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Futurisme

 

FuturismeLe théâtre futuriste

• Recension : Es gibt keinen Hund. Das futuristische Theater : 61 theatralische Synthesen von F.T. Marinetti und Cangiullo, Soggetti, Settimelli, Carli, Boccioni, Buzzi, Balla, Depero, Dessy, Rognoni, Vasari, Nanetti, Janelli, Folgore, Corra, Ginna, Chiti, Calderone, Govoni, Aschieri, Pratella, Fillia und 4 Manifeste, aus dem Italienischen übersetzt und herausgegeben von Brigitte LANDES, München, edition text + kritik, 1989, 223 p.

Tenant compte du regain d'intérêt pour les futurismes, pour leur revendication d'une « fusion de l'art et de la vie », c'est-à-dire pour l'inclusion dans la sphère artis­tique de la technique, de la vitesse, des bruits de mo­teur, de la dynamique, une romaniste allemande, Bri­gitte Landes, a cru bon d'explorer le lieu par excel­lence des provocations futuristes, le théâtre. Ce théâtre de scènes courtes, de variété, qui finissait toujours en bagarres, avec l'arrivée de la police pour vider les lieux. La couleur, Marinetti l'avait déjà annoncée dès son manifeste du 11 janvier 1911 : il faut mépriser le public des premières, ces bourgeois coincés qui arri­vent comme un troupeau pour exhiber leurs femelles coiffées de nouveaux chapeaux. Pour échapper à la banalité, les acteurs doivent être animés du désir de se faire siffler : injures, sifflets, tomates indiquent claire­ment que la pièce n'est pas du rabâchage (B. Landes, pp. 7 à 9).

En 1913, Marinetti, dans un nouveau mani­feste, fait l'apologie du théâtre de Variété (cf. B. Landes, pp. 153 à 161) parce que la Variété est sans traditions ni dogmes, purement actuelle. Elle est anti-académique, primitive et naïve. Elle détruit la fausseté festive, le pseudo-sacré, le sérieux ampoulé et le su­blime de carton-pâte.

Une nouvelle phase du théâtre futuriste commence en janvier 1915, par un nouveau manifeste co-signé par Marinetti, Corra et Settimelli : c'est le théâtre futuriste et synthétique. Ce manifeste commence par un constat : le théâtre est le mode d'expression culturelle le plus prisé des Italiens. Pour neuf Italiens qui vont au théâtre, un seul lit des bou­quins : il faut donc que le futurisme s'infiltre dans la société par le biais du théâtre. Ce théâtre subversif doit être synthétique, soit excessivement court. D'une du­rée de quelques minutes à peine. Ce que ne compren­nent pas les innovateurs de l'art dramatique de l'époque tels Ibsen, Maeterlinck, Andreïev, Claudel, Shaw. Ce théâtre, ensuite, doit être a-technique, c'est-à-dire rejeter les techniques traditionnelles qui ont conduit l'art dramatique dans la fange du pédantisme et de l'abêtissement. Ce théâtre doit être dynamique et simultané, naître de l'improvisation, de l'intuition qui jaillit comme l'éclair, de l'actualité riche en décou­vertes. Ce théâtre doit être autonome, a-logique et ir­réel, ne rien avoir de commun avec la photographie. En conclusion, ce manifeste de janvier 1915, demande qu'un lien s'établisse enfin entre les acteurs et les spectateurs, inaugurant ainsi les modes d'expression théâtrale contemporains.

En 1921, nouveau manifeste du théâtre futuriste de Rodolfo De Angelis avec la collaboration de Marinetti, Cangiullo, Corra, Carli, Settimelli, Prampolini, De­pero, Tato, Casavola, Mix, Bragaglia, Scrivo, Bella­nova. C'est le théâtre futuriste de la surprise, pré­voyant la farce provocatrice dans la salle : vente d'une même place à plusieurs personnes pour provoquer al­garades, injures, gifles et bagarres ; badigeonnage de sièges avec de la glu pour ajouter à la pièce proprement dite le spectacle de la fureur d'un bourgeois ; les mauvaises places coûtent cher, les bonnes places sont bradées pour presque rien. La provocation et l'in­ter­pellation des spectateurs y atteignent leur comble.

Brigitte Landes complète ces 4 manifestes d'une anthologie de pièces futuristes.

