Björnstjerne Björnson, le poète de la liberté norvégienne
C’est le 8 décembre 1832 que nait à Kvikne dans le Hedmark norvégien et dans la grande ferme de Björgan, le futur poète national norvégien Björnstjerne Björnson, fils d’un pasteur de campagne.
Après des études secondaires dans un Gymnasium d’Oslo, Björnson entre à l’Université où il ne reste que brièvement, sans obtenir de diplôme. C’était peu de temps avant de faire la connaissance d’Henrik Ibsen. De 1857 à 1859, il dirige le théâtre de Bergen puis entame une carrière de journaliste.
Comme ses idées étaient jugées encore trop “modernes” pour l’époque, il quitte l’Aftenbladet (La feuille du Soir) et commence une longue série de voyages à l’étranger, d’abord en Italie et en Allemagne. En 1874, Björnson acquiert la ferme d’Aulestad dans la vallée de Gulbrand, lieu qui deviendra bien vite l’un des centres intellectuels les plus dynamiques de Norvège. Après quelques voyages aux États-Unis et un long séjour à Paris, il devient, revenu au pays, l’un des principaux poètes et écrivains de sa patrie.
En 1903, il est le premier Norvégien à obtenir le Prix Nobel de littérature. Björnson s’engage pour la création d’une république norvégienne, pour le suffrage universel, pour l’égalité des femmes et pour l’indépendance de la Norvège. Le 26 avril 1910, B. Björnson meurt à Paris, quelques années après l’indépendance de son pays.
* * *
[Hymne national chanté par Carsten Woll, 1920, cylindre (Edison Blue Amberol). Les paroles ont été écrites par B. Bjørnson entre 1859 et 1868 et la musique par son cousin Rikard Nordraak en 1863-1864, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la constitution norvégienne, le 17 mai 1864 à Eidsvoll. Seuls les premier, septième et huitième couplets sont habituellement joués]
L’hymne national norvégien a été composé par B. Björnson et commence par les mots : « Ja, vi elsker dette landet » (Oui, nous aimons ce pays). Cet hymne a été chanté pour la première fois le 17 mai 1864. Cinquante ans auparavant, jour pour jour, la Norvège s’était donnée une constitution à Eidsvoll près d’Oslo ; la véritable indépendance, toutefois, ne pouvait pas encore advenir sur l’échiquier international. La Norvège était inclue dans une Union avec la Suède, une Union qui durera jusqu’en 1905. Le 13 août de cette année, en effet, 99,5% des Norvégiens se prononceront pour la dissolution de cette Union avec la Suède. C’est depuis ce moment-là que l’ancien pays des Vikings est redevenu, pour la première fois depuis le Moyen Âge, libre et indépendant. Cette volonté de liberté et d’indépendance nous explique encore et toujours pourquoi le peuple norvégien a voté 2 fois, en 1972 et en 1994, contre toute intégration du pays dans une Europe élargie.
La Constitution, que la Norvège s’est donnée en 1814, est toujours valide aujourd’hui, à quelques rares et légères modifications près. La date du 17 mai, date à laquelle l’assemblée constitutionnelle s’est donnée une loi fondamentale en 1814, est devenue le jour de la fête nationale norvégienne. Voilà pourquoi, 50 ans après le vote en faveur de cette loi fondamentale, le chant “Ja, vi elsker dette landet” a été entonné pour la toute première fois et reste, aujourd’hui encore, l’hymne national de la Norvège. Le patriotisme norvégien demeure une réalité forte : aucun Norvégien digne de ce nom ne se permettrait d’omettre une seule ligne de cet hymne qui compte 8 strophes.
L’esprit vieux germanique de liberté, qui hisse l’indépendance au-dessus de tout et refuse catégoriquement de tomber dans la dépendance ou la servitude, reste très vivace en Norvège. Sous le Troisième Reich, les Allemands ont tenté de courtiser le “peuple frère germanique” du Nord de l’Europe mais sans le succès escompté : les Norvégiens ne voulaient rien avoir à faire avec l’hitlérisme. Aujourd’hui encore, les citoyens allemands ne peuvent pas acheter de terrains en Norvège.
B. Björnson, fils de pasteur de la région centrale de la Norvège, lui, n’avait aucune réticence à frayer avec les autres peuples frères de l’aire germanique. Bien au contraire, il défendait, avec beaucoup d’autres, des idées révolutionnaires qui pouvaient parfaitement s’inscrire dans le corpus idéologique du pangermanisme (1).
