées de Haushofer sur la pratique politique et militaire japonaise)
- Ursula Laack-Michel, Albrecht Haushofer und der Nationalsozialismus, Stuttgart, 1974
- Alain de Benoist, « La géopolitique », in Le Spectacle du monde, août 1975 (repris dans une anthologie de l'auteur, Vu de droite, Copernic, 1978, pp. 237-252)
- Rainer Matern, K. Haushofer und seine Geopolitik, Karlsruhe, 1978
- Armin Mohler, « Karl Haushofer », Criticón n°56, nov.-déc. 1979
- Hans-Adolf Jacobsen, Karl Haushofer, Leben und Werk, 2 vol. (Vol. I : Lebensweg 1869-1946 und ausgewählte Texte zur Geopolitik ; Vol. II : Ausgewählter Schriftwechsel 1917-1946), Harald Boldt, Boppard, 1979 (cet ouvrage est le plus complet sur Haushofer ; sauf la bibliographie, dont la plus complète, à notre connaissance et d'après A. Mohler, est la nôtre ; des extraits de l'anthologie réalisée par Jacobsen ont été traduits en français dans le volume De la géopolitique, cf. supra)
- Derwent Whittlesey, « Haushofer : les géopoliticiens », in Edward Mead Earle, Les maîtres de la stratégie, vol. 2, Berger-Levrault, 1980
- Michel Korinman, « F. Ratzel, K. Haushofer : “Politische Ozeanographie” », in Hérodote n°32, 1984
- Ange Sampieru, « Le retour de la géopolitique de Haushofer », Vouloir n°31, juillet 1986
- Michel Korinman, Quand l'Allemagne pensait le monde : Grandeur et décadence d'une géopolitique, Fayard, 1990
- Pierre M. Gallois, Géopolitique : Les voies de la puissance, Plon, 1990
- Robert Steuckers, « Panorama théorique de la géopolitique », Orientations n°12, 1990/91
♦ Pour une bibliographie d'ouvrages traitant de géopolitique, où il est question de Haushofer, cf. Armin Mohler, Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932, Darmstadt, 1989 (3ème éd.), pp. 237-240.• Cf. aussi Eurasia vol. II n° 03 : « Karl Haushofer, l’Eurasisme, le Tibet et le Japon », Avatar, 2008.
Le retour de la géopolitique de Haushofer
[Ci-contre : Haushofer en compagnie de Félix, son matou favori. Une vie entièrement consacrée à la géographie et à la diplomatie. Une vision qu'aucun régime, qu'aucune idéologie n'a su ou voulu concrétiser, mais qui demeure un projet d'avenir, moyennant quelques corrections]
Dénoncée comme modèle de la perversion scientifique, la géopolitique, après une éclipse de quelques années, redevient un champ de recherches au même titre que l'historiographie ou la polémologie. Cette dénonciation idéologique de la géopolitique fut d'ailleurs toute d'apparence, n'interdisant en aucune manière aux différents pays occidentaux ou soviétisés la poursuite de réflexions objectives sur les conséquences politiques de la configuration géographique de notre planète. Un premier dossier d'Orientations, paru en octobre 1980, avait déjà eu cette ambition de présenter les œuvres principales se rattachant à ce courant.
Les textes réunis aujourd'hui par les éditions Fayard sont réellement des “textes fondateurs”. Et il est vrai que Haushofer eut le génie de la combinaison en mariant des matières universitaires jusque là étudiées isolément : géographie militaire, histoire de la guerre, psychologie des peuples et géographie politique.
La fin de la Seconde Guerre mondiale, avec son cortège d'erreurs politiques et son refus d'appliquer une analyse “géopolitique” à la situation globale de ce monde, a entraîné la création d'un univers politique nouveau, où l'injustice et son corollaire, l'impérialisme, présidèrent au redécoupage des nouveaux empires. L'arme atomique, qui obligea les théoriciens des états-majors à une nouvelle approche des questions stratégiques, démontra aussi deux choses : d'une part que la “culture stratégique” n'était pas identique dans les deux camps nés de Yalta. D'autre part, que la fameuse “stratégie de dissuasion”, propre à l'ère de l'arme nucléaire, n'induisait pas une équation définitive de la théorie militaire. Cette illusion que, avec les temps nouveaux, les relations internationales, en particulier les relations militaires, pouvaient se réduire à une équation mathématique, fut de courte durée. Rapidement, les valeurs plus traditionnelles de la politique internationale reprirent leur place.
Aux États-Unis, les théories de l'Amiral Mahan et de Spykman furent à nouveau l'objet d'études attentives. En Europe, la géopolitique bénéficia aussi de ce renouveau d'intérêt. Ce fut, par ex., la création en 1982 de l'Institut International de Géopolitique par Madame Marie-France Garaud en France (au sujet de cet institut, disons tout de suite que sa fonction consiste moins en une analyse des relations internationales dans le respect des règles préconisées par les études géopolitiques que de la justification de l'idéologie occidentale de la guerre froide, rendue un peu plus respectable par un “vernis” d'objectivité géopolitique). Si on y ajoute la parution de l'Atlas stratégique de Chaliand et Rageau, ainsi que les excellents travaux de la revue Hérodote d'Yves Lacoste, on constatera la renaissance de la géopolitique comme branche majeure de la science politique.
Le discrédit, momentané, jeté sur la géopolitique provient en partie d'une double méprise, dont furent victimes et Haushofer et ses recherches, sur les relations internationales. À ce sujet, dans la préface à cette édition française de textes d'Haushofer, Jean Klein parle explicitement de « légende ». C'est-à-dire légende de Haushofer partisan acharné du national-socialisme hitlérien et légende de la géopolitique comme entreprise d'auto-justification des conquêtes territoriales du IIIe Reich allemand. Pour le préfacier, on trouve à l'origine de ces légendes les « efforts déployés par la propagande américaine ». Si la notion d'espace vital connut un accueil enthousiaste chez les dirigeants de l'Allemagne nationale-socialiste, la vérité est que Haushofer eut, selon les termes mêmes employés par Klein, « des relations difficiles avec les Nazis ».
Il désapprouvait en effet les guerres de conquêtes à l'Est entreprises par Hitler, jugeant que l'idéologie anti-communiste qui justifiait ces dernières était une arme dangereuse pour l'avenir des peuples germaniques. L'anti-bolchévisme érigé en doctrine de guerre, donc comme déterminant d'une politique des relations internationales, devait compromettre la politique du Deutschtum (germanlté), conçu chez Haushofer comme le rassemblement sous une autorité unique des populations allemandes disséminées en Europe. Plus largement, dans le cadre de la vision haushoférienne du grand-espace, la politique anti-bolchéviste de Hitler allait à l'encontre du projet historique de constitution d'un “bloc continental eurasiatique”. Cette vision planétaire, Haushofer en était le chantre, réalisant combien les idéologies pseudo-modernes (anti-communisme, libéralisme) n'étaient que des illusions, dont la présence masquait les véritables intérêts des peuples.
Haushofer, en tant que chercheur, se refusait à une adhésion complète à tout discours doctrinaire. Sans chercher à nier l'utilité des idéologies dans l'affirmation des groupes et de leur identité historique, il prétendait au statut scientifique. La géopolitique était moins un discours guerrier au service d'un État expansionniste, impérialiste pourrions-nous écrire, qu'une science des relations internationales. Le Général français Pierre Gallois a bien défini cette science en déclarant : « C'est une combinaison de la science politique et de la géographie ou c'est l'étude des relations qui existent entre la conduite d'une politique de puissance portée sur le plan international et le cadre géographique dans lequel elle s'exerce ». Par ailleurs, on constatera que le sociologue/historien Raymond Aron s'est lui-même éloigné des enseignements de la géopolitique (cf. « Paix et Guerre entre les nations »). Cette attitude peut peut-être s'expliquer par des éléments conjoncturels. Il reste que la géopolitique n'est pas une science exacte et ne prétend pas l'être. À l'intérieur même de ce courant, de nombreuses controverses témoignent des incertitudes existantes.
Haushofer n'est pas, et ne prétendit jamais être, LE fondateur de la géopolitique. Rudolf Kjellen, Mahan, Mackinder, Jeradame, nombreux furent ceux qui parlèrent avec intelligence des relations entre la géographie et la politique. L'apport de Haushofer tient à la valeur pédagogique qu'il investissait dans le domaine de la géopolitique. D'ailleurs, Jean Klein conseille fortement aux dirigeants des pays européens actuels de bien se pénétrer des leçons de cet auteur s'ils cherchent avec sincérité à résoudre les questions de la réunification allemande et de l'équilibre continental.
Une autre facette des recherches de ce Général allemand fut l'attention soutenue qu'il porta à l'étude des problèmes de l'Extrême-Orient, en particulier à la question de la montée en puissance du Japon, aux relations triangulaires sino-russo-japonaises et, surtout, aux phénomènes postérieurs à la décolonisation, à l'éveil des nationalités dans les empires coloniaux.
Haushofer est en effet un observateur attentif de cet éveil des nationalités des peuples du Tiers-Monde, autrefois appelés “peuples de couleur”. Il prédit notamment la fin certaine de l'Empire britannique, en partant de la constatation que l'Inde, immensité démographique, ne pourra indéfiniment supporter passivement le joug de quelques milliers de soldats et fonctionnaires britanniques.
Mais l'Europe reste néanmoins le centre des préoccupations de Haushofer. Partisan déclaré des grands ensembles politiques à l'échelle continentale, il est persuadé que l'unité continentale passe obligatoirement par l'art exceptionnel d'un grand fédérateur. Celui-ci tiendrait compte de la « répartition de la puissance dans l'espace à la surface de la terre » (p. 13). D'où son opposition aux théories pan-européennes du mouvement conservateur fondé par le Comte Coudenhoven-Kalergi et son pessimisme relatif à l'unité européenne.
Dans un mémoire daté du 19 octobre 1944, il prévoit le division du continent en une zone soumise à la puissance planétaire océanique, les États-Unis d'Amérique, qui contrôlerait les zones côtières atlantiques (le fameux rimland de Spykman) et en une zone contrôlée par la puissance terrestre planétaire, l'Union Soviétique, qui créerait une zone-tampon à l'Ouest de son territoire (le glacis est-européen) et, parallèlement, poursuivrait son emprise en Asie afin de s'ouvrir un accès définitif aux mers chaudes. Ce “pessimisme relatif” de Haushofer quant au proche avenir de l'Europe est pourtant rapidement balayé par un “optimisme réaliste” quant à la vitalité transhistorique des peuples européens. Par ailleurs, le Général allemand s'est toujours engagé dans la voie du nationalisme grandallemand. L'analogie biologique utilisée par Haushofer entre l'unification germanique et la théorie du corps biologique en expansion a justifié les convictions nationales de Haushofer, plus “grandes-germaniques” qu'allemandes, au sens français de ce terme.
Haushofer est en effet un élève de la tradition pangermaniste, alors puissantes dans les milieux intellectuels allemands. Face à la “géopolitique française” d'André Cheradame, professeur à l'École Libre des Sciences Politiques de Paris, Haushofer prétend opposer une “géopolitique allemande”. À l'origine réaction face aux tentatives hégémoniques françaises napoléoniennes, le pangermanisme devint, surtout entre 1866 et 1871, l'idéologie des partisans d'une unité grande-allemande (Autriche comprise), opposés au modèle “petit-allemand” (Autriche exclue) de Bismarck.
Mais la vision haushoférienne n'est pas limitée aux questions eurasiatiques. Elle s'intéresse aux problèmes planétaires. La question d'Extrême-Orient offre notamment à Haushofer l'occasion d'une réflexion sur la géopolitique planétaire. Séjournant au Japon de 1908 à 1910, dans le cadre d'une mission diplomatique, Haushofer découvre son intérêt pour la géopolitique. La montée en puissance du Japon, la rivalité grandissante entre ce pays et la puissance maritime nord-américaine dans la zone pacifique, suscitent chez Haushofer une réflexion sur l'utilisation potentielle de cette rivalité au profit de la politique planétaire européenne. Un livre fut le résultat de ces réflexions : Dai Nihon, paru à son retour du Japon (et traduit en français en 1937 chez Payot sous le titre Le Japon et les Japonais ; ce livre a été préfacé par Georges Montandon). Cette expérience japonaise fut le point de départ de la carrière de géopoliticien de Haushofer. Il conçoit celle-ci comme « la conscience géographique de l'État ».
Un autre objectif, plus conjoncturel, est aussi d'assurer la libération de l'Allemagne des chaînes du Traité de Versailles. La géopolitique est un élément de renforcement du sentiment unitaire de la germanité, la pensée qui conçoit une “espace de vie” pour cette germanité et, enfin, une réflexion sur l'avenir de cette germanité. Pour Haushofer, c'est le refus de la prise en compte de la géopolitique qui est responsable de la défaite des empires centraux en 1918. La victoire des puissances occidentales est a contrario la preuve de la nécessaire prise en compte de la réflexion géopolitique dans une stratégie des relations internationales.
