• Qatar

    De la rivalité entre l’Arabie saoudite et le Qatar

    Cette rivalité dans la région du Golfe Persique a pour objet l’influence à gagner dans le monde arabe

    Qatar

    El-Udeid (Qatar) : La plus grande base militaire américaine hors frontières. En raison de sa vulnérabilité, par son manque de capacités militaires et sa faiblesse démographique, le Qatar a choisi une alliance solide avec les États-Unis. En contrepartie, le Qatar s’est engagé à investir en Palestine en cas d'arrêt des hostilités.

     

    [Ci-dessous : carte du Qatar, territoire désertique de la taille de la Corse, habité par 1,7 million d'habitants. Il est catalogué comme le pays le plus riche avec la troisième réserve de gaz du monde]

    QatarDepuis le début de ce mois de mars 2014, une fracture divise nettement le Conseil de Coopération des États du Golfe : l’Arabie saoudite, Bahreïn et les Émirats Arabes Unis ont rappelé leurs ambassadeurs en poste au Qatar. Le motif officiel et apparent de cette rupture est dû au soutien que le Qatar apporte aux Frères Musulmans dans la région. Mais il y a plus : Ryad voit d’un très mauvais œil ce petit émirat du Qatar qui tente de devenir une puissance régionale, alors qu’il n’a qu’une superficie de 11.000 km2 et n’a que 1,7 million d’habitants (dont seulement 250.000 Qataris). Le New York Times écrit : “Ce sont surtout les monarques saoudiens qui manifestent leur mauvaise humeur depuis des années parce que le petit Qatar se donne les allures d’un poids lourd. Il utilise ses immenses richesses et la chaîne Al-Jazeera, qui lui appartient, pour asseoir sa puissance dans la région”.

    En effet, le petit émirat du Golfe ne passe plus inaperçu sur la scène internationale. En mai 2011, Doha parvient à intercéder en faveur d’un processus de paix au Darfour, réunissant autour de la table de négociations le gouvernement soudanais et les insurgés. En mai 2008 déjà, le Qatar avait œuvré pour débloquer la situation au Liban et pour permettre que se tiennent des élections présidentielles. Ensuite, Doha favorise les processus de pacification dans les conflits civils qui ravagent le Yémen ou la Somalie et offre ses services diplomatiques pour calmer le jeu dans le conflit frontalier qui oppose l’Éthiopie à l’Érythrée. Dans la guerre civiles syrienne, le Qatar soutient une partie des rebelles islamistes opposés au régime baathiste de Bachar El-Assad.

    Le déploiement de la puissance diplomatique qatarie a été rendu possible par trois facteurs, selon l’analyste russe Roman Kot, lié au centre d’études Strategic Culture Foundation.

    • D’abord : 1), le Qatar table sur ses exportations de gaz naturel qui ont quintuplé depuis le début des années 1990. En 2011, selon les rapports de la CIA, le Qatar était le deuxième fournisseur de gaz naturel dans le monde, avec une capacité de 113,7 milliards de m3. Le Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani peut voir l’avenir avec confiance : ses réserves de gaz s’élèvent à 25,2 billions de m3, ce qui le place au troisième rang dans le monde.
    • Ensuite : 2) la chaîne Al Jazeera, d’après Kot, permet de déployer un instrument très performant pour diffuser une propagande appuyant systématiquement, dans tout le monde arabe, la politique étrangère poursuivie par Doha. En effet, Al Jazeera est considérée “comme un gros calibre dans la guerre de l’information qui a précédé et accompagné les printemps arabes”.
    • Enfin : 3) le Qatar abrite deux bases américaines et se réjouit d’être ainsi un partenaire important des États-Unis. [NDT : La  présence de ces bases rend le territoire qatari inviolable].


    Roman Kot décrit la politique extérieure du Qatar comme “un nouveau modèle d’expansion, par lequel une orientation générale pro-occidentale fusionne avec un traditionalisme rigoriste ce qui a pour résultat que les puissances occidentales et surtout les États-Unis font désormais confiance à des groupes fondamentalistes voire à des organisations terroristes [soutenues par l’argent qatari]”. Le Qatar représente donc un mixte idéologique alliant l’islam wahhabite au panarabisme, ce qui lui confère un “potentiel agressif”.

    Mais lorsque le Qatar perçoit un avantage géostratégique différent de ceux des Occidentaux, il n’hésite pas à agir contre les intérêts directs de Washington. Exemple : en 2011, les Qataris ont certes apporté leur soutien aux attaques aériennes occidentales contre la Libye, afin de provoquer en bout de course la chute de Khadafi. Ce soutien à l’agression occidentale contre la Libye n’a toutefois pas empêché Doha de soutenir les Frères Musulmans et d’autres mouvements islamistes analogues dans les pays arabes en crise ou dans la guerre civile syrienne. Le journaliste américain Anthony Shadid, aujourd’hui décédé et détenteur du Prix Pulitzer, écrivait fin 2011 : “Contrairement à l’Arabie saoudite et aux Émirats Arabes Unis, le Qatar entretient des liens étroits avec les Frères Musulmans et leurs émanations en Libye, en Syrie et en Égypte”.

    Le conflit larvé qui vient d’éclater début mars 2014 au sein du “Conseil de Coopération du Golfe” a pour motif principal la rivalité qui oppose Saoudiens et Qataris dans leur volonté de gagner en influence en Égypte. Le Qatar a soutenu le Président Mohammed Morsi, renversé en juillet 2013, à coups de milliards de dollars. L’Arabie saoudite et les EAU tentent aujourd’hui de soutenir le régime militaire du Caire, également à coups de milliards de dollars.

    Le Qatar, par suite, tente d’inverser la vapeur et de torpiller les visées saoudiennes. Le Washington Post écrit à ce propos : “Au cours des huit derniers mois, le Qatar a accueilli un nombre croissant d’islamistes égyptiens contraints à l’exil et leur a permis d’utiliser Al Jazeera comme porte-voix pour lancer leur rhétorique hostile au régime militaire égyptien, ce qui a rendu furieux celui-ci et ses alliés du Golfe”. La rivalité entre les deux États islamistes rigoristes de la péninsule arabique a fait que l’Arabie saoudite soutient dorénavant un régime séculier au Caire !

    À tout cela s’ajoute que les deux protagonistes de ce nouveau conflit cultivent des opinions divergentes quant à l’Iran. Tandis que Doha perçoit l’Iran comme une menace gérable, les Saoudiens le perçoivent comme un danger existentiel. Cela mène Washington à une position inconfortable. Le New York Times l’explique : “… les tensions internes (au Golfe) amèneront Washington dans une position toujours plus difficile quand il s’agira de calmer les gouvernement nerveux d’Arabie Saoudite et des EAU pour qu’ils ne sabotent pas les négociations entamées par les États-Unis avec Téhéran sur le programme nucléaire iranien”. Qui plus est, l’incident diplomatique imprévu qu’est le retrait des ambassadeurs en poste à Doha n’autorise plus l’espoir de coordonner les efforts contradictoires des uns et des autres, notamment quand il s’agit de renforcer les rebelles syriens. Voilà encore un “projet occidental” qui ne pourra plus se concrétiser.

    ► Bernhard Tomaschitz, zur Zeit n°12/2014. (tr. fr. : RS)

     

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    QatarAl-Djazeera : la chaîne “arabe” au service des Américains ?

    [Ci-contre : Logo de Al-Jazeera. Le Qatar, qui constitue l’un des pôles du salafisme mondial avec l’Arabie Saoudite, utilise ses moyens financiers importants pour développer sa lecture de l’islam qui prône une lecture littérale des versets coraniques. Il s’appuie sur la chaine Al-Jazzera pour diffuser, en plus des informations politiques, les préceptes issus de la tradition prophétique. La plupart des livres qui sont diffusés en France sont des ouvrages de tradition salafiste édités sous le patronage de l’émirat]

    Quand a éclaté le “Printemps arabe”, ce fut la panique, une panique inouïe mais parfaitement compréhensible, chez les potentats immensément riches des “États-Farniente” arabes-sunnites. Pourquoi parler d’”États-Farniente” ? Parce que les paresseux qui gouvernent en Arabie saoudite et dans les émirats pétroliers ne constituent que 8 à 40% de la population, tandis que les 40 à 92 autres pour cents sont constitués de crève-la-faim importés, de sans droits, sunnites ou chiites, venus du Pakistan, du Yémen, d’Iran, des Philippines, etc. Ces immigrés forment la majorité de la population et font tous les sales travaux.

    Les bonzes et leurs courtisans, nourris grassement à coup de pétrodollars, craignent par dessus tout que l’étincelle révolutionnaire, partie de Tunis et de la Place Tahrir au Caire, ne mette le feu aux poudres dans les bidonvilles où s’entassent les exploités à Riad, Koweït City et Dubaï ; que des manifestants se jettent dans les rues et exigent les droits que leur garantit le Coran. Comment les nomenklatura et les cheikhs du pétrole, qui dominent la région, vont-ils se protéger contre cette armée de millions de déshérités potentiellement révolutionnaires, contre les dangers d’un islam socialiste qui se profile à l’horizon, contre l’émergence possible de partis séculiers qui, comme en Syrie, protègent toutes les minorités et toutes les communautés religieuses ? C’est très simple : en faisant appel aux Américains, qui débarquent dans leur pays, en étant tout prêts à protéger militairement les champs pétroliers de leurs pantins.

    Prenons l’exemple du Qatar : ce pays n’est pas plus grand que la petite province autrichienne du Burgenland et compte 2,2 millions d’habitants. Seul un dixième de la population du Qatar est composé d’autochtones arabes et sunnites : le reste est un conglomérat d’Arabes venus d’ailleurs, de Pakistanais, d’Iraniens chiites, d’Hindous de l’Asie du Sud-Est et de Chrétiens. Depuis 200 ans, c’est la tribu des Al-Thani qui gouverne là-bas. En 1940, la société British Petroleum découvre du pétrole au Qatar. En 1971, on découvre à proximité des côtes un des plus formidables gisements de gaz naturel de la planète, tant et si bien que le Cheikh Ahmed Al-Thani se donne tout de suite le titre d’”Émir”, tout en devenant l’un des hommes les plus riches de la Terre. En 1995, Hamad Al-Thani arrive au pouvoir à la suite d’un putsch, un peu aidé par les Américains. Un pur hasard bien sûr, même si l’on constate qu’il leur cède dans la foulée un morceau de désert près d’Al-Udaïd. Sur ce terrain, les Américains vont aussitôt construire leur plus grosse base du Proche Orient, dépensant dans l’opération plus d’un milliard de dollars. Au départ de cette base, l’US Air Force peut surveiller étroitement le Golfe Persique et tous les “États-voyous” d’Asie et d’Afrique du Nord qui n’ont pas encore trouvé la voie vers “la liberté, la paix et la démocratie”. Il y a douze ans, Hamad Al-Thani a fondé la chaîne de télévision Al-Djazeera. C’était indubitablement une chaîne respectable, animée par des journalistes professionnels et connue pour ses reportages dépourvus d’esprit partisan. Mais l’an passé, l’Émir, devenu totalement pro-américain, a transformé d’autorité cette chaîne en un porte-voix de la propagande américaine. La direction a été congédiée et remplacée par des Arabes pro-américains exilés et par des journalistes de la BBC. Elle est devenue une nouvelle “Voice of America”, costumée à la mode arabe. Elle diffuse désormais les dépêches mensongères habituelles qui stigmatisent les “scélérats” de la propagande américaine comme feu Kadhafi, Ahmadinedjad et Al-Assad, avec un zèle qui laisse pantois. Al-Djazeera est devenue la chaîne qui a inventé les images floues et vacillantes qui, par leur imprécision et leur “invérifiabilité” sont propices à toutes les formes d’agitprop. 

    ► Richard Melisch, zur Zeit n°16/2014. (tr. fr. : RS)

     

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    Le Qatar, champion du mensonge et de la dissimulation
     
    Entretien avec Majed Nehmé

    Qatar

    AFRIQUE-ASIE : Sans sponsors et en toute indépendance, à contre-courant des livres de commande publiés récemment en France sur le Qatar, Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget ont enquêté sur ce minuscule État tribal, obscurantiste et richissime qui, à coup de millions de dollars et de fausses promesses de démocratie, veut jouer dans la cour des grands en imposant partout dans le monde sa lecture intégriste du Coran. Un travail rigoureux et passionnant sur cette dictature molle : Le Vilain Petit Qatar — Cet ami qui nous veut du mal, Fayard, 300 p., 19 €, dont nous parle Jacques-Marie Bourget. Écrivain et ancien grand reporter dans les plus grands titres de la presse française, Jacques-Marie Bourget a couvert de nombreuses guerres : le Vietnam, le Liban, le Salvador, la guerre du Golfe, la Serbie et le Kosovo, la Palestine… C’est à Ramallah qu’une balle israélienne le blessera grièvement. Grand connaisseur du monde arabe et des milieux occultes, il publiait en septembre dernier avec le photographe Marc Simon, Sabra et Chatila, au cœur du massacre (éd. Érick Bonnier, voir Afrique Asie d’octobre 2012). Nicolas Beau a longtemps été journaliste d’investigation à Libération, au Monde et au Canard Enchainé avant de fonder et diriger le site d’information satirique français, Bakchich. info. Il a notamment écrit des livres d’enquêtes sur le Maroc et la Tunisie et sur Bernard-Henri Lévy.

    • Qu’est-ce qui vous a amenés à consacrer un livre au Qatar ?

    Le hasard puis la nécessité. J’ai plusieurs fois visité ce pays et en suis revenu frappé par la vacuité qui se dégage à Doha. L’on y a l’impression de séjourner dans un pays virtuel, une sorte de console vidéo planétaire. Il devenait intéressant de comprendre comment un État aussi minuscule et artificiel pouvait prendre, grâce aux dollars et à la religion, une telle place dans l’histoire que nous vivons. D’autre part, à l’autre bout de la chaîne, l’enquête dans les banlieues françaises faite par mon coauteur Nicolas Beau nous a immédiatement convaincus qu’il y avait une stratégie de la part du Qatar enfin de maîtriser l’islam aussi bien en France que dans tout le Moyen-Orient et en Afrique. D’imposer sa lecture du Coran qui est le wahhabisme, donc d’essence salafiste, une interprétation intégriste des écrits du Prophète. Cette sous-traitance de l’enseignement religieux des musulmans de France à des imams adoubés par le Qatar nous a semblé incompatible avec l’idée et les principes de la République. Imaginez que le Vatican, devenant soudain producteur de gaz, profite de ses milliards pour figer le monde catholique dans les idées intégristes de Monseigneur Lefebvre, celles des groupuscules intégristes qui manifestent violemment en France contre le « mariage pour tous ». Notre société deviendrait invivable, l’obscurantisme et l’intégrisme sont les meilleurs ennemis de la liberté.