Notre écrivain, qui avait dû renoncer, après 3 ans à peine, à ses fonctions de journaliste au sein de la rédaction de l’Aftenbladet de Bergen parce qu’il y défendait des idées jugées à l’époque trop “progressistes”, publia en 1857 son premier récit, Synnöve Solbakken. Il y décrit de manière pénétrante la nature contradictoire du paysan norvégien, qu’il connaissait bien, de par ses propres expériences existentielles. Il mit ainsi en exergue la césure qui existait dans l’âme paysanne norvégienne entre une nature première d’essence païenne et des apports chrétiens ultérieurs. Les récits de Björnson sur la vie rurale norvégienne ont inauguré un véritable tournant dans l’histoire de la littérature de ce pays, un tournant vers le présent. Björnson donna ainsi l’impulsion décisive qui obligea les hommes et les femmes de lettres de Norvège à se tourner vers les thématiques sociales et politiques, après une parenthèse romantique, où l’on avait fait revivre les sagas et où l’esprit romantique avait tenté de redécouvrir les mythes du folklore norvégien, avec ses trolls et ses filles de la forêt. Cette impulsion, Björnson la doit au critique littéraire danois Georg Brandes qui appelait « à présenter enfin en littérature les problèmes et les thématiques qui résultent des nécessités sociales ». Henrik Ibsen, lui aussi, le grand contemporain et ami de Björnson, subira l’influence de Brandes. Tandis que ses pièces de théâtre fustigeaient les contradictions et l’hypocrisie morale de la société bourgeoise sur le déclin, Björnson, optimiste, croyait toujours au triomphe final du progrès social (2).
En ce sens, il s’est engagé à revendiquer le suffrage universel et l’égalité hommes/femmes. Il critiquait l’exploitation des ouvriers et réclamait une réforme fondamentale du système scolaire. Mais son thème favori, le plus important à ses yeux, était celui de l’indépendance norvégienne. Car, pour lui, la liberté de l’individu et la souveraineté du pays étaient indissociables, indissolublement liées l’une à l’autre.
« Le sentiment d’indépendance est indubitablement la force la plus puissante au monde ; le sentiment d’honneur en est l’amorce. La pulsion vers l’autonomie est l’énergie qui régit le monde ; c’est la vertu la plus haute que notre culture a produite, avec les grandes gestes du peuple, avec les tendres sentiments de la morale et toutes les forces libératrices jaillies des Lumières » (3).
En 1903, Björnson est le premier Norvégien, et même le premier Scandinave, à recevoir le Prix Nobel de littérature. Deux ans plus tard, il voit son pays accéder à cette indépendance, à laquelle il avait tant aspiré. Le 26 avril 1910, Björnstjerne Björnson meurt à Paris.
► Helge Morgengrauen, article paru dans zur Zeit n°18/2010. (tr. fr. : RS)
♦ Notes du traducteur :
(1) Le pangermanisme, jugé “nationaliste” dans la plupart des ouvrages contemporains d’historiographie, est classé arbitrairement “à droite” de l’échiquier politique par les terribles simplificateurs qui hantent nos établissements d’enseignement actuels ou régissent le monde des médias ; au XIXe siècle, le pangermanisme véhicule des idéologèmes libertaires, populistes et anti-absolutistes, perçus par les contemporains comme “révolutionnaires” ou, du moins, “progressistes” et non pas comme “cléricaux” ou “réactionnaires”. C’est notamment le cas en Autriche et en Bavière, chez ceux qui admirent le Kulturkampf bismarckien. Les linéaments de pangermanisme que l’on retrouve en Belgique (y compris chez certains francophones), où a paru d’ailleurs la seule revue trilingue portant le titre de Der Pangermane, puisent généralement dans le corpus des libéraux de gauche à velléités orangistes.
(2) La notion de progrès social en Scandinavie (et en d’autres terres germaniques) au XIXe siècle recouvre une idée d’accession à la citoyenneté pleine et entière de tous les éléments du peuple, de façon à faire chorus sur la scène internationale : un peuple fort est un peuple qui intègre tous ses citoyens, les mobilise à l’unisson et tire le meilleur de chaque individualité. La régression ou la stagnation sociale sont perçues comme des attitudes visant à empêcher des éléments sains et vigoureux d'œuvrer au salut général de la nation.