Le programme français de dissolution de l'Empire austro-hongrois est l'œuvre d'André Cheradame. À ce propos, on remarquera la totale contradiction entre ce programme et les théories maurrasslennes concernant l'équilibre européen. Pour Charles Maurras, l'Autriche-Hongrie devait subsister en tant que puissance européenne, étant le meilleur rempart contre les tentatives d'unification allemande sous l'autorité prussienne. Cheradame se plaçait, lui, dans une perspective plus proche de l'école “républicaine”, à la fois mêlée de théories géographiques et de considérations idéologico-historiques : la Prusse, modèle du despotisme éclairé, a une dynastie liée à la propagation des idéaux des Lumières.
La géopolitique n'est pas pour Haushofer un moyen de justifier des conquêtes territoriales injustes. Non partisane, ni de “droite” ni de “gauche”, la géopolitique doit favoriser la compréhension entre les peuples. Son objet est l'étude « des grandes connexions vitales de l'homme d'aujourd'hui dans l'espace d'aujourd'hui ». Sa finalité ? « Insérer l'individu dans son milieu naturel et coordonner des phénomènes reliant l'État à l'espace » (p. 25). Ces ambitions exigeaient du géopoliticien de ne pas se sentir conditionné par des préjugés rationalistes ou des abstractions déréalisantes. Haushofer, bien que convaincu de la nature “scientifique” de la géopolitique, était aussi convaincu de son caractère dynamique. Cette conception s'opposait à une construction dogmatique et dirigeait ses efforts vers un raisonnement ouvert et multi-disciplinaire.
Ensuite, la géopolitique de Haushofer était l'héritage des travaux de deux géographes politiques, l'Allemand Ratzel et le Suédois Kjellen. Elle s'inscrit dans une même problématique. Les concepts théoriques de ces derniers furent intégrés par Haushofer dans son discours (notamment les concepts de « situation » et d'« espace »). À la base de ses recherches : une liaison organique entre la population et le territoire sur lequel elle déployait sa « forme de vie ». D'où le souci de Haushofer d'assurer à cette population un espace de vie suffisant, appelé « espace vital », notion qui fut récupérée par les dirigeants nationaux-socialistes pour justifier leur politique expansionniste.
Haushofer réprouve par ailleurs l'impérialisme. En son temps, l'Empire Britannique était l'archétype de l'impérialisme. Si la notion d'« espace vital » est essentielle dans la théorie haushoférienne, elle se conjugue avec celle de « frontières justes ». Autrement dit, Haushofer ne confond nullement l'espace justement acquis comme condition d'accession au rang de grande puissance et la domination de territoires peuplés de communautés allogènes par rapport au peuple dominateur ; il écrit : « l'espace donne le pouvoir et le pouvoir seul permet un développement optimal de la nation ».
Il n'y a pas chez Haushofer de convictions impérialistes : sa politique de puissance territoriale s'appuyant moins sur des considérations purement guerrières que sur des considérations de puissance politique et de droit d'un peuple à un espace juste où développer sa « forme de vie ». La géopolitique est un projet politique, non militaire. D'autre part, cette politique de l'espace s'inscrivait dans une stratégie mondiale. Elle postulait la conclusion d'alliances. D'une part avec le Japon, d'autre part avec l'Union Soviétique. L'Alliance continentale entre l'Allemagne et l'Union Soviétique devait répondre aux paramètres territoriaux et géographiques, en faisant abstraction des régimes dominant chacun de ces pays.
On le voit, la géopolitique de Haushofer, loin d'être un discours justificateur des appétits territoriaux de tel ou tel État, est la prise en considération des éléments géographiques dans la politique d'un État. Ces éléments postulent immanquablement des considérations “révolutionnaires” dans la politique extérieure d'un État. La politique des alliances, menée par une diplomatie moderne et traditionnelle à la fois, doit assurer à chaque peuple le droit à une existence juste et reconnue telle. Le colonialisme de l'Angleterre était contraire aux intérêts des peuples, pensait Haushofer. Ce colonialisme était un danger pour l'Europe continentale, menacée par les considérations de pur conservatisme de ce même impérialisme et un danger évident pour l'auto-détermination nécessaire des peuples dits de couleur.
La géopolitique est, en ce sens, la première réflexion sérieuse sur la politique mondiale de domination. Il faut savoir dégager les grandes lignes théoriques des leçons pour l'Europe. C'est une obligation. Une obligation vitale pour les peuples européens.
♦ Karl Haushofer, De la Géopolitique, Fayard, 1986.
► Ange Sampieru, Vouloir n°31, 1986.
La carte la plus contestée des ouvrages d'Haushoter : elle pouvait être mise au service des ambitions pangermanistes. Traduction de sa légende, de haut en bas : 1) territoire militaire allemand (selon Versailles) ; 2) territoire du Reich ; 3) territoire germanophone en Europe ; 4) territoire où la langue et la culture allemande exercent une influence prépondérante ; 5) territoire de langue néerlandaise, devenu autonome par rapport au Reich.
L'anti-impérialisme anti-thalassocratique de Haushofer transparaît nettement dans cette carte polémique publiée dons un de ses livres en 1934.
La grande opposition à venir entre Est et Ouest. Carte issue de Geopolitik des Pazifischen Ozeans, Kurt Vowinckel Verlag, Heidelberg, 1924.
◘ Les thèmes de la géopolitique et de l'espace russe dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945 : Karl Haushofer, Oskar von Niedermayer & Otto Hoetzsch
Intervention de Robert Steuckers à la Xe Université d'été de Synergies Européennes, Basse-Saxe, août 2002
♦ Analyse de : Karl Schlögel, Berlin Ostbahnhof Europas - Russen und Deutsche in ihrem Jarhhundert, Siedler, Berlin, 368 p., 1998.
En 1922, après l'effervescence spartakiste qui venait de secouer Berlin et Munich, un an avant l'occupation franco-belge de la Ruhr, le Général d'artillerie bavarois Karl Haushofer, devenu diplômé en géographie, est considéré, à l'unanimité et à juste titre, comme un spécialiste du Japon et de l'espace océanique du Pacifique. Son expérience d'attaché militaire dans l'Empire du Soleil Levant, avant 1914, et sa thèse universitaire, présentée après 1918, lui permettent de revendiquer cette qualité. Haushofer entre ainsi en contact avec deux personnalités soviétiques de premier plan : l'homme du Komintern à Berlin, Karl Radek, et le Commissaire aux Affaires étrangères, Georgi Tchitchérine (qui signera les accords de Rapallo avec Rathenau). Dans quel contexte cette rencontre a-t-elle eu lieu ? Le Japon et l'URSS cherchaient à aplanir leurs différends en entamant une série de négociations où les Allemands ont joué le rôle d'arbitres. Ces négociations portent essentiellement sur le contrôle de l'île de Sakhaline.
Les Japonais réclament la présence de Haushofer, afin d'avoir, à leurs côtés « une personnalité objective et informée des faits ». Les Soviétiques acceptent que cet arbitre soit Karl Haushofer, car ses écrits sur l'espace pacifique — négligés en Allemagne depuis que celle-ci a perdu la Micronésie à la suite du Traité de Versailles — sont lus avec une attention soutenue par la jeune école diplomatique soviétique. Qui plus est, avec la manie hagiographique des révolutionnaires bolcheviques, Haushofer a connu les frères Oulianov (Lénine) à Munich avant la Première Guerre mondiale ; il aimait en parler et relatera plus tard ce fait dans ses souvenirs. L'intérêt soviétique pour la personne du Général Haushofer durera jusqu'en 1938, où, changement brusque d'attitude lors des grandes procès de Moscou, le Procureur réclame la condamnation de Sergueï Bessonov, qu'il accuse d'être un espion allemand, en contact, prétend-il, avec Haushofer, Hess et Niedermayer (cf. infra). Les mêmes accusations avaient été portées contre Radek, qui finira exécuté, lors des grandes purges staliniennes.
Ces trois faits d'histoire — la présence de Haushofer lors des négociations entre Japonais et Soviétiques, le contact, sans doute fort bref et parfaitement anodin, entre Haushofer et Lénine, les condamnations et exécutions de Radek et de Bessonov — indiquent qu'indépendamment des étiquettes idéologiques de “gauche” ou de “droite”, la géopolitique, telle qu'elle est théorisée par Haushofer à Munich et à Berlin dans les années 20, ne s'occupe que du rapport existant entre la géographie et l'histoire ; elle est donc considérée comme une démarche scientifique, comme un savoir pratique et non pas comme une spéculation idéologique ou occultiste, véhiculant des fantasmes ou des intérêts.
À l'époque, on peut parler d'une véritable “Internationale de la géopolitique”, transcendant largement les étiquettes idéologiques, tout comme aujourd'hui, un savoir d'ordre géopolitique, éparpillé dans une multitude d'instituts, commence à se profiler partout dans un monde où les grands enjeux géopolitiques sont revenus à l'ordre du jour : la question des Balkans, celle de l'Afghanistan, remettent à l'avant-plan de l'actualité toutes les grandes thématiques de la géopolitique, notamment celles qu'avaient soulignées Mackinder et Haushofer.
Une démarche factuelle et matérielle, sans dérive occultiste
À partir de 1924, Haushofer publie sa Zeitschrift für Geopolitik (ZfG ; Revue pour la géopolitique), où il met surtout l'accent sur l'espace du Pacifique, comme l'attestent ses articles et sa chronique, rédigée notamment grâce à des rapports envoyés par des correspondants japonais. La teneur de cette revue est donc politique et géographique pour l'essentiel, contrairement aux bruits qui ont couru pendant des décennies après 1945, et qui commencent heureusement à s'atténuer ; ces “bruits” évoquaient une fantasmagorique dimension “ésotérique” de la Zeitschrift für Geopolitik (ZfG) ; on a raconté que Haushofer appartenait à toutes sortes de sectes ésotériques ou occultes (voire occultistes). Ces allégations sont bien sûr complètement fausses. De plus, l'intérêt porté à Haushofer et à ses thèses sur l'espace du Pacifique par la jeune diplomatie soviétique, par Radek et Tchitchérine, est un indice complémentaire — et de taille ! — pour attester de la nature factuelle et matérielle de ses écrits.
Les sectes étant par définition irrationnelles, comment un homme, que l'on dit plongé dans cet univers en marge de toute rationalité scientifique, aurait pu susciter l'intérêt et la collaboration active de marxistes matérialistes et historicistes ? De marxistes qui tentent d'expurger toute irrationalité de leurs démarches intellectuelles ? L'accusation d'occultisme portée à l'encontre de Haushofer est donc une contre-vérité propagandiste, répandue par les services et les puissances qui ont intérêt à ce que son œuvre demeure inconnue, ne soit plus consultée dans les chancelleries et les états-majors. Il va de soi qu'il s'agit des puissances qui ont intérêt à ce que le grand continent eurasien ne soit pas organisé ni aménagé territorialement jusqu'en ses régions les plus éloignées de la mer.
Karl Radek, lecteur de Haushofer
Le principal ouvrage géopolitique et scientifique de Haushofer est donc sa Geopolitik des Pazifischen Raumes (Géopolitique de l'espace pacifique), livre de référence méticuleux qui se trouvait en permanence sur le bureau de Radek, à Berlin comme à Moscou. Karl Radek jouait le rôle du diplomate du PCUS (Parti communiste d'Union Soviétique). Il a cependant plaidé, au moment où les Français condamnent à mort et font fusiller l'activiste nationaliste allemand Albert Leo Schlageter, pour un front commun entre nationaux et communistes contre la puissance occidentale occupante. Plus tard, Radek sera nommé Recteur de l'Université Sun-Yat-Sen à Moscou, centre névralgique de la nouvelle culture politique internationale que les Soviets entendent généraliser sur toute la planète. Radek organisera, au départ de cette université d'un genre nouveau, un échange permanent entre universitaires, dont le savoir est en mesure de forger cette nouvelle culture diplomatique internationale.
Trois figures emblématiques
Dans le cadre de cette Université Sun-Yat-Sen, trois figures emblématiques méritent de capter aujourd'hui encore notre attention, tant leurs démarches peuvent encore avoir une réelle incidence sur toute réflexion actuelle quant au destin de la Russie, de l'Europe, de l'Asie centrale et quant aux théories générales de la géopolitique : Mylius Dostoïevski, Richard Sorge et Alexander Radós.
Mylius Dostoïevski est le petit-fils du grand écrivain russe. Qui, rappelons-le, a jeté les bases d'une révolution conservatrice en Russie, au-delà des limites de la slavophilie du début du XIXe siècle, et a consolidé, par ricochet, la dimension russophile de la Révolution conservatrice allemande, par le biais de ses réflexions consignées dans son Journal d'un écrivain, ouvrage capital qui sera traduit en allemand par Arthur Moeller van den Bruck. Mylius Dostoïevski s'était spécialisé en histoire et en géographie du Japon, de la Chine et de l'espace maritime du Pacifique. Il appartiendra à la jeune garde de la diplomatie soviétique et sera un lecteur attentif de la ZfG ; pour rendre la politesse à ces jeunes géographes soviétiques, selon sa courtoisie habituelle, K. Haushofer rendra toujours compte, avec précision, des évolutions diverses de la nouvelle géopolitique soviétique. Il estimait que les Allemands de son temps devaient en connaître les grandes lignes et la dynamique.
