L’Europe des eurocrates soutient la politique pro-kosovar des États-Unis et nuit aux intérêts de notre Europe !
Le Kosovo ne parvient pas à se stabiliser. Les Serbes du Nord de ce nouveau pays bloquent les routes pour obliger les douaniers kosovars-albanais à se retirer et à ouvrir ainsi les postes frontières avec la Serbie. Les Serbes du Kosovo veulent que la situation dans la zone frontière redevienne comme avant le 25 juillet, c’est-à-dire sans la présence de douaniers kosovars-albanais. Les Serbes entendent ainsi empêcher toutes les mesures visant à consolider l’indépendance du Kosovo albanais, proclamé unilatéralement en février 2008.
La communauté internationale veut aider à construire un “État multi-ethnique” viable dans cette ancienne province du Sud de la Serbie : elle tente de l’imposer par une armée internationale, la KFOR, et par la mission EULEX, mandatée par l’UE pour établir un “État de droit”. En agissant de la sorte, la communauté internationale se place résolument du côté des Albanais. Ce ne devrait pas être un motif d’étonnement : les États-Unis, qui donnent toujours et partout le ton, ne viennent-ils pas de déclarer sans ambages en juin dernier, qu’une éventuelle partition du Kosovo n’était pas envisageable. “Une partition du Kosovo pourrait entraîner des effets à l’échelle locale qui pourrait s’avérer négatifs pour toute la région”, a déclaré Philip Gordon, vice-ministre des Affaires étrangères, responsable pour les affaires européennes. Et il concluait : “Cette position est claire pour les États-Unis et elle le restera”. La Russie, on peut s’y attendre, ne comprend guère la position adoptée par les États-Unis et l’UE. La Russie est une alliée traditionnelle de la Serbie. Alexandre Lukachevitch, porte-paroles du ministère russe des affaires étrangères, voit là “des conséquences négatives considérables pour tout règlement futur de la question kosovar”, vu “le soutien accordé aux ambitions démesurées des Albanais du Kosovo”.
Malgré l’absence totale de succès de l’État kosovar, Américains et eurocrates s’accrochent au statu quo présent et oublient que le Kosovo dépend financièrement de la communauté internationale et est entièrement aux mains de la criminalité organisée. Mais les États-Unis tirent profit de cette situation à plus d’un titre : d’abord, les Albanais du Kosovo constituent un gage pour pouvoir, le cas échéant, punir Belgrade si les Serbes adoptent un comportement jugé déviant, comme par ex. un alignement trop prononcé sur Moscou. Washington a depuis longtemps décidé que la Serbie devait être inféodée aux “structures euro-atlantiques”, ce qui ôterait à la Russie son allié le plus sûr en Europe. Ensuite, la question kosovar offre à Washington la possibilité de saboter tout rapprochement entre l’UE et la Russie.
Par ailleurs, il s’agit d’attiser les conflits ethniques et religieux dans les Balkans et de les faire durer car, de cette façon, les États-Unis pourront arguer de la nécessité de leur présence dans la région. Manifestement, les Américains poursuivent le plan d’installer au beau milieu du Kosovo le fameux “Camp Bondsteel”, une base militaire capable d’abriter 5000 soldats sur une surface de 386 hectares, et d’en faire un élément permanent de leurs dispositifs en Europe. Pour les Américains, il sera plus facile de parachever leur politique balkanique si cette région comporte des constructions étatiques fragiles et instables comme la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo, dont ils pourront faire des vassaux obéissants, qui exécuteront sans trop tergiverser les ordres de Washington. En juin dernier, Gordon, vice-ministre des affaires étrangères aux États-Unis, a déclaré, à propos de la Bosnie, qui devrait adhérer à long terme à l’OTAN comme tous les autres États des Balkans : “Des Balkans où il y aurait des frontières tracées autour de chaque groupe ethnique nous conduiraient à la catastrophe. En tous les cas de figure, ce n’est pas là un projet que nous soutiendrons”.
Finalement, les États-Unis tentent d’établir en Europe des États dits “multi-ethniques”, comme la Bosnie ou le Kosovo qui sont majoritairement musulmans, afin que deux corps étrangers soient implantés au sein de la communauté des États européens avec la circonstance supplémentaire qu’ils attireront à eux les “sociétés parallèles” (soit les “diasporas mafieuses”) de confession musulmane qui étendent leurs réseaux dans toute l’Europe (avec l’appui d’Erdogan, Gül et Davutoglu, ndt) et disposeront ainsi de deux sanctuaires.