    Sur ce petit pays, nous sommes d’abord partis pour publier un dossier dans un magazine. Mais nous avons vite changé de format pour passer à celui du livre. Le paradoxe du Qatar, qui prêche la démocratie sans en appliquer une seule once pour son propre compte, nous a crevé les yeux. Notre livre sera certainement qualifié de pamphlet animé par la mauvaise foi, de Qatar bashing… C’est faux. Dans cette entreprise nous n’avons, nous, ni commande, ni amis ou sponsors à satisfaire. Pour mener à bien ce travail, il suffisait de savoir lire et observer. Pour voir le Qatar tel qu’il est : un micro-empire tenu par un potentat, une dictature avec le sourire aux lèvres.

    • Depuis quelques années, ce petit émirat gazier et pétrolier insignifiant géopolitiquement est devenu, du moins médiatiquement, un acteur politique voulant jouer dans la cour des grands et influer sur le cours de l’Histoire dans le monde musulman. Est-ce la folie des grandeurs ? Où le Qatar sert-il un projet qui le dépasse ?

    Il existe une folie des grandeurs. Elle est encouragée par des conseillers et flagorneurs qui ont réussi à convaincre l’émir qu’il est à la fois un tsar et un commandeur des croyants. Mais c’est marginal. L’autre vérité est qu’il faut, par peur de son puissant voisin et ennemi saoudien, que la grenouille se gonfle. Faute d’occuper des centaines de milliers de kilomètres carrés dans le Golfe, le Qatar occupe ailleurs une surface politico-médiatique, un empire en papier. Doha estime que cette expansion est un moyen de protection et de survie.

    Enfin il y a la religion. Un profond rêve messianique pousse Doha vers la conquête des âmes et des territoires. Ici, on peut reprendre la comparaison avec le minuscule Vatican, celui du XIXe siècle qui envoyait ses missionnaires sur tous les continents. L’émir est convaincu qu’il peut nourrir et faire fructifier une renaissance de la oumma, la communauté des croyants. Cette stratégie a son revers, celui d’un possible crash, l’ambition emportant les rêves du Qatar bien trop loin de la réalité. N’oublions pas aussi que Doha occupe une place vide, celle libérée un temps par l’Arabie Saoudite impliquée dans les attentats du 11-Septembre et contrainte de se faire plus discrète en matière de djihad et de wahhabisme. Le scandaleux passe-droit dont a bénéficié le Qatar pour adhérer à la Francophonie participe à cet objectif de “wahhabisation” : en Afrique, sponsoriser les institutions qui enseignent la langue française permet de les transformer en écoles islamiques, Voltaire et Hugo étant remplacés par le Coran.

    • Cette mégalomanie peut-elle se retourner contre l’émir actuel ? Surtout si l’on regarde la brève histoire de cet émirat, créé en 1970 par les Britanniques, rythmée par des coups d’État et des révolutions de palais.

    La mégalomanie et l’ambition de l’émir Al-Thani sont, c’est vrai, discrètement critiquées par de “vieux amis” du Qatar. Certains, avançant que le souverain est un roi malade, poussent la montée vers le trône de son fils désigné comme héritier, le prince Tamim. Une fois au pouvoir, le nouveau maître réduirait la voilure, notamment dans le soutien accordé par Doha aux djihadistes, comme c’est le cas en Libye, au Mali et en Syrie. Cette option est même bien vue par des diplomates américains inquiets de cette nouvelle radicalité islamiste dans le monde. Alors, faut-il le rappeler, le Qatar est d’abord un instrument de la politique de Washington avec lequel il est lié par un pacte d’acier.

    Cela dit, promouvoir Tamim n’est pas simple puisque l’émir, qui a débarqué son propre père par un coup d’État en 1995, n’a pas annoncé sa retraite. Par ailleurs le premier ministre Jassim, cousin de l’émir, le tout-puissant et richissime “HBJ”, n’a pas l’intention de laisser un pouce de son pouvoir. Mieux : en cas de nécessité, les États-Unis sont prêts à sacrifier et l’émir et son fils pour mettre en place un “HBJ” dévoué corps et âme à Washington et à Israël. En dépit de l’opulence affichée, l’émirat n’est pas si stable qu’il y paraît. Sur le plan économique, le Qatar est endetté à des taux “européens” et l’exploitation de gaz de schiste est en rude concurrence, à commencer aux États-Unis.

    • La présence de la plus grande base américaine en dehors des États-Unis sur le sol qatari peut-elle être considérée comme un contrat d’assurance pour la survie du régime ou au contraire comme une épée de Damoclès fatale à plus ou moins brève échéance ?

    La présence de l’immense base Al-Udaï est, dans l’immédiat, une assurance vie pour Doha. L’Amérique a ici un lieu idéal pour surveiller, protéger ou attaquer à son gré dans la région. Protéger l’Arabie Saoudite et Israël, attaquer l’Iran. La Mecque a connu ses révoltes, la dernière réprimée par le capitaine Barril et la logistique française. Mais Doha pourrait connaître à son tour une révolte conduite par des fous d’Allah mécontents de la présence du “grand Satan” en terre wahhabite.

    • Ce régime, moderne d’apparence, est en réalité fondamentalement tribal et obscurantiste. Pourquoi si peu d’informations sur sa vraie nature ?

    Au risque de radoter, il faut que le public sache enfin que le Qatar est le champion du monde du double standard : celui du mensonge et de la dissimulation comme philosophie politique. Par exemple, des avions partent de Doha pour bombarder les taliban en Afghanistan alors que ces mêmes guerriers religieux ont un bureau de coordination installé à Doha, à quelques kilomètres de la base d’où décollent les chasseurs partis pour les tuer. Il en va ainsi dans tous les domaines, et c’est le cas de la politique intérieure de ce petit pays.

    Regardons ce qui se passe dans ce coin de désert. Les libertés y sont absentes, on y pratique les châtiments corporels, la lettre de cachet, c’est-à-dire l’incarcération sans motif, est une pratique courante. Le vote n’existe que pour nommer une partie des conseillers municipaux, à ceci près que les associations et partis politiques sont interdits, tout comme la presse indépendante… Une Constitution qui a été élaborée par l’émir et son clan n’est même pas appliquée dans tous ses articles. Le million et demi de travailleurs étrangers engagés au Qatar s’échinent sous le régime de ce que des associations des droits de l’homme qualifient « d’esclavage ». Ces malheureux, privés de leurs passeports et payés une misère, survivent dans les camps détestables sans avoir le droit de quitter le pays. Nombre d’entre eux, accrochés au béton des tours qu’ils construisent, meurent d’accidents cardiaques ou de chutes (plusieurs centaines de victimes par an).

    La “justice”, à Doha, est directement rendue au palais de l’émir, par l’intermédiaire de juges qui le plus souvent sont des magistrats mercenaires venus du Soudan. Ce sont eux qui ont condamné le poète Al-Ajami à la prison à perpétuité parce qu’il a publié sur Internet une plaisanterie sur Al-Thani ! Observons une indignation à deux vitesses : parce que cet homme de plume n’est pas Soljenitsyne, personne n’a songé à défiler dans Paris pour défendre ce martyr de la liberté. Une anecdote : cette année, parce que son enseignement n’était pas « islamique », un lycée français de Doha a tout simplement été retiré de la liste des institutions gérées par Paris.

    • Arrêtons là car la situation du droit au Qatar est un attentat permanent aux libertés.

    Pourtant, et l’on retombe sur le fameux paradoxe, Doha n’hésite pas, hors de son territoire, à prêcher la démocratie. Mieux, chaque année un forum se tient sur ce thème dans la capitale. Son titre, « New or restaured democracy » alors qu’au Qatar il n’existe de démocratie ni “new” ni “restaured”… Selon le classement de The Economist, justement en matière de démocratie, le Qatar est 136ème sur 157ème États, classé derrière le Bélarusse. Bizarrement, alors que toutes les bonnes âmes fuient le dictateur moustachu Loukachenko, personne n’éprouve honte ou colère à serrer la main d’Al-Thani. Et le Qatar, qui est aussi un enfer, n’empêche pas de grands défenseurs des droits de l’homme, notamment français, de venir bronzer, invités par Doha, de Ségolène Royal à Najat Vallaud-Belkacem, de Dominique de Villepin à Bertrand Delanoë.

    • Comment un pays qui est par essence antidémocratique se présente-t-il comme le promoteur des printemps arabes et de la liberté d’expression ?

    Au regard des “printemps arabes”, où le Qatar joue un rôle essentiel, il faut observer deux phases. Dans un premier temps, Doha hurle avec les peuples justement révoltés. On parle alors de “démocratie et de liberté”. Les dictateurs mis à terre, le relais est pris par les Frères musulmans, qui sont les vrais alliés de Doha. Et on oublie les slogans d’hier. Comme on le dit dans les grandes surfaces, “liberté et démocratie” n’étaient que des produits d’appel, rien que de la “com'”.

    Si l’implication du Qatar dans les “printemps” est apparue comme une surprise, c’est que la stratégie de Doha a été discrète. Depuis des années l’émirat entretient des relations très étroites avec des militants islamistes pourchassés par les potentats arabes, mais aussi avec des groupes de jeunes blogueurs et internautes auxquels il a offert des stages de “révolte par le Net”. La politique de l’émir était un fusil à deux coups. D’abord on a envoyé au “front” la jeunesse avec son Facebook et ses blogueurs, mains nues face aux fusils des policiers et militaires. Ceux-ci défaits, le terrain déblayé, l’heure est venue de mettre en poste ces islamistes tenus bien au chaud en réserve, héros sacralisés, magnifiés en sagas par Al-Jazeera.

    • Comment expliquez-vous l’implication directe du Qatar d’abord en Tunisie et en Libye, et actuellement en Égypte, dans le Sahel et en Syrie ?

    En Libye, nous le montrons dans notre livre, l’objectif était à la fois de restaurer le royaume islamiste d’Idriss tout essayant de prendre le contrôle de 165 milliards, le montant des économies dissimulées par Kadhafi. Dans le cas de la Tunisie et de l’Égypte, il s’agit de l’application d’une stratégie froide du type “redessinons le Moyen-Orient”, digne des “néocons” américains. Mais, une fois encore, ce n’est pas le seul Qatar qui a fait tomber Ben Ali et Moubarak ; leur chute a d’abord été le résultat de leur corruption et de leur politique tyrannique et aveugle.

    Au Sahel, les missionnaires qataris sont en place depuis cinq ans. Réseaux de mosquées, application habile de la zaqat, la charité selon l’islam, le Qatar s’est taillé, du Niger au Sénégal, un territoire d’obligés suspendus aux mamelles dorées de Doha. Plus que cela, dans ce Niger comme dans d’autres pays pauvres de la planète le Qatar a acheté des centaines de milliers d’hectares transformant ainsi des malheureux affamés en “paysans sans terre”. À la fin de 2012, quand les djihadistes ont pris le contrôle du Nord-Mali, on a noté que des membres du Croissant-Rouge qatari sont alors venus à Gao prêter une main charitable aux terribles assassins du Mujao…

    La Syrie n’est qu’une extension du domaine de la lutte avec, en plus, une surenchère : se montrer à la hauteur de la concurrence de l’ennemi saoudien dans son aide au djihad. Ici, on a du mal à lire clairement le dessein politique des deux meilleurs amis du Qatar, les États-Unis et Israël, puisque Doha semble jouer avec le feu de l’islamisme radical…

    • Le Fatah accuse le Qatar de semer la zizanie et la division entre les Palestiniens en soutenant à fond le Hamas, qui appartient à la nébuleuse des Frères musulmans. Pour beaucoup d’observateurs, cette stratégie ne profite qu’à Israël. Partagez-vous cette analyse ?

    Quand on veut évoquer la politique du Qatar face aux Palestiniens, il faut s’en tenir à des images. Tzipi Livni, qui fut avec Ehud Barak la cheville ouvrière, en 2009, de l’opération Plomb durci sur Gaza — 1 500 morts — fait régulièrement ses courses dans les malls [centres commerciaux] de Doha. Elle profite du voyage pour dire un petit bonjour à l’émir. Un souverain qui, lors d’une visite discrète, s’est rendu à Jérusalem pour y visiter la dame Livni… Souvenons-nous du pacte signé d’un côté par HBJ et le souverain Al-Thani et de l’autre les États-Unis : la priorité est d’assister la politique d’Israël. Quand le “roi” de Doha débarque à Gaza en promettant des millions, c’est un moyen d’enferrer le Hamas dans le clan des Frères musulmans pour mieux casser l’unité palestinienne. C’est une politique pitoyable. Désormais, Mechaal, réélu patron du Hamas, vit à Doha dans le creux de la main de l’émir. Le rêve de ce dernier — le Hamas ayant abandonné toute idée de lutte — est de placer Mechaal à la tête d’une Palestine qui se situerait en Jordanie, le roi Abdallah étant déboulonné. Israël pourrait alors s’étendre en Cisjordanie. Intéressante politique-fiction.

    • Le Qatar a-t-il “acheté” l’organisation de la Coupe du monde football en 2022 ?

    Un grand et très vieil ami du Qatar m’a dit : « Le drame avec eux, c’est qu’ils s’arrangent toujours pour que l’on dise “cette fois encore, ils ont payé !” ». Bien sûr, il y a des soupçons. Remarquons que les fédérations sportives sont si sensibles à la corruption que, avec de l’argent, acheter une compétition est possible. On a connu cela avec des jeux Olympiques étrangement attribués à des outsiders…

    Dans le conflit frontalier entre le Qatar et le Bahreïn, vous révélez que l’un des juges de la Cour internationale de justice de La Haye aurait été acheté par le Qatar. L’affaire peut-elle être rejugée à la lumière de ces révélations ?

    Un livre — sérieux celui-là — récemment publié sur le Qatar évoque une manipulation possible lors du jugement arbitral qui a tranché le conflit frontalier entre le Qatar et Bahreïn. Les enjeux sont énormes puisque, sous la mer et les îlots, se trouve du gaz. Un expert m’a déclaré que cette révélation pouvait être utilisée pour rouvrir le dossier devant la Cour de La Haye…

    • Les liaisons dangereuses et troubles entre la France de Sarkozy et le Qatar se poursuivent avec la France de Hollande. Comment expliquez-vous cette continuité ?