Richard Sorge, autre lecteur de la ZfG, était un espion soviétique en Extrême-Orient. On connaît son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1933, au moment où Hitler prend le pouvoir en Allemagne, Sorge était en contact avec l'école géopolitique de Haushofer. Il le restera, en dépit du changement de régime et en dépit des options anti-communistes officielles, preuve supplémentaire que la géopolitique se situe bien au-delà des clivages idéologiques et politiciens. Au cours des années qui suivirent la Machtübernahme de Hitler, il écrivit de nombreux articles substantiels dans la ZfG. Sa connaissance du monde extrême-oriental — et elle seule — justifiait cette collaboration.
Alexander Radós et Pressgeo
Indubitablement, le principal disciple soviétique de Karl Haushofer a été l'Israélite hongrois Alexander Radós, un géographe de formation, qui a servi d'espion au profit de la jeune URSS, notamment en Suisse, plaque tournante de nombreux contacts officieux. Radós est l'homme qui a forgé tous les nouveaux concepts de la géographie politique soviétique. Il est, entre autres, celui qui forgea la dénomination même d'“Union des Républiques Socialistes Soviétiques”. Radós fut principalement un cartographe, qui a commencé sa carrière en établissant des cartes du trafic aérien, lesquelles constituaient évidemment une innovation à son époque. Il enseignait à l'École marxiste de formation des Travailleurs (Marxistische Arbeiterschulung).
Il fonde ensuite la toute première agence de presse cartographique du monde, qu'il baptise Pressgeo, où travaillera notamment une future célébrité comme Arthur Koestler. La fondation de cette agence correspond parfaitement aux aspirations de Haushofer, qui voulait vulgariser — et diffuser au maximum au sein de la population — un savoir pragmatique d'ordre géographique, historique et économique, assorti d'un esprit de défense. La carte, esquisse succincte, instrument didactique de premier ordre, sert l'objectif d'instruire rapidement les esprits décisionnaires des armées et de la diplomatie, ainsi que les enseignants en histoire et en science politique qui doivent communiquer vite un savoir essentiel et vital à leurs ouailles.
L'effet synthétique et didactique des cartes
Haushofer parlait aussi, en ce sens, de Wehrgeographie, de “géographie défensive”, soit de “géographie militaire”. L'objectif de cette science pragmatique était de synthétiser en un simple coup d'œil cartographique toute une problématique de nature stratégique, récurrente dans l'histoire. Pédagogie et cartographie formant les deux piliers majeurs de la formation politique des élites et des masses. Yves Lacoste, en France aujourd'hui, suit une même logique, en se référant à Élisée Reclus, géographe dynamique, réclamant une pédagogie de l'espace, dans une perspective qu'il voulait révolutionnaire et “anarchique”. Lacoste, comme Haushofer, a parfaitement conscience de la dimension militaire de la géographie (et, a fortiori, de la Wehrgeographie), quand il écrit, en faisant référence aux premiers cartographes militaires de la Chine antique : « La géographie, ça sert à faire la guerre ! ».
De l'utilité pédagogique de la cartographie
Michel Foucher, professeur à Lyon, dirige aujourd'hui un institut géographique et cartographique, dont les cartes, très didactiques, illustrent la majeure partie des organes de presse français, quand ceux-ci évoquent les points chauds de la planète. Dans ce même esprit pluridisciplinaire, à volonté clairement pédagogique, — qui, en France et en Allemagne, va de Haushofer à Lacoste et à Foucher — Alexander Radós, leur précurseur soviétique, publie, en URSS et en Allemagne, en 1930, un Atlas für Politik, Wirtschaft und Arbeiterbewegung (Atlas de la politique, de l'économie et du mouvement ouvrier).
Radós est ainsi le précurseur d'une manière innovante et intéressante de pratiquer la géographie politique, de mêler, en d'audacieuses synthèses, un éventail de savoirs économiques, géographiques, militaires, topographiques, géologiques, hydrographiques, historiques. Les synthèses, que sont les cartes, doivent servir à saisir d'un seul coup d'œil des problématiques hautement complexes, que le simple texte écrit, trop long à assimiler, ne permet pas de saisir aussi vite, d'exprimer sans détours inutiles. Ce fut là un grand pas en avant dans la pédagogie scientifique et politique, dans le sens inauguré, un siècle auparavant, par le géographe Carl Ritter.
Cette cartographie facilite le travail du militaire, du géographe et de l'homme politique ; elle permet, comme le soulignait Karl August Wittfogel, de sortir d'une impasse de la vieille science géographique traditionnelle (et “réactionnaire” pour les marxistes), où, systématiquement, on avait négligé les macro-processus enclenchés par le travail de l'homme et, ainsi, le caractère “historique-plastique” de ce que l'on croyait être des “faits éternels de nature”. C'est dans cette position épistémologique fondamentale, qu'au-delà des clivages idéologiques, fruits d'“éthiques de la conviction” aux répercussions calamiteuses, se rejoignent Élisée Reclus, Haushofer, Radós, Wittfogel, Lacoste et Foucher. Wittfogel, qui se pose comme révolutionnaire, reconnaît cette « plasticité historique » dans l'œuvre du « géopolitologue bourgeois » Karl Haushofer.
Les deux écoles, l'haushoférienne et la marxiste, veulent inaugurer une géographie dynamique, où l'espace n'est plus posé comme un bloc inerte et immobile, mais s'appréhende comme un réseau dense de relations, de rapports, de mouvements, en perpétuelle effervescence (on songe tout naturellement au “rhizome” de Gilles Deleuze, qui inspire les “géophilosophes” italiens actuels). Au sein de ce réseau toujours agité, le temps peut apporter des époques de repos, de plus grande quiétude, comme il peut injecter du dynamisme, de la violence, des bouleversements, qui contraignent les personnalités politiques de valeur à œuvrer à des redistributions de cartes.
Le travail de l'homme, qui domestique certains espaces en les aménageant et en créant des moyens de communication plus rapides, est un travail proprement “révolutionnaire” ; les hommes politiques qui refusent d'aménager l'espace, dans un esprit de défense territoriale ou dans l'esprit d'assurer aux générations futures communications et ressources, sont des “réactionnaires”, des lâches qui préfèrent de lents pourrissements à la dynamique de transformation. Des capitulards qui font ainsi le jeu pervers des thalassocraties.
Par conséquent, évoquer des hommes comme Mylius Dostoïevski, Richard Sorge, Alexander Radós ou Karl August Wittfogel, nous apparaît très utile, intellectuellement et méthodologiquement, car cela prouve :
• que l'intérêt général pour la géopolitique aujourd'hui ne peut plus être mis en équation avec un intérêt malsain pour le passé national-socialiste (contexte dans lequel Haushofer a dû œuvrer) ;
• qu'aucune morbidité d'ordre ésotérique ou occultiste ne se repère dans l'œuvre de Haushofer et de ses disciples allemands ou soviétiques ;
• que ces écoles ont posé d'important jalons dans le développement de la science politique, de la géographie et de la cartographie ;
• qu'elles ont laissé en héritage un bagage scientifique de la plus haute importance ;
• que nous devrions davantage nous intéresser aux développements de la géopolitique soviétique des années 20 et 30 (et analyser l'œuvre de Radós, par ex.).Oskar von Niedermayer, le “Lawrence allemand”
Outre Haushofer, une approche du savoir géopolitique, tel qu'il sera déployé à Berlin dans les années 20, 30 et 40, ne peut omettre d'étudier la figure du Chevalier Oskar von Niedermayer, celui que l'on avait surnommé, le “Lawrence d'Arabie” allemand. Né en 1885, Oskar von Niedermayer embrasse la carrière d'officier, mais ne se contente pas des simples servitudes militaires. Il étudie à l'université les sciences naturelles physiques, la géographie et les langues iraniennes (ce qui lui permettra d'avoir des contacts suivis avec la Communauté religieuse Ba'hai, qui, à l'époque, était quasiment la seule porte ouverte de l'Iran sur l'Occident). De 1912 à 1914, il effectue un long voyage en Perse et en Inde. Il sera ainsi le premier Européen à traverser de part en part le désert de sable du Lout (Dacht-i-Lout).
En 1914, quand éclate la Première Guerre mondiale, Oskar von Niedermayer, accompagné par Werner Otto von Henting, sillonne les montagnes d'Afghanistan pour inciter les tribus afghanes à se soulever contre les Anglais et les Russes, afin de créer un “abcès de fixation”, obligeant les deux puissances ennemies de l'Allemagne à dégarnir partiellement leurs fronts en Europe, dans le Caucase et en Mésopotamie [cf. « L'expédition d'Oskar von Niedermayer en Afghanistan », JJ Langendorf, in : Écrits afghans, Polémarque, 2010]. Cette mission sera un échec. En 1919, Niedermayer se retrouve dans les rangs du Corps Franc du Colonel Chevalier Franz von Epp qui écrase la République des Conseils de Munich. En dépit de son rôle dans l'aventure de ce Corps Franc anti-communiste, Niedermayer est nommé dans la foulée officier de liaison de la Reichswehr auprès de la nouvelle Armée Rouge à Moscou.
Dans ce contexte, il est intéressant de noter qu'il était, avant toutes choses, un expert de l'Afghanistan, des idiomes persans et de toute cette zone-clef de la géostratégie mondiale qui va de la rive sud de la Caspienne à l'Indus. C'est donc Niedermayer qui négociera avec Trotski et qui visitera, pour le compte de la Reichswehr, dans la perspective de la future coopération militaire entre les deux pays, les usines d'armement et les chantiers navals de Petrograd (devenue “Leningrad”). Oskar von Niedermayer a donc été l'une des chevilles ouvrières de la coopération militaire et militaro-industrielle germano-russe des années 20. En 1930, il devient professeur de Wehrgeographie à Berlin.
Le “marais” et ses éthiques de conviction
La principale leçon qu'il tire de ses activités politiques et diplomatiques est une méfiance à l'endroit des politiciens du “centre”, du “marais”, incapables de comprendre les grands ressorts de la politique internationale, du “Grand Jeu”. Ses critiques s'adressaient surtout aux sociaux-démocrates et aux centristes de tous plumages idéologiques ; avec de tels personnages, il est impossible, constate von Niedermayer dans un rapport où il ne cache pas son amertume, d'articuler sur le long terme une politique étrangère durable, rationnelle et constante. Il les accuse de tout critiquer publiquement, par voie de presse; de cette façon, aucune diplomatie secrète n'est encore possible. Pire, estime-t-il, par le comportement délétère de ces bateleurs sans épine dorsale politique solide, aucun ressort habituel de la diplomatie inter-étatique ne fonctionne encore de manière optimale.
Car les éthiques de conviction (terminologie de Max Weber : Gesinnungsethik) qui animent toutes les vaines agitations politiciennes de ces gens-là, altèrent l'esprit de retenue, de sérieux et de service, qui est nécessaire pour faire fonctionner une telle diplomatie traditionnelle. La priorité accordée aux convictions revient à trahir les intérêts fondamentaux de l'État et de la nation. L'amertume de Niedermayer est née à la suite d'un incident au Reichstag, où le socialiste Scheidemann, animé par un pacifisme irréaliste et de mauvais aloi, avait dénoncé un accord militaire secret entre l'URSS et le Reich, sous prétexte que le commerce et l'échange d'armements ne sont pas “moraux”. Le lendemain, comme par hasard, la presse londonienne à l'unisson, reprend l'information et amorce une propagande contre les deux puissances continentales, qui avaient contourné les clauses de Versailles relatives aux embargos. Cet incident montre aussi que bon nombre de journalistes servent des intérêts étrangers à leur pays. En cela, rien n'a changé aujourd'hui : les États-Unis bénéficient de l'appui inconditionnel de la plupart des ténors de la presse parisienne.
Youri Semionov, spécialiste de la Sibérie
Dans les années 30, Niedermayer rencontre Youri Semionov, Russe blanc en exil et spécialiste de l'économie, de la géographie, de la géologie et de l'hydrographie sibériennes. Semionov est l'auteur d'un ouvrage, toujours d'actualité, toujours compulsé en haut lieu, sur les trésors de la géologie sibérienne. Également spécialiste de l'empire colonial français, Semionov a compilé ses réflexions successives dans un volume dont la dernière édition allemande date de 1975 (cf. Juri Semjonow, Erdöl aus dem Osten - Die Geschichte der Erdöl- und Erdgasindustrie in der UdSSR, Econ Verlag, Wien/Düsseldorf, 1973 & Sibirien - Schatzkammer des Ostens, Econ Verlag, Wien/Düsseldorf, 1975). Né en 1894 à Vladikavkaz dans le Caucase, Youri Semionov a étudié à l'Université de Moscou, avant d'émigrer en 1922 à Berlin, où il enseignera l'histoire et la géographie de la Russie, et plus particulièrement celles des territoires sibériens. Après la chute du IIIe Reich, il émigre en 1947 en Suède, où il enseignera à Uppsala et finira ses jours.