Au vu de tous ces faits, il apparaît incompréhensible que l’eurocratie bruxelloise soutienne sans sourciller la politique kosovar des États-Unis. James Bissett, ancien ambassadeur dans l’ex-Yougoslavie, s’est exprimé à ce sujet : “Depuis qu’il prétend s’être libéré de la Serbie, le Kosovo est devenu un État failli avec un taux très élevé de chômage, où dominent la corruption et la criminalité, avec des dirigeants qui sont profondément impliqués dans l’importation d’héroïne et d’armes ainsi que dans le trafic de chair humaine”. À cette forte parole de Bissett s’ajoute encore une flopée de reproches à l’adresse de Hashim Thaçi, chef du gouvernement du Kosovo, qui s’est livré au trafic d’organes et à d’autres activités illégales.
Malgré ces accusations graves, Thaçi et d’autres dirigeants kosovars sont caressés dans le sens du poil par les eurocrates et les Américains, car les anciens combattants de l’UÇK, l’armée de l’ombre avant l’indépendance du Kosovo, sont considérés comme des “héros” de la démocratie. Il est intéressant d’observer que l’UÇK est bien vite passé du statut de paria à celui d’allié bénéficiant d’une haute considération. En 1998 encore, un rapport du ministère américain des affaires étrangères considérait que cette armée clandestine kosovar était “terroriste” et constituait un élément-clef dans le commerce illicite de drogues en échange d’armes, trafic qui avait contribué chaque année “à transporter des drogues pour une valeur totale de deux milliards de dollars américains en Europe occidentale”.
Il n’a pourtant pas fallu attendre un an pour que l’UÇK bénéficie de l’aide américaine dans la guerre de l’OTAN contre la Serbie, guerre contraire au droit des gens. D’après le London Sunday Times, des agents des services secrets américains ont avoué avoir aidé l’armée de libération du Kosovo, c’est-à-dire l’UÇK, à s’entraîner. À cette époque déjà, on soupçonnait les États-Unis de vouloir établir une base militaire fort importante au Kosovo.
► Bernhard Tomaschitz, zur Zeit n°45/2011.
Kosovo, Phase 2 : l’épuration ethnique totale !
Depuis le premier février 2010, les forces d’occupation de l’OTAN ont été diminuées de 2.600 hommes ; ces forces sont stationnées dans la province serbe de Kosovo, arrachée à la tutelle de Belgrade par l’agression atlantiste de 1999 et la proclamation unilatérale d’indépendance du Kosovo en février 2008. La réduction de la présence atlantiste armée à 10.000 hommes au total a été justifiée “avec élégance” par les gouvernements intéressés comme une « amélioration d’ordre tactique », garantissant aux troupes déployées une « flexibilité accrue » lors de leurs interventions, quand elles s’interposent entre les diverses ethnies (principalement Albanais “skipetars”, Serbes, Croates et Goranis), qui s’opposent les unes aux autres de manière ininterrompue depuis l’expulsion en masse de tous les non Albanais de cette province serbe ; il y a en effet 250.000 réfugiés au-delà des frontières du nouvel État autoproclamé. En réalité, la “guerre infinie”, voulue par les atlantistes, réclame des troupes ailleurs, en Afghanistan par ex., ce qui amène à réduire les effectifs de l’OTAN au Kosovo, mesure directement liée à la requête formulée par les États-Unis à l’endroit de leurs “alliés” (il faudrait dire de leurs “vassaux” ou de leurs “colonies”), à qui ils demandent d’augmenter les effectifs de leurs troupes dans l’Hindou Kouch.
Revenons au Kosovo, à la blessure la plus grave qu’ont infligée les atlantistes au cœur d’une Europe toujours à la recherche de sa liberté depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Depuis la partition forcée du territoire initial de la Serbie, nous constatons que les atlantistes veulent désormais “compléter” leur objectif : arracher définitivement tous les liens qui pourraient encore unir le Kosovo à la Serbie. Depuis 11 ans, l’OTAN occupe le pays et vient de décider, depuis son commandement suprême, de renforcer le statu quo, de le pérenniser, en transformant la structure de commandement des forces atlantistes au Kosovo. Cette structure prévoyait au départ le déploiement de 5 forces d’intervention distinctes, contrôlant respectivement le nord, le sud, l’est, l’ouest et le centre de la province. Dorénavant, il n’y aura plus qu’un seul dispositif, qui aura compétence stratégique sur l’ensemble du territoire kosovar, au lieu des 5 zones de compétence initiales. Toute subdivision du commandement de la Kfor dispose donc, depuis ce premier février, de la possibilité d’intervenir dans des situations conflictuelles d’urgence partout sur le territoire du Kosovo et non plus seulement dans la zone circonscrite qui leur était préalablement assignée.
