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Löns
Paganisme et nature chez Hermann Löns
[Pratiquement inconnu en France, Hermann Löns (1866-1914) fut sans doute l'un des écrivains les plus attachants de l'Allemagne wilhelmienne. À l'écart des courants expressionnistes, naturalistes ou symbolistes en faveur à son époque, il fut un chantre de la nature et de la patrie]
♦ Recensions :- Martin Anger, Hermann Löns : Schicksal und Werk aus heutiger Sicht, G. J. Holtzmeyer Verlag, Braunschweig, 1986, 190 p., 32 ill.
- Thomas Dupke, Mythos Löns : Heimat, Volk und Natur im Werk von Hermann Löns, DUV, Wiesbaden, 1993, 381 p.
- Thomas Dupke, Hermann Löns : Mythos und Wirklichkeit, Claasen, Hildesheim, 1994, 224 p., 20 ill.
Dans sa thèse de doctorat sur Löns, Dupke récapitule toutes les thématiques qui font de Löns un précurseur des mouvements naturalistes allemands (Wandervögel, écologistes, adeptes de l'amour libre). La thématique de l’amour libre procède d’une volonté de sensualiser la vie, d’échapper à la rationalité bureaucratique et industrielle. Amour libre et sentiment de la nature vont de pair et s’opposent à la Ville, réceptacle de toutes les laideurs. Löns fuit dans un espace sans société, où les règles de l’urbanité n’ont pas de place.Le rapport paganisme/christianisme transparaît clairement : les paysans de la Lande de Lünebourg sont certes devenus de “bons chrétiens”, mais en surface seulement ; dans leur intériorité, ils sont restés les mêmes, “ils secouent les liens que leur avait imposés la religion des chrétiens”. Mais, chez Löns, qui n'est pas à proprement parler un auteur néo-païen, Dieu n'est pas remis en question, mais, face aux maraudeurs qui écument la région, il devient, pour les paysans armés (les Wehrwölfe), un Dieu de la vengeance, comme dans l’Ancien Testament, mais aussi comme dans l’idéal païen-germanique de la Feme [Sainte-Vehme]. Löns expose un conglomérat païen et vétéro-testamentaire, où il n'y a aucune séparation nette entre les deux héritages.
[Ci-contre : couverture de De kraaienhut par Johan Meyer, A.G. Schoonderbeek, Laren (Pays-Bas), 1925]
Pour Löns, le paysan de la lande est un être éternel, sans histoire, inamovible face aux changements : il est l’Urtyp (type originel) de “l’être du Volk”. Le paysan selon Löns est l’idéal d’un homme de communauté qui sélectionne sans état d’âme les plus forts, pour que survive sa communauté, matrice du peuple. L’idée dérive du projet eugéniste d’Otto Ammon, cherchant à préserver et à valoriser les classes rurales dans l’Allemagne en voie d'industrialisation et d’urbanisation. Cet idéal dérive également, constate Dupke, d’une triple lecture de Nietzsche, Lagarde et Langbehn. De Nietzsche, Löns a retenu les tirades contre les “Philistins”, imbus de leur “culture”. De Lagarde, l’idée d’une renaissance germanique, d’un retour aux valeurs originelles de la Germanie et des rites païens, capables de fortifier un christianisme régénéré et germanisé (Lagarde n'est pas païen !). De Langbehn, l’idée du paysan comme “meilleur Allemand”, par sa simplicité, sa frugalité et sa forte capacité d’intuition.
Le contexte dans lequel évolue Löns, qui est celui de toute la contestation allemande de 1890 à 1914, débouche sur deux perspectives pratiques : l’Heimatkunstbewegung (mouvement de l'art du terroir) et sur la fondation de “parcs naturels”. Le 30 mars 1898, le parlement prussien vote une mention préconisant la création de réserves naturelles sur le modèle de la loi américaine de 1872 (pour le Yellowstone Park). Löns a soutenu cette initiative, avec le botaniste Hugo Conwentz, mais était sceptique ; les parcs ne deviendront-ils pas zones récréatives pour citadins, les dimanches ensoleillés ? Pour Löns, la protection de la nature et du patrimoine rural ne devait pas se limiter à ces parcs, mais être généralisée à tout le pays, en tous domaines.