Robert Steuckers, Vouloir n°65/67, 1990.

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◘ DOCUMENT

Le théâtre futuriste culte du neuf, de la vitesse et de l’ivresse intellectuelle

• Présentation : Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), est italien, théoricien et promoteur du mouvement futuriste, qui est volontairement provocateur dans son exaltation des valeurs de la révolte, son apologie de la machine et de l’énergie, son refus du passé : « La splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l'haleine explosive… Une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace » ! En 1911, le Manifeste des auteurs dramatiques futuristes parait, suivi en 1913 d’un nouveau manifeste où Marinettti proclame que le Music-hall est le spectacle de l’avenir. C’est au Music hall que l’on trouve le sens du dynamisme, de la simultanéité, de la vitesse, et le sens du grotesque. Dans les années 1914, le mouvement produit des « minidrames » (Marinetti, Corra et Settimelli) qui obéissent à la technique du montage bref, condensé, mécanique, jouant sur les contrastes. Il soutiendra le régime fasciste en 1929. En 1933, il publie un manifeste Teatro totale per le masse (Théâtre total pour les masses) éloge d’un populisme ambiant de la politique culturelle fasciste. Il imagine une révolution de l’art scénographique dans un spectacle total où convergent « cinématographie, radiophonie, téléphonie, lumière électrique, néon, aéropeinture, aéropoésie, tactilisme, humorisme et parfum » !

***

Entre toutes les formes littéraires, celle qui a une portée futuriste plus puissante est certainement l’œuvre théâtrale. Nous voulons aussi que l’art dramatique cesse d’être ce qu’il est aujourd’hui : un misérable produit industriel soumis au marché des distractions et des plaisirs citadins. Il faut pour cela balayer tous les immondes préjugés qui écrasent les auteurs, les acteurs et le public.

1 - C’est pourquoi nous enseignons aux auteurs le mépris du public et en particulier du public des premières représentations, dont voici la psychologie synthétisée : rivalités de chapeaux et de toilettes féminines, vanité d’une place coûteuse se transformant en orgueil intellectuel, loges et parterre occupés par des hommes mûrs et riches, dont le cerveau est naturellement méprisant et la digestion très laborieuse, ce qui est incompatible avec tout effort intellectuel.

Le public varie d’humeur et d’intelligence, suivant les différents théâtres d’une ville et les quatre saisons de l’année. Il est soumis aux événements politiques et sociaux, aux caprices de la mode, aux averses printanières, aux excès de la chaleur et du froid, au dernier article lu dans l’après-midi. Il n’a malheureusement d’autre désir que celui de digérer agréablement au théâtre. Il est donc absolument incapable d’approuver, désapprouver ou corriger une couvre d’art. L’auteur peut s’efforcer de tirer son public de sa médiocrité comme on sauve un naufragé en le tirant hors de l’eau. Mais que l’auteur se garde de se laisser empoigner par les mains épouvantées de son public, car il coulerait inévitablement avec lui en un grand fracas d’applaudissements.

2 - Nous enseignons aussi l’horreur du succès immédiat qui couronne les couvres médiocres et banales. Les pièces qui empoignent directement, sans intermédiaires et sans explications, tous les individus d’un public sont des couvres plus ou moins bien construites, mais absolument dénuées de nouveauté et partant de génie créateur.

3 - Les auteurs ne doivent être préoccupés que d’originalité novatrice. Toutes les pièces qui partent d’un lieu commun ou qui empruntent à d’autres œuvres d’art leur conception, leur ficelle, ou une partie de leur développement sont absolument méprisables.

4 - Les leitmotive de l’amour et le triangle de l’adultère, ayant été excessivement usés dans la littérature, doivent être réduits sur la scène à la valeur secondaire d’épisodes et d’accessoires, tels qu’ils sont devenus aujourd’hui dans la vie, moyennant notre grand effort futuriste.

5 - L’art théâtral, comme tout art, n’ayant pour but que celui d’arracher l’âme du public à la réalité quotidienne et de l’exalter dans une atmosphère éblouissante d’ivresse intellectuelle, nous méprisons toutes les pièces qui veulent seulement émouvoir et pousser aux larmes par le spectacle fatalement apitoyant d’une mère qui a perdu son enfant, d’une jeune fille qui ne peut pas épouser son amoureux, et d’autres fadaises semblables.