L’idée stratégique qui se profile derrière cette modification structurelle est d’obliger toutes les parties concernées d’accepter, y compris sur le plan militaire, l’unité de facto du Kosovo, sous la férule du gouvernement albanais de Pristina. Toute ethnie hostile à la sécession kosovare et donc fidèle, dans une certaine mesure à la Serbie, sera désormais affaiblie dans ses revendications et ses aspirations et ne pourra plus évoquer comme prétexte les actes de terrorisme et de violence perpétrés par les Albanais contre les églises et les enclaves serbes, actes de violence qui avaient pourtant justifié la présence des troupes de la Kfor, appelées à “pacifier” la région. Ce refus de prendre en compte les déprédations et le vandalisme sauvage des Islamo-Albanais, on avait déjà pu l’enregistrer en 2004.
La déclaration unilatérale d’indépendance par les Albanais de Pristina s’est faite, rappelons-le, immédiatement après la création de l’Eulex, en février 2008. la création de l’Eulex avait eu pour corollaire de transformer les bandes terroristes de l’UÇK en une “force de police intérieure” dans les zones contrôlées par les Albanais. La “mission” de l’Eulex, un organisme créé par le Conseil des “affaires générales” de l’UE (organisme qui, bien entendu, n’est pas élu par les peuples de l’Union), avait déjà été décidée deux ans auparavant, sous le prétexte de traduire dans la réalité kosovare la résolution 1244 des Nations Unies. L’Eulex alignait au Kosovo une force de quelque 1.400 gendarmes plus un nombre complémentaire de civils et de militaires. Elle devait assurer la “sécurité” et le contrôle armé des zones encore densément peuplées de Serbes, surtout dans le nord de la province, autour de la ville de Mitrovica. Derrière tout le prêchi-prêcha édulcorant des instances atlantistes et mondialistes, qui nous parlent de “démocratie” et de “droits de l’homme”, l’objectif réel et concret de cette opération était de déraciner les Serbes, de les arracher à la terre kosovare et de les contraindre à l’émigration. Bref : l’objectif des atlantistes est de faire et de parfaire de manière totale et irréversible ce qu’ils ont bruyamment reproché aux autres de faire de manière ponctuelle et circonstanciée : de l’épuration ethnique à grande échelle, sous le couvert de propos lénifiants.
Voilà le type de mission que se donnent les atlantistes et leurs auxiliaires lâches et véreux de l’Union Européenne. Et les dirigeants de la colonie US qu’est devenue l’Italie ont participé allègrement à ce crime.
► Udo Gaudenzi, éditorial de Rinascita, 3 février 2010.
Kosovo : le droit des gens sur la sellette
Question : quel est le principe du droit des gens qui est le plus important et qui doit recevoir la priorité ? Le droit à l’auto-détermination des peuples ou le principe de l’intégrité territoriale des États ? C’est la question à laquelle le Tribunal international devait répondre récemment dans le cas de son rapport d’expertise sur le Kosovo. Abstraction faite du contenu concret de ce rapport d’expertise et de ses effets politiques, le cas du Kosovo montre que le droit des gens n’est plus tellement une question de faire valoir le droit et de justifier celui-ci par des principes, mais n’est plus qu’une question de pouvoir et de force. Pourquoi ? Lors de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, il y a peu d’années d’ici, on s’est réclamé du droit à l’auto-détermination des peuples, qu’il fallait octroyer aux Albanais ethniques du Kosovo ; on a également justifié ce choix du fait que l’ancien régime serbe avait commis, à l’encontre de ceux-ci, des crimes contraires aux droits de l’homme, lors de la guerre ayant précédé l’indépendance kosovare. Pour cette raison, on devait, dit-on, accorder l’indépendance aux Kosovars et leur octroyer le droit à l’auto-détermination. On n’a dès lors tenu aucun compte de l’intégrité du territoire de l’État de Serbie, ce qui a eu pour résultat que, jusqu’ici, le Kosovo n’a été reconnu que par un nombre très limité d’autres États.