Dans Sibirien - Schatzkammer des Ostens [tr. fr. La conquête de la Sibérie du IXe au XIXe siècle, Payot, 1938], il retrace toutes les étapes de l'histoire de la conquête russe des territoires situés au-delà de l'ex-capitale des Tatars, Kazan. Il démontre que la conquête de tout le cours de la Volga, de Kazan à Astrakhan, permet à la Russie de spéculer sur une éventuelle conquête des Indes. Semionov replace tous ces faits d'histoire dans une perspective géopolitique, celle de l'organisation du Grand Continent, de la Mer Blanche au Pacifique. Les chapitres sur le XIXe siècle sont particulièrement intéressants, notamment quand il décrit la situation globale après la décision du Tsar Alexandre III de faire financer la construction d'un chemin de fer transsibérien.
Sur la politique de “concentration des forces sur le continent”
Cet extrait du livre de Semionov résume parfaitement cette situation :
« Nous savons que toute la politique de “concentration des forces sur le continent”, telle celle que l'on avait envisagée en Russie, provoquait une inquiétude faite de jalousie en Angleterre. Tout mouvement de la Russie en Asie y était considéré comme une menace pesant sur l'Inde. L'Amiral Sterling a vu cette menace se concrétiser dès l'installation de la présence russe le long du fleuve Amour. L'écrivain anglais, oublié aujourd'hui, mais très connu à l'époque, Th. T. Meadows, évoquait en 1856, dans un de ses écrits, un “futur Alexandre le Grand” russe, qui s'en irait conquérir la Chine, puis, sans difficulté aucune, détruirait l'empire britannique et soumettrait le monde entier. Ce cri d'alarme pathétique, répercuté par la presse anglaise, est apparu soudain très réaliste, lorsque, dans les années 80 du XIXe siècle, les Russes avancent en Asie centrale et s'approchent de la frontière afghane.
En 1884, se déroule le fameux “incident afghan” ; un détachement russe s'empare d'un point contesté sur la frontière ; ensuite, les Afghans, qui agissaient sur ordre des Anglais, attaquent ce poste, mais sont battus et dispersés par les Russes. Le Premier Ministre britannique Gladstone déclare, face au Parlement de Londres, que la guerre avec la Russie est désormais inévitable. Seul le refus de Bismarck, de soutenir les Anglais, empêcha, à l'époque, le déclenchement d'une guerre anglo-russe » (pp. 356-357).
Toute l'actualité récente semble résumée dans ce bref extrait.
Les chapitres consacrés à l'œuvre de Witte, père du Transsibérien, sont également lumineux. Semionov rappelle que Witte est un disciple de l'économiste Friedrich List, théoricien de l'aménagement des grands espaces. Il existait, avant la Première Guerre mondiale et avant la guerre russo-japonaise, une véritable idée grande continentale. Elle était partagée en France (Henri de Grossouvre nous a rappelé l'œuvre de Gabriel Hanotaux), en Allemagne (avec le souvenir de Bismarck) et en Chine, avec Li Hung-Tchang, qui négociera avec Witte. L'Angleterre réussira à briser cette unité, ce qui entraînera le cortège sanglant de toutes les guerres du XXe siècle.
Oskar von Niedermayer rencontre également le Professeur Otto Hoetzsch, dont nous allons retracer l'itinéraire dans la suite de cette intervention. En dépit de leurs itinéraires bien différents et de leurs options idéologiques divergentes, Haushofer, Niedermayer, Semionov et Hoetzsch se complètent utilement et la lecture simultanée de leurs œuvres nous permet de saisir toute la problématique eurasienne, sans la mutiler, sans rien omettre de sa complexité.
Du professorat à la 162ème Division
En 1937, Hitler ordonne la fondation d'un Institut für allgemeine Wehrlehre (Institut pour les doctrines générales de défense). Niedermayer, bien que sceptique, servira loyalement cette nouvelle institution d'État, dont l'objectif, recentré sur l'ethnologie vu l'intérêt des nationaux-socialistes pour les questions raciales, est d'étudier les rapports mutuels entre peuple(s) et espace(s). Hostile à la Gesinnungsethik des nationaux socialistes, comme il avait été hostile à celles des sociaux démocrates ou des centristes, Niedermayer proteste contre les campagnes de diffamation orchestrées contre des professeurs que l'on décrit comme des “intellectuels apolitiques”, comportement hitlérien qui trouve parfaitement son pendant dans les campagnes de diffamation orchestrées par un certain journalisme contemporain contre ceux qui demeurent sceptiques face aux projets d'éradiquer l'Irak, la Libye ou la Serbie et d'appuyer des bandes mafieuses comme celles de l'UÇK ou du complexe militaro-mafieux turc. Aujourd'hui, on ne traite pas ceux qui entendent raison garder d'“intellectuels apolitiques”, mais d'“anti-démocrates”.
De la prison de Torgau à la Loubianka
Comme la plupart des experts ès-questions russes de son temps, Niedermayer déplore la guerre germano-soviétique, déclenchée en juin 1941. En 1942, sur la suggestion de Claus von Stauffenberg, futur auteur de l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, Niedermayer est nommé chef de la 162ème Division d'Infanterie de la Wehrmacht, où servent des volontaires et des légionnaires de souche turque (issus des peuples turcophones d'Asie centrale). Cette unité connaît des fortunes diverses, mais l'échec de la politique nationale-socialiste à l'Est, accentue considérablement le scepticisme de Niedermayer. Stationné en Italie avec les restes de sa division, il critique ouvertement la politique menée par Hitler sur le territoire de l'Union Soviétique. Ce qui conduit à son arrestation ; il est interné à Torgau sur l'Elbe. Quand les troupes américaines entrent dans la ville, il quitte la prison et est arrêté par des soldats soviétiques qui le font conduire immédiatement à Moscou, où il séjourne dans la fameuse prison de la Loubianka. Il y mourra de tuberculose en 1948.
La mort de Niedermayer ne clôt pas son “dossier”, dans l'ex-URSS. En 1964, les autorités soviétiques utilisent les textes de ses dépositions à Moscou en 1945 pour réhabiliter le Maréchal Toukhatchevski. Il faudra attendra 1997 pour que Niedermayer soit lui-même totalement réhabilité. Donc lavé de toutes les accusations incongrues dont on l'avait chargé.
Le pivot indien de l'histoire et la nécessité du Kontinentalblock
Nous avons énuméré bon nombre de faits biographiques de Niedermayer, pour faire mieux comprendre le noyau essentiel de sa démarche d'iranologue, d'explorateur du Dacht-i-Lout, d'agitateur allemand en Afghanistan et de commandeur de la Division turcophone de la Wehrmacht. Deux idées de base animaient l'action de Niedermayer : 1) l'idée que l'Inde était le pivot de l'histoire mondiale ; 2) la conscience de la nécessité impérieuse de construire un bloc continental (eurasien), le fameux Kontinentalblock de K. Haushofer (projet qu'il a très probablement repris des hommes d'États japonais du début du XXe siècle, tels le Prince Ito, le Comte Goto et le Premier Ministre Katsura, avocats d'une alliance grande continentale germano-russo-japonaise).
Si Niedermayer reprend sans doute cette idée de “bloc continental” directement de l'œuvre de Haushofer, sans remonter aux sources japonaises — qu'il devait sûrement ignorer — l'idée de l'Inde comme “pivot de l'histoire” lui vient très probablement du Général Andreï Snessarev, officier tsariste passé aux ordres de Trotski, pour devenir le chef d'état-major de l'Armée Rouge. Ce général, hostile aux thalassocraties anglo-saxonnes, représentant d'un idéal géopolitique grand continental transcendant le clivage blancs/rouges, se plaisait à répéter : « Si nous voulons abattre la tyrannie capitaliste qui pèse sur le monde, alors nous devons chasser les Anglais d'Inde ».
Principes thalassocratiques, libéralisme à l'occidentale, permissivité politique et morale, capitalisme dont les ressorts annihilent systématiquement les traditions historiques et culturelles (cf. Dostoïevski et Moeller van den Bruck), logique marchande, étaient synonymes d'abjection pour cet officier traditionnel : peu importe qu'on les combatte sous une étiquette blanche/traditionaliste ou sous une étiquette rouge/révolutionnaire. Les étiquettes sont des “convictions” sans substance : seule importe une action constante visant à réduire et à détruire les forces dissolvantes de la modernité marchande, car elles conduisent le monde au chaos et les peuples à une misère sans issue. Comme nous le constatons encore plus aujourd'hui qu'à l'époque, l'industriel, le négociant et le banquier, avec leur logique d'accumulation monstrueuse, apparaissent comme des êtres aussi abjects qu'inférieurs, foncièrement malfaisants, pour cet officier supérieur russe et soviétique qui ne respecte que les hommes de qualité : les historiens, les prêtres, les soldats et les révolutionnaires.
Les impératifs de la géopolitique sont des constantes de l'histoire auquel l'homme de longue mémoire, seul homme valable, seul homme pourvu de qualités indépassables, se doit d'obéir. À la suite de ce Snessarev, qu'il a sans doute rencontré au temps où il servait d'officier de liaison auprès de l'Armée Rouge, Niedermayer, fort également de ses expériences d'iranologue, d'explorateur du Dacht-i-Lout et de spécialiste de l'Afghanistan, clef d'accès aux Indes depuis Alexandre le Grand, savait que le destin de l'Europe en général, de l'Allemagne, son cœur géographique, en particulier, se jouait en Inde (et, partant, en Perse et en Afghanistan). Une leçon que l'actualité a rendue plus vraie que jamais.
Exporter la révolution et absorber le rimland
Pour Niedermayer, officier allemand, ce rôle essentiel du territoire indien pose problème car son pays ne possède aucun point d'appui dans la région, ni dans son environnement immédiat. La Russie tsariste, oui, et, à sa suite, l'URSS, aussi. Par conséquent, les positions militaires soviétiques au Tadjikistan et le long de la frontière afghane, sont des atouts absolument nécessaires à l'Europe dans son ensemble, à toute la communauté des peuples de souche européenne.
C'est la possession de cet atout stratégique en Asie centrale qui doit justifier, aux yeux de Niedermayer, l'indéfectible alliance germano-russe, seule garante de la survie de la culture européenne dans son ensemble. Pour les tenants du bolchevisme révolutionnaire autour de Trotski et Lénine, la solution, pour faire tomber le capitalisme, c'est-à-dire la puissance planétaire des thalassocraties libérales, réside dans la politique d'“exporter la révolution”, d'agiter les populations colonisées et assujetties par un bon dosage de nationalisme et de révolution sociale.
Ainsi, les puissances continentales de la “Terre du Milieu” pourront porter leurs énergies en direction du rimland indien, persan et arabe, réalisant du même coup les craintes formulées par Mackinder dans son discours de 1904 sur le “pivot” sibérien et centre-asiatique de l'histoire. Propos qu'il réitèrera dans son livre Democratic Ideals and Reality de 1919. Cependant, pour pouvoir libérer l'Inde et y exporter la révolution, il faut déjà un bloc continental bien soudé par l'alliance germano-soviétique, prélude à la libération de toute la masse continentale eurasiatique.
Pour structurer l'Europe : un chemin de fer à voies larges
Pour parfaire l'organisation de cette gigantesque masse continentale, il faut se rappeler et appliquer les recettes préconisées par le Ministre du Tsar, Sergueï Witte, père du Transsibérien. Dans le Berlin des années 20, un projet circule déjà et prendra corps pendant la Seconde Guerre mondiale : celui de réaliser un chemin de fer à voie large (Breitspurbahn), permettant de transporter un maximum de personnes et de marchandises, en un minimum de temps. Cette idée, venue de Witte, n'est pas entièrement morte, constitue toujours un impératif majeur pour qui veut véritablement travailler à la construction européenne : le Plan Delors, esquissé dans les coulisses de l'UE, préconisait naguère des grands travaux publics d'aménagement territorial, y compris un système ferroviaire rapide, désormais inspiré par le TGV français.
En 1942, Hitler, en évoquant le Transsibérien de Witte, donne l'ordre à Fritz Todt d'étudier les possibilités de construire une Breitspurbahn, avec des trains roulant entre 150 et 180 km/h pour le transport des marchandises et entre 200 et 250 km/h pour le transport des personnes. Le projet, confié à Todt, ne concerne pas seulement l'Europe, au sens restreint du terme, n'entend pas seulement relier entre elles les grandes métropoles européennes, mais aussi, via l'Ukraine et le Caucase, les villes d'Europe à celles de la Perse. Ces projets, qui apparaissaient à l'époque comme un peu fantasmagoriques, n'étaient nullement une manie du seul Hitler (et de son ingénieur Todt) ; en Union Soviétique aussi, via des romans populaires, comme ceux d'Ilf et de Petrov, on envisage la création de chemins de fer ultra-rapides, reliant la Russie à l'Extrême-Orient.
