États-Unis : nouvel impérialisme en Afrique
Sans tenir compte, en apparence, ni des revers subis au Proche et au Moyen Orient ni des pertes croissantes en hommes et en matériel qu’exige l’exportation néo-conservatrice de “la liberté et de la démocratie” ni de l’anti-américanisme en pleine expansion, Washington a annoncé la création, le 30 septembre 2007, de l’American Africa Command ou “AFRICOM”. Paul Wolfowitz, ancien planificateur zélé de la guerre en Irak et ex-chef de la Banque mondiale (qui a échoué si lamentablement dans ses fonctions), a déclaré sans détours : « Je ne pense pas que ce soit une bonne idée ».
L’AFRICOM est une unité d’un millier d’hommes placée sous le commandement d’un général à quatre étoiles, William “Kip” Ward, 58 ans : elle a pour mission de tenir le continent noir en main, selon les intérêts stratégiques, énergétiques et politiques des États-Unis. L’AFRICOM est donc mis sur pied au moment même où la Chine effectue, depuis un certain temps déjà, des achats considérables de matières premières dans la zone du Sahel et au Sud de celle-ci ; 600.000 “fourmis bleues” chinoises y résident déjà en tant que travailleurs hôtes des pays africains. La Chine a investi pour des milliards de dollars en Afrique, sans imposer aux Africains des conditions politiques comme le fait l’Occident pour aligner le continent sur des critères soi-disant “démocratiques”. Grâce à cette souplesse idéologique chinoise, le “staathouder” en Afrique d’Oussama Ben Laden, diplômé de la Sorbonne de Paris, Hassan Al Turabi, a pu conforter ses positions à Khartoum au Soudan. Depuis la capitale de l’ex-Soudan anglo-égyptien, il peut tranquillement prêcher et organiser la Djihad, la Guerre Sainte, contre l’Amérique & Co., notamment au Darfour. Le ministre autrichien de la défense, Norbert Darabos, entend envoyer dans le Tchad voisin, une centaine de soldat de notre armée fédérale (idem pour la Belgique : Flahaut voulait aussi y envoyer nos soldats). Pour tous ceux qui ont quelques connaissances de la région, c’est envoyer nos hommes dans un chaudron extrêmement dangereux où plus d’un risquent de revenir au pays en cercueil.
Depuis février 2007, le Général Ward, Afro-Américain d’origine, cherche un site pour y établir le quartier général de son AFRICOM. Mais sans succès jusqu’ici. Un seul des 53 États africains, en l’occurrence le Libéria, a accepté d’accueillir éventuellement les GI's. Quatorze autres, rassemblés au sein de la SADC (South African Development Community), ont annoncé qu’ils ne souhaitaient pas la présence de militaires américains sur leur sol et qu’ils imposeraient des sanctions à tout pays africain qui accueillerait les guerriers de Bush. Quant aux GI's qui sont stationnés dans la Corne de l’Afrique, à Bab El Mandeb (en arabe : la “Vallée des Larmes”), sur le territoire de Djibouti, ils vivent déjà fort dangereusement. La Somalie voisine vit un bain de sang permanent ; la CIA installée en Éthiopie tire les ficelles de ce jeu sordide, grâce à l’hospitalité que lui fournit Meles Zenawi, un Saddam Hussein africain qui fait de bonnes affaires avec Washington depuis Addis Abeba, exactement comme son malheureux homologue irakien jadis.
L’Éthiopien Zenawi règne à Addis Abeba sans être animé du moindre scrupule moral, à l’instar de l’OUA qui tient son quartier général dans la capitale abyssine. Pendant tout ce temps, le Pentagone recrute du personnel pour l’United States Africa Command. Les recruteurs demandent évidemment du professionnalisme, de la créativité, promettent de nouvelles structures de commandement innovantes et modernes et surtout des salaires très élevés. Cette politique de recrutement est pratiquée dans le monde entier, notamment à partir de la grande base américaine de Stuttgart en Allemagne, depuis septembre dernier. L’AFRICOM a déjà dévoilé le site de son premier établissement : ce sera l’île de Sao Tomé dans le Golfe de Guinée, à côté de Principe, ex-île portugaise. Les États-Unis y construisent une formidable base de radar qui coûtera dix millions de dollars. Cette station contrôlera toutes les activités possibles et imaginables dans un vaste rayon, surtout la circulation maritime, car 25% des besoins pétroliers des États-Unis y transitent. Bientôt ce seront 35%.
