06 décembre 1904 : Theodor Roosevelt, le belliciste américain, ajoute le fameux « corollaire Roosevelt » à la Doctrine de Monroe, proclamée en 1823. Il s’agit d’une interprétation expansionniste de cette Doctrine. Elle complète la précédente batterie de principes agressifs et bellicistes qu’avait énoncé trois ans auparavant « Teddy » Roosevelt, sous le nom de « Doctrine du Big Stick » ou « Doctrine du gros bâton ».
Cette doctrine réfute le principe même de neutralité, qui existe en droit international. Les États-Unis déclaraient, par la bouche de leur futur président, ne pas accepter qu’une puissance, quelle qu’elle soit, puisse s’opposer frontalement à leurs intérêts ni même puisse se déclarer tout simplement neutre et se désintéresser, sine ira nec metu, du point de vue américain, puisse ne pas applaudir à chaque geste agressif de Washington contre une autre nation de la planète. Roosevelt justifiait ainsi l’agression commise en 1898 contre l’Espagne, à Cuba et aux Philippines, et anticipait ses projets d’expansion dans la zone du Canal à Panama. Roosevelt ne cachait pas ses visées pan-américanistes sur l’Amérique latine, ce qui a immédiatement soulevé une vague d’indignation en Europe, évidemment non suivie d’effets.
Das Ende des Roosevelt-Mythos
Seit langem macht es in unvoreingenommenen Fachkreisen die Runde, daß US-Präsident Franklin Delano Roosevelt während seiner Regentschaft von 1933 bis 1945 zusammen mit seinen Vertrauten einen systematischen Propagandabetrug initiierte, um in seinem Land Kriegsbegeisterung gegen das Deutsche Reich zu entfachen.
In einer jetzt der deutschen Öffentlichkeit vorgestellten Arbeit des zeitgenössischen amerikanischen Journalisten Benjamin Colby unter dem Titel Die Roosevelt-Verschwörung : Amerikanische Kriegspropaganda und Kriegshetze gegen Deutschland werden diese Zusammenhänge höchst lebendig dargestellt. Danach haben Roosevelt, seine Regierung sowie seine Berater gezielt Stimmung gegen Deutschland gemacht und somit die Amerikaner absichtsvoll in den Zweiten Weltkrieg gehetzt.
Colby, während des Zweiten Weltkrieges Journalist bei der Roosevelt-freundlichen New York Times, weist minutiös die Machenschaften und Manöver nach, mit denen die Vereinigten Staaten durch Roosevelt in den Krieg gegen die Achsenmächte gezwungen werden sollten und schließlich auch gezwungen wurden. Durch Aufrüstung und völkerrechtswidrige Waffenlieferungen an die Franzosen, Briten und Sowjets leitete Roosevelt einen wirtschaftlichen Aufschwung ein, der ihm das Präsidentenamt sicherte.
Diese zeitgeschichtliche Abrechnung aus der Feder eines Roosevelt-Journalisten ist eine notwendige Richtigstellung und Entlarvung des verlogenen Heiligenscheins, der den US-Kriegstreiber noch immer umgibt und der von der etablierten Historikerzunft gegen die Faktenlage immer noch bewußt gepflegt wird. Das Buch ist mit seinen Feststellungen und Folgerungen Sprengstoff für zentrale Streitfragen zu Vorgeschichte und Verlauf des Zweiten Weltkrieges.
Rüdiger Gerhard, Deutsche Stimme, août 2002.
Buchempfehlung : Benjamin Colby, Die Roosevelt-Verschwörung : Amerikanische Kriegspropaganda und Kriegshetze gegen Deutschland, Broschur, 280 p.
C’est un paradoxe apparent de l’histoire de voir comment un nationalisme précis (et particulièrement puissant) se déclare non seulement “prophétique” mais aussi universel, tout en se matérialisant dans de nombreux actes d’expansion ou d’interventionnisme. (Anders Stephenson) *
L’éminent juriste allemand Carl Schmitt a caractérisé l’idéologie de l’expansionnisme et de l’impérialisme américains comme une théologie politique, à la fois totalitaire, dogmatique et proclamée universaliste, et qui s’ingénie — avec le zèle et la ferveur d’un Torquemada — à rendre équivalents intérêt particulier international des États-Unis et intérêt du genre humain.