6 - Nous méprisons en art et au théâtre en particulier toutes les reconstructions historiques, soit qu’elles tirent leur intérêt de héros illustres, Néron, César, Napoléon, Casanova ou Francesca de Rimini, soit qu’elles s’appuient sur la suggestion exercée par la somptuosité inutile des costumes et des décors du passé. Le drame moderne doit exprimer le grand rêve futuriste qui se dégage de notre vie contemporaine exaspérée par les vitesses terrestres, marines et aériennes et dominée par la vapeur et l’électricité. Il faut introduire sur la scène le règne de la Machine, les grands frissons révolutionnaires qui agitent les foules, les nouveaux courants d’idées et les grandes découvertes scientifiques qui ont complètement transformé notre sensibilité et notre mentalité d’hommes du vingtième siècle.

7 - L’art dramatique ne doit pas faire de la photographie psychologique, mais une synthèse grisante de la vie dans ses lignes significatives et typiques.

8 - Il n’y a pas d’art dramatique sans poésie, c’est-à-dire sans ivresse et sans synthèse. Les formes prosodiques régulières doivent être exclues. L’écrivain futuriste se servira donc du vers libre : mouvante orchestration d’images et de sons qui, passant du ton le plus simple pour exprimer, par exemple, avec exactitude, l’entrée d’un domestique ou la fermeture d’une porte, s’élève graduellement avec le rythme des passions en des strophes cadencées tour à tour et chaotiques, quand il s’agit par exemple d’annoncer la victoire d’un peuple ou la mort glorieuse d’un aviateur.

9 - Il faut détruire l’obsession de la richesse dans le monde littéraire, l’avidité du gain ayant poussé au théâtre d’innombrables esprits exclusivement doués des qualités du chroniqueur et du journaliste.

10 - Nous voulons soumettre les acteurs à l’autorité des écrivains, arracher les acteurs à la domination du public qui les pousse fatalement à la recherche de l’effet facile et les éloigne de toute recherche d’interprétation profonde. Il faut pour cela abolir l’habitude grotesque des applaudissements et des sifflets, qui peut servir de baromètre à l’éloquence parlementaire, mais non pas, certainement, à la valeur d’une œuvre d’art.

11 - En attendant cette abolition, nous enseignons aux auteurs et aux acteurs la volupté d’être sifflés. Tout ce qui est sifflé n’est pas nécessairement beau ni neuf. Mais tout ce qui est immédiatement applaudi ne surpasse pas la moyenne des intelligences ; c’est partant du médiocre, du banal, du revomi ou du trop bien digéré.

J’ai la joie, en vous affirmant ces convictions futuristes, de savoir que mon génie, plusieurs fois sifflé par les publics de France et d’Italie, ne sera jamais enterré sous de pesants applaudissements.

► F.T. Marinetti, texte issu du Manifeste des auteurs dramatiques futuristes, 1911, in : Futurisme : Manifestes, Documents, Proclamations, Lista (dir.), L’Âge d’Homme, 1973, p. 247 à 249.

• Signalons une nouvelle anthologie : Le Futurisme : Textes et manifestes (1909-1944)Lista Giovanni, Champ Vallon, Ceyzérieu, 2015. Lire recension.

 

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Vivenza ou la révolution bruitiste

« Hurle le feu et le souffle du feu, le bruit fils du combat des corps en mouvement s'incarne dans les cœurs humains ». Ainsi s'achève son sulfureux pamphlet La Révolution bruitiste. S'il fait grincer quelques dents et hurler quelques sensibilités fragiles, il faut reconnaître à Vivenza une logique d'un radicalisme hors du commun aujourd'hui. Après les concerts de l'année 86 en Allemagne, Hollande et Italie, le voici de retour. Le cycle français a été introduit par la magistrale soirée (organisation "variété") donnée à Grenoble en la basilique du Sacré Cœur. Les gens conviés à cette cérémonie en sont encore tout retournés, la mystique bruitiste trouva dans ces lieux son grand prêtre. D'un son chaque fois plus énorme et impressionnant (cela semble d'ailleurs un euphémisme de le répéter), d'une mise en scène encore plus frappante, cette soirée (novembre 86) était le premier concert de Vivenza à Grenoble depuis quatre ans. L'intransigeance doctrinale de Vivenza ne peut laisser indifférent, sa lucidité lui a permis de dégager de l'héritage futuriste la substantifique moëlle qui génère son travail actuel.