En tenant compte des expériences d’autres régions du monde depuis l’établissement du régime néo-conservateur de Bush, l’Afrique du Sud s’est posée comme le porte-étendard de la résistance africaine contre les nouveaux appétits de l’Oncle Sam dans la région. Mosjuoa Lekota en a appelé à un boycott panafricain contre les tentatives de pénétration du continent noir par l’AFRICOM. Sa qualité de ministre des affaires étrangères sud-africain lui permet d’avertir les autres États du continent des conséquences mortelles qui pourraient s’ensuivre si les Africains n’écoutent pas son cri d’alarme. Au Maghreb, en Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Libye, mais aussi en Afrique de l’Est et de l’Ouest, on craint que la présence de l’AFRICOM ne provoque des soulèvements et des guérillas islamistes, que les États locaux, trop pauvres, ne pourraient contenir. Qui plus est, les promesses, annoncées avec fracas, de l’UE et des États-Unis, d’apporter une aide économique accrue aux pays africains, se sont révélées finalement bien chiches. L’Europe bruxelloise et Washington ont donc tous deux une politique bien différente de celle de la Chine qui procède de manière bien plus discrète et plus efficace que l’Occident.
Il y a quelque 35 ans, un candidat américain du parti démocrate, George McGovern, avait déclaré dans un entretien accordé au Wiener Kurier autrichien, que l’Amérique n’avait aucun intérêt vital à aller défendre en Afrique, par la force des armes. Raison pour laquelle les États-Unis n’avaient rien fait à l’époque pour soulager leur allié portugais de l’OTAN et l’avait de facto laisser tomber, lorsqu’il combattait, avec peu de moyens, les rébellions d’Angola, du Mozambique et de Guinée Bissau, rébellions téléguidées pourtant par les Soviétiques. Tant et si bien que ce sont des régimes marionnettes du Kremlin qui s’étaient installés dans ces trois pays, ainsi que sur les îles de Sao Tomé et de Principe. En 1975, ces régions furent plongées dans des guerres civiles atroces, entraînant une pauvreté épouvantable dont les retombées se font ressentir jusque aujourd’hui. Les États-Unis n’ont rien fait à l’époque pour épargner à ces peuples africains une misère effroyable. Aujourd’hui, l’ennemi qu’ils déclarent combattre est l’islamisme et non plus le communisme, mais, comme ils ont aussi téléguidé des islamismes contre les communismes, il y a plutôt lieu de croire qu’ils ne combattent en fait ni l’un ni l’autre, téléguident à l’occasion et les uns et les autres, selon leurs propres intérêts, et visent plutôt la présence chinoise qui s’avère partout fort efficace et déploie énormément d’énergies (ndt : autre objectif : supplanter les Européens partout en Afrique, surtout les Français, en dépit des risettes à l’Oncle Sam que commet Sarközy à tour de bras).
L’AFRICOM réussira-t-il par son existence et sa présence en Afrique à améliorer la situation générale du continent noir, ou du moins à l’infléchir vers un peu plus de bien-être, ou, au contraire, ne s’installera-t-il là-bas que pour défendre les intérêts stratégiques et commerciaux des seuls États-Unis ? Quant à cette défense des intérêts américains, l’assurera-t-il avec toute l’efficacité voulue ? On peut en douter. Les sceptiques feront simplement allusion à la crise permanente qui affecte le Darfour et le plonge dans la catastrophe.
► Johannes F. Balvany, article paru dans le magazine autrichien Aula, publié à Graz, nov. 2007.
[tr. fr. : Robert Steuckers]