► Robert Steuckers, Vouloir n°142/145, 1998.
♦ Biographies (en allemand) :
- Castelle Friedrich : Ein Lebensbild : Löns-Gedenkbuch, Gersbach, 1917
- Deimann Wilhelm : Der Künstler und Kämpfer : Ein Löns Biographie und Briefausgabe, Sponholtz, 1935
- Martin Anger : Hermann Löns : Schicksal und Werk aus heutiger Sicht, Point-Press Verlag, 1978
- Rainer Kaune : Hermann Löns in Hannover, Schaumburg-Lippe und auf der Lüneburger Heide, Sutton, 2014
◘ Vient de paraître : Le Ruisseau Rouge, recueil de nouvelles, préface de Jean Mabire, Auda Isarn, 2017, 98 p. Recension : Chasseur et poète, Hermann Löns (1866-1914) a été un de ces écrivains immensément populaires en Allemagne mais totalement inconnus en France, malgré la publication en 1986 de son roman le plus célèbre, Le Loup Garou (Der Wehrwolf), publié aux Éditions Art et Histoire d’Europe, dans une belle traduction de Jean-Paul Allard. Ce récit de résistance paysanne aux allures de western avec embuscades, expéditions punitives et duels se déroulait dans la lande de Lunebourg, pendant la guerre de Trente ans. La publication du Ruisseau rouge, qui doit son titre à la première nouvelle de ce livre sur le massacre, à Verdun, des paysans saxons païens par les troupes franques emmenées par Charlemagne, nous donne un aperçu de l’étendue de ses thèmes de prédilection : la défense des traditions et des communautés villageoises contre les envahisseurs, l’amour des animaux, de la nature et de la chasse. Plus surprenant, il y a aussi chez Löns un goût pour la satire particulièrement réjouissant. Sa nouvelle « Tekel, trop Tekel » est un petit chef-d'œuvre d’humour, dans laquelle un chien nommé Putt Battermann nous livre, à la manière d’Humain, trop humain de Friedrich Nietzsche, des aphorismes définitifs : « Lorsque je vois un boxer, j’ai toujours le sentiment qu’il souhaite me demander : “Pouvez-vous me dire où je peux m’acheter un museau complet ?” ». Écologiste d’avant-garde, qui a longtemps milité pour l’établissement de parcs naturels dans la lande de Lunnebourg, Löns ne portait pas le progrès dans son cœur. Dans « Le surchasseur », il se désole de ne plus être capable de tailler un silex ! « Avec nos progrès, on n’a fait finalement qu’un grand pas en arrière ». Ainsi parlait Hermann Löns, écrivain des “patries charnelles” et nouvelliste de grand talent à découvrir, qui fut tué au début de la Grande Guerre, près de Reims, le 26 septembre 1914, à l’âge de 48 ans. (Pascal Eysseric, éléments n°169, 2017) [ci-contre : buste de Löns par Hans Haffenrichter, 1935]pièces-jointes :
Article paru dans le quotidien régional L’Union (Champagne-Ardenne-Picardie) du 09/11/2011
[Ci-contre : Couverture du Loup-Garou de Löns reparu en 1988, poème à la mémoire de tout un peuple qui, pour ne pas mourir et ne pas perdre ses raisons de vivre, a su user de la pioche et de la faux pour des travaux beaucoup moins bucoliques que ceux des champs, comme le feront plus tard les paysans vendéens qu'a ressuscités Michel Ragon dans Les Mouchoirs rouges de Cholet. Poème traversé par les désastres de la guerre de Trente Ans, donc, mais aussi poème vibrant de tendresse humaine et illuminé par une singulière joie de vivre. Car l'amour est sans doute, en définitive, le sentiment qui domine dans l'œuvre de Löns]
Qui, chez nous, connaît la Guerre de Trente Ans ? Du temps où l'enseignement de l'histoire gardait son importance, les lycéens séchaient sur ce qu'ils pensaient être un chapitre annexe de l'Histoire de France : à la suite de péripéties compliquées, Richelieu, aidé de Condé (Rocroi, 1643 !), avait donné à la France une partie de l'Alsace et les fameux Trois Évêchés : Metz, Toul, Verdun… On savait aussi que le prétexte utilisé était celui d'une guerre de religions en Allemagne et que le cardinal n'avait pas hésité à se faire l'allié des protestants à seule fin d'en découdre avec les Espagnols, et d'élargir notre “pré-carré”.