Hans Morgenthau (1904-1980) remarque que l’universalisme est une idéologie qui répond aux besoins de l’impérialisme et de l’expansionnisme. L’expansionnisme est sans cesse en opposition avec l’ordre international dominant et le statu quo existant. L’expansionnisme tend à prouver que le statu quo qu’il cherche à vaincre mérite d’être vaincu et que la légitimité morale qui, dans l’esprit de beaucoup, est attachée aux choses telles qu’elles sont, sera finalement obligée de céder face à un principe de plus grande moralité faisant appel à une nouvelle distribution de pouvoir (1).
« Dans la mesure où les idéologies typiques de l’impérialisme usent de concepts de droit, elles ne peuvent aisément faire référence de manière correcte au droit international positif, c’est-à-dire au droit international tel qu’il existe aujourd’hui. Dans le domaine du droit, c’est la doctrine du droit naturel, c’est-à-dire du droit comme il devrait être [et non pas tel qu'il est, ndt], qui répond aux besoins idéologiques de l’impérialisme… Lorsque la politique impérialiste expansionniste n’est pas dirigée contre un statu quo particulier résultant d’une guerre perdue mais fait fond sur un vacuum de puissance s'offrant à la conquête, l'arsenal idéologique moralisateur, faisant de la conquête un devoir inévitable, prend le relais d'une loi naturelle juste invoquée contre une loi positive injuste » (2).
La doctrine de la “Destinée manifeste”
L’objectif principal de l’idéologie impérialiste est d'identifier aspirations politiques d’une nation précise, d’une part, et lois morales qui gouvernent l’univers, d’autre part ; nous avons là une idéologie spécifiquement anglo-saxonne pour habiller les aspirations particulières et les actions impérialistes d’un objectif moral, qui correspondrait aux lois de l’univers. Cette idéologie a d’abord été typiquement britannique, mais elle a été perfectionnée et parachevée par les États-Unis.
« Le fait que savoir que les nations soient soumises à la loi morale est une chose, mais prétendre savoir avec assurance ce qui est bon et mauvais dans les relations entre les nations, est d’un autre ressort. Il y a un monde de différence entre la croyance que toutes les nations sont sous le couvert du jugement de Dieu, impénétrable au genre humain, et la conviction blasphématrice que Dieu est toujours de son côté et que ce que cette puissance alliée à Dieu veut pour elle-même ne peut pas connaître l’échec, parce que cette volonté est aussi celle de Dieu » (3).
L’exemple d’école d’un tel blasphème se retrouve dans l’assertion du Président McKinley [ci-contre] qui affirmait que l’annexion des Philippines (et la série de massacres de civils qui s’ensuivit) était un signe de la Providence divine. Cette conquête et ces massacres avaient été entrepris après que le président ait reçu un signe de la Providence. L’Amiral Dewey revendiquait le fait que la conquête des Philippines était un gage d’approbation divine. « Il me faut dire que la main de Dieu y prenait part » (4).
Les arguments avancés pour justifier la conquête des Philippines étaient centrés sur des thèmes religieux. « Ces thèmes s’exprimaient par les mots Devoir et Destinée. Selon le premier terme, refuser l’annexion des Philippines aurait signifié manquer de remplir une obligation solennelle. Selon le second terme, l’annexion des Philippines en particulier et l’expansion en général étaient inévitables et irrésistibles » (5). Ainsi entendu, l’expansionnisme impérial américain était une « Destinée manifeste » sous le signe de la Providence.
Une doctrine calviniste
La doctrine calviniste devint de facto une arme idéologique pour la guerre d’agression et l’expansionnisme. « Les victoires rapides gagnées par les forces américaines ont renforcé les positions psychologiques des impérialistes. L’impression de commettre un acte répréhensible ne se renforce que si l’action contestable est suivie de revers. Inversement, la mauvaise conscience diminue ipso facto si le projet est exécuté avec brio. L’échec s’interprète comme une punition de la Providence ; mais la réussite, telle que la décrit le schéma calviniste, est considéré comme le signe extérieur d’un état de grâce intérieur… »
« Le devoir, disait le Président McKinley, détermine la destinée ». Tandis que le devoir signifie que nous avons une obligation morale, la destinée signifie que nous allons certainement remplir cette obligation, que la capacité à le faire nous est inhérente. « Notre histoire a toujours été une histoire ininterrompue d’expansion ; notre pays était toujours parvenu autrefois à s’étendre, ainsi il était certain qu’il réussirait de la même façon dans le futur. La force d’expansion est un héritage national et "racial", une profonde et irréductible nécessité intérieure... La Providence a été si indulgente envers nous, en nous procurant une telle abondance de succès, que nous nous rendrions coupables si nous n’acceptions pas les responsabilités qu'elle nous exhorte à assumer » (6).