    Parler du Qatar, c’est parler de Sarkozy, et inversement. De 2007 à 2012, les diplomates et espions français en sont témoins, c’est l’émir qui a réglé la “politique arabe” de la France. Il est amusant de savoir aujourd’hui que Bachar al-Assad a été l’homme qui a introduit la “sarkozie” auprès de celui qui était alors son meilleur ami, l’émir du Qatar. Il n’y a pas de bonne comédie sans traîtres. Kadhafi était, lui aussi, un grand ami d’Al-Thani et c’est l’émir qui a facilité l’amusant séjour du colonel et de sa tente à Paris. Sans évoquer les affaires incidentes, comme l’épopée de la libération des infirmières bulgares. La relation entre le Qatar et Sarkozy a toujours été sous-tendue par des perspectives financières. Aujourd’hui Doha promet d’investir 500 millions de dollars dans le fonds d’investissement que doit lancer l’ancien président français à Londres. Échange de bons procédés, ce dernier fait de la propagande ou de la médiation dans les aventures, notamment sportives, du Qatar.

    François Hollande, par rapport au Qatar, s’est transformé en balancier. Un jour le Qatar est « un partenaire indispensable », qui a sauvé dans son fief de Tulle la fabrique de maroquinerie le Tanneur, le lendemain, il faut prendre garde de ses amis du djihad. Aucune politique n’est fermement dessinée et les diplomates du Quai-d’Orsay, nommés sous Sarkozy, continuent de jouer le jeu d’un Doha qui doit rester l’ami numéro 1. En période de crise, les milliards miroitants d’Al-Thani impliquent aussi une forme d’amitié au nom d’un slogan faux et ridicule qui veut que le Qatar « peut sauver l’économie française »… La réalité est plus plate : tous les investissements industriels de Doha en France sont des échecs… Reste le placement dans la pierre, vieux bas de laine de toutes les richesses. Notons là encore un pathétique grand écart : François Hollande a envoyé son ministre de la Défense faire la quête à Doha afin de compenser le coût de l’opération militaire française au Mali, conduite contre des djihadistes très bien vus par l’émir.

    ► Majed Nehmé, Afrique-Asie, avril 2013.

     

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    QatarLe Qatar démasqué

    Financement de la droite israélienne, soutien au terrorisme, déstabilisation des pays arabes et … achat de la Coupe du Monde

    [Ci-contre : Ehud Olmert, ancien Premier ministre israélien (à g.) et Hamad ben Khalifa al-Thani, émir du Qatar (à d.) le 23 octobre 2012]

    Selon l’ancienne chef de la diplomatie israélienne, l’Émirat a financé les campagnes du Likoud, du Premier ministre Benjamin Netanyahu, et Israël Beïtenou du ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liebermann.

    Qui sème la “révolution”, récolte le chaos. L’Émirat du Qatar, véritable parrain des pseudos “printemps arabes”, vient d’être piégé par ses propres manigances. Ce minuscule État, qui aurait pu s’appeler “Al Jazeera” — cette chaîne de télévision qui continue d’attiser le feu de la discorde dans les pays arabes — ne recule devant rien. Il est même prêt à s’allier avec le diable et à sacrifier les causes nobles pour s’arroger le leadership du Monde arabe.

    Après le scandale de “l’achat” de la Coupe du Monde 2022, révélé il y a moins d’une semaine par le magazine France Football, c’est au tour de l’ancienne ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, de jeter un autre pavé dans la mare, en soulevant littéralement le “Kamis” de l’émir du Qatar. S’exprimant sur une chaîne de télévision israélienne, juste après les législatives emportées par le Likoud de Benyamin Netanyahu, “l’amie” de Cheikha Moza, a affirmé sur un plateau de télévision, en Israël, que le Qatar a financé, lors des dernières élections législatives, les campagnes du Likoud du Premier ministre, Benjamin Netanyahu, et Israël Beïtenou du ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liebermann.

    Les deux responsables israéliens auraient empoché, respectivement 3 millions et 2,5 millions de dollars. Selon la responsable du parti Kadima, certains hauts responsables « commettent une grave erreur, car nous apparaissons dans le monde comme des voleurs de grand chemin ». Pour elle, « le Qatar est un pays ami et je suis personnellement très amie avec Madame Moza, mais il s’agit de notre État et de notre démocratie qu’il ne faut pas discréditer dans le monde ». Le plus curieux dans tout cela, est que les deux formations sont connues pour leur hostilité au Monde arabe. D’autant plus qu’elles prônent une intense vague de colonisation, tout en s’opposant à la création d’un État palestinien indépendant. Quelle en est donc la contrepartie ? Selon des sources concordantes, Doha aurait obtenu des deux partis d’extrême droite israélienne, la création, sous réserve de leur élection, d’une fédération jordano-palestinienne, présidée par le mouvement Hamas. Un vieux “projet” remis au goût du jour, à la faveur de l’éclatement du Monde arabe.

    Ce qui est d’autant plus curieux c’est le fait que les autorités qataries n’ont pas réagi aux déclarations de Livni, alors que du côté de la presse occidentale, c’est le silence radio. L’objectif est donc, somme toute, clair : il s’agit pour l’Occident de faire de l’Émirat du Qatar un sous-traitant de ses desseins de déstabilisation et d’atomisation du Monde arabe. Leur principal objectif est la mise en œuvre du projet du Grand Moyen-Orient, revu et corrigé, par l’installation, de petits États théocratiques, sans objectifs, ni assise démocratique.

    De fait, la “bombe” lâchée par Livni, confirme les grands soupçons qui pèsent sur cet émirat de moins de 500.000 habitants, devenu ces derniers temps le financier de la mort de l’Occident dans les quatre coins du monde, notamment dans le monde arabo-musulman. Ce qui se passe aujourd’hui en Égypte, en Tunisie, en Libye, en Syrie… et même dans le Sahel, répond à un plan de déstabilisation prédéfini pour plonger ces pays dans les ténèbres du Moyen âge, avec des fetwas “grassement” financées par l’Émirat de Cheikh Hamad.

    Sur un autre chapitre, et en plus des révélations de France Football concernant les “magouilles” ayant présidé à l’octroi de l’organisation de la Coupe du Monde 2022 au Qatar, le journal français, Le Canard enchaîné a révélé, il y a six mois, documents à l’appui, que le Qatar finance le Mujao et autres groupes terroristes au nord du Mali. Comme il l’a également fait en Libye en soutenant les rebelles islamistes qui continuent de mettre le pays à feu et à sang. L’émir Hamad n’a-t-il pas déclaré en personne que le Qatar finance les rebelles syriens et tous les mercenaires islamistes qui viennent de tous les pays arabes combattre en Syrie. Ainsi, et au lieu de venir à la rescousse des populations palestiniennes, notamment ces enfants de Ghaza victimes des raids meurtriers israéliens, le Qatar apporte son soutien à l’extrême droite israélienne, celle-là même qui affiche sa haine viscérale aux Arabes et à la création d’un État palestinien indépendant.

    D’ailleurs, la visite du cheikh Hamad Bin Khalifa à Ghaza, quelques jours avant le raid israélien, a été mal perçue par le mouvement Fatah. « Cette visite n’est pas la bienvenue, parce qu’elle vise à consacrer la division et la séparation entre la Cisjordanie et la bande de Ghaza ».

    Cette visite ne sert que l’entité sioniste selon le Fplp, qui rappelle que « le sang des milliers d’enfants syriens, libyens et yéménites versé à cause des fonds et des médias qataris ne permettra pas à ce visiteur de redorer son blason ». Ce qui a conforté le deal relevé par Tzipi Livni, concernant la création d’une fédération jordano-palestinienne. Les masques sont tombés.

    ► Louni Arezki, L'Expression (Algérie), fév. 2013.

     

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    Le Qatar entre le Canal de Suez et l’axe Le Caire-Téhéran

     

    Qatar

     

    Oui, que veut le Qatar ? Quelle est sa politique, quel est sont but, quels sont ses buts ? Chaque fois l’on croit avoir compris, que ce minuscule émirat croulant sous des tonnes de $milliards a bel et bien une stratégie, qu’il complote, qu’il sait où il va, qu’il achète tout le monde dans un but si précis qu’il brille comme une montagne d’or. Puis, quelque chose de nouveau surgit, dont on s’avise un peu gêné, qu’il pourrait bien s’agir d’une contradiction. Aujourd’hui, la situation à cet égard a des aspects rocambolesques. Les commentateurs eux-mêmes, et parmi les plus avisés, les plus aptes à manier ou manipuler l’information et le reste dans le sens des interprétations les plus audacieuses, commencent à faire de ces contradictions elles-mêmes, sans plus les dissimuler, et finalement de ce qui constitue le mystère qatari, le sujet de leurs articles. En voici deux exemples édifiants.

    • Commençons par quelques observations complètement et ingénument étonnés de Mohammad Hisham Abeih, de As Safir, le quotidien libanais indépendant de gauche, toujours bien informé… Ce 10 janvier 2013, le sujet de l’article de Mohammad Hisham Abeih, c’est la visite Premier ministre du Qatar en Égypte… Et l’article se termine par la même question qui semble l’avoir justifié, — question sans réponse, au début comme à la fin de l’article… « The question remains : What does Qatar want from Egypt other than extended economic power and influence in political decision-making ?» Il y a dans l’article diverses précisions sur la puissance d’Al Jazeera et, surtout, la présence massive de Frères Musulmans, spécifiquement égyptiens, dans la rédaction de la TV qatari, ce qui correspond à un curieux renversement de l’influence qatari en Égypte qui est partout affirmée. (« Specifically, many leading figures at Al Jazeera news are Brotherhood-affiliated Egyptians. […] In addition, Brotherhood guests and loyalists dominate most of the channel’s programs tackling Egyptian political affairs »). Il y a enfin le compte-rendu un peu étonnant de la conférence de presse du 9 janvier au Caire, avec les deux premiers ministres (égyptien et qatari), où fut chaudement débattu le projet prêté au Qatar d’acquérir sous forme de location pour 99 ans rien de moins que… le Canal de Suez.

    « The press conference held yesterday [Jan. 9], after Qatari Prime Minister Hamad bin Jassim Al Thani met with Morsi and Egyptian Prime Minister Hisham Qandil, was heated. Hamad found himself having to respond to questions and accusations regarding Qatar's role in Egypt’s political and economic affairs. He said that “Egypt is too great to be dominated by anyone.” Hamad said that if the right to vote in a parliamentary or presidential election in Egypt was granted to everyone in Qatar, the outcome would not be affected. Hamad was referring to Qatar's small population (1.6 million people including expatriates, compared to 90 million in Egypt).

    However, the impact that Egyptians worry about has absolutely nothing to do with Qatar's population, but with money and influence. It was recently rumored that Qatar intended to acquire the Suez Canal in a gradual deal, beginning with developing the canal and managing a few facilities as a prelude to granting it a concession for a period of 99 years. That is about the same period obtained by French adventurer Ferdinand de Lesseps, who persuaded the governor of Egypt, Muhammad Said Pasha, to develop the canal in the mid-nineteenth century.

    Talk about the Suez Canal was initially brought up by former presidential candidate Ahmed Shafiq at the height of his campaign during the presidential election run-off last June. The issue was dealt with lightly by the Muslim Brotherhood, but resonated within the opposition, especially after multiple visits were made by Qatari officials to Egypt, most notably by Emir Sheikh Hamad bin Khalifa Al Thani and Prime Minister Hamad. There were also rumors that Qatar’s Director of Intelligence Ahmed Bin Thani made a secret visit to Egypt last May, where he allegedly met with Brotherhood leader Mohammed Badie. The group’s denial of the news did not stop its spread.

    So the Qatari prime minister found himself obliged to answer a question about Qatar’s intentions regarding the Suez Canal. He said that all talk about this matter is a mere joke, and that there are no Qatari projects concerning the canal, which he considered to have a special Egyptian heritage. »

    • Alors, le Qatar veut-il, d’une certaine façon, acheter l’Égypte ? C’est peut-être ce qu’ont pu croire, en s’en réjouissant, les USA et Israël… Mais voici, sous la forme d’un rapport de DEBKAFiles du 14 janvier 2013, confirmé pour la part qui concerne le voyage d’un émissaire du Pentagone au Caire par certaines rumeurs venues de Washington, un autre son de cloche sous la forme de cette courte phrase : « Both Washington and Jerusalem are baffled by Qatar’s inconsistency… » Dans ce rapport de DEBKAFiles, on y voit le Qatar, ami fidèle des USA abritant le quartier-général de la Vème Flotte, principal soutien des rebelles syriens et donc ennemi juré de l’Iran, apprécié également par Israël, soudain décrit comme entremetteur zélé entre l’Égypte et… l’Iran, tout cela concrétisé par des visites iranienne au Caire, notamment celle, secrète, du chef des Gardiens de la Révolution. Il est vrai que le sous-secrétaire à la défense US pour le renseignement, Michael Vickers, qui venait au Caire au début du mois pour organiser la coopération israélo-égyptienne anti-terroriste dans le Sinaï, s’est heurté au désintérêt le plus complet des Égyptiens, tout entiers mobilisés pour les suites de la visite du général iranien Soleimani en attendant celle du ministre iranien des affaires étrangères, avec la bénédiction du Qatar…

    « However, according to our sources, Vickers’ mission to reactivate the Libyan and Sinai fronts against Islamist terror ran into a spirit of non-collaboration in Cairo. He found Egyptian leaders immersed in a process of rapprochement with Tehran brokered by Qatar, and was told that fighting the terrorist networks rampant in Sinai was not exactly convenient at that moment. Instead, they were busy entertaining distinguished Iranian guests. DEBKAfile’s intelligence sources report the first was Revolutionary Guards Al Qods Brigades commander, Gen. Qassem Soleimani, who paid a secret visit to Cairo last month, followed last Wednesday, Jan. 11, by Iran’s Foreign Minister Ali Akhbar Salehi. It seems that President Mohamed Morsi has become a fan of Gen. Soleimani. He was deeply impressed by the feat he masterminded of keeping Syrian ruler Bashar Assad in power against all odds. The Iranian general was invited to Cairo to give Egypt’s Muslim Brotherhood expert advice on keeping their regime safe from internal and external conspiracies.