Une cohérence rigoureuse

Sa volonté, sa cohérence en font, il faut bien le reconnaître à présent, l'un des plus puissants représentants du courant industriel. La violence dynamique de ses compositions, liée à une présence scénique déconcertante, lui ont permis de se hisser à travers des pâles imitateurs balbutiants et enfantins bricoleurs, au premier rang créatif, écrabouillant comme il aime à le dire, la sclérose électro-acoustique et la frilosité institutionnelle ainsi que l'amateurisme dilettante. Bien entendu, cette ascension a des risques, et l'un des plus importants reste celui de l'incompréhension. Nombreuses sont les personnes qui préfèrent la fuite devant les évidences politico-culturelles de Vivenza, même s'il ne fait pas dans la dentelle, son cri et son attitude sont un nécessaire contre-poison pour nos conformismes cotonneux. Nos habitudes intellectuelles sont, il est vrai, mises à mal avec lui et, plusieurs fois, à la passion qui l'anime, j'ai voulu substituer dans la discussion l'analyse froide mais c'est un terrain où il excelle tout aussi bien et c'est ce qui fait sa force et sa cohésion car effectivement chez lui nous ne retrouvons pas tous nos travers répulsifs de cette scène inculte et bruyante. Tout au contraire, ici, le propos est fondé sur une rigueur dépensée, un fondamentalisme bruitiste unique en son genre. Cet aspect particulier peut nous permettre de penser que nous sommes en face d'une réflexion sûrement étudiée et d'une attitude d'une extrême importance.

Sur la ligne qui va des servo-mécanismes aux compositions bruitistes en passant par les textes, disques et concerts, Vivenza nous livre le résultat d'un travail d'une concision qui est remarquable, à plus d'un titre. Cette détermination dans la démarche depuis plusieurs années ne peut que frapper et c'est pourquoi il est nécessaire à présent (si l'on ne veut pas se trouver désarmé face à son propos et à son travail) de lire ce qu'il écrit ou d'écouter très attentivement ce qu'il ne cesse de répéter :

« La problématique bruitiste doit être abordée d'une manière tout à fait nouvelle, les écoles électro-acoustiques n'ont pas su conserver d'une manière l'aspect révolutionnaire du propos bruitiste tel qu'il nous fut livré par les Italiens ; il nous appartient maintenant de réaliser l'incarnation dynamique de leur vision ».

« Le bruit a une exigence dynamique qu'il nous faut développer, même ou surtout violemment, peu importe les craintes, nous devons travailler la matière sonore au corps ».

« Fuir les vagues errances anémiées du dilettantisme, qui fait que tout le monde se dit intéressé par le son, mais nul ne songe à savoir si le son s'intéresse à eux. La matérialité objective du bruit est une conception organique vivante, vibrante, mais il ne faut pas plaisanter avec. La position de l'esthète touche-à-tout ne marche pas. Ici, c'est complètement totalitaire au sens psychologique du mot, c'est-à-dire que cela concerne l'individu en totalité. L'être dans son objectivité et non pas son oreille avec la distance du touriste, le recul de la prudence et du confort. Soit tu décides de t'imposer dans cette discipline et tu te contingentes, soit il vaut mieux continuer à cultiver son néant ».

Un "janséniste" sulfureux

Avec de tels propos, il est vrai, rien n'est fait pour dissiper ce brouillard sulfureux qui semble dissimuler ce personnage hors du commun. Dans un précédent article, j'avais employé le terme de jansénisme à son sujet et c'est vrai que pour lui le nombre des élus semble fort restreint à l'intérieur du cénacle qui contient "la minorité consciente" luttant avec détermination à la révélation révolutionnaire de la fureur du bruit. Rigueur d'un autre temps ou ascèse visant l'intégration totale de l'individu dans les structures même du bruit, union furieuse, passionnée et douloureuse rendue visible l'espace d'un concert. Le tellurisme révolutionnaire de Vivenza nous plonge directement dans ces racines profondes : « du plus fort de la matière domestiquée surgit l'immense écho du langage de la terre. Alimentée du sang et de la sueur des hommes de la terre, fécondée, accouche dans la violence du bruit qui est son langage, du bruit qui est son cri, du bruit qui est son sens et sa forme ». Et c'est dans ce bruit que Vivenza s'immerge afin d'y appliquer cette "orchestration méthodique", cette organisation mécaniste et radicale parce que nécessaire et obligatoire sous peine de dérapage. En effet, Vivenza sait qu'il y a un risque et le concert nous livre intégralement cette fragilité, ce danger de l'emballement du dépassement, caché par l'agencement précis de la scène et des appareils.