Le destin tragique du Professeur Otto Hoetzsch
Le volet purement scientifique de cet engouement pour le Grand Est sera incarné à Berlin, de 1913 à 1946 par un professeur génial, autant que modeste : Otto Hoetzsch. Il a connu un destin particulièrement tragique. Après avoir accumulé dans son institut personnel une masse de documents et de travaux sur la Russie, pendant des décennies, les bombardements sur Berlin en 1945, à la veille de l'entrée des troupes soviétiques dans la capitale allemande, ont réduit sa colossale bibliothèque à néant. Cette tragédie explique partiellement le sort misérable de tout le savoir sur la Russie et l'Union Soviétique à l'Ouest.
La majeure partie des documents les plus intéressants avait été accumulée à Berlin. La misère de la soviétologie occidentale est partiellement le résultat navrant de la destruction de la bibliothèque du Prof. Hoetzsch. En 1945 et en 1946, celui-ci, âgé de 70 ans, erre seul dans Berlin, privé de sa documentation ; cet homme, brisé, trouve néanmoins le courage ultime de rédiger une conférence, la dernière qu'il donnera, où il nous lègue un véritable testament politique (titre de cette conférence : Die Eingliederung des osteuropäischen Geschichte in die Gesamtgeschichte = L'inclusion de l'histoire est-européenne dans l'histoire générale).
Slaviste et historien de la Russie, Otto Hoetzsch s'était aperçu très tôt que les Européens de l'Ouest, les Occidentaux en général, ne comprenaient rien de la dynamique de l'histoire et de l'espace russes ; ce que les Russes repèrent tout de suite, ce qui les navrent et les fâchent. Cette ignorance, assortie d'une prétention mal placée et d'une irrépressible et agaçante propension à donner des leçons, vaut également pour l'espace balkanique (sauf en Autriche où les instituts spécialisés dans le Sud-Est européen ont réalisé des travaux remarquables, dont les chancelleries occidentales ne tiennent jamais compte). Hoetzsch constate, dès le début de sa brillante carrière, que la presse ne produit que des articles lamentables, quand il s'agit de commenter ou de décrire les situations existantes en Russie ou en Sibérie. Il va vouloir remédier à cette lacune.
À partir de 1913, il se met à rassembler une documentation, à étudier et à lire les grands classiques de la pensée politique russe, à lire les historiens russes, ce qui le conduira à fonder en 1925, quelques mois après la sortie du premier numéro de la ZfG de Haushofer, une revue spécialisée dans les questions russes et centre-asiatiques, Osteuropa. Captivé par la figure du Tsar Alexandre II, sur lequel il rédigera un maître-ouvrage, dont le manuscrit sera sauvé in extremis de la destruction à Berlin en 1945 ; Hoetzsch le transportait dans sa valise en fuyant Berlin en flammes.
Pourquoi Alexandre II ? Ce Tsar est un réformateur social, il lance la Russie sur la voie de l'industrialisation et de la modernisation, ce que ne peuvent tolérer les thalassocraties. Il périra d'ailleurs assassiné. En dépit du ressac de la Russie sous Nicolas II, de sa lourde défaite subie en 1905 face au Japon, armé par l'Angleterre et les États-Unis, en dépit du terrible ressac que constitue la prise du pouvoir par les Bolcheviques, l'œuvre d'Alexandre II doit, aux yeux de Hoetzsch, demeurer le modèle pour tout homme d'État russe digne de ce nom.
Ami des Russes blancs et “Républicain de Raison”
Hoetzsch est un libéral de gauche, proche de la sociale démocratie, mais il déteste les Bolcheviques, car, pour lui, ce sont des agents du capitalisme anglais, dans la mesure où ils détruisent l'œuvre des Tsars émancipateurs et modernistes ; ils ont comploté contre ceux-ci et contre d'excellents hommes d'État comme Witte et Stolypine (qui sera également assassiné). Hoetzsch fréquente l'émigration blanche de Berlin, consolide son institut grâce aux collaborations des savants chassés par les Bolcheviques, mais reste ce que l'on appelait à l'époque, dans l'Allemagne de Weimar, un “Républicain de Raison” (Vernunftrepublikaner), ce qui le différencie évidemment d'un Oskar von Niedermayer.
Son institut et sa revue connaissent un essor bien mérité au cours des années 20 ; ce sont des havres de savoir et d'intelligence, où coopèrent Russes et Allemands en toute fraternité. En 1933, avec l'avènement au pouvoir des nationaux socialistes, Hoetzsch cumule les malchances. Pour le nouveau pouvoir, les Vernunftrepublikaner sont des émanations du “marais centriste” ou, pire, des “traîtres de novembre” (Novemberverräter) ou des “bolchevistes de salon” (Salonbolschewisten). L'institut de Hoetzsch est dissous. Hoetzsch est “invité” à prendre sa retraite anticipée. La fermeture de cet institut est une tragédie de premier ordre. Le destin de Hoetzsch est pire que celui de l'activiste politique et éditeur de revues national-révolutionnaires, Ernst Niekisch. Car on peut évidemment, avec le recul, reprocher à Niekisch d'avoir été un passionné et un polémiste outrancier. Ce n'était évidemment pas le cas de Hoetzsch, qui est resté un scientifique sourcilleux.
Pour une approche grande-européenne de l'histoire
Dans la conférence qu'il prépare dès août 1945, et qu'il prononcera peu avant de mourir en 1946, dans sa chère ville de Berlin en ruines, Otto Hoetzsch nous a laissé un message qui reste parfaitement d'actualité. L'objectif de cette conférence-testament est de faire comprendre la nécessité impérieuse, après deux guerres mondiales désastreuses, de développer une vision de l'histoire, valable pour l'Europe entière, celle de l'Ouest, celle de l'Est et la Russie (gesamteuropäische Geschichte).
Personnellement, nous estimons que les prémisses pratiques d'une telle vision grande européenne de l'histoire se situent déjà toutes en germe dans l'œuvre politique et militaire du Prince Eugène de Savoie, qui parvient à mobiliser et unir les puissances européennes devant le danger ottoman et à faire reculer la Sublime Porte sur tous les fronts, au point qu'elle perdra le contrôle de 400.000 km2 de terres européennes et russes. Le Prince Eugène a définitivement éloigné le danger turc de l'Europe centrale et a préparé la reconquête de la Crimée par Catherine la Grande. Plus jamais, après les coups portés par Eugène de Savoie, les Ottomans n'ont été victorieux en Europe et leurs alliés français n'ont plus été vraiment en mesure de grignoter le territoire impérial des Pays-Bas espagnols puis autrichiens ; les Ottomans n'ont même plus été capables de servir de supplétifs à cette autre puissance anti-impériale et anti-européenne qu'était la France avant Louis XVI.
Le testament de Hoetzsch nous interpelle !
Mais le propos de Hoetzsch, dans sa dernière conférence, n'était pas d'évoquer la figure du Prince Eugène, mais de jeter les bases d'une méthodologie historique et sociologique pour l'avenir ; elle devait reposer sur les acquis théoriques de Karl Lamprecht, de Gustav Schmoller (inspirateur du gaullisme dans les années 60 du XXe siècle) et d'Otto Hintze. Il faut, disait Hoetzsch, développer une histoire intégrante et comparative pour les décennies à venir. En affirmant cela, il n'avait aucune chance de se voir exaucer en 1946, encore moins en 1948 quand, après le Coup de Prague, le Rideau de Fer s'abat sur l'Europe pour 4 décennies. En 1989, immédiatement après l'élimination du Mur de Berlin et l'ouverture des frontières austro-hongroises et inter-allemandes, l'Europe et la Russie auraient eu intérêt à remettre les propositions de Hoetzsch sur le tapis.
Au niveau scientifique, des études remarquables ont été réalisées effectivement, mais rien ne semble transparaître dans la presse, faute de journalistes professionnels capables d'appliquer les leçons pédagogiques de Haushofer et de Radós. Les journalistes ne sont plus des hommes et des femmes en quête de sujets intéressants, innovateurs, mais bel et bien ceux que Serge Halimi nomme avec grande pertinence les « chiens de garde » du système. Les journaux et les revues constituaient la voie de pénétration vers le grand public dont disposaient jadis les instituts de sciences humaines et les universités ; pour tout ce qui est véritablement innovateur, pour tout ce qui va à l'encontre des poncifs répétés ad nauseam, cette voie est désormais bien verrouillée, dans la mesure où les journalistes ne sont plus des hommes libres, animés par la volonté de consolider le Bien public, mais d'ignobles et méprisables mercenaires à la solde du système et des puissances dominantes.
Toutefois, le défi que nous a lancé Brzezinski en 1996, en publiant son fameux livre, The Grand Chessboard, où sont étalées sans vergogne toutes les recettes thalassocratiques pour neutraliser l'Europe et la Russie, avec l'aide de cet instrument qu'est le complexe militaro-mafieux turc, — potentiellement étendu à toute la turcophonie d'Asie centrale — montre une nouvelle fois qu'une riposte européenne et russe doit nécessairement passer par une vision claire de l'histoire, vulgarisable pour les masses. Le destin tragique de Hoetzsch, son courage opiniâtre qui force l'admiration, sa modestie de grand savant, nous interpellent directement : notre amicale paneuropéenne a pour devoir de travailler, modestement, dans son créneau, à l'avènement de cette historiographie grande européenne que Hoetzsch a voulu. Au travail !
► Robert Steuckers, Nouvelles de Synergies Européennes n°57/58, 2002.
L’itinéraire d’un géopolitologue allemand : Karl Haushofer
Préambule : le texte qui suit est une brève recension du premier des deux épais volumes que le Prof. Hans-Adolf Jacobsen a consacré à Karl Haushofer. Le travail à accomplir pour réexplorer en tous ses recoins l’œuvre de Karl Haushofer, y compris sa correspondance, est encore immense. Puisse cette modeste contribution servir de base aux étudiants qui voudraient, dans une perspective néo-eurasienne, entamer une lecture des œuvres de Haushofer et surtout analyser tous les articles parus dans sa Zeitschrift für Geopolitik.
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Haushofer est né en 1869 dans une famille bien ancrée dans le territoire bavarois. Les archives nous rappellent que le nom apparaît dès 1352, pour désigner une famille paysanne originaire de de la localité de Haushofen. Les ancêtres maternels, eux, sont issus du pays frison dans le nord de l’Allemagne. Orphelin de mère très tôt, dès l’âge de 3 ans, le jeune Karl Haushofer sera élevé par ses grands-parents maternels en Bavière dans la région du Chiemsee. Le grand-père Fraas était professeur de médecine vétérinaire à Munich. En évoquant son enfance heureuse, Haushofer, plus tard, prend bien soin de rappeler que les différences de caste étaient inexistantes en Bavière : les enfants de toutes conditions se côtoyaient et se fréquentaient, si bien que les arrogances de classe étaient inexistantes : sa bonhommie et sa gentillesse, proverbiales, sont le fruit de cette convivialité baroque: ses intiatives porteront la marque de ce trait de caractère. Haushofer se destine très tôt à la carrière militaire qu’il entame dès 1887 au 1er Régiment d’Artillerie de campagne de l’armée du Royaume de Bavière.
En mission au Japon
Le 8 août 1896, il épouse Martha Mayer-Doss, une jeune femme très cultivée d’origine séphérade, côté paternel, de souche aristocratique bavaroise, côté maternel. Son esprit logique seront le pendant nécessaire à la fantaisie de son mari, à l’effervescence bouillonnante de son esprit et surtout de son écriture. Elle lui donnera deux fils : Albrecht (1903-1945), qui sera entraîné dans la résistance anti-nazie, et Heinz (1906-1988), qui sera un agronome hors ligne. Le grand tournant de la vie de Karl Haushofer, le début véritable de sa carrière de géopolitologue, commence dès son séjour en Asie orientale, plus particulièrement au Japon (de la fin 1908 à l’été 1910), où il sera attaché militaire puis instructeur de l’armée impériale japonaise. Le voyage du couple Haushofer vers l’Empire du Soleil Levant commence à Gênes et passe par Port Saïd, Ceylan, Singapour et Hong Kong. Au cours de ce périple maritime, il aborde l’Inde, voit de loin la chaîne de l’Himalaya et rencontre Lord Kitchener, dont il admire la “créativité défensive” en matière de politique militaire.
Lors d’un dîner, début 1909, Lord Kitchener lui déclare “que toute confrontation entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne coûterait aux deux puissances leurs positions dans l’Océan Pacifique au profit du Japon et des États-Unis”. Haushofer ne cessera de méditer ces paroles de Lord Kitchener. En effet, avant la Première Guerre mondiale, l’Allemagne a hérité de l’Espagne la domination de la Micronésie qu’elle doit défendre déjà contre les manigances américaines, alors que les États-Unis sont maîtres des principales îles stratégiques dans cet immense espace océanique : les Philippines, les Iles Hawaï et Guam. Dès son séjour au Japon, Haushofer devient avant tout un géopolitologue de l’espace pacifique : il admet sans réticence la translatio imperii en Micronésie, où l’Allemagne, à Versailles, doit céder ces îles au Japon ; pour Haushofer, c’est logique : l’Allemagne est une “puissance extérieure à l’espace pacifique” tandis que le Japon, lui, est une puissance régionale, ce qui lui donne un droit de domination sur les îles au sud de son archipel métropolitain.