Est-il besoin de dire que cette vision de la Guerre de Trente Ans (1618-1648) n'est pas celle des Allemands ? Pour eux, l’imbroglio européen qui vit s’affronter sur leur sol les Danois, les Suédois, les Espagnols, les Français, les Hongrois, etc., se greffait sur une atroce guerre civile opposant les provinces du Nord aux pays du Sud, coupant en deux et pour longtemps la nation allemande. À cette blessure politique s’ajoute le souvenir d'une époque terrible où les populations subissaient les exactions des troupes mercenaires qui “vivaient sur l'habitant”, c'est-à-dire rançonnaient, pillaient, violaient, incendiaient impunément.
Par la suite, on le devine, la littérature, le théâtre, les arts plastiques ont fait une large place, en Allemagne, à cette époque dramatique comme en témoigne la parution récente d'un roman de Hermann Löns, Le Loup-Garou, aux éditions Art et Histoire d'Europe.
D'une aventure collective à une aventure exemplaire
[Ci-contre : la lande de Lunebourg]
Löns, bien que né par hasard en Prusse Occidentale (en 1866), était un Saxon du Hanovre, indication qui n'est pas sans importance dans un pays où les racines régionales sont particulièrement vivaces. Engagé volontaire, il tomba devant Reims en septembre 1914 et n'eut donc pas le temps de donner toute la mesure de son talent. Le temps lui fut tout de même laissé de publier des récits et des contes où il s'est attaché à donner vie aux traditions populaires de sa province, ainsi que trois romans que l'on aurait tort de réduire au genre “régionaliste” car s'il est vrai que la Basse-Saxe y est magnifiée, le talent littéraire de Löns en élargit suffisamment la perspective pour que l'on puisse les apprécier même si l'on est né sous d'autres cieux.
Ceci est particulièrement vrai du Loup-Garou dont le thème est universel : à l'époque où les bandes de Tilly ou de Gustave-Adolphe mettaient l'Allemagne à feu et à sang, faisant tomber sa population de 16 à 6 millions d'habitants, on y voit une communauté paysanne de la lande de Lunebourg prendre conscience d'elle-même et se forger un destin par la volonté tenace et persévérante de ses membres et la clairvoyance du chef qu'elle s'est choisi. Comme le dit excellemment Jean-Paul Allard, traducteur et préfacier du livre, « l'originalité du Loup-Garou réside dans le parti qu'a pris l'auteur de raconter, non point un événement particulier, ni la vie et les aventures d'un individu (…), mais le destin exemplaire d'un groupe humain tel qu'il se forge dans la continuité d'une époque ».
Du coup, l’aventure collective de ces paysans bas-saxons du XVIIe siècle devient exemplaire : elle montre comment des hommes apprennent à lutter pour survivre alors que rien, a priori, ne les y prépare et qu'autour d’eux les autres paysans subissent, pleurent (on n’ose dire : pleurnichent) et meurent. Et, certes, l’instinct de survie est présent partout, mais Löns montre bien qu’il ne se cristallise et ne se transforme en volonté de se défendre que dans la mesure où la communauté est apte à produire un “champion” (au sens grec du mot), c'est-à-dire un chef digne de confiance, capable de lutter les armes à la main et d'enseigner aux autres comment le faire.
À ce chef, Löns donne le nom prédestiné de Harm Wulf (Harm veut dire “détresse” et Wulf est une forme dialectale de Wolf, “le loup”) et il en fait un Wehrwolf, c'est-à-dire un loup-garou. Ajoutons que la forme normale du mot devrait être Werwolf, l'adjonction d'un h permettant de transformer Wer (“homme”, même racine indo-européenne que le latin vir) en Wehr (“défense”), façon de souligner que le chef en question se préoccupait surtout de défendre ses concitoyens contre les exactions des bandes armées de toutes obédiences qui ravageaient le pays.
