[Ci-contre : portrait d'Erasmus Darwin par Joseph Wright of Derby. Erasmus Darwin est un poète, médecin, botaniste et inventeur britannique. 70 ans avant les travaux de son petit-fils Charles Darwin - face au créationnisme alors dominant - il amorce de façon significative les réflexions sur l'origine de la Vie et son évolution]
Né à Elston Hall le 12 décembre 1731, Erasmus Darwin fréquente d'abord l'école de Chesterfield avant d'entrer en 1750 au St. John's College de Cambridge, où il obtint le grade de Bachelor of Art. En 1754, il part à Edimbourg pour y étudier la médecine. En 1756, il est médecin, d'abord à Nottingham puis à Lichfield et à Radbourne Hall, après son second mariage. Médecin dévoué, Erasmus Darwin se rend célèbre en prêchant contre les excès d'alcool. Poète fougueux, sceptique en matières religieuses, matérialiste dans l'esprit du XVIIIe siècle, correspondant de Rousseau, Erasmus Darwin est un précurseur du lamarckisme et de l'évolutionnisme de son petit-fils Charles Darwin. Bon observateur des phénomènes naturels, Erasmus Darwin n'a cependant pas pu transformer ses observations empiriques en théories, comme le fit en 1859 son très célèbre petit-fils. Son ouvrage majeur en quatre volumes, la Zoonomie, est un monument de la médecine théorique de son époque, qui a indubitablement préparé la voie vers la biologie moderne. Erasmus Darwin meurt le 18 avril 1802 à la suite d'un malaise cardiaque. Ses travaux s'inscrivent dans un contexte familial très précis : son frère aîné, Robert Waring Darwin, écrivit un ouvrage intitulé Principia Botanica, où l'on découvre déjà des notes très particulières sur les phénomènes biologiques. L'aîné de ses trois fils, issus de son premier mariage, étudie la médecine mais meurt accidentellement d'un malencontreux coup de bistouri lors d'une dissection. Le troisième fils de son premier mariage est le second Robert Waring Darwin, père de Charles Robert, initiateur de l'évolutionnisme. La fille aînée de son second mariage, Violetta Darwin, épouse S. Tertius Galton et sera la mère de Francis Galton, théoricien de l'eugénisme.
Zoonomia, or, the Laws of Organic Life (Zoonomie, ou lois de la vie organique), 1794-1796
L'intention de l'auteur nous est d'emblée révélée par son traducteur, le médecin gantois Joseph-François Kluyskens :
« Faire connaître les lois qui gouvernent tous les corps organisés ; partir de ces mêmes lois, dans les corps les plus simples, pour remonter jusqu'à celles qui régissent l'homme, l'être le plus parfait ; réduire toutes ces lois qui ont rapport à la vie organique en classes, ordres, genres et espèces, et les faire servir enfin à l'explication des causes des maladies ; tel fut le but que se proposa la Docteur Darwin lorsqu'il composa la Zoonomie… ».
Erasmus Darwin perçoit un lien entre métaphysique et physiologie, dans le sens où il affirme que nos facultés intellectuelles sont l'effet nécessaire de nos facultés physiques. Descartes, Malebranche, Locke, Condillac et Hume, explique Erasmus Darwin, manquaient des notions physiologiques nécessaires pour percevoir cet état de chose ou ont négligé d'en faire l'application à leur système. Le corps de la démonstration, dans la Zoonomie, consiste en une exploration des facultés dites "sensoriales" (néologisme utilisé en français par le traducteur de la Zoonomie, le Dr. Kluyskens). Celles-ci se répartissent en quatre classes, irritation, sensation, volition, association, auxquelles correspondent quatre classes de maladies.
Les réflexions d'Erasmus Darwin sur l'instinct méritent amplement d'être évoquées ; pour notre auteur, l'instinct n'est pas invariable ; il est au contraire une sagacité susceptible de modification, se développant d'une manière différente suivant les différentes conjonctures qui en déterminent l'exercice. L'instinct provient donc d'une détermination raisonnée et non pas d'une obéissance aveugle et mécanique à une loi de la nature. La théorie zoonomique d'Erasmus Darwin, très proche du lamarckisme, repose sur un concept d'évolution, où l'action d'une "force vitale intérieure", amorcée par un filament primal originel de substance vivante, provoque le développement graduel de l'ensemble des diverses formes de vie par un processus analogue à celui de la reproduction des végétaux. La Zoonomie contient de ce fait un ensemble de réflexions sur la génération, qui font la nouveauté absolue des idées d'Erasmus Darwin. Sa méthode généalogique part d'une observation des bourgeons dans les arbres pour aboutir aux mammifères en passant par tous les animaux de la création.
Pour Erasme Darwin, toute pathologie dérive d'un excès ou d'un défaut, d'un mouvement rétrograde des facultés du sensorium ; les pathologies consistent de ce fait dans l'aberration des mouvements des fibres vivantes.
► Robert Steuckers, 1992. [notice destinée au Dictionnaire des philosophes, PUF, 1993]
♦ Bibliographie :
• Poésie : The Botanic Garden (1794-95) ; The Temple of Nature or the Origin of Society (1803 ; publication posthume) ; Les amours des plantes : poëme en quatre chants : suivi de notes, et de dialogues sur la poésie, trad. en prose du Jardin botanique (2ème partie) par Joseph-Philippe-François Deleuze (Imprimerie de Digeon, Paris, 1799).
• Ouvrages scientifiques : Zoonomia, or, the Laws of Organic Life, in four volumes, London, J. Johnson, 1794-96 [vol. I - vol. II] (la traduction française est basée sur la 3ème édition anglaise de 1801 ; Zoonomie, ou lois de la vie organique, trad. de Joseph-François Kluyskens, en 4 volumes [vol. I - vol. II], Gand, P.F. de Goesin-Verhaeghe, 1810) ; Phytologia, or the Philosophy of Agriculture and Gardening (1800).
• Autres ouvrages : A Plan for the Conduct of female Education in Boarding Schools (1797).
♦ Sur Erasmus Darwin :
Ernst Krause, Erasmus Darwin, trad. anglaise de W.S. Dallas, avec notice préliminaire de Charles Robert Darwin, 1879 ; Anna Seward, Memoirs of the Life of Dr. Darwin, 1804 (voir également la correspondance de Miss Anna Seward) ; Memoirs of Richard Lovell Edgeworth ; John Dowson, Erasmus Darwin, Philosopher, Poet and Physician, 1861 ; cf. également, Samuel Butler (l'auteur d'Erewhon), Evolution Old and New, où le célèbre romancier tente de faire revivre l'ancien évolutionnisme d'Erasmus Darwin contre le nouvel évolutionnisme de son petit-fils Charles ; Leslie Stephen, "Erasmus Darwin", in : Leslie Stephen (ed.), Dictionary of National Biography, vol. XIV, London, Smith, Elder & Co., 1888 ; D. M. Hassler, Erasmus Darwin, Twayne, New York, 1973 ; D. King-Hele, Doctor Darwin : The Life and Genius of Erasmus Darwin, Faber, London, 1977 ; cf. également : D.R. Oldroyd, Darwinian Impacts : An Introduction to the Darwinian Revolution, New South Wales University Press, Kensington (Australia), 1980, Open University Press, Milton Keynes (England), 1980.