Mais toute présence souveraine dans l’espace pacifique donne la maîtrise du monde : Haushofer n’est donc pas exclusivement le penseur d’une géopolitique eurasienne et continentale, ou un exposant érudit d’une géopolitique nationaliste allemande, il est aussi celui qui va élaborer, au fil des années dans les colonnes de la revue Zeitschrift für Geopolitik, une thalassopolitique centrée sur l’Océan Pacifique, dont les lecteurs les plus attentifs ne seront pas ses compatriotes allemands ou d’autres Européens mais les Soviétiques de l’agence “Pressgeo” d’Alexander Rados, à laquelle collaborera un certain Arthur Koestler et dont procèdera le fameux espion soviétique Richard Sorge, également lecteur très attentif de la Zeitschrift für Geopolitik (ZfG). Dans son journal, Haushofer rappelle les rapports qu’il a eus avec des personnalités soviétiques comme Tchitchérine et Radek-Sobelsohn. L’intermédiaire entre Haushofer et Radek était le Chevalier von Niedermayer, qui avait lancé des expéditions en Perse et en Afghanistan. Niedermayer avait rapporté un jour à Haushofer que Radek lisait son livre Geopolitik der Pazifischen Ozeans, qu’il voulait faire traduire. Radek, roublard, ne pouvait faire simplement traduire le travail d’un général bavarois et a eu une “meilleure” idée dans le contexte soviétique de l’époque : fabriquer un plagiat assorti de phraséologie marxiste et intitulé Tychookeanskaja Probljema. Toutes les thèses de Haushofer y était reprises, habillées d’oripeaux marxistes. Autre intermédiaire entre Radek et Haushofer : Mylius Dostoïevski, petit-fils de l’auteur des Frères Karamazov, qui apportait au géopolitologue allemand des exemplaires de la revue soviétique de politique internationale Nowy Vostok (Nouveau Monde), des informations soviétiques sur la Chine et le Japon et des écrits du révolutionnaire indonésien Tan Malakka sur le mouvement en faveur de l’auto-détermination de l’archipel, à l’époque sous domination néerlandaise.
Le séjour en Extrême-Orient lui fait découvrir aussi l’importance de la Mandchourie pour le Japon, qui cherche à la conquérir pour se donner des terres arables sur la rive asiatique qui fait face à l’archipel nippon (l’achat de terres arables, notamment en Afrique, par des puissances comme la Chine ou la Corée du Sud est toujours un problème d’actualité...). Les guerres sino-japonaises, depuis 1895, visent le contrôle de terres d’expansion pour le peuple japonais coincé sur son archipel montagneux aux espaces agricoles insuffisants. Dans les années 30, elles viseront à contrôler la majeure partie des côtes chinoises pour protéger les routes maritimes acheminant le pétrole vers les raffineries nippones, denrée vitale pour l’industrie japonaise en plein développement.
Début d’une carrière universitaire
Le retour en Allemagne de Karl et Martha Haushofer se fait via le Transibérien, trajet qui fera comprendre à Haushofer ce qu’est la dimension continentale à l’heure du chemin de fer qui a réduit les distances entre l’Europe et l’Océan Pacifique. De Kyoto à Munich, le voyage prendra exactement un mois. Le résultat de ce voyage est un premier livre, Dai Nihon – Grossjapan (en français : Le Japon et les Japonais, avec une préface de l’ethnologue franco-suisse Georges Montandon). Le succès du livre est immédiat. Martha Haushofer contacte alors le Professeur August von Drygalski (Université de Munich) pour que son mari puisse suivre les cours de géographie et passer à terme une thèse de doctorat sur le Japon. Haushofer est, à partir de ce moment-là, à la fois officier d’artillerie et professeur à l’Université. En 1913, grâce à la formidable puissance de travail de son épouse Martha, qui le seconde avec une redoutable efficacité dans tous ses projets, sa thèse est prête. La presse spécialisée se fait l’écho de ses travaux sur l’Empire du Soleil Levant. Sa notoriété est établie. Mais les voix critiques ne manquent pas : sa fébrilité et son enthousiasme, sa tendance à accepter n’importe quelle dépêche venue du Japon sans vérification sourcilleuse du contenu, son rejet explicite des “puissances ploutocratiques” (Angleterre, États-Unis) lui joueront quelques tours et nuiront à sa réputation jusqu’à nos jours, où il n’est pas rare de lire encore qu’il a été un “mage” et un “géographe irrationnel”.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale met un terme (tout provisoire) à ses recherches sur le Japon. Les intérêts de Haushofer se focalisent sur la “géographie défensive” (Wehrgeographie) et sur la Wehrkunde (la “science de la défense”). C’est aussi l’époque où Haushofer découvre l’œuvre du géographe conservateur et germanophile suédois Rudolf Kjellen, auteur d’un ouvrage capital et pionnier en sciences politiques : “L’État comme forme de vie” (Der Staat als Lebensform). Kjellen avait forgé, dans cet ouvrage, le concept de “géopolitique”. Haushofer le reprend à son compte et devient ainsi, à partir de 1916, un géopolitologue au sens propre du terme. Il complète aussi ses connaissances par la lecture des travaux du géographe allemand Friedrich Ratzel (à qui l’on doit la discipline de l’anthropogéographie) ; c’est l’époque où il lit aussi les œuvres des historiens anglais Gibbon (Decline and Fall of the Roman Empire) et Macaulay, exposant de la vision “Whig” (et non pas conservatrice) de l’histoire anglaise, étant issu de familles quaker et presbytérienne. Les événements de la Première Guerre mondiale induisent Haushofer à constater que le peuple allemand n’a pas reçu — en dépit de l’excellence de son réseau universitaire, de ses érudits du XIXe siècle et de la fécondité des œuvres produites dans le sillage de la pensée organique allemande — de véritable éducation géopolitique et “wehrgeographisch”, contrairement aux Britanniques, dont les collèges et universités ont été à même de communiquer aux élites le “sens de l’Empire”.
Réflexions pendant la Première Guerre mondiale
Ce n’est qu’à la fin du conflit que la fortune des armes passera dans le camp de l’Entente. Au début de l’année 1918, en dépit de la déclaration de guerre des États-Unis de Woodrow Wilson au Reich allemand, Haushofer est encore plus ou moins optimiste et esquisse brièvement ce qui, pour lui, serait une paix idéale : « La Courlande, Riga et la Lituanie devront garder des liens forts avec l’Allemagne ; la Pologne devra en garder d’équivalents avec l’Autriche ; ensuite, il faudrait une Bulgarie consolidée et agrandie ; à l’Ouest, à mon avis, il faudrait le statu quo tout en protégeant les Flamands, mais sans compensation allemande pour la Belgique et évacuation pure et simple de nos colonies et de la Turquie. Dans un tel contexte, la paix apportera la sécurité sur notre flanc oriental et le minimum auquel nous avons droit ; il ne faut absolument pas parler de l’Alsace-Lorraine ». L’intervention américaine lui fera écrire dans son journal : « Plutôt mourir européen que pourrir américain ».
Haushofer voulait dégager les “trois grands peuples de l’avenir”, soit les Allemands, les Russes et les Japonais, de l’étranglement que leur préparaient les puissances anglo-saxonnes. Les énergies de l’“ours russe” devaient être canalisées vers le Sud, vers l’Inde,sans déborder ni à l’Ouest, dans l’espace allemand, ni à l’Est dans l’espace japonais. L’ “impérialisme du dollar” est, pour Haushofer, dès le lendemain de Versailles, le “principal ennemi extérieur”. Face à la nouvelle donne que constitue le pouvoir bolchevique à Moscou, Haushofer est mitigé : il rejette le style et les pratiques bolcheviques mais concède qu’elles ont libéré la Russie (et projettent de libérer demain tous les peuples) de “l’esclavage des banques et du capital”.
En 1919, pendant les troubles qui secouent Munich et qui conduisent à l’émergence d’une République des Conseils en Bavière, Haushofer fait partie des “Einwohnerwehrverbände” (des unités de défense constituées par les habitants de la ville), soit des milices locales destinées à maintenir l’ordre contre les émules de la troïka “conseilliste” et contre les pillards qui profitaient des désordres. Elles grouperont jusqu’à 30.000 hommes en armes dans la capitale bavaroise (et jusqu’à 360.000 hommes dans toute la Bavière). Ces unités seront définitivement dissoutes en 1922.
Les résultats du Traité de Versailles
La fin de la guerre et des troubles en Bavière ramène Haushofer à l’Université, avec une nouvelle thèse sur l’expansion géographique du Japon entre 1854 et 1919. Une chaire est mise à sa disposition en 1919 / 1920 où les cours suivants sont prodigués à onze étudiants : Asie orientale, Inde, Géographie comparée de l’Allemagne et du Japon, “Wehrgeographie”, Géopolitique, Frontières, Anthropogéographie, Allemands de l’étranger, Urbanisme, Politique Internationale, Les rapports entre géographie, géopolitique et sciences militaires. L’objectif de ces efforts était bien entendu de former une nouvelle élite politique et diplomatique en mesure de provoquer une révision des clauses du Traité de Versailles. Pour Wilson, le principe qui aurait dû régir la future Europe après les hostilités était celui des “nationalités”. Aucune frontière des États issus notamment de la dissolution de l’Empire austro-hongrois ne correspondait à ce principe rêvé par le président des États-Unis.
Dans chacun de ces États, constataient Haushofer et les autres exposants de la géopolitique allemande, vivaient des minorités diverses mais aussi des minorités germaniques (dix millions de personnes en tout !), auxquelles on refusait tout contact avec l’Allemagne, comme on refusait aux Autrichiens enclavés, privés de l’industrie tchèque, de la viande et de l’agriculture hongroises et croates et de toute fenêtre maritime de se joindre à la République de Weimar, ce qui était surtout le vœu des socialistes à l’époque (ils furent les premiers, notamment sous l’impulsion de leur leader Viktor Adler, à demander l’Anschluss). L’Allemagne avait perdu son glacis alsacien-lorrain et sa province riche en blé de Posnanie, de façon à rendre la Pologne plus ou moins autarcique sur le plan alimentaire, car elle ne possédait pas de bonnes terres céréalières. La Rhénanie était démilitarisée et aucune frontière du Reich était encore “membrée” pour reprendre, avec Haushofer, la terminologie forgée au XVIIe siècle par Richelieu et Vauban. Dans de telles conditions, l’Allemagne ne pouvait plus être “un sujet de l’histoire”.
Redevenir un “sujet de l’histoire”
Pour redevenir un “sujet de l’histoire”, l’Allemagne se devait de reconquérir les sympathies perdues au cours de la Première Guerre mondiale. Haushofer parvient à exporter son concept, au départ kjellénien, de “géopolitique”, non seulement en Italie et en Espagne, où des instituts de géopolitique voient le jour (pour l’Italie, Haushofer cite les noms suivants dans son journal : Ricciardi, Gentile, Tucci, Gabetti, Roletto et Massi) mais aussi en Chine, au Japon et en Inde. La géopolitique, de facture kjellénienne et haushoférienne, se répand également par dissémination et traduction dans une quantité de revues dans le monde entier. La deuxième initiative qui sera prise, dès 1925, sera la création d’une Deutsche Akademie, qui avait pour but premier de s’adresser aux élites germanophones d’Europe (Autriche, Suisse, minorités allemandes, Flandre, Scandinavie, selon le journal tenu par Haushofer).
Cette Académie devait compter 100 membres. L’idée vient au départ du légat de Bavière à Paris, le Baron von Ritter qui, en 1923 déjà, préconisait la création d’une institution allemande semblable à l’Institut de France ou même à l’Académie française, afin d’entretenir de bons et fructueux contacts avec l’étranger dans une perspective d’apaisement constructif. Bien que mise sur pied et financée par des organismes privés, la Deutsche Akademie ne connaîtra pas le succès que méritait son programme séduisant. Les “Goethe-Institute”, qui représentent l’Allemagne sur le plan culturel aujourd’hui, en sont les héritiers indirects, depuis leur fondation en 1932.
L’objectif des instituts de géopolitique, de la Deutsche Akademie et des “Goethe-Institute” est donc de générer au sein du peuple allemand une sorte d’ “auto-éducation” permanente aux faits géographiques et aux problèmes de la politique internationale. Cette “auto-éducation” ou “Selbsterziehung” repose sur un impératif d’ouverture au monde, exactement comme Karl et Martha Haushofer s’étaient ouverts aux réalités indiennes, asiatiques, pacifiques et sibériennes entre 1908 et 1910, lors de leur mission militaire au Japon. Haushofer explique cette démarche dans un mémorandum rédigé dans sa villa d’Hartschimmelhof en août 1945. La Première Guerre mondiale, y écrit-il, a éclaté parce que les 70 nations, qui y ont été impliquées, ne possédaient pas les outils intellectuels pour comprendre les actions et les manœuvres des autres ; ensuite, les idéologies dominantes avant 1914 ne percevaient pas la “sacralité de la Terre” (“das Sakrale der Erde”).