Le destin ne s'accomplit que dans la mort
[« Aide-toi, le ciel t'aidera », devise de Harm Wulf, gravure de G. Sluyterman von Langeweyde, 1936]
Autour de lui, les paysans, tout en restant moissonneurs et éleveurs, se muent en hommes-loups (Werwölfe) quand la nécessité l'impose. Ce faisant, ils renouent sans le savoir (mais en le sentant, confusément) avec la tradition germanique la plus ancienne, celle des temps “indo-européens” où c'était le devoir du laboureur de ceindre l’épée quand la saison de guerre commençait (quand, à Rome, on ouvrait, à l'orée du printemps, la porte du temple de Mars). C'est ainsi qu’une poignée de Latins put bâtir un immense empire, ainsi que les Burgondes partis de la petite île de Bornholm purent s’emparer de la Rhénanie, de la Lorraine et de notre Bourgogne actuelle, ainsi aussi que quelques paysans-marins scandinaves colonisèrent l’Islande, la Normandie, la Sicile et Terre-Neuve.
Bien entendu, les paysans de la lande de Lunebourg n'ont pas tant d'ambition : défendre leurs vies et celles de leurs femmes et enfants suffit à leur peine, et protéger le mode de vie qui justifie à leurs yeux leur existence même. Les soldats ayant détruit leur village, Wulf les convie à en bâtir un autre dans un lieu inaccessible : non pas au sommet d’une montagne (il n’y en a pas en Basse-Saxe) mais au cœur de ces marais qu’ils sont seuls à bien connaître et où il leur sera aisé de tendre des pièges à ceux qui voudraient les y poursuivre.
[Couverture de la première édition française, 1986]
Il y a donc un côté western dans le livre, avec embuscades, coups de main, expéditions punitives, duels… On n'a pas le temps de s'ennuyer en le lisant ! À quoi s'ajoutent, bien sûr, les amours des uns et des autres, car il faut bien perpétuer la race… Tout cela dans un contexte nettement “paysan” avec ce que cela suppose de bon-sens madré.
Löns pourtant dépasse cet aspect picaresque et rustique en laissant entendre une autre musique, celle qui, en sourdine, rappelle aux humains que leurs entreprises sont fragiles et que leur destin ne s'accomplit que dans la mort. Wulf, apparemment, est vainqueur, mais les blessures, le vieillissement prématuré, la maladie teintent de mélancolie les dernières années de sa vie : « Emmène-moi au lit — dit-il à sa femme — je suis tellement fatigué ! », et elle lui répond : « Oui, je t'emmène au lit, mon petit, tu vas bien dormir ».
Sans rien renier de son action passée (et non sans avoir passé le flambeau à ses fils), il n'a plus l'allégresse d'autrefois quand il partait au combat en chantant. Maintenant, dit Löns, il ne peut plus supporter la vue du sang, au point qu'il n'est plus capable de prêter la main au voisin qui tue son cochon ! Ainsi va le cours de la vie des hommes…
Après la signature du traité de Westphalie (1648), la lande de Lunebourg recouvra la paix. Des armées étrangères ne la parcourront à nouveau que sous Napoléon et en avril 1945. Mais le souvenir des loups-garous y a persisté pendant trois siècles, et Löns nous dit qu'en 1910, on voyait encore la ferme de la famille Wulf, à Odringen, et le gourdin de plomb, arme favorite de Harm, pieusement conservé…
♦ Hermann Löns, Le Loup-Garou, trad. et préf. de Jean-Paul Allard, éd. Art et Histoire d'Europe, 1986, 244 p.
► Jean Varenne, éléments n°60, 1986.
◘ Hermann Löns : sous le signe de la rune du Loup
[Hermann Löns en habit de chasse]
Les livres d’Hermann Löns font partie de cette réaction intense contre le vide spirituel issu de l’industrialisation, de la vie dans les grandes villes, du matérialisme culturel et économique. Cette réaction a démarré vers 1890 en Allemagne et s’est poursuivie dans les années 1920. Qualifié hâtivement de völkisch, ce mouvement d’origine paysanne fut plus exactement défini par Armin Mohler sous le terme de Landvolkbewegung (mouvement paysan). Hermann Löns peut être considéré comme très proche de ce mouvement. Alors qu’à présent, les barbares sont à nos portes et que les campagnes n’ont jamais été aussi désertées et les villes aussi tentaculaires et tentatrices, il est bon de lire et relire cet auteur malheureusement méconnu en France.