Il est de notoriété publique que cette indépendance du Kosovo a été rendue possible par des pressions extérieures, surtout américaines, et que les Européens, de ce fait, l’ont acceptée bon gré mal gré. Dans toutes ces démarches, on a complètement ignoré un fait : la construction qu’est le Kosovo est totalement dépendante sur le plan économique, n’est pas viable et constitue probablement le premier État entièrement musulman sur le sol européen.
La Serbie veut que l’on entame de nouvelles négociations pour fixer un statut définitif au Kosovo mais l’opinion générale estime évidemment qu’elle ne l’obtiendra pas et que sa démarche est absurde car l’indépendance du Kosovo ne pourra plus être rendue nulle et non avenue. En vérité, le vrai problème est celui de la région du Nord du Kosovo, qui possède un peuplement serbe compact, pour lequel il conviendrait bien évidemment d’appliquer les mêmes principes du droit des gens, que nous venons de citer. Les Serbes du Kosovo sont pleinement en droit de faire valoir à leur profit le droit à l’auto-détermination. Et si l’on considère le Kosovo comme un État souverain à part entière, son intégrité territoriale ne doit pas être une vache sacrée, pas davantage que celle de la Serbie, puisqu’il est né précisément du rejet de ce principe d’intégrité territoriale. En clair : les Serbes vont être contraints d’accepter un compromis, dans la mesure où ils ne récupèreront que les seules régions peuplées de Serbes et devront entériner la sécession du reste du Kosovo.
Ensuite, la grande question se pose à l’UE : ce territoire nouvellement indépendant, de peuplement albanais sera-t-il vraiment viable sur le long terme ou devra-t-on l’alimenter et le soutenir pour les siècles des siècles, en tant que pur protectorat de l’UE ? Ou bien se décidera-t-on d’élargir et de tester le principe de l’auto-détermination des peuples à tous les Albanais et Albanophones, en se demandant s’il ne serait pas utile de créer un État panalbanais, Kosovo compris, dans les Balkans occidentaux, qui serait rapidement lié à l’UE. Et comme les Européens financent déjà le tout, il faudrait tout de même veiller à ce que cet ensemble soit inclus dans une perspective géopolitique allant dans le sens des intérêts de l’Europe, en développant une vision au-delà des simples principes du droit des gens, et non pas dans une perspective allant dans le sens des intérêts, utilitaires et calculés, des États-Unis d’Amérique ou abondant dans le sens des visées expansionnistes et ubiquitaires du monde musulman. Si un “ordre nouveau” doit advenir dans les Balkans occidentaux et si cet “ordre nouveau” doit s’aligner sur l’UE et participer à l’intégration du continent européen, les principes du droit des gens devront obéir aux critères de la raison pragmatique. Celle-ci postule qu’il ne faut pas léser les intérêts et la fierté des autres grands peuples de cette région. Dans le cadre de cette évolution, la Serbie devra historiciser le mythe de la Bataille du Champs des Merles. Et les Kosovars musulmans devront accepter qu’ils ne resteront pas une république islamique souveraine par la grâce des Américains et aux frais des Européens.
► Andreas Mölzer, zur Zeit n°30/2010.
Réflexions sur la proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo
◘ Synergies Européennes — Communiqué – 20 février 2008
La question se pose : faut-il ou ne faut-il pas reconnaître l’indépendance du Kosovo ? En d’autres termes, peut-on reconnaître le droit d’une population, disposant d’un parlement infra-étatique, à proclamer son indépendance, si la majorité de ses représentants sont en faveur d’une telle démarche ?
Dans ce questionnement, deux principes se télescopent :
Cependant, ce jeu dialectique complexe entre l’identité locale et particulière, d’une part, et, d’autre part, la nécessité d’assurer un cadre solide où toutes ces identités locales et particulières pourraient se déployer en paix et en harmonie implique de bâtir, tous ensemble en Europe, un cadre commun tiré des expériences vécues, souvent tragiquement, par les peuples d’Europe au fil des siècles. Ce cadre commun devrait être l’avatar contemporain d’une unité initiale commune, qui a pris son envol et son essor à partir d’un territoire centre-européen dès la fin de la préhistoire, dans les prémisses de la proto-histoire. Le fait ethno-historique européen s’est diffusé au départ d’un centre, principalement haut-danubien (territoire des cultures du Michelsberg, puis des civilisations de La Tène et de Hallstatt), qui s’est, en suivant les rives du grand fleuve, propagée ensuite dans les Balkans (cultures de Lipinski-Vir, de Starcevo, etc.). Les Balkans sont nôtres, s’ils sont notre Ergänzungsraum immédiat, notre tremplin vers la Méditerranée orientale, l’Égypte, l’Anatolie, le Croisant Fertile.