    Washington was disturbed most of all to discover that Qatar was the live wire which egged Cairo on to open up to friendship with Tehran. The Qataris oiled the works by promising cash-strapped Egypt a long-term loan of $2 billion on top of the first like amount extended last year. Both Washington and Jerusalem are baffled by Qatar’s inconsistency — on the one hand, robustly supporting the Syrian rebellion for the overthrow of Bashar Assad, Tehran’s closest ally, while furthering Iran’s drive to win over Egypt’s Muslim Brotherhood and expand its influence in the Arab world, on the other. How does this square with the new pro-US Sunni Muslim axis including Egypt, Qatar and Turkey, which American diplomats negotiated along with the Gaza ceasefire deal in November ? Could Qatar be playing a double game by building a second bloc along with Egypt and Iran ?

    Qatar’s motivations are vitally important to Israel because its rulers are already spreading tentacles smoothed by heavy cash infusions deep into the Palestinian power centers of Gaza and the West Bank. By working for détente with Iran, Egypt and Qatar could end up opening the Palestinian back door for Tehran to walk through in both territories. This prospect was behind Prime Minister Binyamin Netanyahu’s recent warnings that Hamas could land with both feet in the West Bank in a matter of days. »

    Ainsi, oui, certes, — que veut le Qatar ? Encore plus de savoir si le Qatar joue double jeu, on aimerait savoir quel double jeu joue le Qatar ? Et si ce double jeu n’est pas éventuellement triple ? Et ainsi de suite… Certes, l’“Orient compliqué”, mais lorsque cet “Orient compliqué” s’accompagne des $milliards et de la dialectique en narrative et en boucle du bloc BAO, cette complication, devient ivresse ; et lorsque la sensation est celle d’une situation générale que plus personne le contrôle, où toutes les initiatives sont permises, où plus aucune règle de légitimité, d’autorité internationale ne semble prévaloir ni même s’imposer, l’ivresse devient vertige… Il nous paraît donc inutile de vouloir éventuellement avancer l’amorce d’une esquisse d’explications pour les divers faits rapportés ci-dessus, par rapport à ce que l’on sait des diverses aventures du “printemps arabe” et du Qatar. Il nous suffit de constater que la “politique extérieure” du Qatar tend à se “diversifier” dans le sens du désordre, lequel touche d’bord ceux qui pensaient pouvoir s’appuyer sur sa puissance financière et sa puissance d’influence pour faire progresser certaines causes et certains desseins précis.

    Notre appréciation du Qatar, comme on a pu le lire dans nos Notes d’analyse le 23 octobre 2012, est qu’il s’agit d’une puissance absolument créé par le Système… (« “Avatar” certes, monstre, avorton, Frankenstein, tout cela va très bien après tout… Avec le Qatar tel qu’il est devenu en 2012 à cause de son rôle dans le Système, nous découvrons une nouvelle sorte d’entité monstrueuse… […] Le Qatar et son aventure constituent effectivement un exemple archétypique de l’activité du Système, avec le Qatar devenu lui-même dans son développement des quelques dernières années une parfaite émanation du Système. La rapidité des changements d’orientation de son destin est remarquable, et mesure la puissance de l’activité du Système et des effets que cette activité engendre »). Dans les mêmes Notes, nous estimions encore, en conclusion à propos du destin du Qatar :

    « Sans légitimité et sans autre substance que cette charge de puissance négative et dissolvante qu’est devenu l’argent dans le cadre de l’activisme fou du Système, le Qatar est parvenue au sommet de la courbe de son activité de surpuissance devant laquelle tous les pays du bloc BAO s’inclinent avec respect. Dans la logique même de la dynamique qu’on connaît bien désormais, le processus d’autodestruction ne devrait pas tarder à porter tous ses fruits, et l’on peut d’ores et déjà considérer que les avatars rencontrés par les ambitions syriennes du Qatar en sont les premiers… »

    Manifestement, nous étions courts et un peu modestes, notamment en nous cantonnant aux seules affaires syriennes et à leur course éventuellement classique. L’“autodestruction”, dans ce cas, entre dans le cadre de l’évolution du Système lui-même et peut prendre, et prend le plus souvent bien entendu, la forme du désordre ; c’en est même la marque la plus évidente, avec les “vertus” de déstructuration et de dissolution que le désordre charrie avec lui et répand autour de lui… Dans ce cas, effectivement, le plus remarquable dans l’actuelle courbe du Qatar telle qu’elle nous est présentée au travers de ces différents exemples, c’est de voir combien l’avancement de surpuissance de cette entité est de plus en plus marquée par le désordre, avec des initiatives allant dans tous les sens et relevant des appréciations immédiates et des occasions de l’instant, sans souci de cohérence et de cohésion, sans souci du désarroi que tout cela entraîne dans les autres pays, — y compris et surtout, chez les “amis” et les “alliés”.

    Le Qatar assume sa surpuissance de création du Système, et la paye par l’absence de légitimité qui est la source conjoncturelle (“conjoncturelle” dans ce cas particulier) du processus d’autodestruction, tout cela produisant effectivement une politique extérieure conquérante et de plus en plus désordonnée, qui finit par entraîner ses meilleurs “amis” et “alliés” dans l’incompréhension et le vertige des initiatives contradictoires. Les autres, ceux qui sont d’abord catalogués selon des jugements un peu sommaires dans la catégorie des “ennemis” et des “vassaux”, comme l’Iran et l’Égypte, peuvent et doivent espérer profiter de certaines opportunités, quand l’occasion s’en présente, lors de soubresauts divers de la politique qatari, comme on le voit avec l’Iran et l’Égypte, mais en gardant à l’esprit la fragilité des processus et en favorisant évidemment leurs propres intérêts. (Dans le cas précis, sur le terme et même très rapidement, il apparaît que, malgré l’actuelle forme des relations, des pays comme l’Égypte et l’Iran, à la légitimité affirmée, ont bien plus de chance de tirer leur épingle du jeu dans ce tourbillon dont le Qatar est le centre et le moteur, que le Qatar lui-même, certes, qui apparaît plus que jamais comme un pion ou une sorte d’électron libre, un agitateur du Système…) Finalement, tout s’inscrit d’une façon logique dans le schéma général de la politique-Système et de ses caractères si extraordinaires, si contradictoires.

    Dedefensa.org, janv. 2013.

     

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    Enquête : Pourquoi la France ouvre-t-elle ses portes au Qatar ?

    QatarSous Sarkozy comme avec Hollande, le richissime émirat dispose des mêmes facilités pour racheter des pans entiers de notre économie. Que signifie l’appétit d’ogre de ce petit pays ? Pourquoi Paris lui ouvre-t-il ses portes ? Enquête.

    [Ci-contre : François Hollande reçoit l'émir du Qatar, Sheikh Hamad bin Khalifa Al Thani, à l’Élysée, août 2012. © Nicolas Datiche / Sipa Press]

    La dépêche, stupéfiante, est tombée le 6 novembre dernier : l’ambassadeur du Qatar, Mohamed Jaham al-Kuwari, annonçait à l’Agence France-Presse que son pays avait l’intention d’investir 10 milliards d’euros dans des sociétés du CAC 40. Répondant au journaliste qui évoquait quelques rares déclarations de personnalités qui, comme Bernard-Henri Lévy, Jean-Luc Mélenchon ou Julien Dray, ont manifesté leur inquiétude sur l’influence du Qatar en France, l’ambassadeur a conclu l’interview par une formule aussi ironique qu’arrogante : « C’est quoi, le problème ? ». En effet, il n’y a, apparemment, aucun problème. Apprendre que le fonds souverain qatari va presque doubler le montant de ses participations dans le CAC 40 ne pose aucun problème au gouvernement ni à l’opposition. Organiser la Coupe du monde de football dans un pays où ce sport n’intéresse personne et va nécessiter la construction de stades munis de sols réfrigérants pour pouvoir supporter des températures à 45° C (bonjour Kyoto !), ça n’interpelle personne dans le monde du sport — pas même Michel Platini —, ni dans celui de l’écologie, surtout pas Yann Arthus-Bertrand. Coïncidence : son dernier film a été financé par des Qataris… Savoir que des Qataris pourraient sélectionner des entrepreneurs de banlieue sur une base communautariste n’inquiète pas grand monde. Installer une annexe de Normale Sup à Doha, ville où l’on est payé 400 dollars ou 12.000 selon la couleur de sa peau, ne dérange personne, et surtout pas Monique Canto-Sperber, présidente du pôle interuniversitaire Paris Sciences et Lettres et Philosophe spécialiste de “l’éthique”.  Qu’enfin la France impose à tous ses partenaires l’admission directe du Qatar au sein de la francophonie, sans passer par la case “observateur”, comme l’exigeaient les usages jusqu’alors, cela n’ennuie pas grand monde non plus.

    À Doha, on appelle ça le “français sonnant et trébuchant”. Mais, à Paris, le silence est de rigueur. Depuis des années. On peut même dater l’origine de l’amitié franco-qatarie : le premier voyage de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, à Doha, en décembre 2005. Sarkozy s’est lié d’amitié avec le Premier ministre qatari, Hamad ben Jassem al-Thani, “HBJ” pour les intimes, au risque de mélanger les genres. Lorsqu’il arrive à l’Élysée, Sarkozy prend l’habitude de recevoir tous les mois “HBJ”. Au menu des discussions, les emplettes en France du fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA). Selon un patron du CAC 40, « Guéant avait une liste de courses pour les Qataris. On avait l’impression que l’Élysée leur donnait à racheter la France ». C’est durant le quinquennat Sarkozy que le Qatar est entré dans le capital de plusieurs groupes du CAC 40. Le président a même donné de sa personne, en faisant pression sur le président du PSG, Sébastien Bazin, gérant du fonds Colony Capital, pour lui demander de vendre le PSG selon les conditions du Qatar. Bazin proposait aux Qataris 30 % du club de foot parisien pour 30 millions d’euros. Après l’intervention présidentielle, ils en ont récupéré 70 % pour 40 millions (ils en sont désormais propriétaires à 100 %).

    Convention fiscale

    Mais le sport n’est qu’une conséquence d’une orientation stratégique prise à l’Élysée. C’est sous l’ère Sarkozy que le Qatar s’est imposé — sans provoquer un quelconque débat, même au sein du gouvernement Fillon — comme un médiateur de la diplomatie française au Proche et au Moyen-Orient : intervention financière pour libérer les infirmières Bulgares en Libye (juillet 2007), aide au rapprochement entre Nicolas Sarkozy et Bachar al-Assad, puisque, avant d’aider les combattants, le Qatar était un allié solide du régime baasiste.  Et, bien sûr, plus récemment, le Qatar, seul pays arabe à le faire, a participé — financement de l’armement, formation des combattants libyens et même présence de 5.000 hommes des forces spéciales — à l’intervention militaire occidentale contre Kadhafi. 

    La puissance grandissante du Qatar en France semble stimulée par la faiblesse de nos responsables politiques, déboussolés par la crise mondiale et appâtés, parfois, par les largesses supposées de ce petit pays. Ami personnel de la famille de l’émir, Dominique de Villepin, aujourd’hui avocat d’affaires, a pour principal client le Qatar Luxury Group, fonds d’investissement personnel de la cheikha Mozah bint Nasser al-Missned. À droite, parmi les habitués de Doha, on trouve aussi Philippe Douste-Blazy, Rachida Dati ou Hervé Morin.

     

    Dans les milieux diplomatiques français, cette politique du “tout-Qatar” agaçait certains, qui espéraient que François Hollande, réputé partisan d’un resserrement des liens avec l’Algérie, allait en quelque sorte “rééquilibrer” la politique française dans la région. Certes, François Hollande s’est rendu en Algérie le 19 décembre. Mais il avait vu le Premier ministre de l’émirat, Hamad ben Jassem al-Thani, dans un palace parisien dès le début de 2012. Les deux hommes s’étaient d’ailleurs déjà rencontrés une première fois en 2006, François Hollande le recevant en tant que premier secrétaire du PS. Depuis son élection, il l’a revu à deux reprises, et a accueilli l’émir Hamad ben Khalifa al-Thani à l’Élysée, le 22 août 2012. Un traitement privilégié.

    Autre signe de continuité, l’entrée d’investisseurs qataris au capital de France Télécom en juin 2012… « Les gouvernements passent, mais les intérêts demeurent. Les accords financiers entre la France et le Qatar n’ont pas été interrompus, remarque le chercheur Nabil Ennasri, Hollande a seulement mis un terme à l’affichage publicitaire façon Sarkozy ». Incroyable : la convention fiscale entre les deux pays — une sacrée niche fiscale qui dispense un investisseur qatari de tout impôt sur les plus-values réalisées sur la revente de biens immobiliers en France —, qui avait été tant décriée par le PS (du temps de l’opposition), n’a pas été abrogée…

    Il faut dire que, même sous Sarkozy, les Qataris ont eu la prudence de créer ou de maintenir des liens solides avec la gauche française. L’ambassadeur du Qatar en France, Mohamed Jaham al-Kuwari, a préparé la transition politique de longue date en multipliant les contacts avec plusieurs dirigeants socialistes : Ségolène Royal, Laurent Fabius, Élisabeth Guigou, Jack Lang, Bertrand Delanoë, Martine Aubry, mais aussi Pierre Moscovici, Arnaud Montebourg, qui a séjourné à Doha en pleine campagne de la primaire socialiste, ou encore Manuel Valls, seul émissaire du candidat à avoir rencontré l’émir en décembre 2011.

    Sous nos latitudes tempérées, le Qatar est un sujet de consensus. Jusque dans les médias, où il est devenu le pays des Bisounours. Comme dans l’émission Un œil sur la planète, diffusée sur France 2 l’automne dernier, le présentant comme un nouvel eldorado, terre d’accueil de tous les ambitieux et les entrepreneurs. Ou encore dans une interview de l’ambassadeur de France au Qatar publiée dans la revue Géoéconomie (1). Le diplomate s’enthousiasme d’abord sur les perspectives de coopération entre les deux pays, faisant miroiter aux groupes français la perspective des 120 milliards mobilisés en vue de la Coupe du monde de football en 2022. Autant de beaux contrats pour Bouygues, Vinci, Carrefour et quelques autres. Mais l’ambassadeur y ajoute le supplément d’âme indispensable aux esprits délicats que nous sommes supposés demeurer : le printemps arabe aurait ainsi révélé — comme l’a reconnu lui-même François Hollande — d’importantes convergences entre les deux pays. L’honneur est sauf.