L’impérialisme américain a développé une puissante théologie de l’élection. L’idée américaine d’élection historique ou providentielle, inhérente à la Doctrine de la Destinée Manifeste, fusionne Dieu et la géopolitique en un tout parfaitement instrumentalisable et apporte ainsi “légitimité” à la conquête et à l’expansionnisme.
Un charabia moraliste et religieux
Le charabia moral et religieux de la Doctrine de la Destinée Manifeste, si typiquement américain dans son profond primitivisme, est aisé à écarter tant il n’est qu’un bric-à-brac idéologique. Et pourtant, nonobstant sa nature de bric-à-brac, cet abominable bricolage est devenu l’assise de la théologie politique et de la politique étrangère américaines [s'accordant avec la vision américanocentrée du monde transmise par l'éducation au citoyen américain]. L’expansionnisme impérialiste se voyait élevé au rang d’obligation positive, de devoir. Plus l’expansionnisme était impitoyable, plus on le justifiait par une approbation divine. La volonté des impérialistes américains était d’égaler la volonté de Dieu. L’impérialisme devint « une vertu dérivée de l’appel de Dieu ». Rester en deçà équivalait à « rejeter la direction divine ». Le Sénateur Albert J. Beveridge déclara un jour que « Dieu n’a pas passé son temps pour rien durant un millier d’années à préparer les peuples anglophones pour qu’ils ne se livrent à rien d’autre qu’à une vaine et ridicule contemplation et à une auto-admiration. Non ! Il a fait de nous les maîtres-organisateurs du monde pour établir des systèmes ordonnés là où régnait le chaos. Il a fait de nous des virtuoses de la bonne gouvernance pour que nous puissions, le cas échéant, gérer la politique chez les peuples sauvages ou séniles » (7).
Pris dans la spirale du destin
Le thème de la Destinée était un corollaire du thème du Devoir. Il fut régulièrement déclaré que l’expansion était le résultat d’une “tendance cosmique”, que “c’était le destin”, que c’était “la logique inexorable des événements”, etc. La doctrine affirmant l’expansion comme inévitable était bien sûr depuis longtemps familière aux Américains ; nous savons tous ô combien la Destinée Manifeste fut invoquée au cours du XIXe siècle. Albert Weinberg souligne, toutefois, que cette expression prit un sens nouveau dans les années 90. Auparavant, Destinée signifiait, dans son sens premier, que l’expansion américaine, quand on le voulait, pouvait être contrecarrée par d’autres qui pouvaient se mettre en travers de notre chemin.
Au cours des années 90, elle en vint à signifier que « les Américains ne pouvaient pas, par leur propre volonté, refuser cette expansion », car ils étaient pris, qu’ils le veuillent ou non, dans la spirale du destin. Toute tentative de réticence se trouve réfrénée : « ce n’était pas tout à fait ce que nous voulions faire ; c’était ce que nous devions faire. Notre agressivité conquérante se voyait implicitement définie comme obligatoire, — le produit non de nos propres volontés mais de la nécessité objective (ou de la volonté de Dieu) » (8). La Destinée avait toujours une destination, cette dernière étant identifiée à l’expansionnisme géopolitique, et donc la source de l’impérialisme américain était la volonté de Dieu confiée aux élus en tant que Destinée.