Hermann Löns est né le 29 août 1866 à Kulm (auj. Chelmno) en Prusse occidentale sur les bords de la Vistule. Fils d'un professeur de lycée, Löns eût à subir les déménagements conséquents aux mutations professionnelles de son père. C’est donc à Deutsch-Krone qu’il passa son enfance et adolescence et ce n’est qu’à 18 ans qu’il vécut sur la terre de ses parents : la Westphalie. Cette terre lui apparut tout de suite comme son Heimat ancestral, bien qu’il ne l'eût encore jamais vue. Bon élève, il était passionné par la nature et tout particulièrement par les oiseaux. Il écrivit à l’âge de 16 ans un article sur Les oiseaux locaux, dénombrant et listant plus de 130 espèces. C’est durant ces années que Löns a développé ses talents d’observateur minutieux qui allaient lui être fort utiles dans ses récits de chasse et de nature. L’année 1884 vit son installation à Münster près de la maison de ses grands-parents, ce qui lui donna l’opportunité de renouer avec l’histoire de sa famille et lui conféra un sentiment d'appartenance à une lignée, sentiment qui n’allait plus le quitter.
[Ci-dessous : carte postale-hommage publiée en 1922 : « Hermann Löns als Cimbernfur 1887 »]
Trois ans plus tard il partit étudier la médecine à l’université de Greifwald sur la côte baltique, mais il y étudia surtout les filles et les soirées dansantes. Il rejoignit une association d’étudiants nommée Cimbria et glana quelques cicatrices lors de nombreux duels au cours desquels il défendit son honneur. Il délaissa la médecine au profit de la biologie et publia des articles dans des journaux spécialisés. Il commença en même temps à écrire ses premiers poèmes puis subit l’influence du philosophe au marteau : Nietzsche. Abandonnant les études pour se lancer dans le journalisme, il fut rapidement déçu par cette profession ! Il s’installa alors à Hanovre en 1892 comme reporter. La position centrale de Hanovre fut un bienfait pour lui : en effet cette ville est proche de différentes sortes de paysages qui allaient s’avérer fascinants pour Löns : Harz, Suntel et surtout la lande du Lüneburg. Il travailla pour le Hannoversche Anzeiger et s’y fit un nom grâce à sa rubrique les discussions du dimanche dans laquelle il traitait avec un ton incisif et en usant de différents pseudonymes (dont Uhlenspiegel) de nombreux sujets locaux. Il se chargea ensuite de l’éditorial et des rubriques littéraires du journal et édita Niedersachsen, journal consacré au folklore et à l’histoire locale. Il publia Mein goldenes Buch (Mon livre doré), un recueil de poésies contenant des descriptions fort vivantes de scènes de chasse et de paysages naturels. Chasseur-poète et proche des animaux, il a toujours plus été plus intéressé par l’environnement de la chasse et son processus que par le fait de tuer une bête.
Mettant fin à un mariage de moins en moins heureux et sans enfant, il divorça en 1901 et se consacra encore plus à la nature, faisant le vœu de ne plus jamais se marier. Cela ne l’empêcha pas de tomber amoureux quelques mois plus tard de Lisa Hausmann et de se marier avec elle durant l’été 1902. Il aura un fils avec elle.