Des connaissances géographiques et historiques factuelles, couplées à cette intuition tellurique — quasi romantique et mystique à la double façon du “penseur et peintre tellurique” Carl Gustav Carus, au XIXe siècle, et de son héritier Ludwig Klages qui préconise l’attention aux mystères de la Terre dans son discours aux mouvements de jeunesse lors de leur rassemblement de 1913 — auraient pu contribuer à une entente générale entre les peuples : l’intuition des ressources de Gaia, renforcée par une “tekhnê” politique adéquate, aurait généré une sagesse générale, partagée par tous les peuples de la Terre. La géopolitique, dans l’optique de Haushofer, quelques semaines après la capitulation de l’Allemagne, aurait pu constituer le moyen d’éviter toute saignée supplémentaire et toute conflagration inutile (cf. Jacobsen, tome I, pp. 258-259).
Une géopolitique révolutionnaire dans les années 20
En dépit de ce mémorandum d’août 1945, qui regrette anticipativement la disparition de toute géopolitique allemande, telle que Haushofer et son équipe l’avaient envisagée, et souligne la dimension “pacifiste”, non au sens usuel du terme mais selon l’adage latin “Si vis pacem, para bellum” et selon l’injonction traditionnelle qui veut que c’est un devoir sacré (“fas”) d’apprendre de l’ennemi, Haushofer a été aussi et surtout — c’est ce que l’on retient de lui aujourd’hui — l’élève rebelle de Sir Halford John Mackinder, l’élève qui inverse les intentions du maître en retenant bien la teneur de ses leçons ; pour Mackinder, à partir de son célèbre discours de 1904 au lendemain de l’inauguration du dernier tronçon du Transibérien, la dynamique de l’histoire reposait sur l’opposition atavique et récurrente entre puissances continentales et puissances maritimes (ou thalassocraties). Les puissances littorales du grand continent eurasiatique et africain sont tantôt les alliées des unes tantôt celles des autres.
Dans les années 20, où sa géopolitique prend forme et influence les milieux révolutionnaires (dont les cercles que fréquentaient Ernst et Friedrich-Georg Jünger ainsi que la figure originale que fut Friedrich Hielscher, sans oublier les communistes gravitant autour de Radek et de Rados), Haushofer énumère les puissances continentales actives, énonciatrices d’une diplomatie originale et indépendante face au monde occidental anglo-saxon ou français : l’Union Soviétique, la Turquie (après les accords signés entre Mustafa Kemal Atatürk et le nouveau pouvoir soviétique à Moscou), la Perse (après la prise du pouvoir par Reza Khan), l’Afghanistan, le sous-continent indien (dès qu’il deviendra indépendant, ce que l’on croit imminent à l’époque en Allemagne) et la Chine. Il n’y incluait ni l’Allemagne (neutralisée et sortie du club des “sujets de l’histoire”) ni le Japon, puissance thalassocratique qui venait de vaincre la flotte russe à Tsoushima et qui détenait le droit, depuis les accords de Washington de 1922 d’entretenir la troisième flotte du monde (le double de celle de la France !) dans les eaux du Pacifique.
Pour “contenir” les puissances de la Terre, constate Haushofer en bon lecteur de Mackinder, les puissances maritimes anglo-saxonnes ont créé un “anneau” de bases et de points d’appui comme Gibraltar, Malte, Chypre, Suez, les bases britanniques du Golfe Persique, l’Inde, Singapour, Hong Kong ainsi que la Nouvelle-Zélande et l’Australie, un cordon d’îles et d’îlots plus isolés (Tokelau, Suvarov, Cook, Pitcairn, Henderson, etc.) qui s’étendent jusqu’aux littoraux du cône sud de l’Amérique du Sud. L’Indochine française, l’Insulinde néerlandaise et les quelques points d’appui et comptoirs portugais sont inclus, bon gré mal gré, dans ce dispositif en “anneau”, commandé depuis Londres.
Les Philippines, occupées depuis la guerre hispano-américaine puis philippino-américaine de 1898 à 1911 par les États-Unis, en sont le prolongement septentrional. Le Japon refuse de faire partie de ce dispositif qui permet pourtant de contrôler les routes du pétrole acheminé vers l’archipel nippon. L’Empire du Soleil Levant cherche à être une double puissance : 1) continentale avec la Mandchourie et, plus tard, avec ses conquêtes en Chine et avec la satellisation tacite de la Mongolie intérieure, et 2) maritime en contrôlant Formose, la presqu’île coréenne et la Micronésie, anciennement espagnole puis allemande. L’histoire japonaise, après Tsoushima, est marquée par la volonté d’assurer cette double hégémonie continentale et maritime, l’armée de terre et la marine se disputant budgets et priorités.
Un bloc continental défensif
Haushofer souhaite, à cette époque, que le “bloc continental”, soviéto-turco-perso-afghano-chinois, dont il souhaite l’unité stratégique, fasse continuellement pression sur “l'anneau” de manière à le faire sauter. Cette unité stratégique est une “alliance pression/défense”, un “Druck-Abwehr-Verband”, soit une alliance de facto qui se défend (“Abwehr”) contre la pression (“Druck”) qu’exercent les bases et points d’appui des thalassocraties, contre toutes les tentatives de déploiement des puissances continentales. Haushofer dénonce, dans cette optique, le colonialisme et le racisme, qui en découle, car ces “ismes” bloquent la voie des peuples vers l’émancipation et l’auto-détermination. Dans l’ouvrage collectif Welt in Gärung (Le monde en effervescence), Haushofer parle des « gardiens rigides du statu quo » (starre Hüter des gewesenen Standes) qui sont les obstacles (Hemmungen) à toute paix véritable ; ils provoquent des révolutions bouleversantes et des effondrements déstabilisants, des “Umstürze”, au lieu de favoriser des changements radicaux et féconds, des “Umbrüche”.
Cette idée le rapproche de Carl Schmitt, quand ce dernier critique avec acuité et véhémence les traités imposés par Washington dans le monde entier, dans le sillage de l’idéologie wilsonienne, et les nouvelles dispositions, en apparence apaisantes et pacifistes, imposées à Versailles puis à Genève dans le cadre de la SdN. Carl Schmitt critiquait, entre autres, et très sévèrement, les démarches américaines visant la destruction définitive du droit des gens classique, le “ius publicum europaeum” (qui disparait entre 1890 et 1918), en visant à ôter aux États le droit de faire la guerre (limitée), selon les théories juridiques de Frank B. Kellogg dès la fin des années 20. Il y a tout un travail à faire sur le parallèlisme entre Carl Schmitt et les écoles géopolitiques de son temps.
En dépit du grand capital de sympathie dont bénéficiait le Japon chez Haushofer depuis son séjour à Kyoto, sa géopolitique, dans les années 20, est nettement favorable à la Chine, dont le sort, dit-il, est similaire à celui de l’Allemagne. Elle a dû céder des territoires à ses voisins et sa façade maritime est neutralisée par la pression permanente qui s’exerce depuis toutes les composantes de l’ “anneau”, constitués par les points d’appui étrangers (surtout l’américain aux Philippines). Haushofer, dans ses réflexions sur le destin de la Chine, constate l’hétérogénéité physique de l’ancien espace impérial chinois : le désert de Gobi sépare la vaste zone de peuplement “han” des zones habitées par les peuples turcophones, à l’époque sous influence soviétique. Les montagnes du Tibet sont sous influence britannique depuis les Indes et cette influence constitue l’avancée la plus profonde de l’impérialisme thalassocratique vers l’intérieur des terres eurasiennes, permettant de surcroît de contrôler le “chateau d’eau” tibétain où les principaux fleuves d’Asie prennent leur source (à l’Ouest, l’Indus et le Gange ; à l’Est, le Brahmapoutre / Tsangpo, le Salouen, l’Irawadi et le Mékong). La Mandchourie, disputée entre la Russie et le Japon, est toutefois majoritairement peuplée de Chinois et reviendra donc tôt ou tard chinoise.
Sympathie pour la Chine mais soutien au Japon
Haushofer, en dépit de ses sympathies pour la Chine, soutiendra le Japon dès le début de la guerre sino-japonaise (qui débute avec l’incident de Moukden en septembre 1931). Cette option nouvelle vient sans doute du fait que la Chine avait voté plusieurs motions contre l’Allemagne à la SdN, que tous constataient que la Chine était incapable de sortir par ses propres forces de ses misères. Le Japon apparaissait dès lors comme une puissance impériale plus fiable, capable d’apporter un nouvel ordre dans la région, instable depuis les guerres de l’opium et la révolte de Tai-Peh. Haushofer avait suivi la “croissance organique” du Japon mais celui-ci ne cadrait pas avec ses théories, vu sa nature hybride, à la fois continentale depuis sa conquête de la Mandchourie et thalassocratique vu sa supériorité navale dans la région.
Très branché sur l’idée mackindérienne d’ “anneau maritime”, Haushofer estime que le Japon demeure une donnée floue sur l’échiquier international. Il a cherché des explications d’ordre “racial”, en faisant appel à des critères “anthropogéographiques” (Ratzel) pour tenter d’expliquer l’imprécision du statut géopolitique et géostratégique du Japon : pour lui, le peuple japonais est originaire, au départ, des îles du Pacifique (des Philippines notamment et sans doute, antérieurement, de l’Insulinde et de la Malaisie) et se sent plus à l’aise dans les îles chaudes et humides que sur le sol sec de la Mandchourie continentale, en dépit de la nécessité pour les Japonais d’avoir à disposition cette zone continentale afin de “respirer”, d’acquérir sur le long terme, ce que Haushofer appelle un “Atemraum”, un espace de respiration pour son trop-plein démographique.
L’Asie orientale est travaillée, ajoute-t-il, par la dynamique de deux “Pan-Ideen”, l’idée panasiatique et l’idée panpacifique. L’idée panasiatique concerne tous les peuples d’Asie, de la Perse au Japon : elle vise l’unité stratégique de tous les États asiatiques solidement constitués contre la mainmise occidentale. L’idée panpacifique vise, pour sa part, l’unité de tous les États riverains de l’Océan Pacifique (Chine, Japon, Indonésie, Indochine, Philippines, d’une part; États-Unis, Mexique, Pérou et Chili, d’autre part). On retrouve la trace de cette idée dans les rapports récents ou actuels entre États asiatiques (surtout le Japon) et États latino-américains (relations commerciales entre le Mexique et le Japon, Fujimori à la présidence péruvienne, les théories géopolitiques et thalassopolitiques panpacifiques du général chilien Pinochet, etc.). Pour Haushofer, la présence de ces deux idées-forces génère un espace fragilisé (riche en turbulences potentielles, celles qui sont à l’œuvre actuellement) sur la plage d’intersection où ces idées se télescopent. Soit entre la Chine littorale et les possessions japonaises en face de ces côtes chinoises.
Tôt ou tard, pense Haushofer, les États-Unis utiliseront l’idée panpacifique pour contenir toute avancée soviétique en direction de la zone océanique du Pacifique ou pour contenir une Chine qui aurait adopté une politique continentaliste et panasiatique. Haushofer manifeste donc sa sympathie à l’égard du panasiatisme. Pour lui, le panasiatisme est “révolutionnaire”, apportera un réel changement de donne, radical et définitif, tandis que le panpacifisme est “évolutionnaire”, et n’apportera que des changements mineurs toujours susceptibles d’être révisés. Le Japon, en maîtrisant le littoral chinois et une bonne frange territoriale de l’arrière-pays puis en s’opposant à toute ingérence occidentale dans la région, opte pour une démarche panasiatique, ce qui explique que Haushofer le soutient dans ses actions en Mandchourie. Puis en fera un élément constitutif de l’alliance qu’il préconisera entre la Mitteleuropa, l’Eurasie (soviétique) et le Japon / Mandchourie orientant ses énergies vers le Sud.
Toutes ces réflexions indiquent que Haushofer fut principalement un géopolitologue spécialisé dans le monde asiatique et pacifique. La lecture de ses travaux sur ces espaces continentaux et maritimes demeure toujours aujourd’hui du plus haut intérêt, vu les frictions actuelles dans la région et l’ingérence américaine qui parie, somme toute, sur une forme actualisée du panpacifisme pour maintenir son hégémonie et contenir une Chine devenue pleinement panasiatique dans la mesure où elle fait partie du “Groupe de Shanghai” (OCS), tout en orientant vers le sud ses ambitions maritimes, heurtant un Vietnam qui s’aligne désormais sur les États-Unis, en dépit de la guerre atroce qui y a fait rage il y a quelques décennies. On n’oubliera pas toutefois que Kissinger, en 1970-72, avait parié sur une Chine maoïste continentale (sans grandes ambitions maritimes) pour contenir l’URSS. La Chine a alors eu une dimension “panpacifiste” plutôt que “panasiatique” (comme l’a souligné à sa manière le général et géopolitologue italien Guido Giannettini). Les stratégies demeurent et peuvent s’utiliser de multiples manières, au gré des circonstances et des alliances ponctuelles.