    Feuilletons le dossier de presse « Qatar en France ». Il s’y dessine peu à peu un véritable storytelling qatari, que l’on pourrait résumer comme suit : le Qatar est un nanopays richissime — 78.260 dollars de revenu par Qatari en 2009, ça fait rêver — mais coincé entre deux géants, l’Iran, avec lequel il doit partager le gisement de gaz North Dome, l’un des plus grands du monde, et l’Arabie saoudite, 14 fois plus peuplée et disposant d’avoirs neuf fois supérieurs. Cette fragilité obligerait les Qataris à se montrer à la fois plus intelligents et plus diplomates que leurs voisins. Ils chercheraient ainsi une “assurance vie” — l’expression revient chez tous nos interlocuteurs — et seraient prêts à signer des chèques XXL à ceux qui sont susceptibles de lui garantir une protection. La France, avec son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, constitue son meilleur allié. Autre argument en faveur des Qataris, leurs investissements sont jugés “très professionnels”. Leur charte, Vision nationale pour le Qatar 2030, adoptée en 2008, prévoit que les revenus des placements des fonds souverains qataris se substitueront à ceux du gaz.

    Il faudrait donc se réjouir, s’enthousiasme Patrick Arnoux, du Nouvel Économiste (2), de leur intérêt pour nos grands groupes : « L’entreprise Qatar, dirigée d’une main ferme par le cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, investit certes par milliards sur des actifs qui ont trois points communs : ils sont unitairement importants, prometteurs pour l’avenir et à forte rentabilité ». Et de vanter les financiers qataris, « issus des meilleures banques américaines comme Lehman Brothers » (curieux, cet éloge d’une banque qui a fait faillite en 2008, déclenchant la crise dans laquelle nous pataugeons encore !). Et puis, nous assurent tous ces amis français des Qataris, ces derniers ne sont ni gourmands ni exhibitionnistes ; excepté chez Lagardère, ils n’exigent pas de siéger dans les conseils d’administration des sociétés dont ils deviennent actionnaires.

    Une alternative aux Saoudiens

    Riches en capitaux disponibles, respectueux de l’indépendance de leurs partenaires, les Qataris sont aussi, nous dit-on, modernes. Leur nouvelle constitution donne aux 200.000 Qataris le droit d’élire des représentants locaux qui pourront même être des femmes (au sein d’une chambre cependant strictement consultative). La chaîne Al-Jazira, qu’ils ont créée en 1996, présentée comme une sorte de CNN arabe, aurait révolutionné l’information au Proche-Orient. La femme de l’émir, la cheikha Mozah bint Nasser al-Missned, a contribué à une véritable cité du savoir à la périphérie de Doha, ouverte aux musées et aux universités occidentales.  Enfin, le sentiment de fragilité des Qataris les pousserait à devenir une tête de pont entre le monde arabo-musulman et l’Occident. Songez que la plus grosse base militaire américaine, autrefois à Bahreïn, a déménagé à Doha et que les Qataris maintiennent des liens avec Israël. Ils constituent ainsi une alternative plus présentable que les Saoudiens, qui soutiennent les salafistes dans la région. Et si le Qatar représentait cet islam modéré dont tant d’Occidentaux espèrent l’avènement depuis des années ? 

    Bien sûr, comme tout storytelling, celui portant sur le Qatar reflète une partie de la réalité. L’émir, qui a chassé son père du pouvoir en 1995, s’est révélé un fin stratège. « Le Qatar est le premier à avoir acheté des méthaniers, analyse l’économiste Hakim el-Karoui, et à garder ainsi la maîtrise du transport du gaz ». Résultat : le pays frôle les 20 % de croissance en 2012, après 16 % en 2010 et 12 % en 2009. Ensuite, il semble bien que la stratégie qatarie soit la plus subtile des pays du Golfe. « Les Qataris ne sont pas que des payeurs, observe l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, ils sont astucieux et mènent une stratégie d’équilibre, entre Al-Jazira d’un côté, le phare du printemps arabe, la base américaine sur leur territoire et leurs relations assez bonnes avec Israël ». Enfin, il est patent que les Qataris ne mélangent pas forcément leur politique diplomatique, pas facile à décrypter, et leurs investissements pour lesquels ils recherchent, c’est un banquier qatari qui parle, un « absolute return », autrement dit une garantie de retour sur investissement.

    Mais ces indéniables atouts — prospérité économique, stratégie au long cours, subtilité diplomatique — ne doivent pas occulter la face moins reluisante du petit État. La condamnation à perpétuité, le 28 novembre, du poète Mohammed al-Ajami, coupable… d’un court texte critique sur l’émir, jette une lumière blafarde sur la modernité qatarie. Et il y a surtout la relation très particulière que le Qatar entretient avec l’islamisme politique. L’émirat a été, depuis quinze ans, le refuge de bien des activistes radicaux, tel Abassi Madani, l’ex-patron du FIS algérien. Le Hamas a déménagé ses bureaux de Damas à Doha, et la récente visite de l’émir à Gaza n’est pas passée inaperçue.

    La chaîne de télé Al-Jazira s’est fait connaître en devenant le diffuseur exclusif des communiqués d’Al-Qaida, et certains ne manquent pas de souligner que Doha a été exempt de tout attentat terroriste. Exilé au Qatar depuis quarante ans, le plus célèbre prédicateur islamiste, Youssef al-Qardaoui, officie chaque semaine sur Al-Jazira. L’homme a déclaré que « les opérations martyres sont l’arme que Dieu a donnée aux pauvres pour combattre les forts », et que, « tout au long de l’histoire, Allah a imposé aux juifs des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. […] C’était un châtiment divin. Si Allah le veut, la prochaine fois, ce sera par la main des musulmans ».

    Cet activisme n’étonne pas Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité de la DGSE (services secrets français) : « Comme la famille régnante veut ravir à la famille Al-Saoud d’Arabie saoudite son rôle moteur dans le contrôle de l’islam sunnite à l’échelle mondiale, elle héberge volontiers les imams et prêcheurs de tout poil, à condition qu’ils soient plus extrémistes que les oulémas saoudiens, de façon à leur rendre des points. Et le Qatar finance partout et généreusement tous les acteurs politico-militaires salafistes, dont la branche la plus enragée des Frères musulmans, hostiles à la famille Al-Saoud et bien sûr au chiisme, mais aussi aux régimes “laïcs” et nationalistes arabes susceptibles de porter ombrage aux pétromonarchies ». Enfin, le Canard enchaîné affirme que les services français ont repéré une présence qatarie dans le nord du Mali, où sévissent des groupes jihadistes. « On pense, explique Roland Marchal, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri), qu’un certain nombre d’éléments des forces spéciales qataries sont aujourd’hui dans le nord du Mali pour assurer l’entraînement des recrues qui occupent le terrain, surtout d’Ansar Dine ». Ansar Dine, un groupe jihadiste non lié à Al-Qaida.

    Bref, la famille régnante au Qatar n’a sans doute pas de doctrine bien établie, mais son jeu diplomatique, fondé sur une double exigence — concurrencer les Saoudiens dans le monde musulman et diaboliser l’Iran — peut l’amener à des positions fort lointaines de “l’islam des Lumières”. Y compris en France. « Si quelqu’un, affirme un bon connaisseur du dossier, avait la curiosité de se poster en face de l’ambassade du Qatar, il pourrait y prendre en photo d’éminents animateurs de la mouvance islamiste radicale ».

    Premier instrument de l’influence du Qatar dans le monde arabe, la chaîne Al-Jazira s’est révélée être « le DRH du printemps arabe », selon l’expression de Naoufel Brahimi el-Mili, professeur de science politique et auteur du livre le Printemps arabe, une manipulation ? (3) Ce dernier a passé des mois à décrypter les émissions de la chaîne qui fut la première à mettre en scène le martyre du vendeur de légumes tunisien Mohamed Bouazizi, dont le suicide, le 4 janvier 2011, a embrasé la Tunisie, avant que la révolte ne se propage en Libye ou en Égypte. À chaque fois, Al-Jazira accompagne et “feuilletone” les mouvements et les combats.

    Il apparaît que, partout, les Qataris soutiennent les Frères musulmans, qui constituent la principale force politique du printemps arabe. Et qu’Al-Jazira est leur bras armé. Brahimi note ainsi que le nouveau ministre des Affaires étrangères libyen, Mohamed Abdelaziz, était un journaliste de la chaîne, de même que Safwat Hijazi, devenu une sorte de «conseiller spécial» du gouvernement égyptien. Pour Brahimi, le projet du Qatar est limpide : « Imposer la révolution « démocratique » par le bas, puisque les révolutions par le haut, façon néoconservateur bushiste, ont échoué ».

    Autre sujet d’inquiétude, l’activisme sportif des Qataris — Grand Prix de l’Arc de triomphe, achat du PSG, Mondial de handball (2015) et Coupe du monde de football (2022) — ne relève pas forcément d’un amour désintéressé du sport mais bien d’une stratégie délibérée de soft power. C’est d’ailleurs Nicolas Sarkozy lui-même, cumulant le rôle de superconsultant des Qataris avec celui de président de la République, qui aurait conseillé à l’émir de “passer par le sport” pour implanter Al-Jazira en France. D’où la création de la chaîne BeIN Sport, au risque de déstabiliser le système audiovisuel français, et notamment le financement du cinéma.

    Enfin, et ce n’est pas le moins inquiétant, les Qataris manifestent un intérêt particulier pour les secteurs industriels sensibles et stratégiques. Cette inclination est d’abord apparue dans le dossier EADS. À la fin des années 90, l’émir sympathise avec Jean-Luc Lagardère, avec lequel il partage une passion des chevaux. Les deux couples sympathisent, Bethy Lagardère initiant la cheikha Mozah aux joies de la vie parisienne, tandis que les équipes Lagardère apportent à l’émir leurs conseils avisés dans l’audiovisuel lors de la création d’Al-Jazira. Avant même la mort de Jean-Luc Lagardère, en 2003, l’émir avait émis le vœu d’entrer au capital d’EADS. Mais Jean-Paul Gut, alors haut dirigeant d’Airbus, avait habilement orienté les Qataris vers une prise de participation dans le groupe Lagardère lui-même, ce qui était moins intéressant pour le Qatar mais répondait à l’inquiétude de l’héritier, Arnaud Lagardère, qui souhaitait s’assurer des alliés solides dans sa société holding. Mais, quand le groupe allemand Daimler a voulu vendre ses parts dans EADS, le Qatar s’est porté acquéreur, ce qui entraîna une vive réaction d’Angela Merkel aboutissant à un engagement de l’Etat allemand à la place de Daimler.

    Si les Qataris se sont senti l’audace d’avancer sur des dossiers aussi sensibles, c’est que les liens entre la France et le Qatar sont anciens : 80 % de l’équipement militaire qatari est français et, pour l’anecdote, les 15 ha que la Direction générale de l’armement loue à Bagneux (Hauts-de-Seine) appartiennent à une banque qatarie…

    Poker menteur

    Autre indice de l’intérêt des Qataris pour les secteurs stratégiques, l’affaire Altis, une société de semi-conducteurs en difficulté que les Qataris voulaient acheter en 2009 pour créer une industrie similaire au Qatar. Mais Augustin de Romanet, alors patron de la Caisse des dépôts, a jugé le projet suspect, et le Fonds stratégique industriel s’est finalement substitué à l’émirat.

    Encore plus inquiétant, le jeu de poker menteur autour d’Areva : il s’en est fallu de peu que l’émirat mette la main sur les mines d’uranium du groupe nucléaire ! À la manœuvre, l’ancien secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant, l’intermédiaire de choc Alexandre Djouhri, Henri Proglio, le PDG d’EDF, et François Roussely, du Crédit suisse — une des banques conseil en France des Qataris avec la banque Rothschild.

    L’alternance est, apparemment, un concept qui ne s’applique pas à cet aréopage. C’est d’ailleurs peut-être ce qui a conduit l’ambassadeur du Qatar à annoncer de nouveaux investissements dans les groupes français.

    À ce rythme-là, la France va finir par avoir plus besoin du Qatar que l’inverse.

    ► Philippe Cohen & Marc Endeweld, Marianne n°820, du 5 au 11 janvier 2013.

    • (1) « Qatar, l’offensive stratégique », no 62, été 2012.
    • (2) Du 3 mars 2012.
    • (3) Éditions Max Milo, 2012.
    QatarFonds qatari dans le CAC 40 : déjà plus de 6 milliards !
    • France Telecom (1 %) : 214,5 M€
    • Lagardère (13 %) : 1,071 milliard €
    • LVMH (1 %) : 653,64 M€
    • Suez Environnement (1 %) : 45 M€
    • Total (3 %) : 2,691 milliards €
    • Veolia (5 %) : 946,95 M€
    • Vinci (8 %) : 2 84,11 M€
    • Vivendi (5 %) : 427,88 M€
    • Total : 6,334 milliards d’euros

    IMMOBILIER : 4 MILLIARDS NET D’IMPÔTS

    Les avoirs immobiliers en France des Qataris se partagent entre différents membres de la famille régnante. Ils comprennent des immeubles de luxe et de nombreux hôtels. Au total, l’immobilier détenu par l’émirat dans notre pays atteindrait ainsi 4 milliards d’euros. Début 2008, les Qataris ont obtenu le vote au Parlement français d’un statut fiscal qui les exonère d’impôt sur leurs plus-values immobilières en France. Et ils en profitent : ces dernières années, ils ont racheté des hôtels de luxe comme le Martinez et le Carlton, à Cannes, le Royal Monceau, le Concorde Lafayette, l’hôtel du Louvre, à Paris, le Palais de la Méditerranée, à Nice. Mais ils ont également fait main basse sur le somptueux hôtel Lambert sur l’île Saint-Louis, à Paris, le splendide hôtel d’Evreux de la place Vendôme, à Paris, l’immeuble Virgin des Champs-Elysées, le siège de Vivendi, avenue de Friedland, à deux pas des Champs-Élysées, le siège d’Areva près de l’Opéra, et la tour Pacific à la Défense, ainsi que sur le centre de conférences Kléber, lieu chargé d’histoire — le haut commandement militaire allemand s’y était installé sous l’Occupation et c’est là qu’ont été signés les accords de Paris mettant fin à la guerre du Vietnam. Le destin du centre Kléber est de devenir un palace pour milliardaires…

    Au total, les avoirs qataris en France — immobilier et CAC 40 — dépasseraient donc les 10 milliards* d’euros selon nos calculs. Une somme qui rejoint les statistiques de la Banque des règlements internationaux (9,79 milliards), ce qui représente trois fois moins que les investissements du Qatar en Grande-Bretagne, mais deux fois plus que ceux de l’Allemagne.