[Ci-dessous : couverture de Achter in de Heide par Henry van de Velde dans les années 20, A.G. Schoonderbeek, Laren]
Il publia en 1907 un livre de nouvelles prenant place dans la lande de Lüneburg intitulé Mein braunes Buch (Mon livre brun). L’une de ces nouvelles : Der Rote Beeke (Le Ruisseau rouge), fut remarquée et fit l’objet d’une édition séparée et illustrée. Le ruisseau en question est composé des flots de sang déversé par les corps des chefs païens saxons ne voulant pas se convertir au christianisme et massacrés à Verden par Charlemagne et ses Francs. Cette nouvelle fut saluée par la critique littéraire de l’époque et valut à Löns le surnom de “poète de la lande”. L’Histoire des Saxons et des Germains intéressa Löns de plus en plus et l’influença considérablement. Il adopta à cette époque les anciens noms germains des mois, bien plus symboliques et liés au cycle naturel des saisons que les noms d’origine latine. Il adopta comme symbole personnel la Wolfsangel (rune du loup), utilisée par des générations de paysans de Basse-Saxe. Celle de Löns avait la forme d’un N renversé barré d’un trait vertical en son milieu. Bon nombre d’éditions de son roman Der Wehrwolf firent figurer en couverture des runes liées (Sowilo et Wolfsangel), ou des svastikas, les paysans de ce roman utilisent d’ailleurs la rune du loup comme signature dans leurs activités.
[Affiche du film de 1932]
Löns devint un ardent défenseur des beautés naturelles de sa région et lutta pour l’établissement de parcs naturels afin de préserver des pans entiers de forêt de l’action néfaste de l'homme. Dans ses articles, il appelait autant à la conservation de la nature que celle des traditions, du folklore, des monuments et de la culture. Mein Blaues Buch (Mon livre bleu), publié en 1909, comprenait des poèmes à tonalité écologique et des ballades faisant référence à l’histoire germanique pré-chrétienne. Plus accessibles, les poèmes de Der Kleine Rosegarten (Le Petit jardin des roses) devinrent très populaires, certains furent même utilisés comme textes de chansons folk. Notons que bien plus tard, en 1932, un film sur la vie des habitants de la lande, Grün ist die Heide (Verte est la lande), intitulé comme le poème de Löns qui fut transformé par Karl Blume en chanson populaire (et que l’on entend dans le film), s’inspirera pauvrement des nouvelles et poèmes de Löns.
[Couverture de : The Warwolf : A Peasant Chronicle of the Thirty Years War, Westholme Publ., 2006]
De 1907 à 1911 Löns vécut à Bückeburg, petit village de campagne, loin de la frénésie de Hanovre. C’est là qu’il écrivit son roman le plus célèbre (400.000 exemplaires vendus), le seul traduit en français (brillamment par Jean-Paul Allard) à ce jour : Der Wehrwolf [1910]. L’histoire se passe durant la Guerre de Trente Ans et met des fermiers saxons aux prises avec des maraudeurs suédois et autres éléments douteux voulant profiter du chaos instauré par la guerre pour piller la lande. Le titre jeu de mots du roman est révélateur, le Wehrwolf est un loup-garou et le verbe Wehren signifie “défendre”. Les paysans deviennent donc pour survivre des hommes-loups, des Wehrwolfe, utilisant une sauvagerie à la mesure de la violence de leurs assaillants et justifiée par la défense de leur clan. Ernst Jünger à la lecture de ce roman déclara y avoir retrouvé l’esprit des anciennes sagas.
Bien que fort malade et affaibli, Löns fit tout de même paraître un Mein buntes Buch (Mon livre coloré) et une chronique de village : Die Haüser von Ohlendorf (Les Maisons d’Ohlendorf). Il avait encore beaucoup de projets en tête, comme en attestaient ses dernières lettres, notamment un livre historique décrivant le combat épique qui opposa Widukind à Charlemagne ainsi qu’un roman intitulé L’Antéchrist, mais il n’eut pas le temps de le concrétiser. Sur sa demande, il partit au front le 24 août 1914 dans le 73ème régiment d’infanterie. Son journal intime n’est pas sans rappeler les livres écrits par Jünger sur la même époque : description d’une guerre mécanisée et industrielle, laissant peu de place à l’héroïsme individuel.
Il fut tué près de Reims en Champagne le 26 septembre 1914. Ses restes retrouvés par un paysan furent identifiés grâce à son matricule en 1933 et le nom de Löns fut donné à un espace naturel protégé de Würzburg. Hermann Löns fit l’objet d’un enterrement militaire près de Fallingbostel : dans sa tant aimée lande lunebourgeoise.
► Léopold Kessler, Réfléchir & Agir n°20, été 2005.