La mythologie politique de la Doctrine Monroe
Kenneth M. Coleman définit le corollaire politique (et géopolitique) de la doctrine de la Destinée Manifeste, avatar de la doctrine Monroe, comme une mythologie politique : « Une mythologie politique a émergé parmi les Nord-Américains pour justifier la réalité de leur hégémonie dans les Amériques. La doctrine Monroe constitue un exemple de création d’un mythe politique qui a accompagné la création de l’empire américain. Il apparaissait nécessaire, à l’époque, de trouver un véhicule rhétorique qui suggèrerait non point une intention expansionniste mais une abnégation… Dès sa genèse, la doctrine Monroe a été un artifice rhétorique conçu pour réconcilier les valeurs proclamées de désintéressement et d'esprit de sacrifice des Américains avec leurs intentions expansionnistes réelles qui visent à réaliser leurs intérêts stratégiques et économiques majeurs. Ainsi la première caractéristique dans la définition d’une mythologie politique est son actualité… L’hégémonie, à l'instar d'un Empire, requiert la création d’une mythologie légitimante… Dans le cas d’un Empire, la mythologie doit faire raisonner les Américains comme suit : « Nous vous dominons parce qu’il est dans votre intérêt que ce soit nous qui le fassions »… Dans le cas d’une hégémonie, la mythologie doit générer la croyance que les relations existantes sont mutuellement bénéfiques aux partenaires et que ceux qui ne les perçoivent pas ainsi sont soit dans l'erreur soit malveillants… » (9).…
Le message normatif de la Doctrine Monroe
« La mythologie politique de l’hégémonie se distingue en ce qu'elle nie l’existence de la domination politique et économique. Elle rejoint néanmoins la mythologie de l’impérialisme en ce qu’elle affirme que les relations existantes sont justes, appropriées, inévitables ou encore normativement défendables ». La doctrine Monroe véhicule un message normatif selon lequel « les causes actuelles, défendues par l’Amérique, sont justes, moralement défendables, et en accord avec les principes les plus élevés d’un ordre politique supérieur à tout autre » (10) et pour lequel l’impérialisme américain sert un dessein moral plus grand : la Destinée Manifeste prédestinée par Dieu lui-même.
Kenneth M. Coleman cite Salvador de Madariaga qui décrivit la nature de la doctrine Monroe dans les termes suivants : « Je sais seulement deux choses à propos de la doctrine Monroe : l’une est qu’aucun Américain que j’ai rencontré ne sait ce que c’est ; l’autre est qu’aucun Américain que j’ai rencontré ne consentirait à ce que l’on tergiverse à son propos… J’en conclus que la doctrine Monroe n’est pas une doctrine mais un dogme… pas un seul dogme, mais, à bien y regarder, deux, à savoir : le dogme de l’infaillibilité du Président américain et le dogme de l’immaculée conception de la politique étrangère américaine » (11).
Les intérêts des États-Unis sont les intérêts de l’humanité toute entière
La croyance selon laquelle les Américains sont un peuple choisi par Dieu pour amorcer une expansion sans fin était inhérente tant à la doctrine de la Destinée Manifeste qu’à la doctrine Monroe. « L'expression qui exprimait ce sens de certitude morale de l’expansion géographique — la “Destinée Manifeste” — trahissait la certitude calviniste assurée que Dieu révélera au monde ceux qui assureront Sa grâce en les rendant prospères ». Si les États-Unis représentent la Terre Promise du Peuple Élu, alors « il est presque impossible de concevoir une situation dans laquelle les intérêts du genre humain ne sont pas hautement similaires à ceux des États-Unis. En faisant montre d’une telle présomption, l’opposition à la Destinée Manifeste (des États-Unis) n’était pas une simple opposition politique — elle ne représentait pas même une quelconque différence d’opinion —, elle se posait plutôt comme une hérésie contre le peuple élu par Dieu lui-même… Si les autorités des États-Unis — les autorités choisies par le peuple favorisé par Dieu lui-même — étaient en faveur d’une politique donnée, alors critiquer la justice ou la moralité de cette politique s’avérait moralement impossible » (12).
À cet égard on peut rappeler la conclusion de Werner Sombart pour qui « le calvinisme est la victoire du judaïsme sur la chrétienté » et « l’Amérique est la quintessence du judaïsme ». L’immoralité politique de la doctrine de la « Destinée Manifeste », l’expansionnisme géopolitique derrière la doctrine Monroe conquérante de territoires et l’impérialisme économique, tel qu’il se manifeste sous la forme de la politique des « portes ouvertes » (Open Doors Policy), deux options qui ont été par la suite combinées sous la dénomination de “wilsonisme” (Doctrine Wilson), sont en fait des traductions historiquement malignes de la vieille immoralité talmudique, repérable dans l’histoire.