    [* Valeur au 20 novembre 2012]

     

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    Al-Qaïda en Syrie : les ambitions "impériales" de l’Émirat du Qatar

     

    [Des membres du Fatah al-Islam, mouvement inspiré d'al-Qaida, lisent le Coran dans le camp de Nahr al-Barid, au Liban, en mars 2007]

     

    La Démocratie, cette Démocratie des puissances impérialistes et colonialistes qui nous écrasent et exploitent, cette Démocratie proclamée par l’Empire, écrite en majuscules, sur le front de l’Occident, sur chaque prison, sur chaque Guantanamo, sur chaque missile Cruise ou Tomahawk, son expression véritable, authentique, prosaïque, c’est le chaos constructif, les guerres civiles, les conflits religieux, ethniques et tribaux sous leurs formes les plus effroyables, les guerres au Moyen-Orient.

    La Démocratie ! tel fut le cri de guerre de Caesar George W. Bush. La Démocratie ! cria Barak Obama, le jour où Syrte devint cendres, par la grâce de la « mission humaine » de l’OTAN en Libye. La Démocratie ! cria Hamad, le despote absolu du Qatar, écho brutal des monarchies absolues du Golf et de la décadence arabe. La Démocratie ! gronda l’explosion terroriste à Damas en déchirant le corps du peuple syrien. 

    Al-Qaïda en Syrie

    Dans une vidéo marquant le dixième anniversaire des attentats du 11 Septembre, le nouveau leader d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, a exhorté les Syriens à « poursuivre leur résistance » au président Bachar al-Assad : « Ce tyran semble chanceler. Maintenez la pression sur lui jusqu’à sa prochaine chute », promet-il [1].

    Il n’aurait pas été difficile pour un observateur débutant, qui montrait une certaine curiosité — innée ou acquise — aux conflits du Moyen-Orient, de remarquer qu’une certaine similarité rassemblait, dans un même panier, les derniers attentats terroristes qui ont frappé la capitale syrienne, Damas, et ceux qui avaient frappé l’Irak, depuis l’invasion du pays par les légions de l’Empire étatsunien ; de remarquer, par conséquent, que  le « cerveau » qui a commandité les attentats à Damas avait aussi dirigé la terreur partout dans le monde, depuis les attentats des ambassades américaines en Afrique [2], jusqu’à la dernière attaque contre les civils en Irak, laissant au moins 68 morts [3] ; et de constater, en plus, que tous ces attentats, ceux du passé et ceux du présent, — mais aussi ceux qui pourraient arriver au futur proche — étaient  issus d’une même idéologie, celle fondée sur l’élimination de l’Autre, voire le salafisme wahabite ; et cela vu 1) la méthode employée — attentats suicides, voitures piégées ; 2) la victime ciblée — des établissement gouvernementaux et des places civiles — surtout en Irak — et 3) la justification idéologique — une idéologie islamiste salafiste takfiriste appelant à la mort des « infidèles », voire l’Autre religieux.

    Parallèlement, il n’aurait pas été aussi difficile — cette fois-ci pour un observateur chevronné — de remarquer qu’au lendemain du retrait des légions de l’Irak, l’Empire étatsunien rêve encore de « renverser la table » sur la tête du joueur iranien, et cela pour établir un nouvel ordre régional, qui permettrait de maintenir le Moyen-Orient sous son contrôle. Mais la Bastille n’est pas encore prise. Le triomphe momentané des groupes terroristes à frapper au cœur de la capitale syrienne est payé par l’anéantissement de toutes les illusions et chimères camouflant la prétendue « révolution » syrienne, par la désagrégation de tout le discours « philanthrope » des puissances impérialistes, par la scission de la Ligue arabe en trois camps : les pays résistant à l’Empire, les pays dociles à l’Empire et ceux qui se sont mis à l’écart.

    Ainsi naquirent les ambitions impériales de l’émirat du Qatar.

    Taliban au Qatar : l’ennemi d’hier l’ami d’aujourd’hui

    Nous nous rappelons tous du discours patriotique de Caesar George W. Bush le soir des attentats du 11 septembre, depuis la Maison Blanche. Pendant cette nuit très obscure, Bush s’adressa à la nation en parlant avec une certaine gravité, qui évoqua en nous le souvenir des grands patriarches bibliques : “Ce soir je vous demande de prier pour toutes les personnes affligées, pour les enfants dont le monde est brisé, pour tous ceux dont le sentiment de sûreté et de sécurité a été menacé. Et je prie pour qu’ils soient soulagés par une puissance plus grande que nous dont nous parle le psaume 23 : Bien que je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains aucun mal car tu es avec moi” [4].

    Le soir même, après s’être adressé à la nation, deux anges seraient arrivés à la Maison Blanche et auraient pris Caesar George W. Bush par la main, en lui chuchotant à l’oreille : ”Va donc, conduis le peuple où je t’ai dit. Voici, mon ange marchera devant toi, mais au jour de ma vengeance, je les punirai de leur péché” [5]. Quelques jours plus tard, jeudi 20 septembre, Caesar Georges W. Bush prononça un discours devant les deux chambres réunies du Congrès. Parmi les points forts de son discours, nous lisons : “Livrer aux autorités américaines tous les dirigeants de l’organisation Al-Qaïda qui se caches sur votre terre” [6]. “Ces demandes ne sont pas ouvertes à la négociation ou à la discussion. Les Taliban doivent agir et agir immédiatement. Ils livreront les terroristes ou bien ils partageront leur sort” [7]. “Notre guerre contre la terreur commence avec Al-Qaïda mais elle ne se termine pas là. Elle ne se terminera que lorsque chaque groupe terroriste qui peut frapper partout dans le monde aura été repéré, arrêté et vaincu” [8]. En dépit du Saint-Esprit qui eut soufflé l’audace dans la bouche de Caesar, ces déclarations historiques sont devenues d’ores et déjà copyright de l’Histoire. En effet, tous les obstacles semblent aujourd’hui levés pour que des négociations puissent commencer entre les ennemis d’hier, amis d’aujourd’hui.

    Depuis l’été 2011, on entend chuchoter, dans les couloirs des puissances impérialistes, à propos de l’ouverture d’un bureau de représentation des Taliban au Qatar, comme symbole du processus de paix engagé avec le principal groupe insurgé en guerre contre l’OTAN et le gouvernement de Kaboul [9]. Certainement, cette initiative honorable de la part de l’émir du Qatar, n’aurait pas pu voir la lumière sans la bénédiction de l’Empire. Ainsi, des émissaires américains rencontrèrent seuls, “une petite dizaine de fois”, des représentants talibans [10]. Cependant, cet événement n’est en aucun sens un fait isolé. Par contre, il fait partie d’un continuum de messages d’amour entre les groupes islamistes salafistes — Taliban et Frères musulmans — d’un côté, et l’Empire étatsunien — par le biais de son concessionnaire au Moyen-Orient, l’émirat du Qatar — d’un autre côté. Les premières lueurs de la nouvelle aube commencèrent en mars 2009, après que l’administration Obama eut abandonné l’expression « guerre contre le terrorisme », adoptée par son prédécesseur Bush [11].

    Sur un autre plan, des responsables américains ont entamé, récemment, des négociations avec le gouvernement de Kaboul pour transférer, aux autorités afghanes, des responsables Taliban du haut rang emprisonnés au Goulag de l’Empire, à Guantanamo, depuis l’invasion de l’Afghanistan ; et cela dans l’espoir de parvenir à une trêve entre Washington et les insurgés. Des responsables américains ont déjà exprimé leur accord d’ « expédier », hors de la baie de Guantanamo, les détenus Taliban [12]. En plus, des sources de l’administration Obama ont indiqué que des détenus talibans seront libérés une fois que les insurgés auront accepté d’ouvrir un bureau au Qatar et entamé des pourparlers avec les Américains [13]. De leur côté, les Taliban ont dit qu’ils étaient prêts à aller d’avantage avec ces pourparlers. Il faut noter que ces échanges romantiques du genre épistolaires entre l’Empire et les insurgés viennent après dix ans de guerre atroce [14].

    Loin des affections foudroyantes entre les ennemis d’hier amis d’aujourd’hui, au cours d’une réception de la délégation de la Ligue arabe, comprenant le cheikh Hamad, à Damas le 26 Octobre dernier, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mouallem, aurait « lutté » pour amender certains articles du texte de l’Initiative arabe, comme l’article concernant le « retrait de l’armée syrienne » ; un article considéré comme le plus dangereux par les autorités syriennes, qui voient impossible d’envisager de retirer l’armée de régions désormais devenues le théâtre d’une guerre civile comme à Homs. Mais le cheikh Hamad a exigé ce retrait : « Il est impératif de retirer l’armée et de cesser de tuer les manifestants ! », dit-il. Ce à quoi le président syrien a répondu : « L’armée ne tue pas des manifestants, elle poursuit plutôt des terroristes armés. Si jamais tu avais une solution pour en finir avec ces derniers, elle serait bienvenue ! » [15]. Pourtant, le cheikh Hamad persistait à faire croire à ses hôtes qu’il refusait toute utilisation du terme « terrorisme », et a même failli récuser l’évocation de bandes armées dans les villes [16].

    Une question s’impose fortement : pourquoi cette anélisation attendue des groupes islamistes armés — les ennemis d’hier — de la part de l’Empire et son concessionnaire au Moyen-Orient ?

    Le nouveau rôle accordé au Qatar : Le Corbeau voulant imiter l’Aigle

    Il est clair d’emblée que le rôle que joue le Qatar sur la scène des événements régionaux, depuis l’accord de Doha en 2008 [17], vise à imposer ce petit émirat, dont la population ne dépasse pas un million et quelques centaines de mille de sujets [18], comme joueur principal aux conflits du Moyen-Orient. De façon similaire, depuis sa précipitation théâtrale sur la scène des événements du présumé Printemps arabe, l’émir du Qatar, cheikh Hamad, insiste à se présenter en costume de despote éclairé [19]. Pour en faire, il s’habille en Frédéric II de Prusse, dit Frédéric le Grand [20], et fréquente les voltaires de l’impérialisme français, tel que Bernard-Henri Lévy, et ceux de l’obscurantisme  arabe, tel que Youssef al-Qardaoui [21]. Par contre, il est vrai que Hegel fait quelque part cette remarque que « tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce » [22]. De surcroît, le cheikh Hamad — on l’appelle aussi émir — s’est entretenu le 4 janvier avec le secrétaire général de l’ONU, monsieur Ban Ki-moon, de la possibilité d’associer l’ONU à la mission de la Ligue arabe en Syrie, afin que celle-ci profite de « l’expérience » de l’organisation internationale en matière de mission de paix et d’interposition [23].

    Cette manœuvre de la part de l’émir vise à atteindre deux objectifs : premièrement, faciliter et légitimer une intervention de l’OTAN dans la crise syrienne — il n’est plus secret que parmi les récentes « expériences » de l’ONU figure le feu vert à l’OTAN pour la destruction de la Lybie ; deuxièmement,  contrecarrer le pouvoir de la Ligue arabe et réduire son rôle, comme organisation représentant les intérêts du monde arabe, pour qu’elle soit une sorte de Loya Jirga[24], rassemblant précisément les émirs et sultans des familles royales du Golf. Il en va de même que l’émirat du Qatar, qui possède une armée de 1.500 mercenaires, mais qui abrite, par contre, la plus grande base militaire américaine dans la région, ambitionne jouer un rôle au niveau international, aussi énorme que l’énormité de la présence des troupes étrangères sur son territoire.

    Ainsi, aux premières lueurs du prétendu Printemps arabe, le Qatar, qui s’est transformé en un outil médiatique aux mains des puissances impérialistes dans le monde arabe, s’est précipité sur la scène des événements. Nous soulignons dans ce sens le rôle que joue la chaîne al-Jazeera, dont l’objectif est de fausser les données réelles de la guerre impérialiste contre la Syrie, et cela en promouvant un discours de haine et de ressentiment religieux contre les groupes minoritaires au monde arabe. Aussi le Qatar, en s’alignant sur des positions qui suggèrent carrément l’intervention étrangère en Syrie, est allé loin dans la question des sanctions contre la Syrie, qui ont laissé des effets négatifs et directs sur le niveau de vie, l’alimentation et les  médicaments du peuple syrien.

    Nous partageons le même avis de l’analyste politique russe, Viatcheslav Matuzov, qui a souligné que le Qatar joue un rôle négatif au sein de la Ligue arabe, ajoutant que « les États-Unis veulent la chute et la destruction de la Syrie en tant qu’État arabe indépendant (…) L’Occident a une seule demande de la part de la mission des observateurs arabes, à savoir la prise d’une position en solidarité avec l’opposition extrémiste sans aucun souci de chercher après les faits réels sur le terrain », a estimé l’analyste russe, dans une interview à la chaîne Russia Today [25].

    Il convient de mentionner que les ingérences hostiles du Qatar dans les affaires internes de la Syrie se font au moment où deux puissances se confrontent dans une sorte de guerre froide dans la région du golf Persique : celle du Pygargue à tête blanche [26] étatsunien et celle du Derafsh Kaviani [27] iranien. La présence de la première puissance est en déclin dans la région, surtout après le retrait des légions de l’Empire de l’Irak ; celle de la deuxième puissance est en croissance. Entre ces deux grandes puissances belligérantes — l’Iran et l’Empire étatsunien — les ambitions « impériales » du Qatar évoquent en nous la fable de La Fontaine, Le Corbeau voulant imiter l’Aigle [28].

    Le Qatar pirate la Ligue arabe

    Pendant toutes les périodes précédentes au prétendu Printemps arabe, l’Égypte jouait un rôle central au sein de la Ligue, qui lui permettait de diriger le monde arabe, surtout à l’époque du président Nasser (1956–1970) et la montée de l’idéologie nassérienne [29].

    Dès sa naissance en 1945, la Ligue arabe était toujours divisée en deux camps aux visées politiques opposés. D’abord, dans les années quarante et cinquante, l’entente égypto-saoudienne favorable aux projets d’indépendance s’opposait à l’axe hachémite jordano-irakien, plus enclin à une coopération avec la puissance britannique, encore maîtresse de nombreux protectorats et mandats (Soudan, Palestine, Émirats, etc.). Par la suite, dans le contexte d’anticolonialisme et de la Guerre froide, la division prit une nouvelle démarcation entre États socialistes proches de l’URSS (Libye, Syrie, Algérie, Égypte de Nasser, l’Irak, le Yémen du Nord) et États proches des États-Unis (les émirats et sultanats arabes du Golf) [30]. Enfin, après la chute de l’Union soviétique, la Ligue arabe se trouvait divisée encore en deux camps : d’un côté, les pays résistants aux projets américains de domination (surtout la Syrie et le Liban) ; de l’autre côté, les pays dociles à l’Empire (toujours les émirats et sultanats arabes du Golfe, l’Égypte de Moubarak).