Une cassure historique à colmater

« L'énergie du bruit est une énergie de destruction et de construction ». Tout s'articule dans cette dialectique précise, cette relation toujours délicate entre la virtualité dynamique des matériaux et leur maîtrise, leur architecture. Nous ne pouvons face à ce travail continuer à reproduire nos schémas catégoriques d'analyse. Vivenza déroute et c'est très bien, Vivenza dérange et c'est encore mieux, Vivenza déconcerte et nous sommes désarmés. Sa logique très particulière nous avait déjà surpris lorsqu'il y a quelques années il nous avait expliqué en quoi les propositions théoriques bruitistes formulées par les avant-gardes du début du siècle (futurisme, constructivisme) n'avaient pu s'incarner concrètement, en quoi il y avait une cassure historique qui demandait d'être colmatée, un lien qu'il était nécessaire de réaliser. En quoi les écoles acoustiques qui avaient éclos après-guerre ne pouvaient se dire héritières des visions révolutionnaires bruitistes et ce langage effectivement était neuf, particulièrement décapant, nulle comparaison n'était réellement possible entre le travail savant mais ennuyeux des instituts d'électro-acoustique et celui de Vivenza.

Certains s'étonnent de voir ressortir de l'oubli des théories du début du siècle. Mais Vivenza n'est pas un pâle continuateur qui se contenterait de réactualiser des principes vieux de 70 ans. Vivenza n'est pas un fossile. Il n'est, pour s'en convaincre, que de se pencher un instant sur sa production et ses compositions, d'examiner de près ses textes pour voir si le futurisme italien est bien la source dont il se réclame (et cela dans une démarche qui combine l'honnêteté intellectuelle à la nécessité historique et théorique), il ne se suffit pas de ce rappel, il ne se cantonne pas dans l'attitude de l'historien frileux ou du disciple dévot. « Le bruit ne saurait se satisfaire d'une telle attitude. Cette sclérose serait l'antithèse de toute démarche dynamique ». Au contraire, nous sommes ici en présence d'une évidente et concrète action d'une exceptionnelle nouveauté dans ce qu'elle a de profondément novatrice et d'autre part de terriblement enracinée dans son rappel historique si particulier qu'il en est presque unique par sa radicalité dans le monde de l'art contemporain. C'est d'ailleurs ce qui fait dire au journaliste italien Ottavio Casattini : « Représentant la plus pure expression du radicalisme sonore bruitiste mécanique, Vivenza s'affirme comme le plus sérieux propagandiste de l'authenticité industrielle, dans toute son intégralité et toute sa pureté doctrinale ».

Porter le bruit à son maximum de rage et de force

Le jugement de Casattini semble d'une grande justesse d'analyse. Cette authenticité est bien la marque de Vivenza, sa spécificité. Le bruit est, avec lui, porté à son maximum de rage et de force, conservant toute son intégralité essentielle, refusant de l'utiliser en faire-valoir. Vivenza est bien cet énorme "Souffle des Forges" qui s'affirme à présent avec une intensité d'autant plus dramatique qu'elle est en passe de disparaître de notre paysage industriel européen puisque cette industrie du XIXe siècle est, à plus ou moins court terme, promise à la destruction. Pour que l'oubli n'afflige pas nos mémoires, Vivenza fait hurler les machines en paraphrasant Dziga Vertov : « Vive la poésie de la machine mue et se mouvant, la poésie des leviers, roues et ailes d'acier, le cri de fer des mouvements, les aveuglantes grimaces des jets incandescents ».

► JM Lombart, Vouloir n°65/67, 1990.

