L’eau, nouvel enjeu stratégique mondial
• Recension : Jacques Sironneau, L’eau, nouvel enjeu stratégique mondial, Economica, Paris, 1996, 112 p.
Haut fonctionnaire français spécialisé dans les questions relatives à l’eau, J. Sironneau souligne, dans cet ouvrage concis et pertinent, la permanence historique des enjeux liés à l’eau. Il rappelle que, dans le cas des fleuves-frontières, le principe retenu est celui de la “ligne médiane” si le cours d’eau n’est pas navigable, mais, dans la pratique, c’est la “ligne de thalweg” qui prévaut, c’est-à-dire “la partie du lit du cours d’eau où les eaux sont les plus rapides et profondes”. Les frontières-fleuves sont souvent des frontières de guerre : le Rhin en Europe, l’Amour et l’Oussouri entre la Chine et la Russie, la ligne Oder-Neisse entre l’Allemagne et la Pologne. Par ailleurs, les axes fluviaux sont des moyens de pénétration pour les puissances offensives ou colonisatrices : tels furent les cas du Nil, de l’Amazone, du Yangzi Jiang. En ne maîtrisant pas les axes fluviaux nord-américains, la France a perdu toute influence en Amérique du Nord, et en ne maîtrisant pas le Nil à Fachoda en 1898, elle a perdu tous ses atouts en Afrique orientale.
J. Sironneau signale ensuite que la répartition des flux d’eau naturels est très inégale dans le monde : le Brésil, le Canada, la Colombie, le Zaïre, la Norvège, la Russie-Sibérie, la Chine, l’Inde et l’Indonésie sont de grandes puissances hydrauliques. Les pays d’Afrique sont, outre le Zaïre, très pauvres en eau. L’aggravation des disparités est prévisible, vu que l’accroissement de la population mondiale implique forcément une dégradation des ressources en eau (comme le montre la “spirale de Falkenmark”) et des pollutions de toutes natures. Aujourd’hui, plusieurs conflits pour l’eau sont en gestation et laissent augurer des affrontements prochains : au Proche-Orient, la Turquie, détentrice des sources du Tigre et de l’Euphrate, tient le sort de la Syrie et de l’Irak entre ses mains, depuis la mise en œuvre des barrages d’Anatolie du Sud-Est. Les guerres israëlo-arabes, ont elles aussi un volet “hydropolitique”. La présence israélienne sur les hauteurs du Golan obéit à une volonté de prise de contrôle de la principale source d’alimentation en eau de la région : un tiers de l’eau consommée en Israël provient du Golan !
Sur le cours du Nil, les conflits potentiels sont également nombreux : l’Égypte (58 millions d’habitants) dépend à 100% du Nil et interdit à ses voisins de construire des ouvrages hydrauliques qui menacerait son approvisionnement. L’Éthiopie refuse ce “diktat égyptien”, avec l’appui d’Israël, cherchant à contourner “l’encerclement arabe-islamique”. Aujourd’hui, le Soudan est allié de l’Iran et exige que ses besoins en eau soient pris en considération. L’hostilité à Khadafi pourrait s’expliquer par sa volonté de créer un “grand fleuve artificiel” pour rentabiliser son pays, offrant de cette façon aux jeunes générations nord-africaines un projet de société différent de l’intégrisme islamique.
À Sarajevo, les hauteurs occupées par les Serbes fournissaient 70% des besoins en eau de la ville. En p. 59, J. Sironneau signale une vérité “géo-hydro-politique” : le pays riverain d’amont est avantagé de fait par rapport au pays riverain d’aval. On l’a vu avec la Turquie, mais Sironneau ne cite pas la France qui tient la Belgique sous sa coupe en occupant les sources de l’Escaut et de la Meuse. Enfin, ce livre cherche les solutions au conflit hydropolitique entre Israël et les Palestiniens et lance des hypothèses pour réglementer en droit les conflit de nature “hydropolitique”.
► Robert Steuckers, Vouloir n°137-141, 1997.