C. Schmitt a fait ressortir que la transformation de la doctrine Monroe, à partir d’un Grand espace (Großraum) concret en un principe universel, autrement dit la « théologisation » d’un impérialisme américain spécifique et particulier en un Monde universel et à forte puissance capitalistique, servant prétendument les intérêts du genre humain, est aussi le commencement de la “théologisation” des objectifs de la politique étrangère américaine (13). Ce processus de “théologisation” débuta au cours de la présidence de Théodore Roosevelt, mais le Président Woodrow Wilson fut le premier à élever la doctrine Monroe au rang d’un principe mondial (Weltprinzip), à véritablement “mondialiser” une doctrine qui, auparavant, était censée se limiter au seul hémisphère occidental, panaméricain. Dans la moralité calviniste, talmudique et axée sur la Prédestination de Woodrow Wilson, l’idée-projet de règne mondial (Weltherrschaft) de l’Amérique devient la substance même de son plaidoyer pour une doctrine Monroe à appliquer au monde entier.
L’immoralité foncière de Wilson le “moraliste”
Un cas d'école est le slogan américain de la “Destinée Manifeste” servant à accroître l’aire d’application de la Doctrine Monroe par le biais du principe de l’autodétermination des peuples. C'est ce dernier dont usa le Président Wilson lors de la Conférence de paix de Paris (Versailles), pour étendre de fait — et subtilement — les sphères d’influence anglo-saxonne et pour créer un Cordon Sanitaire en Europe, composé d’États-tampons, autour de l’Allemagne et de la Russie Soviétique. Évidemment, le Président Wilson, dans son empressement à faire valoir en Europe le droit à l’autodétermination, n’a jamais dénoncé la doctrine Monroe qui incarnait, à son époque, dans l’hémisphère américain, la négation absolue de ce droit qu’il proclamait au bénéfice des petits peuples des anciens môles impériaux d’Europe centrale et orientale. En fait, ce qu’il entendait par droit à l’autodétermination était déjà clairement apparu en 1914, lorsque les États-Unis, corrompant le gouvernement élu du Mexique, bombardèrent la cité portuaire mexicaine de Vera Cruz, tuant ainsi des centaines de civils. Après le bombardement, qui conduisit finalement à la chute du gouvernement mexicain et à l’installation d’un pantin à la solde des États-Unis, le Président Wilson, soulignant avec emphase l'identité entre politique américaine et justice universelle, assura au monde que « les États-Unis se rendirent au Mexique [renverser le gouvernement] pour rendre service à l’humanité » (14) (sic !). Le Président Wilson croyait sincèrement au rôle assigné aux États-Unis par la Providence pour diriger le monde.
Aujourd’hui, si l’on regarde la situation de la Yougoslavie, on peut constater qu’une fois encore le principe pseudo-universel du droit à l’autodétermination a été utilisé comme un moyen idéologique pour renverser un statu quo existant, via un règlement frontalier en Europe, alors que les frontières européennes avaient été définitivement reconnues et acceptées comme telles par les Accords d’Helsinki. De même, ce fameux droit à l’autodétermination, inventé jadis par Wilson, a servi à légitimer les atrocités musulmanes lors de la guerre en Bosnie d’abord, puis celles, innommables, des bandes armées des Albanais du Kosovo, en fait un équivalent européen des “Contras” du Nicaragua, armés, entraînés et financés par les États-Unis. L’Europe est désormais traitée de la même manière que les anciennes républiques latino-américaines. [ndt : Pire, dans le cas de la Bosnie et du Kosovo, les dirigeants des principales puissances européennes ont applaudi et participé à ces horreurs, en posant, via les relais médiatiques, les assassins bosniaques et albanais comme des héros de la liberté ou des défenseurs des droits de l'homme]
Quand l’Allemagne hitlérienne reprenait à son compte les concepts forgés par Wilson
Ironie historique : l’Allemagne nazie emprunta, en son temps, de nombreux concepts idéologiques venus d’Amérique. Ainsi elle fonda en un premier temps ses requêtes pour réviser le statu quo du Traité de Versailles sur le principe d’égalité que le Traité de Versailles avait violé. Comprenant que le droit international en place n’était rien d’autre que l’universalisation de l’hégémonie anglo-saxonne ainsi que la “théologisation” d'un intérêt national particulier, les juristes allemands se sont donc mis à parler d’un nouveau droit international qui servirait l’intérêt national allemand, comme le droit en place servait les intérêts nationaux américains. Ils usèrent également du concept d’un « Nouvel Ordre mondial juste » destiné à justifier l’expansionnisme germanique et à préparer le renversement du statu quo international, qui s’était établi après la guerre de 14-18.