 

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Futurisme« La guerre futuriste est une mobilisation totale contre les valeurs politiques, morales et culturelles du passé ; elle permet à Marinetti de rompre les ponts avec la décadence, d'être de plain-pied dans la réalité qui n'est plus la conséquence du passé mais son contraire. Il repère un ennemi immédiat — les empires centraux "moribonds" — et un objectif facile — l'irrédentisme ; mais surtout il identifie, dans la technique au service du mythe, l'avènement traumatique de la modernité. […] Marinetti n'est décidément pas facile à cerner. Il est de "droite" ou plutôt d'"extrême droite", lorsqu'il en appelle au droit du plus fort, au reniement de la solidarité de classe, à la loi martiale contre les pacifistes et les traîtres, à la destruction de l'ennemi et pas seulement à sa défaite. Il est de "gauche ", ou plutôt d'"extrême gauche" parce qu'à ses yeux la guerre doit mener à la dissolution de tout ordre préétabli, y compris celui des non-belligérants comme l'Eglise — d'où sa fronde pendant la période fasciste contre les compromis et la corruption du régime. " (Maurizio Serra, Marinetti et la révolution futuriste, Herne, 2008).

 

 

 

L’exposition Italia Nuova, du 06 avril au 3 juillet 2006, nous présente entre autres les futuristes à l’assaut du Grand Palais à Paris. À l’origine de ce mouvement artistique d’avant-garde italien qui comme son nom l’indique se veut antitraditionnel,  il y a une volonté commune de mettre au rebut l’académisme et le passéisme des peintres transalpins du XXe siècle. Cette réaction participe d’un ensemble de mutations qui affecte l’Europe entière : après des années de léthargie, Turin et Milan, dès 1900-1905, connaissent un essor industriel sans précédent. Voici ici une brève présentation par Michel Marmin (revue éléments n°16, juin 1976) qui revient sur ce pavé dans la mare de l'Art qui devait être suivi de beaucoup d'autres au cours du XXe siècle au point d'en devenir purement rhétorique dans l'art contemporain.

La révolution futuriste

Il y a cent ans naissait le poète italien Filippo Marinetti (1876-1944). Inspirateur du mouvement futuriste, il en fut l'animateur infatigable jusqu'à sa mort. Le courant artistique qu'il a suscité demeure l'un des plus féconds du XXe siècle. Et l'un des plus originaux. L'esthétique futuriste procédait d'une idéologie nietzschéenne, renouvelée au prisme de la sensibilité latine. 

C'est peut-être le 20 février 1909 que l'acte de naissance du XXe siècle a été publié. Ce jour-là en effet, le poète italien Filippo Tommaso Marinetti faisait paraître à Paris, dans Le Figaro, le premier manifeste du Futurisme. Né en 1876 en Égypte, Marinetti maniait avec un bonheur égal les langues italienne et française. Agitateur-né, esthète éclectique, doué d'un sens particulièrement développé de la provocation théâtrale, Marinetti écrit : « La littérature ayant jusqu'ici magnifié l'immobilité pensive, l'extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, la gifle et le coup de poing ». Le dernier point de « ce manifeste de violence culbutante et incendiaire », selon l'expression même de Marinetti, est un acte de foi :

« Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte ; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes ; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques ; les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument ; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées ; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés ; les paquebots aventureux flairant l'horizon ; les locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels d'énormes chevaux d'acier bridés de longs tuyaux, et le vol glissant des aéroplanes, dont l'hélice a des claquements de drapeau et des applaudissements de foule enthousiaste ».

Le premier manifeste du Futurisme révèle plus qu'une adhésion hyperbolique au monde moderne et à la technologie. Influencé par Nietzsche et Sorel, marqué par l'anarchisme et l'anticléricalisme, Filippo Tommaso Marinetti s'efforce en réalité de penser le monde moderne, d'en saisir la dynamique profonde et d'en tirer une éthique et une esthétique révolutionnaires : « Le futurisme, écrira-t-il en 1913, a pour principe le complet renouvellement de la sensibilité sous l'action des grandes découvertes scientifiques ».

L'influence de Marinetti, pour qui "une automobile rugissante est plus belle que la Victoire de Samothrace", s'étend bientôt aux arts plastiques, donnant naissance à l'un des mouvements artistiques les plus passionnants du siècle. Propagandiste génial, Marinetti pousse les peintres Balla, Boccioni, Carra, Russolo et Severini à signer, le 11 avril 1910, le manifeste technique de la peinture futuriste : « Le geste que nous voulons reproduire sur la toile ne sera plus un instant fixé du dynamisme universel. Ce sera simplement la sensation dynamique elle-même ».