(3) Quand un Scandinave du XIXe siècle évoque de la sorte les Lumières, il ne se réfère évidemment pas à un corpus de brics et de brocs, comme celui que nous ont fabriqué, des années 70 du XXe siècle à nos jours, les Habermas et le filon de la “nouvelle philosophie” en France, mais surtout aux Lumières de Herder, chantre des matrices culturelles comme véritable sources de l’identité des peuples, qui ont alors pour tâche de les raviver continuellement. Pour un Björnson, les Lumières sont essentiellement la revendication de cette liberté individuelle et nationale qui fonde la souveraineté d’un peuple sain et fort. L’itinéraire de Björnson l’atteste : il amorce sa carrière d’écrivain par une sorte de nationalisme romantique puis passe à la description et à la dénonciation des maux sociaux qui empêchent justement la masse des Norvégiens moins nantis de jouir d’une liberté personnelle, de façonner leur destin et de participer à la construction de la nation.
◘ Liens :
◘ Lectures :
♦ Au-delà des forces (Belles Lettres, 2010, 260 p., 27 €)
• Note de l’éditeur : Célébré au même titre qu’Ibsen dans la France littéraire de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, Bjørnstjerne Bjørnson connaît depuis une disgrâce qui ne laisse pas d’étonner. Car s’il est vrai que l’œuvre poétique et dramatique du prix Nobel 1903 est parfois inégale, elle comporte aussi d’authentiques chefs-d’œuvre, notamment les 2 pièces intitulées Au-delà des forces (I et II).
Romantique champion de la “norvégianité” à ses débuts, l’effervescent Bjørnson s’est ensuite mué en contempteur d’une société figée dans les conventions et les préjugés. C’est ainsi qu’après s’en être pris au monde de la presse, à l’affairisme ou à l’institution monarchique, il aborde la question religieuse dans Au-delà des forces I (1883), un drame qui témoigne d’un sens très sûr de la progression dramatique. Son héros est le pasteur Adolf Sang, un homme de charité et d’abnégation dont les efforts pour guérir sa femme par le pouvoir miraculeux de la prière n’auront d’autre résultat que de provoquer la mort des conjoints. Drame contemporain tout à fait réaliste, l’œuvre baigne en même temps dans une atmosphère de mysticisme et d’irréalité qui s’accorde parfaitement avec le cadre envoûtant de la Norvège septentrionale.
Dans Au-delà des forces II (1895), le milieu est tout autre et la problématique entièrement différente. Moins rigoureuse dans sa construction qu’Au-delà des forces I, la pièce n’en est pas moins très prenante, principalement dans sa puissante évocation de la déchirure sociale et des funestes conséquences qui en découlent. Néanmoins, si les 2 œuvres se rejoignent dans un même intitulé, c’est qu’elles ont une thématique commune. Dans les 2 cas, l’auteur combat la croyance illusoire en quelque chose d’irréalisable. En la circonstance, s’inquiétant des effets dévastateurs de la lutte des classes dans une Norvège récemment industrialisée, il dénonce à la fois l’oppression économique et l’emploi de la violence révolutionnaire, toute forme d’extrémisme qui, étant « au-delà des forces », se révèle vaine. Prônant le rapprochement des classes sociales, il demande à celles-ci d’œuvrer conjointement pour rétablir la solidarité de l’avenir.
◘ Études :
Plaque commémorative qui se trouve à Paris, au 1er étage du 2 rue du 29-Juillet (proche du croisement avec la rue de Rivoli), là où décéda l'écrivain le 26 avril 1910, à l’âge de 77 ans : « En cette maison, le 26 avril 1910 est mort Bjørnstjerne Bjørnson, fils illustre de la Norvège, né le 8 décembre 1832. Poète dramaturge, tribun, apôtre de la liberté et de la paix, honneur de l'humanité ». Surnommé le “Victor Hugo norvégien”, de nombreux hommages lui ont été rendus en 2010. Écrivain, poète, homme politique et débatteur engagé, fervent porte-parole des opprimés sociaux, il a laissé une profonde empreinte dans l’histoire de la littérature et la vie sociale norvégiennes. Son œuvre prolixe s'illustre dans de nombreux genres : des récits paysans aux pièces de théâtre, de la poésie lyrique à la rédaction d’articles. Nombre de ses poèmes ont été mis en musique, entre autres par Rikard Nordraak et Edvard Grieg. En 1903, il fut le premier Norvégien à recevoir le Prix Nobel de Littérature. Il appartient au patrimoine littéraire européen avec ses compatriotes Henrik Ibsen, Jonas Lie, Alexander Kielland et Knut Hamsun.