La tombe d'Hermann Löns, gravée de la rune du loup, dans les landes de Lunebourg (Basse-Saxe)
◘ Paysannerie
Même si le paysan se conduit extérieurement comme un citadin, porte du linge blanc tous les jours, a un piano et des meubles dans une belle pièce, cela ne change pas grand’ chose à sa nature intime. Il n’en demeure pas moins un paysan, il pense en paysan et agit de même. Même s’il entretient des relations avec les citadins, a des parents et des amis en ville, il les considère tous comme des hommes d'une autre espèce, d'une autre nature, non comme des prochains. Cette notion ne concerne que les hommes qui se trouvent sur la même glèbe, qui pensent et qui vivent comme lui. Dans le meilleur des cas, il devient un bon ami, de même que nous pouvons l'être avec un représentant particulièrement distingué d'une race étrangère. Mais entre lui et tous les concitoyens qui ne brisent pas la terre avec le soc de charrue, ne fauchent pas les tiges de blé, persiste toujours un mur qui ne peut être abattu. Même là où, comme dans les environs des grandes villes, les paysans et les citadins habitent pêle-mêle dans les villages, il n'y a aucune relation entre les deux. La fierté paysanne est trop grande ; même le domestique est plus fier que le citadin qui habite dans une villa multicolore et possède un attelage et une voiture.
Cette fierté est bien fondée, car le paysan forme le peuple ; il est le détenteur de la civilisation et le gardien de la race. Avant que la ville n'existât avec son vernis, le paysan était là. Son arbre généalogique remonte aux temps où la pioche de pierre ameublissait le sol. Le paysan fit germer la première culture et établit ses coutumes là où, jusqu'ici, des hordes de chasseurs et de pécheurs semi-sauvages menaient une existence comparable à celle du loup et de la loutre.
Puis vint le paysan avec ses pâturages, traçant l'emplacement de la maison, enfonçant des poteaux dans le sol, la couvrant et la reliant par des murs solides. Tandis qu'il faisait jaillir les flammes des trois bois sacrés sur le foyer de pierre, il prit possession du pays au nom de la civilisation. Car ce fut d'abord le paysan qui créa ce que nous appelons ainsi. Les pêcheurs, les chasseurs et les bergers errants n'ont aucune — ou seulement — une mince culture. Il était précisément le détenteur de civilisation. L’Edda, Tacite, le riche apogée de l'architecture à l'époque des grandes invasions nous enseignent à quel point sa civilisation était grande. Le mobilier des ancêtres qui, autrefois, ornait le foyer du paysan allemand et maintenant s'amasse dans les musées, en est aussi une trace. Le fondement de toute culture réside dans la paysannerie.
Le paysan sait bien cela, non certes, au niveau individuel, mais en tant que communauté. Car l'individu n'a pas seulement une mémoire ; des couches populaires entières possèdent aussi une faculté de souvenir qui est infaillible, plus fidèle et plus solide que des objets inanimés comme la pierre, le parchemin et le papier. La force de cette mémoire dit : « Avant que vous ne soyez là, vous gens de la ville, riches ou pauvres, grands ou petits, j'étais là. Je brisais la terre, je semais le grain, je créais le champ grâce auquel vous pouvez vivre et croître avec votre activité, votre commerce, votre industrie, vos relations. J'inventais le droit, je donnais la loi, je repoussais l'ennemi, je portais les fardeaux pendant des millénaires. Je suis l'arbre et vous êtes les feuilles, je suis la source et vous êtes le flot, je suis le feu et vous êtes la lueur ». Telles étaient ses pensées, qu'il pouvait émettre à juste titre.
0ù serions-nous si le paysan n'avait pas eu les os forts, les nerfs solides et le sang pur ? La faim, la peste et la guerre nous auraient détruits. Jamais nous ne nous serions relevés de la guerre de Trente Ans. Et qui conserverait notre essence profonde ? L'esprit allemand aurait-il survécu sans les toits de chaume des villages ?
► Hermann Löns, texte repris dans Cahiers de la SS n°5, 1942.
[tr. fr. : E. Thibaut, L'Ordre SS, éthique et idéologie, Avalon, 1991, pp. 216-218]
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