Bientôt les futuristes disposent d'une revue fondée par Ardengo Soffici, Lacerba. D'autres artistes se joignent aux signataires du manifeste, tels l'architecte Antonio Sant'Elia et le peintre Prampolini. L'esthétique futuriste appelle à la destruction du langage plastique traditionnel, inapte à exprimer « la vie moderne fragmentaire et rapide » selon la formule d'Umberto Boccioni. Décomposition du mouvement, collages, éclatement de la composition : les futuristes se forgent un vocabulaire nouveau.

À Paris, les Italiens rencontrent Braque, Picasso, Fernand Léger, Delaunay, Marcel Duchamp. Dans le catalogue de l'exposition consacrée au mouvement futuriste en 1973, au Musée national d'art moderne, Mme Françoise Cachin-Nora écrit : « Les cubistes inventent un nouveau moyen pour peindre des objets en s'intéressant aux moyens, peu aux objets. Les futuristes, avec une technique où se mêlent les influences de l'impressionnisme, de l'expressionnisme, du divisionnisme et du cubisme, inventent une nouvelle imagerie, des sujets neufs : la fusion des hommes et des villes, les mouvements du corps et des états d'âme ».

La différence est fondamentale. Les cubistes ne se réclament que de la peinture. Les futuristes, eux, obéissent à une vision du monde, à une pensée globale. Mais alors que les cubistes s'enfermeront rapidement dans un dogmatisme pictural stérile, les futuristes, en revanche, surprennent aujourd'hui par la fraîcheur intacte de leur peinture, la diversité de leur tempérament, leur générosité et leur imagination. C'est que l'atavisme national l'a emporté, chez eux, sur la théorie. Rien de plus italien, en effet, que l'euphorie chromatique d'un Severini ou le lyrisme rigoureux d'un Boccioni.

Leurs œuvres soulèveront de multiples vocations en Europe. En Angleterre, avec les "vorticistes" réunis autour d'Ezra Pound. Et en Russie également, même si Larionov, dont le "rayonnisme" doit beaucoup à Boccioni, invite le public moscovite à accueillir Marinetti à coups d’œufs pourris.

Les futuristes, il est vrai, professent avec force leur italianité. Guillaume Apollinaire, qui sera renvoyé de L'Intransigeant pour les avoir défendus, voulait "réunir sous ce nom (futurisme) tout l'art moderne". Mais Marinetti, racontera Severini, « avec le prétexte de conserver au futurisme son caractère national, refusera énergiquement l'idée d'Apollinaire ».

La guerre leur fera parfois prendre des chemins séparés. Soffici rompra avec Marinetti en 1915. Carra se convertira à la peinture métaphysique, dans les pas de Giorgio De Chirico. Giacomo Balla choisira l'abstraction. Quant à Marinetti, il partira au front en compagnie de Boccioni, Russolo et Sant'Elia, avec l'enthousiasme qui caractérisait le 9ème point de son premier manifeste : « Nous voulons glorifier la guerre — seule hygiène du monde — le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent et le mépris de la femme ».

Les femmes, pourtant, n'étaient pas absentes du mouvement futuriste. L'une d'entre elles, la Française Valentine de Saint-Point, publiera même un étonnant manifeste de la luxure : « Nous avons un corps et un esprit. Restreindre l'un pour multiplier l'autre est une preuve de faiblesse et une erreur. Un être fort doit réaliser toutes ses possibilités charnelles et spirituelles. La luxure est pour les conquérants un tribut qui leur est dû. Après une bataille où des hommes sont morts, il est normal que les victorieux, sélectionnés par la guerre, aillent, en pays conquis, jusqu'au viol pour recréer de la vie ».

Après 1918, le mouvement futuriste devait connaître en Italie un développement considérable. Son idéologie, prométhéenne et guerrière, séduisit Mussolini : le destin du futurisme fut alors lié à celui du fascisme. Les futuristes participèrent notamment à la Mostra della rivoluzione fascista, en 1932, où le peintre Prampolini exécuta plusieurs panneaux dynamiques et bariolés, en particulier celui intitulé L e 15 avril 1919.