Délégitimer les intérêts nationaux des autres pays
Les principes de bases de la théologie politique américaine peuvent se résumer comme suit :
◊ a) L’intérêt national des États-Unis est universalisé jusqu'à devenir l’intérêt universel du genre humain ou de la communauté internationale. Par conséquent, l’expansionnisme impérialiste américain est alors considéré comme un avancement de la race humaine, une promotion de la démocratie, une lutte contre le totalitarisme, etc. Les intérêts américains, le droit international, et la moralité internationale deviennent équivalents. Ce qui sert les intérêts américains est posé, avec morgue, comme faisant progresser la morale et le droit — dans tous les cas de figure (15).
◊ b) En conséquence de l’universalisation de l’intérêt national américain et de sa légitimation transnationale dans les institutions servant de façade de supra-légitimité, survient la délégitimation visible des intérêts nationaux d'autres pays. Du fait de la doctrine Monroe, les pays latino-américains se virent dénier tout intérêt national distinct ou opposé à celui américain, bien qu'une analyse historique objective montre clairement que l’authentique intérêt national de ces pays est opposé, en règle générale et par nécessité, à l’intérêt national des États-Unis. L’effet de la Doctrine Monroe fut de contraindre ces pays à cesser d’exister politiquement, en devenant des protectorats et des nations captives au vrai sens du terme.
◊ c) Avec le Pacte Briand-Kellog, les États-Unis amorcèrent l’étape suivante dans la globalisation de leur théologie politique. Les guerres menées pour des intérêts nationaux différents de ceux des États-Unis sont dénoncées comme des “guerres d’agression”, tandis que les guerres agressives menées par les États-Unis sont considérées comme des “guerres justes”. Les réserves américaines concernant le Pacte de Kellog revêtent une importance particulière : les États-Unis se réservent le droit d’être seuls juges de ce qui constitue une guerre d’agression. La doctrine américaine de reconnaissance et de non-reconnaissance des États est également significative : les États-Unis se réservent le droit d’être seuls juges pour décider quel État doit être reconnu ou non et les raisons pour reconnaître un État sont son adéquation aux intérêts nationaux des États-Unis. Pour constater à quel degré d'absurdité dangereuse mais aussi grotesque cela peut mener, serait éloquent l’exemple historique de la non-reconnaissance par les États-Unis de la Chine après 1949, alors qu’ils reconnaissaient le régime fantoche de Tchang Kaï-chek qu’ils avaient installé et contribué à maintenir. Les États-Unis ont utilisé leur doctrine de non-reconnaissance, bloquant l’admission de la Chine aux Nations Unies, dans le but précis de saboter cette organisation et aussi plus concrètement pour s’assurer, par cet artifice, deux sièges au Conseil de Sécurité des Nations Unies, la Chine de Tchang Kaï-chek leur étant dévotement inféodée.
◊ d) L’appropriation idéologique du concept de guerre — et des principes de reconnaissance et de non-reconnaissance — conduit également à la déshumanisation médiatique des adversaires de l’Amérique : d'ennemi qui défend des intérêts nationaux équivalents, il est devenu un paria international.
◊ e) La conséquence finale du développement de la théologie politique américaine est l’identification du droit international — le Droit des Nations — avec le système de l’impérialisme américain. Car la source de ce droit n’est, dans le “Nouvel Ordre mondial”, plus rien d’autre que la volonté géopolitique et stratégique des États-Unis. Un tel “droit international” n’est assurément plus le Droit des Nations, au sens classique et habituel du terme, mais bien le droit du pays le plus fort — une incarnation de l’hégémonie et de l’expansionnisme américains. Dans le “Nouvel Ordre mondial”, l’intérêt national des États-Unis a été universalisé jusqu’à être l’intérêt de la communauté internationale. En outre, les États-Unis eux-mêmes, en tant que sujet transnational et omnipotent, ont été universalisés, sans pourtant cesser d’être eux-mêmes et rien qu’eux-mêmes, en tant que représentant sans médiation la communauté mondiale elle-même.