    Suite à la chute du dernier pharaon, Moubarak, en 2011, l’Égypte se trouve  occupée par ses problèmes internes, ce qui l’empêche de continuer à jouer un rôle principal  dans le monde arabe ; même si le secrétaire général de la Ligue continue à faire privilège de l’Égypte. Il n’est plus secret que l’absence « transitoire » de l’Égypte comme leader du monde arabe a entrainé une diminution du rôle que joue la Ligue.  Autre que l’Égypte, aucun pays n’est en mesure de diriger le monde arabe. L’Égypte reste le seul pays « habile » de jouer ce rôle, vu son poids démographique [31], économique et culturel.  Sur un autre plan, l’Arabie saoudite n’est plus dans une situation lui permettant de remplir ce vide laissé par l’enfermement de l’Égypte sur ses propres crises et problèmes internes, et cela vu la fragilité et l’instabilité intérieure — la menace chiite à l’Est du Royaume — et les tremblements politiques aux portes du Royaume — la révolution au Bahreïn et la guerre civile au Yémen. Simultanément, les pays du Maghreb ne sont pas non plus en mesure de diriger le monde arabe, vu premièrement leur position géographique, au bout du monde arabe, et deuxièmement la nature démographique de ces pays, qui ne constituent pas vraiment des agglomérations de masses, comme l’Égypte et le Levant, mais plutôt des centres urbains dispersés au long de la côte méditerranéenne de l’Afrique du Nord. De même, la Tunisie reste, au lendemain de sa révolution Jasmin, instable du point de vue politique ; et la Lybie se trouve ruinée par la grâce de la « mission humanitaire » de l’OTAN.

    Donc, le retrait temporaire de l’Égypte de la scène des événements a créé un vacuum, aux niveaux politique et diplomatique. Ajoutant à cela le retrait des légions de l’Empire de l’Irak, qui a ouvert les portes devant la puissance iranienne ascendante. Pour faire « barrage » à l’expansion iranienne, seul le Qatar semble capable de jouer ce rôle aux niveaux politique et diplomatique, en tant que concessionnaire de l’Empire et négociant — plutôt que négociateur ; pour la simple raison que du point de vue militaire, le Qatar n’est, en réalité, qu’une base militaire américaine dans la région.

    Pour contrecarrer le rôle de la Ligue arabe, l’ingérence hostile du Qatar dans la crise syrienne et son engagement complet à la conjuration impérialiste visent, en premier lieu, à créer des divisions entre ses membres, basées sur des sensibilités religieuses — sunnites vs. chiites — et ethniques — Arabes vs. Perses — et deuxièmement, à transformer la Ligue en une sorte de Loya Jirga, rassemblant les émirats et sultanats arabes du Golf, dont les monarchies se justifient par une idéologie islamiste wahabite, la même que celle des Taliban. Plus tard, ce nouveau bloc sunnite wahabite, qui comprend les émirats et sultanats arabes du Golf, les Taliban de l’Afghanistan et les Frères musulmans de l’Égypte et de la Syrie — bénéficiant de l’énorme support des puissances impérialistes — tenterait à démembrer l’Arc chiite qui s’étend de l’Iran jusqu’au Liban, tout en passant par l’Irak et la Syrie ; et cela en renversant le régime syrien, en premier lieu, ensuite en isolant le gouvernement pro iranien de Maliki en Irak, en second lieu. Par conséquent, le Hezbollah au Liban se trouverait coupé totalement de son arrière-front, l’Iran ; ce qui faciliterait, à une étape plus avancée, à envahir l’Iran.

    En un mot, l’ouverture d’un bureau de Taliban au Qatar met, officiellement, fin à la guerre étatsunienne contre le terrorisme ; et les ennemis d’hier deviennent les amis d’aujourd’hui. Ce qui revient à dire que les dernières attaques terroristes au cœur de la capitale syrienne expriment l’application concrète de ces nouvelles Liaisons dangereuses[32] qui sont émergées, récemment, entre le vrai Patron — l’Empire étatsunien — représenté par son concessionnaire arabe — le Qatar — d’un côté, et les Taliban de l’autre côté — derrière eux Al-Qaïda, évidemment.

    La réplique syrienne et le déclin de la Ligue arabe

    Un diplomate arabe au Caire a rapporté que lors de la réception de la délégation de la Ligue arabe à Damas le 26 Octobre 2011, le président syrien, Bachar al-Assad, aurait accusé le Premier ministre du Qatar, Hamad, d’être l’exécuteur de « diktats américains » et lui aurait dit : « Moi, je protège mon peuple avec l’aide de mon armée, mais toi tu protèges le tien par les bases américaines implantées sur ton sol (…) Si vous venez ici en tant que délégation de la Ligue arabe, vous êtes les bienvenus. En revanche, si vous êtes les délégués des Américains, il vaudrait mieux que nous cessions toute discussion » [33].

    Pourtant, le cheikh qatari devait attendre le 10 janvier pour entendre le président syrien prononcer sa réplique finale à l’ingérence du Qatar dans les affaires internes de son pays. Ce jour même, l’ambassadeur de Syrie auprès de la Ligue arabe, monsieur Youssef Ahmed, a invité le cheikh qatari à dire qui l’avait mandaté pour parler au nom de la Syrie : « Il doit se taire et s’abstenir de toute ingérence dans les affaires internes syriennes », a-t-il dit [34].

    Dans un discours prononcé à l’amphithéâtre de l’université de Damas, le président syrien, Bachar al-Assad, déploya son artillerie lourde et déclara le commencement d’une nouvelle étape de la guerre impérialiste contre la Syrie, celle de la contre-offensive syrienne : « Nous avions fait preuve de patience et d’endurance dans un combat sans précédent dans l’historie moderne de la Syrie et ceci nous a rendu plus solide, et bien que ce combat porte de grands risques et des défis fatidiques, la victoire est à deux doigts tant que nous nous maintenons capables de résister, d’exploiter nos points forts qui sont nombreux, et de savoir les points faibles de nos adversaires, qui sont plus nombreux » [35], déclara-t-il.

    Au cours de son discours, le président Assad attaqua la Ligue arabe à plusieurs reprises. Il l’accusa d’avoir accepté de se transformer en une sorte de vitrine diplomatique, derrière laquelle se cachent les vrais conjurateurs, les puissances impérialistes : « Après l’échec de ces pays au Conseil de Sécurité de convaincre le monde de leurs mensonges, il était indispensable de recourir à une couverture arabe qui est devenue une base pour eux » [36], souligna le président Assad.

    Le président Assad a voulu « expédier » plusieurs messages à plusieurs destinataires. Nous pouvons résumés ces messages en trois points :

    • Premièrement, la Syrie ne craint pas une suspension de la Ligue arabe. Les conséquences d’une telle suspension semblent sans effets énormes sur la Syrie. Par contre, la Syrie se trouvera « libre » des exigences de la Ligue, surtout maintenant que le Qatar a piraté son rôle, et que toutes les résolutions de la Ligue se préparent dans les coulisses des puissances impérialistes.

    • Deuxièmement, sans la Syrie, la Ligue perdra sa légitimité et sa validité, car le monde arabe, comme entité culturelle, ne peut pas exister — ni en théorie ni dans la réalité — sans la Syrie, berceau de la culture et de la civilisation arabo-musulmane. A fortiori, l’aube de la civilisation arabo-musulmane rayonnait en Syrie omeyyade (661–750). Dans le domaine des arts, des littératures, de la langue, des sciences, de l’Histoire, de la mémoire collective et des religions, la Syrie reste le « cœur » du monde arabe. Du point de vue géographique, sans la Syrie, le monde arabe ne peut pas exister comme entité politique ; au contraire, il sera déchiré en plusieurs zones géographiques séparées : la péninsule Arabique, la vallée du Nil et l’Afrique du Nord. Il faut bien noter ici que la Syrie, comme entité culturelle et géographique, dépasse les frontières de la République arabe syrienne, imposées par le colonialisme franco-britannique au lendemain du démembrement de l’Empire ottoman en 1918. Nous parlons ici de la Syrie naturelle. Le président Assad était clair à ce propos quand il a indiqué que « si certains pays arabes avaient œuvré pour suspendre notre arabité à la Ligue, nous disons qu’ils suspendraient plutôt l’arabité de la Ligue, or, sans la Syrie, c’est l’arabité de la Ligue qui est suspendue. Si certains croyaient pouvoir faire sortir la Syrie de la Ligue, ils ne peuvent pas faire sortir la Syrie de l’arabité, car l’arabité n’est pas une décision politique, mais un patrimoine et une histoire » [37], a-t-il poursuivi.

    • Troisièmement, La Syrie ne sera jamais aux genoux des puissances impérialistes. Les sanctions imposées par les puissances impérialistes et celles imposées par les monarchies absolues arabes pourraient sans doute avoir des conséquences négatives sur l’économie de la Syrie. Cependant, dans le monde, se trouvent d’autres puissances économiques ascendantes, hors du système de subordination à l’Occident, telles que la Russie, la Chine, l’Inde, l’Iran ; autrement dit, l’Orient. Le président Assad a fait noter que la Syrie doit s’orienter vers l’Orient, et ceci elle l’avait fait depuis des années : « L’Occident est important pour nous, nous ne pouvons pas nier cette vérité, mais l’Occident aujourd’hui n’est pas celui qui était une décennie avant (…) Les relations de la majorité des pays du monde avec la Syrie sont bonnes en dépit des circonstances actuelles et des pressions occidentales » [38], a-t-il fait savoir, soulignant que l’embargo imposé à la Syrie et les circonstances politiques et sécuritaires auraient des répercussions, mais « nous pourrions réaliser des accomplissements diminuant les pertes » [39], a-t-il précisé.

    Ce qu’ambitionner veut dire

    En guise de conclusion, nous trouvons utile de retourner rapidement aux ambitions « impériales » de l’émirat du Qatar.

    Profitant de la présence militaire des légions de l’Empire sur le territoire de son fief, l’émir du Qatar, Hamad, semble convaincu que la deuxième résurrection du Royaume de Prusse, pour ainsi dire, devient jour après jour inévitable ; cette fois-ci non pas au bord de la Vistule ni aux mains des Hohenzollern, mais plutôt au bord du golf Persique et aux mains de Al-Thani, la famille royale qatarie.

    Il reste à ajouter que s’il est vrai que le Qatar ambitionne jouer un rôle dans la région plus grand que sa « taille » réelle, il n’est pas moins vrai que le Corbeau qui a voulu, un jour, imiter l’Aigle ne put faire retraite. Le Berger vient, le prend, l’encage bien et beau, le donne à ses enfants pour servir d’amusette [40].

    ► Fida Dakroub, Mondialisation.ca, 2012. (Cet article a été publié initialement sur le site du Centre de recherche sur la mondialisation)

    * L'auteur : Docteur en études françaises (UWO, 2010), Fida Dakroub est membre du « Groupe de recherche et d’études sur les littératures et cultures de l’espace francophone » (GRELCEF) à l’Université Western Ontario. Elle est l’auteur de « L’Orient d’Amin Maalouf, écriture et construction identitaire dans les romans historiques d’Amin Maalouf » (2011). Elle est une collaboratrice régulier de Mondialisation.ca.

    Notes 

     

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    Qatar : un soutien indéfectible aux extrémistes

    En février 2010, le Qatar signe un pacte de défense avec la Syrie et l’Iran. Mais pendant que Hamad serrait la main de Bachar El-Assad, il conspirait activement contre lui. Quelques mois plus tard, le pacte de défense devient un pacte d’ingérence avec le financement des terroristes islamistes pour renverser le dernier raïs arabe.

    L’opposition qui réside à l’étranger, précisément celle du Conseil national syrien (CNS), avait eu comme premier président le nommé Burhan Ghalioun, celui-là même qui a été le conseiller politique d’Abassi Madani, le chef du FIS dissous ! Désigné par l’Occident comme l’unique représentant de l’opposition syrienne, au mépris des autres formations politiques activant en Syrie ou à l’étranger, le CNS refuse tous les appels d’El-Assad au dialogue et veut un renversement du pouvoir, comme le CNT l’a fait en Libye.

    Ce n’est ni l’opposant Haytham Manaa, ni le Comité national de coordination pour le changement démocratique (CNCD), ni les partis de l’opposition présents en Syrie (et activant légalement dans le cadre de la Constitution de février 2012) qui sont reconnus par l’Occident, mais ce CNS dominé par les islamistes et demandant l’ingérence militaire dans leur propre pays. Sur conseil de stratèges militaires, le bras armé du CNS, l’Armée syrienne libre (ASL) — qui écrit sur son Facebook « de trancher la gorge aux soldats du régime » ! — cherche à adopter la même stratégie que celle adoptée en Libye : prendre des villes et en faire des forteresses imprenables, des “zones d’exclusion” en termes militaires ou des “États islamiques” en jargon wahhabite. Outre le soutien logistique et politique occidental, les rebelles de l’ASL jouissent aussi de la complicité turque, jordanienne et de certaines factions politiques libanaises affichée sans crainte de choquer qu’Israël soit aussi de la partie contre ce pays arabe qui cesserait aussitôt d’être attaqué s’il disait oui à une “paix des braves” avec Tel-Aviv au détriment du peuple palestinien.

    Comme le CNT libyen parachuté par l’OTAN, le CNS se compose d’islamistes notoires et d’opposants vivants à l’étranger, sans aucune légitimité ni assise nationale. Outre le massacre de milliers de civils et de militaires et la destruction des infrastructures du pays par l’entremise de terroristes ramassés aux quatre coins du monde, le complot contre la Syrie ne vise pas que ce pays : sa réussite aura des effets désastreux sur le Liban, la Jordanie et sur la question palestinienne tout en rendant l’Iran très fragile et maintiendra les États-Unis comme puissance hégémonique mondiale. C’est pour la résurgence d’un monde bipolaire et équilibré où l’OTAN n’imposerait pas sa loi que la Chine et la Russie ont plusieurs fois opposé leur veto à l’intervention en Syrie. En outre, il y a la volonté de briser la création de l’axe énergétique Iran-Irak-Syrie-Liban. La Jordanie et la Turquie se sont exclues de cet axe, préférant jouer les cartes de l’axe pro-américain, tout comme Doha. En tant qu’allié d’Israël, Erdogan a préféré jouer les couleurs de son parti religieux plutôt que les intérêts stratégiques de son pays. Être du côté des “parias” (Syrie, Irak, Iran) lui a semblé désavantageux mais le rapport des forces actuel donne raison aux faibles, pas à Doha, Riyad ou à Istanbul, sans parler de la Jordanie qui a mal misé toutes ses cartes.