Ce droit à l’autonomie est certes un droit, mais uniquement pour ceux qui reconnaissent pleinement l’unité primordiale de nos peuples avant leur diffusion dans leurs vastes périphéries. L’albanité, comme l’hellenité, la celticité ou l’italité, n’échappent pas à cette règle. Nous reconnaissons donc totalement le principe d’une albanité européenne, en marche vers le Sud, vers la Méditerranée orientale et vers l’Égypte (Mehémet Ali était d’origine albanaise). Mais le Kosovo, en devenant musulman après la conquête ottomane, cesse d’être cette albanité capable de se projeter vers ce Midi et cet Orient pour agrandir l’ager europeus. C’est la trahison par rapport à l’esprit du grand héros Skanderbeg, capitaine en Adriatique au XVe siècle, aux portes de la Méditerranée orientale, contre les Ottomans. En devenant ottomane et musulmane, l’albanité tourne ses forces contre le centre de l’Europe, se fait fer de lance de deux directions géopolitiques étrangères et donc ennemies de l’Europe : la direction des peuples turco-mongols (qui part de Mongolie vers la puszta hongroise et vers l’Adriatique) et la direction des peuples hamito-sémitiques (qui part de la péninsule arabique vers tous les azimuts).
Indépendant, le Kosovo deviendrait le troisième État musulman dans les Balkans après l’Albanie et la Bosnie. Il formerait avec elles une avant-garde pantouranienne (turco-mongole) et arabo-musulmane (hamito-sémitique) au beau milieu d’une région qui fut toujours le tremplin de l’Europe vers sa périphérie est-méditerranéenne et égyptienne. Une Europe verrouillée en cette région même des Balkans n’aurait plus de réelle ouverture sur le monde, serait condamnée au sur-place et à l’implosion. Que l’on se souvienne des peuples pré-helléniques qui feront la gloire de la Grèce antique : ils ont d’abord transité par les Balkans, y compris les Macédoniens de Philippe et d’Alexandre. Que l’on se souvienne de Rome, qui a d’abord dû pleinement maîtriser les Balkans avant de passer à l’offensive en Asie Mineure et de jeter son dévolu sur l’Égypte. L’Europe ne peut tolérer de corps étranger dans cette région hautement stratégique. Tout corps étranger, c’est-à-dire tout corps qui entend appartenir à des ensembles qui ne respectent pas les directions géopolitiques traditionnelles de l’Europe, empêche le développement actuel et futur de notre continent. Dans les luttes planétaires qui se dessinent en cette aube du XXIe siècle, accepter un tel affaiblissement est impardonnable de la part de nos dirigeants.
Dans les querelles qui ont animé, au cours de ces dernières années, la petite scène intellectuelle parisienne, certains polémistes ont argué qu’il y a, ou avait, alliance implicite entre le germanisme centre-européen et l’ottomanisme, puis entre le germanisme et les indépendantistes bosniaques et albanais, pendant les deux grandes conflagrations mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945. Cet argument ignore bien évidemment le changement de donne. Le pôle majeur de puissance, qui se projetait en ces époques, se situait justement au centre de notre continent, dans les bassins fluviaux parallèles du nord de l’Europe et dans le bassin danubien, et entraînait le pôle ottoman dans une dynamique dirigée vers le Sud, vers l’Océan Indien. Dans le conflit balkanique qui a émergé dans les années 90 du XXe siècle, le centre de l’Europe n’était plus du tout un pôle de puissance ; il était divisé (balkanisé !) et vassalisé. La réactivation des particularismes bosniaques et albanais n’était plus le fait d’un pôle de puissance européen, cherchant à se projeter vers le bassin oriental de la Méditerranée ou vers la Mésopotamie et l’Océan Indien, en neutralisant positivement, par une politique de la main tendue, quelques minorités musulmanes. Cette nouvelle réactivation, dans la dernière décennie du XXe siècle, était le fait de l’alliance entre Wahhabites saoudiens et Puritains d’Outre-Atlantique cherchant, de concert, à créer une « dorsale islamique » (selon la terminologie des géopolitologues serbes, dont notre ami tant regretté Dragos Kalajic) dont la fonction géostratégique devait être double : 1) bloquer le Danube à hauteur de la capitale de la Serbie et 2) installer sur la ligne Belgrade-Salonique un bloc territorial soustrait à la souveraineté serbe, parce que cette ligne est la voie terrestre la plus courte entre le centre danubien de l’Europe et le bassin oriental de la Méditerranée. Un bloc territorial de cette nature, recevant l’appui wahhabite et américain, est inacceptable d’un point de vue européen, même si la galerie des traîtres, des crétins et des écervelés qui se piquent de représenter l’Europe à Bruxelles ou à Strasbourg prétend le contraire. Cette galerie d’idiots raisonne en dissociant le droit de la géopolitique, alors qu’il faudrait les penser en fusion et en harmonie.