Réflexions sur l’Inde
Reste à méditer, dans le cadre très restreint de cet article, les réflexions de Haushofer sur l’Inde. Si l’Inde devient indépendante, elle cessera automatiquement d’être un élément essentiel de l’“anneau” pour devenir une pièce maîtresse du dispositif continentaliste / panasiatique. Le sous-continent indien est donc marqué par une certaine ambivalence : il est soit la clef de voûte de la puissance maritime britannique, reposant sur la maîtrise totale de l’Océan Indien ; soit l’avant-garde des puissances continentales sur le “rimland” méridional de l’Eurasie et dans la “Mer du Milieu” qu’est précisément l’Océan Indien.
Cette ambivalence se retrouve aujourd’hui au premier plan de l’actualité : l’Inde est certes partie prenante dans le défi lancé par le “Groupe de Shanghai” et à l’ONU (où elle ne vote pas en faveur des interventions réclamées par l’hegemon américain) mais elle est sollicitée par ce même hegemon pour participer au “containment” de la Chine, au nom de son vieux conflit avec Beijing pour les hauteurs himalayennes de l’Aksai Chin en marge du Cachemire / Jammu et pour la question des barrages sur le Brahmapoutre et de la maîtrise du Sikkim. Haushofer constatait déjà, bien avant la partition de l’Inde en 1947, suite au départ des Britanniques, que l’opposition séculaire entre Musulmans et Hindous freinera l’accession de l’Inde à l’indépendance et/ou minera son unité territoriale ou sa cohérence sociale. Ensuite, l’Inde comme l’Allemagne (ou l’Europe) de la “Kleinstaaterei”, a été et est encore un espace politiquement morcelé. Le mouvement indépendantiste et unitaire indien est, souligne-t-il, un modèle pour l’Allemagne et l’Europe, dans la mesure, justement, où il veut sauter au-dessus des différences fragmentantes pour redevenir un bloc capable d’être pleinement “sujet de l’histoire”.
Voici donc quelques-unes des idées essentielles véhiculées par la Zeitschrift für Geopolitik de Haushofer. Il y a en a eu une quantité d’autres, parfois fluctuantes et contradictoires, qu’il faudra réexhumer, analyser et commenter en les resituant dans leur contexte. La tâche sera lourde, longue mais passionnante. La géopolitique allemande de Haushofer est plus intéressante à analyser dans les années 20, où elle prend tout son essor, avant l’avènement du national-socialisme, tout comme la mouvance nationale-révolutionnaire, plus ou moins russophile, qui cesse ses activités à partir de 1933 ou les poursuit vaille que vaille dans la clandestinité ou l’exil. Reste aussi à examiner les rapports entre Haushofer et Rudolf Hess, qui ne cesse de tourmenter les esprits. Albrecht Haushofer, secrétaire de la Deutsche Akademie et fidèle disciple de ses parents, résume en quelques points les erreurs stratégiques de l’Allemagne dont :
- a) la surestimation de la force de frappe japonaise pour faire fléchir en Asie la résistance des thalassocraties ;
- b) la surestimation des phénomènes de crise en France avant les hostilités ;
- c) la sous-estimation de la durée temporelle avec laquelle on peut éliminer militairement un problème ;
- d) la surestimation des réserves militaires allemandes ;
- e) la méconnaissance de la psychologie anglaise, tant celle des masses que celle des dirigeants ;
- f) le désintérêt pour l’Amérique.
Albrecht Haushofer, on le sait, sera exécuté d’une balle dans la nuque par la Gestapo à la prison de Berlin-Moabit en 1945. Ses parents, arrêtés par les Américains, questionnés, seront retrouvés pendus à un arbre au fond du jardin de leur villa d’Hartschimmelhof, le 10 mars 1946. Karl Haushofer était malade, déprimé et âgé de 75 ans.L’Allemagne officielle ne s’est donc jamais inspirée de Haushofer ni sous la République de Weimar ni sous le régime national-socialiste ni sous la Bundesrepublik. Néanmoins bon nombre de collaborateurs de Haushofer ont poursuivi leurs travaux géopolitiques après 1945. Leurs itinéraires, et les fluctuations de ceux-ci devrait pouvoir constituer un objet d’étude. De 1951 à 1956, la ZfG reparaît, exactement sous la même forme qu’au temps de Haushofer. Elle change ensuite de titre pour devenir la Zeitschrift für deutsches Auslandswissen (Revue allemande pour la connaissance de l’étranger), publiée sous les auspices d’un Institut für Geosoziologie und Politik. Elle paraît sous la houlette d’un disciple de Haushofer, le Dr. Hugo Hassinger. En 1960, le géographe Adolf Grabowsky, qui a également fait ses premières armes aux côtés de Haushofer, publie, en n’escamotant pas le terme “géopolitique”, un ouvrage remarqué, Raum, Staat und Geschichte – Grundlegung der Geopolitik (Espace, État et histoire – Fondation de la géopolitique). Il préfèrera parler ultérieurement de “Raumkraft” (de “force de l’espace”).
Les ouvrages qui ont voulu faire redémarrer une géopolitique allemande dans le nouveau contexte européen sont sans contexte ceux : 1) du Baron Heinrich Jordis von Lohausen, dont le livre Denken in Kontinenten restera malheureusement confiné aux cercles conservateurs, nationaux et nationaux-conservateurs, “politiquement correct” oblige, bien que Lohausen ne développait aucun discours incendiaire ou provocateur, et 2) du politologue Heinz Brill, Geopolitik heute, où l’auteur, professeur à l’Académie militaire de la Bundeswehr, ose, pour la première fois, au départ d’une position officielle au sein de l’État allemand, énoncer un programme géopolitique, inspiré des traditions léguées par les héritiers de Haushofer, surtout ceux qui, comme Fochler-Hauke ou Pahl, ont poursuivi une quête d’ordre géopolitique après la mort tragique de leur professeur et de son épouse. À tous d’œuvrer, désormais, pour exploiter tous les aspects de ces travaux, s’étendant sur près d’un siècle.
► Robert Steuckers, Forest-Flotzenberg, juin 2012.
◘ Bibliographie :
Frank EBELING, Geopolitik – Karl Haushofer und seine Raumwissenschaft 1919-1945, Akademie Verlag, 1994.
Karl HAUSHOFER, Grenzen in ihrer geographischen und politischen Bedeutung, Kurt Vowinckel Verlag, Berlin-Grunewald, 1927.
Karl HAUSHOFER u. andere, Raumüberwindende Mächte, B.G. Teubner, Leipzig/Berlin, 1934.
Karl HAUSHOFER, Weltpolitik von heute, Verlag Zeitgeschichte, Berlin, 1934.
Karl HAUSHOFER & Gustav FOCHLER-HAUKE, Welt in Gärung – Zeitberichte deutscher Geopolitiker, Verlag von Breitkopf u. Härtel, Leipzig, 1937.
Karl HAUSHOFER, Weltmeere und Weltmächte, Zeitgeschichte-Verlag, Berlin, 1937.
Karl HAUSHOFER, Le Japon et les Japonais, Payot, 1937 (préf. et trad. : G. Montandon).
Karl HAUSHOFER, De la géopolitique, Fayard, 1986 (préface du Prof. Jean Klein ; introduction du Prof. H.-A. Jacobsen).
Hans-Adolf JACOBSEN, Karl Haushofer, Leben und Werk, Band 1 & 2, Harald Boldt Verlag, Boppard am Rhein, 1979.
Rudolf KJELLEN, Die Grossmächte vor und nach dem Weltkriege, B. G. Teubner, Leipzig/Berlin, 1930.
Günter MASCHKE, « Frank B. Kellogg siegt am Golf – Völkerrechtgeschichtliche Rückblicke anlässlich des ersten Krieges des Pazifismus », in : Etappe n°7, Bonn, Oktober 1991.
Emil MAURER, Weltpolitik im Pazifik, Goldmann, Leipzig, 1942.
Armin MOHLER, « Karl Haushofer », in : Criticon n°56, 1979.
Perry PIERIK, Karl Haushofer en het nationaal-socialisme – Tijd, werk en invloed, Aspekt, Soesterberg, 2006.
Robert STEUCKERS, « Les thèmes de la géopolitique et de l’espace russe dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945 – Karl Haushofer, Oskar von Niedermayer & Otto Hoetzsch », in : Nouvelles de Synergies européennes n°57-58, Forest, août-octobre 2002 [recension de : Karl SCHLÖGEL, Berlin Ostbahnhof Europas – Russen und Deutsche in ihrem Jahrhundert, Siedler, Berlin, 1998]• Recension : Frank EBELING, Geopolitik – Karl Haushofer und seine Raumwissenschaft 1919-1945, Akademie Verlag, 1994, 272 p. [édition révisée de la thèse Karl Haushofer und die deutsche Geopolitik 1919-1945, Université de Hanovre, 1992]
Dans l’Allemagne de notre après-guerre, la géopolitique a été tabouisée, elle n’était plus évoquée que pour être démonisée, aucun travail de synthèse n’avait plus été publié. Le Dr. Ebeling a rompu le silence pour remettre sur le métier des concepts comme ceux de “Raumenge” (étroitesse d’espace), de “Raumüberwindung” (dépassement [de l’étroitesse] d’espace), d’“ordre [continental]”, de “bloc continental” ou d’“idée européenne”, qui, même dans les termes qui les désignent dans les ouvrages de Haushofer, gardent une pertinence incontestable sur l’échiquier international d’aujourd’hui. Ebeling a le mérite de mettre en exergue quelques racines inconnues de la géopolitique comme l’œuvre de Montesquieu, qui est d’essence déterministe, souligne-t-il, et explique les phénomènes politiques comme les résultats de “causes profondes” dans la mesure où ils donnent un cadre à la volonté humaine. Faits incontournables de la géographie et volontés politiques suscitent, de par leur confrontation, la dynamique de l’histoire. Ensuite, Ebeling montre l’apport de Bergson. La vision du monde de Bergson réfutait explicitement les fixismes de tous ordres. Le mouvement est omniprésent. Il est la vie. Ce qui est figé est mort. Haushofer transpose cette logique dans l’histoire mondiale et dans la stratégie des États. L’histoire du monde est un effort continu vers des ordres plus élaborés, donc toute barrière, tout obstacle est un scandale, un frein à l’épanouissement des peuples. Ensuite, la pensée en mouvement perpétuel de Haushofer n’est pas pensable sans l’apport des exégètes de Héraclite (dont sans doute Spengler) ou même d’autres philosophes du devenir ou de la dialectique tel Vico ou Hegel.
Ebeling montre aussi comment le rejet par Haushofer de l’idéologie libérale trouve racine dans un rejet explicite et sans fard de l’américanisme, parfois exprimé en des termes irrationnels, comme le prouve une lettre à son épouse en 1918 (p. 98). Quant à l’idéologie socialiste, y compris dans sa variante maximaliste soviétique, elle n’encourt pas autant les foudres de Haushofer, bien que sa nature “progressiste-constructiviste” et donc “inorganique” en fait fatalement l’adversaire de toute forme d’État organique et historique. Libéralisme et socialisme peuvent donc s’unir contre une Europe qui obéit à son destin et à son histoire. Autre mérite de cet ouvrage d’Ebeling : mettre en parallèle l’idée de Großraum chez Carl Schmitt et les projets d’unification continentale de Haushofer et, ensuite, de montrer comment Schmitt et Haushofer divergeaient de certaines conceptions continentales racialisantes, en vogue sous le national-socialisme. Ebeling rappelle — et c’est aussi l’une des originalités fécondes de son ouvrage — les conceptions “folcistes” (Volk), anti-libérales et européistes de Norbert Gürke, pour qui chaque peuple devait disposer de sa propre forme étatique. Ebeling rappelle aussi la critique de Gustav Fochler-Hauke à l’endroit de la diplomatie désastreuse, criminelle et anti-européenne de la France et de la Grande-Bretagne.
Dans une analyse fouillée du volume collectif Raumüberwindende Mächte (1934), Ebeling décèle l’intention de Haushofer : l’Allemagne doit donner au monde une idéologie politique fondée sur le respect des différences, qui, à leur tour, sont organisées dans des espaces vastes, d’échelle continentale. Ebeling montre que ce programme n’a jamais, au fond, coïncidé avec l’hitlérisme, qui peut se définir comme un révisionnisme coercitif (à l’endroit du Traité de Versailles), qui n’aurait rétabli que les anciennes animosités entre peuples d’avant 1914. Par le seul effet de la violence, expliquait Haushofer, on ne créera pas un ordre nouveau stable et harmonieux en Europe. De même, Peter Bruck qui réfléchissait en 1941 sur la notion de Reich, réclamait du pouvoir allemand de revenir à « la tradition d’harmonisation des peuples, propre à l’idée d’Imperium » (p. 177). Quant à Werner Hasselblatt, il voyait l’Europe comme une “famille de peuples” (Völkerfamilie). Conclusion d’Ebeling : la géopolitique de Haushofer a toujours été en porte-à-faux par rapport à l’hitlérisme, confrontation qui s’est terminée en tragédie, par l’exécution d’Albrecht Haushofer. Dernier atout majeur du livre d’Ebeling : une annexe avec l’interview de Paul Kleinewefers, aujourd’hui nonagénaire, et ami de la famille Haushofer.
► Robert Steuckers, Vouloir n°137/141, 1997.
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