    La Syrie est visée car il y a aussi la volonté occidentale de mettre le grappin sur les réserves gazières de la Méditerranée. Selon le Washington Institute for Near East Policy (WINEP, le think-tank de l’AIPAC), le bassin méditerranéen renferme d’immenses réserves de gaz et les plus importantes seraient en territoire syrien ! « La révélation du secret du gaz syrien fait prendre conscience de l’énormité de l’enjeu à son sujet. Qui contrôle la Syrie pourrait contrôler le Proche-Orient », écrit Imad Fawzi Shueibi.

    Les sponsors du djihad

    Selon l’International Herald Tribune des 4-5 août, « les 2,3 millions de chrétiens, qui constituent environ 10% de la population du pays, connaissaient sous la dynastie Assad une situation encore plus privilégiée que la secte chiite alaouite à laquelle appartient le président ». Le journal ajoute que l’Armée syrienne libre aurait chassé 80.000 chrétiens de leurs foyers dans la province de Homs. Pour leur plan, les Occidentaux et leurs supplétifs ont fait venir près de 40.000 mercenaires islamistes de Libye, Jordanie, Égypte, Tunisie, Afghanistan, Pakistan, Irak, Tchétchénie… Même un Palestinien a été arrêté lorsqu’il était sur le point de se faire exploser dans le pays qui a perdu son Golan à cause de la Palestine !

    Beaucoup d’autres sont venus du monde dit libre, de France, d’Australie, d’Espagne, de Grande-Bretagne, Hollande, Canada… Selon le Daily Mail du 3 septembre 2012, le MI6 a répertorié près de cent terroristes résidant en Angleterre et qui combattent en Syrie. Ils les appellent “combattants de la liberté” quand ils tuent en Orient, et terroristes s’ils tuent en Occident. Quand ils rentreront en Angleterre, ils ne seront pas inquiétés. Le crime légalisé ! L’un de ces terroristes a même avoué qu’il exerçait comme docteur dans un hôpital anglais ! Un congé sabbatique pour un djihadiste anglais.

    L’afghanisation de la Syrie a commencé mais cela ne se fait pas sans la pakistanisation de la Jordanie, du Liban et de la Turquie. Toutes sortes d’armes se déversent en Syrie actuellement. Si les autorités libanaises ont découvert un bateau d’armements et interpellé son équipage, huit ou neuf autres seraient déjà passés. Dernièrement, l’ASL a menacé d’abattre des avions civils syriens, ce qui a fait dire au vice-ministre des Affaires étrangères Guennadi Gatilov : « Les menaces de l’opposition syrienne d’abattre des avions civils est le résultat de livraison irresponsable des Manpads (les systèmes portatifs de défense aérienne) ».

    Certains médias ont révélé, début août, que l’ASL a obtenu environ 20 Manpads de la Turquie. Selon les experts russes, l’Arabie Saoudite et le Qatar sont derrière ces livraisons. D’ailleurs, fin août dernier, CNN et NBC ont annoncé qu’Obama avait autorisé la livraison d’armements lourds aux rebelles anti-Bachar. Puis comme pour les Stinger livrés aux talibans, on voudra “récupérer” ces Manpads et autres SAM 7 puis on fera semblant d’avoir échoué de les récupérer. Prolifération d’armes = prolifération de terroristes : stratégie idéale pour promouvoir Al-Qaïda. La douane turque, celle d’un pays membre de l’OTAN, a récemment donné l’autorisation de débarquer des dizaines de tonnes d’armes destinées aux terroristes syriens, selon le Times !

    Au Moyen-Orient et au Maghreb, le Qatar est depuis longtemps connu comme le principal sponsor de l’islamisme. Et Hamad s’est fait beaucoup d’amis parmi les opposants arabes, même s’ils ne sont pas islamistes comme ce fut le cas au Yémen où il a financé à la fois le parti islamiste Islah (opposé à l’ancien président Ali Abdullah Saleh) et les rebelles Houthis du nord. Cela n’a pas plu à l’Arabie Saoudite, qui veut éradiquer ces opposants chiites qu’elle accuse de vouloir instaurer un khalifat chiite.

    En Égypte, Doha a financé les Frères musulmans alors que Riyad a subventionné les salafistes. Si Riyad avait soutenu les Frères musulmans, Doha aurait soutenu les salafistes ! Avoir des vassaux, c’est ce qui compte pour Doha ! Au Caire, la place Tahrir était occupée par une minorité cairote mais Al Jazeera focalisait dessus quotidiennement, gonflant les rumeurs et amplifiant les dérapages pour susciter un surplus d’adrénaline au sein des foules arabes assoiffées de miracles. Alors le prédicateur islamiste, l’Égyptien Youssef Al-Qardaoui, exilé à Doha depuis cinq décennies, animateur de l’émission La Charia et la Vie a encore clamé le djihad et ordonné au “Pharaon” de démissionner… En langue qatarie, la contre-révolution se dit révolution ! Un “pharaon” est un impie à massacrer.

    10.000 missiles perdus sans blanc-seing étatsunien ?

    Les Occidentaux qui tirent les ficelles ont trouvé un argument costaud pour leurrer ou faire taire les masses arabes : l’islamisme politique, disent-ils, s’est assagi et il peut accepter les règles démocratiques. C’est aussi ce qu’a ressassé l’émir du Qatar sur sa chaîne de propagande, Al Jazeera, pour qui le “péril vert” n’existe pas. « Les islamistes radicaux, dont les vues ont été forgées sous des gouvernements tyranniques, peuvent évoluer en participant au pouvoir si les révolutions tiennent leurs promesses de démocratie et de justice », disait en septembre 2011 un Hamad converti en agent de pub pour Abdel Jalil, Ghannouchi, Morsi et consorts. Les milliers de terroristes qu’ils ont envoyés en Libye, en Syrie et au Mali sont bien sages, eux aussi.

    L’impérialisme occidental sait désormais qu’il ne peut se passer de l’aide ou plutôt de la joint-venture avec les pays du Golfe ; et la première opération de cette union est probablement la destruction spectaculaire du World Trade Center le 11 septembre, opération transformée en attaque terroriste pour les naïfs. Aujourd’hui, plus de la moitié des habitants de la planète ne croient pas la thèse officielle américaine, dont 90% des Allemands, 58% des Français et 15% des Américains. Le Qatar semble avoir les mains libres partout. Or, accueillir des terroristes, perdre 10.000 missiles en Libye, lancer des attaques contre la Libye, la Tunisie, l’Égypte et la Syrie, sans un blanc-seing américain est impossible !

    On ne peut pas remettre en question ou chambouler un ordre géopolitique existant sans la volonté et l’accord des grandes puissances ! Vibrionner ainsi en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, dans le terrain de jeu américain et français, est impossible, à moins d’être le fou du roi en personne. Soutenir le terrorisme islamiste ouvertement, en Afrique, en Asie, sans se faire taper sur les doigts, ou au moins récolter l’étiquette d’“État voyou” est inacceptable pour l’entendement : c’est ce que disent plusieurs analystes, journalistes, officiels et anciens agents de renseignement occidentaux dont Michel Chossudovsky, et l’ancien officier du MI6, Alistair Crooke. On ne peut pas non plus avoir des velléités de changer la carte géopolitique de l’Afrique, en tout cas ses gouvernements, sans accord ou instruction de l’Oncle Sam : c’est ce que disent plusieurs analystes dont Éric Denécé, le spécialiste des renseignements, et même le frère musulman Tarik Ramadhan.

    L’implication du Qatar, donc des États-Unis, devient de plus en plus évidente avec le recul et avec le raz-de-marée, prévisible, des islamistes et surtout avec la volonté de casser le dernier bastion républicain et moderniste, la Syrie comme le fut la Libye. Il se peut que l’Arabie Saoudite, trop fragile, n’ait pas été informée de toutes les parties du plan mais a posteriori elle a adhéré à tout, et ne pouvait rien pour sauver Ben Ali et Moubarak, comme elle a accueilli avec bonheur la mort de Kadhafi qui a osé insulter le roi Abdallah. Les ennemis d’Al-Qaïda sont alors éliminés (Ben Ali, Moubarak, Kadhafi) ou visés (Syrie, Mauritanie, Algérie).

    Cerise sur le gâteau, le “printemps arabe” donne même lieu à des gouvernements islamistes, proches du Qatar et de l’Arabie Saoudite, qui ont fourni argent, pub et même armes et contingents. L’Occident se devait de récompenser ses amis pour tous les efforts qu’ils ont déployés à leur profit (guerre entre l’Iran et l’Irak, deux guerres contre l’Irak, octroi de bases militaires, approvisionnement en pétrole au prix désiré).

    Désormais, ils sont impliqués dans la redéfinition de la carte du monde, d’autant qu’ils sont devenus nécessaires pour toute action en terre arabe ; et ils sont rétribués par la possibilité d’installer leurs copains salafistes, islamistes ou fréristes aux commandes des pays conquis. Les valets deviennent des supplétifs.

    ► Ali El Hadj Tahar, Le Soir d'Algérie, nov. 2012.

     

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    La mainmise inquiétante du Qatar sur le Maghreb

    Tout au long de l'année, nos collaborateurs réguliers, comme Jean Bonnevey, Roger Vétillard, Michel Lhomme, ou occasionnels comme Chems Eddine Chitour vous ont scrupuleusement informés des mouvements dans le monde arabe. Nous avons attiré notamment votre attention sur le Quatar, un pays dont l'activisme récent au sein de "l'oumma" n'est pas proportionnel à la taille et suscite bien des interrogations chez les observateurs attentifs, comme en Algérie à l'approche d'élections prévues pour février. Pour Brahim Younessi, du web magazine algerie360.com, le petit émirat poursuit une stratégie de collusion entre courants religieux et pays non-musulmans. (Flavia Labau, metamag)

    QatarLa polémique autour de la nomination de M. Rafik Abdessalam Bouchlaka à la tête du ministère tunisien des Affaires étrangères n’est pas prêt de désenfler. Peu importe qu’il soit le gendre de Rached Ghanouchi, le chef du parti Ennahda — ce lien familial ne doit pas être d’un quelconque empêchement dans sa “carrière” politique ou professionnelle comme il ne doit pas, non plus, être un moyen d’accéder à des fonctions qu’il ne mériterait pas ou un objet de privilèges. Peu importe même, à la limite, qu’il ait participé à une réunion de l’OTAN, qui s’est tenue à Doha les 8 et 9 février 2010, un document — [est-il partiellement faux ?], le nouveau chef de la diplomatie tunisienne ne réfute pas sa présence à cette réunion mais nie y avoir représenté le Qatar — cite son nom comme l’un des neufs représentants de cet émirat auquel M. Rafik Abdessalam Bouchlaka est indéniablement lié, sinon politiquement, du moins professionnellement en tant que président du Centre des Études de la chaîne Al Jazeera.

    Cette question concerne au premier chef les Tunisiens et nous ne nous immisçons pas dans les affaires intérieures de la Tunisie en la soulevant et en nous interrogeant à ce propos, mais l’hégémonisme que développe le Qatar dans la région maghrébine nous interpelle et nous inquiète. Il nous inquiète d’autant plus que les relations de cet émirat, dont le territoire abrite des bases militaires américaines avec les États-Unis, sont tellement étroites que le Qatar apparaît comme un appendice de Washington qui le protège.

    Déjà en août 1990, le père de l’actuel Émir, Khalifa Ben Hamad Al-Thani, autorise le déploiement sur son sol de la coalition internationale après l’invasion du Koweït par l’Irak avant de signer en 1992 un accord de défense avec les États-Unis. Son fils Hamad Ben Khalifa Al-Thani qui le renverse en 1995 accueille le commandement central des forces américaines dans le Golfe et établit des relations avec l’État d’Israël.

    Le Moyen Orient n'est pas loin d'Alger

    Et depuis la création de la chaîne satellitaire Al-Jazeera en 1998, l’émirat du Qatar exerce une grande influence sur les opinions publiques arabes et sur des partis de l’opposition aux régimes autoritaires — le Qatar est loin d’être lui-même une démocratie — notamment des partis de tendance “islamiste” dont les leaders, à l’exemple de l’ancien chef du Front islamique du salut, y ont trouvé refuge ou sont aidés financièrement et politiquement.

    Liés à Abassi Madani, des groupuscules et des individus activistes installés en Europe, rivalisent de zèle pour complaire à l’Émir et pour répondre aux injonctions de son gouvernement qui en a fait des instruments pour service les objectifs de l’Otan et des États-Unis en Libye et ailleurs. Un arabe israélien, Raslan Abu Rukun, consul aux États-Unis, serait chargé de mener des actions de lobbying et les contacts avec tous ces satellites qui gravitent autour de Qatar pour normaliser leurs relations avec Tel-Aviv.

    Le porte-parole du Conseil national de transition [CNT] libyen, Ahmed Chaâbani, aurait évoqué « la nécessité d’établir des relations avec Israël ». De son côté, le chef du parti tunisien Ennahda, qui s’est rendu aux États-Unis où il était interdit d’y entrer, aurait rencontré, selon The Economist des personnalités israéliennes pour les rassurer que la prochaine « Constitution tunisienne n’interdirait pas les contacts avec Israël ».

    Le Qatar ne serait pas étranger à ce changement de politique à l’égard d’Israël. D’ailleurs, Talal Ben Abdelaziz, le frère du roi d’Arabie Saoudite dont la rivalité dans la région du Golfe avec son voisin Qatari n’est un secret pour personne, accuse Doha d’exécuter un plan israélien en vue de frapper la Syrie et de morceler, à terme, le royaume wahabite. L’émir du Qatar, qui se serait rendu discrètement à Tel-Aviv en mars 2010, tient à ses relations avec Israël qui constitue, pour lui, un rempart contre l’Iran et serait même disposé à soutenir les Israéliens en cas de conflit avec Téhéran.

    Il y a quelques jours, les Palestiniens de Gaza ont brûlé les photos de l’émir du Qatar pour dénoncer sa collusion avec Israël. Les amis algériens de cet émirat pétrolier, habitués au double langage et aux forums de Doha où ils rencontrent les pires ennemis de l’islam, servent en toute connaissance de cause un projet qui ne sert pas le peuple algérien, mais leurs intérêts et ceux de leurs protecteurs directs et indirects.

    ► Brahim Younessi, janv. 2012.

     

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