Le 2 décembre 1944, Filippo Tommaso Marinetti mourait à Bellagio. Il avait jusqu'au bout été fidèle aux "belles idées qui tuent". Il s'était engagé sur le front de l'Est, où il avait combattu dans les rangs italiens, et il s'était rallié à la République de Salo. Quelques jours avant sa mort, il écrivait un dernier poème futuriste, dédié à la X MAS du prince Valerio Borghese.

► Michel Marmin, éléments n°16, 1976.

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Les projets futuristes de l'architecte Antonio Sant'Elia (1888-1916) obéissaient à une exigence révolutionnaire : la verticalité et l'exaltation des matériaux nouveaux. Mais aussi à un souci d'ordre intellectuel : « Faire du monde des choses une projection directe du monde de l'esprit » (L'architecture futuriste, 11 juillet 1914). Le mouvement futuriste fut étroitement lié au fascisme, comme l'atteste, ci-dessous, ce "buste" de Benito Mussolini, exécuté par le sculpteur Bertelli (Imperial war museum, Londres).

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« Nous invitons tous les jeunes talents d’Italie à mener une lutte à outrance contre les candidats qui pactisent avec les vieux et avec les prêtres ». Dès 1909 Marinetti, le fondateur du futurisme, milite pour la destruction de tout ce qui rattache l'Italie à son passé, qu'il s'agisse d'églises, de musées ou de bibliothèques. Son exhortation annonce l'explosion créative et le foisonnement de nouveaux courants qui forment le sujet d'Avant-gardes italiennes 1910-1950, la grande exposition de printemps du Grand Palais.

Politiquement proche de l'anarchisme, le futurisme ne vise pourtant pas à la paix universelle : plutôt à un état de guerre permanent, synonyme de progrès technologique effréné, de vie dangereuse et rapide. "La guerre, seule hygiène du monde" clame Filippo Tommaso Marinetti dans un essai paru en France, en 1911. Il écrit encore : « La guerre actuelle est le plus beau poème futuriste apparu jusqu'ici : le futurisme signe en effet l'apparition de la guerre dans l'art." Lui et ses amis soutiennent à coups de poing une manifestation pour l'entrée en guerre de l'Italie. Au cours de ses multiples gardes à vue, il se lie même d'amitié avec Mussolini, alors révolutionnaire de gauche.

L'esthétique futuriste, définie en peinture par Giacomo Balla, Carlo Carra, Umberto Boccioni, Gino Severini, intègre la révolution cubiste et s'attaque au mouvement et à la vitesse par l'abstraction. Les études chronophotographiques d'Étienne-Jules Marey inspirent leurs toiles. Ils y figurent des trains blindés et des automobiles. La peinture rencontre la poésie dans d'audacieuses compositions typographiques, comme ce poème en mots libres de Marinetti, Zang Tumb Tumb Tuuum Adrianapoli, ottobre 1912, où le placement des mots sur la couverture évoque un bombardement.

Le futurisme perd 12 de ses recrues dans la guerre, et ses survivants prennent leurs distances. Mais une 2nde vague va renouveler les effectifs et produire des œuvres où cohabitent librement métal et carton, figures déconstruites et recherches rythmiques. Le futurisme culmine littéralement dans ses dernières années avec "l'aéropeinture", dont le thème central est l'avion. La machine est d'abord peinte pour elle-même, en tant que triomphe technologique. Mais, dans les années 1930, les futuristes adoptent le point de vue subjectif du pilote et peignent des paysages vus du ciel, tels Miracle de lumières en plein vol (1931) ou En plongeant vers la ville (1940). L'élévation du point de vue est perçue comme une révélation quasi mystique.

Un mysticisme que l'on retrouve dans les toiles de la metafisica, un courant sans doute produit par la crise du futurisme. De Chirico est la tête de file de ce mouvement, dont les tableaux, peuplés de mannequins sans tête et de statues antiques, intriguent par leur viduité spectrale et leur étrange ironie. L’architecture néoclassique, qui encadre ces perspectives mystérieuses, révèle la question centrale que se pose l'art italien dans les années 1910 : que faire de son passé ? La réponse des futuristes était claire : l'anéantir. Et la liberté totale de leur travail anticipe certaines des initiatives les plus pertinentes de l'art d'aujourd'hui. Le Centre Pompidou consacrera d'ailleurs une importante rétrospective au mouvement pour son centenaire, en 2009.

Samuel Dambert, in Revue Citizen K internaztional, avril 2006.

 

 

 


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