Les autres États n’existent plus que comme entités non politiques
La théologie politique américaine est intrinsèquement incompatible non seulement avec le principe d'égalité des États et celui de leur souveraineté, mais aussi avec toute organisation entendant tenir un rôle international véritable, telle que les Nations Unies. Dans le “Nouvel Ordre mondial”, un État n'a droit d'exister seulement comme entité non-politique ; les prérogatives de toute instance politique concrète, telle que définies par la terminologie de Carl Schmitt, sont réservées uniquement aux États-Unis, de même que le droit afférent de les exercer. Et une organisation internationale ne peut exister que si elle n’est plus rien d’autre qu’un équivalent fonctionnel de l’Organisation des États Américains (OAS soit Organization of American States), à savoir seulement une façade multilatérale pour la légitimation de la volonté hégémonique américaine.
L’historien britannique Edward Hallet Carr (1892-1982), dans son livre, The Twenty Years’ Crisis – 1919-1939, publié pour la première fois en 1939, remarqua que, peu avant l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale, dans un discours au Sénat sur les objectifs de la guerre, le Président Wilson, expliquant d'abord que les États-Unis avaient été « fondés pour le bien de l’humanité » (16) (sic !), affirmait catégoriquement : « Ce sont des principes américains, ce sont des politiques américaines… Ce sont les principes du genre humain et ils doivent prévaloir » (17). Carr souligne qu' « on observe que des déclarations de ce genre proviennent presque exclusivement d’hommes d’État et d’écrivains anglo-saxons. Il est vrai que lorsqu’un éminent national-socialiste affirmait que "tout ce qui bénéficie au peuple allemand est juste, tout ce qui cause du tort au peuple allemand est mauvais", il proposait quasiment la même équation entre intérêt national et droit universel que celle déjà établie par Wilson pour les pays de langue anglaise ».
Les deux explications de Carr : mystification idéologique et impérialisme culturel
Carr donne deux explications alternatives à ce processus d’universalisation d'un intérêt national particulier. La première se retrouve fréquemment dans la littérature politique des pays continentaux : elle avance que les peuples de langue anglaise sont passés maîtres dans l’art de dissimuler leurs intérêts nationaux égoïstes sous le masque du bien général, et que ce genre d’hypocrisie est une particularité spéciale et caractéristique de l'esprit anglo-saxon. La seconde explication est plus sociologique : les discours théoriques sur la moralité sociale sont toujours le produit d’un groupe dominant, qui s’identifie d’emblée à la communauté dans son ensemble et qui possède des facilités déniées aux groupes ou individus subordonnés pour imposer sa vision des choses à la communauté. Les théories de la moralité internationale sont, pour les mêmes raisons et en vertu du même processus, le produit des nations ou groupes de nations dominantes. Durant les cent dernières années, et plus particulièrement depuis 1918, les nations de langue anglaise ont formé le groupe dominant dans le monde ; les théories actuelles de moralité internationale ont été conçues par eux pour perpétuer leur suprématie et se sont généralement d’abord exprimées dans l’idiome qui leur est propre (18).
Le vocabulaire de l’émancipation
Autre aspect important de la théologie politique : la pratique de mythifier et d’idéaliser l’expansionnisme américain pour en faire une moralité internationale universelle. Quelles sont les caractéristiques de la mythologie universaliste ? C’est de transformer la signification de la réalité politique classique pour n’en faire qu’une illusion répressive et ainsi vider de sens et de légitimité tout discours [politique] ou tout acte de résistance attenant. En d’autres termes, la mythologie universaliste consiste toujours à confisquer le réel, à l’éliminer et à l’évacuer. Dans ce contexte, tout discours politique solidement construit, voire tout acte de résistance, refusant cette logique universaliste, offrent peu de résistance, car leur contenu s'est vu neutralisé. Pour paraphraser Roland Barthes (19), la théologie politique est expansive ; elle s’invente elle-même sans cesse. Elle s'empare de tout ce qui compte pour elle, aussi bien des aspects des relations internationales, de la diplomatie, que du droit international. Les pays opprimés ne sont rien : ils ne peuvent produire qu’un seul langage, celui de leur émancipation le cas échéant, or cette émancipation a par avance déjà été délégitimée. L’oppresseur, en l’occurrence les États-Unis, sont tout, son langage politico-théologique a été élevé au rang de dogme. En d’autres termes, dans le cadre de la théologie politique, les États-Unis ont le droit exclusif de produire un méta-langage, celui qui vise à pérenniser l’hégémonie américaine. La théologie politique, en tant que mythe, nie le caractère empirique de la réalité politique. Par conséquent, toute résistance à celle-ci se doit de reprendre à nouveaux frais la réalité empirique et de l'émanciper.
Un méta-langage qui accepte pour argent comptant les slogans de la propagande
Au cours de l’expansionnisme américain, déjà tout entier contenu dans la doctrine Monroe et ses nombreuses extensions, en particulier durant la Guerre Froide avec sa justification idéologique donnée dans des documents tels le NSC-68, une destruction et une idéologisation du langage politique furent accomplies. L’histoire de la Guerre Froide est l’histoire de l’effondrement de l’anglais américain en un jargon propagandiste pan-américain, avec sa propension à prendre pour argent comptant pour les slogans, les simplifications, les mensonges et les clichés pompeux tels que le “totalitarisme”, la “défense de la démocratie”, le “péril rouge”, etc. L’expansionnisme américain, propagande de guerre des machinations coloniales de la perfide Washington, formata le langage de manière à répondre précisément au besoin de laisser libre cours à sa sauvagerie déguisée en universalisme au service de l’humanité. L'objectif préventif était de délégitimer toute résistance potentielle et de légitimer sa soif de conquête et d'hégémonie. Les États-Unis ont imposé une subversion planétaire du langage et c’est sur la base de cette gigantesque falsification que l’Amérique contemporaine a été éduquée.
Un gigantesque mur de mythes
Pour paraphraser George Steiner, les dirigeants de l’Amérique ont élevé entre l’esprit américain et la réalité empirique un gigantesque « mur de mythes ». Progressivement les mots ont perdu leur sens originel et acquis les contenus sémantiques propres à la théologie politique universaliste. Le langage est devenu une falsification générale, à tel point qu’il n’est plus capable de saisir ou de restituer la vérité. Les mots sont devenus des instruments de mensonge et de désinformation, des convoyeurs de fausseté, servant à bétonner l’hégémonie. « Le langage n’a pas seulement été contaminé par cette bestialité déchaînée, il a été sommé d’imposer les innombrables mensonges [de la propagande] » (20), de persuader, jusqu'à l'endoctrinement, les Américains que les nombreux actes de subversion des nations et du droit international ainsi que les agressions militaires et les crimes de guerre en Corée, au Vietnam et, plus récemment, au Panama et en Irak, ont servi la cause des grands principes “humanitaires”. La subversion du langage par la théologie politique américaine n'a pas seulement rendu la vérité empirique inexprimable, elle a aussi érigé une enceinte de non-dits et de duperie et aussi facilité l’effondrement de la langue anglaise, héritée de l’histoire, au profit du jargon panaméricain, pure fabrication récente. Et lorsque la langue « a été infectée de faussetés, seule la vérité la plus drastique peut la purger » (21).
Des torrents de parlottes moralisantes
Il existe un phénomène américain très particulier que l’on ne retrouve pas en Europe : un Homme de Dieu — d’ordinaire un prêcheur — qui s’avère escroc. Eh bien, dans l’arène politique, après la fin de la Première Guerre mondiale, le Président Wilson était un de ces “Hommes de Dieu” qui voilait l’expansionnisme américain par des torrents de parlottes moralisantes. Pour Wilson, les États-Unis détenaient un rôle assigné par la Providence, celui de diriger le monde. Le wilsonisme fut l’origine et la personnification du totalitarisme américain universaliste. À présent, dans l’après-Guerre Froide et l’après-Yalta, nous avons affaire à un nouveau Wilson, un petit Wilson, soit le Président Clinton, qui, à son tour, réveille le torrent de parlottes moralisantes de son prédécesseur ; lui aussi se pose comme “Homme de Dieu”, et a pris sa place dans la course à l’expansionnisme universaliste, de facture néo-wilsonienne, en utilisant la même vieille notion de Destinée Manifeste et la même théologie politique, cette fois sous les oripeaux du “Nouvel Ordre mondial”. Mais une fois de plus, les concepts de la théologie politique universaliste américaine se dévoilent pour ce qu’ils sont : l’opium de la communauté internationale.
► Nikolaj-Klaus von Kreitor [1946-2003], Nouvelles de Synergies Européennes n°55-56, 2002.
(tr. fr. : LA, légèrement remaniée pour notre entrée) [1ère VF paru dans NSE] [Version anglaise / ou ici]
◘ Notes :
* Anders Stephenson, Manifest Destiny. American expansion and the Empire of Right (Hill and Wang, New-York, 1995).