Le Kosovo, qui plus est, outre cette position centrale qu’il occupe sur la ligne Belgrade-Salonique, est l’ancien “Champ des Merles”, site de la bataille sanglante qui a opposé l’armée médiévale serbe aux envahisseurs ottomans. Sur ce sol sacré, l’aristocratie serbe a versé tout son sang pour la sauvegarde de l’Europe. Le “Champ des Merles” est donc devenu, par le sacrifice de cette chevalerie, un territoire sacré, hautement symbolique, non seulement pour la Serbie et pour les autres peuples balkaniques en lutte contre la barbarie ottomane, mais aussi pour les Hongrois, Bourguignons et Impériaux qui ont tenté des croisades infructueuses pour rendre nulle et non avenue la victoire turque du Champ des Merles. L’oublier constitue une autre faute cardinale et impardonnable : c’est désacraliser l’histoire, désacraliser le politique, privilégier le procédurier et le “présentisme” (idolâtrie du fait) dans les raisonnements et les démarches politiques et géopolitiques ; c’est oublier, en amont comme en aval, le long terme au profit de l’immédiat et du superficiel. Non possumus : nous ne basculerons jamais dans de tels travers.
Plusieurs pays européens refusent de reconnaître l’indépendance du troisième maillon de la “dorsale islamique”, dont l’Espagne, et les pays majoritairement orthodoxes comme la Roumanie et la Bulgarie. En France, dans la sacro-sainte “République” posée comme la parangonne indépassable de toutes les vertus philosophiques, les deux nouveaux plastronneurs burlesques de la politique, l’universaliste médiatomane Kouchner et son président, Sarközy, surnommé le “nain hongrois”, s’apprêtent bien entendu à reconnaître, trompettes pétaradantes et tambours battants, l’entité wahhabito-américaniste qu’est le Kosovo. On se demande comment Voltaire ou Robespierre, dévots de la Déesse Raison, concilieraient leur laïcisme et la bigoterie des Wahhabites et de leurs alliés américains. Mais la reconnaissance par Sarko et Kouchner du Kosovo est au moins une bonne nouvelle, car on se demande ce que les deux larrons pourraient bien rétorquer si demain une brochette de puissances européennes ou autres acquerrait brusquement l’envie de reconnaître une république corse, un nouveau duché de Bretagne ou un nouvel État insulaire dans les DOM-TOM ou, plus facilement encore, le retour à l’indépendance savoisienne qui existe de jure. L’indépendance de la Savoie pourrait devenir très légalement le premier levier pour réanimer l’existence politique et étatique de la Bresse (province savoisienne), de la Lorraine (grand-duché impérial), de la Franche-Comté, etc. De fil en aiguille, la vieille Lotharingie reprendrait forme, reprendrait pied le long du Rhône en Provence et dans le Dauphiné, rendant tout à coup actuel le Testament de Charles-Quint (que nous n’aurions jamais dû oublier, ni à Munich ni à Vienne ni à Rome ni à Madrid ni à Bruxelles).
La Russie, pour sa part, pourrait, par le biais d’une interprétation jurisprudentielle de l’indépendance du Kosovo, faire accepter l’indépendance de deux provinces géorgiennes : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, disloquant du même coup le principal pion américain et otanesque dans le Caucase.
Quelle que soit l’issue de l’indépendance kosovar en Europe, elle nous offre des possibilités d’action :
1) si personne ne la reconnaît ou si de fortes résistances s’opposent à sa pleine reconnaissance, il n’y aura pas de “dorsale islamique” ni de bloc territorial obstruant sur la ligne Belgrade-Salonique.
2) Si tous reconnaissent le Kosovo indépendant, nous avons un prétexte pour disloquer la France et reconstruire le flanc occidental et roman du Saint Empire défunt mais dont seule la restauration permettrait à l’Europe de se redonner une épine dorsale politico-spirituelle. Cette restauration signifierait simultanément la mort définitive de l’idéologie républicaine, cette nuisance pernicieuse qui atteint le sommet du ridicule avec le binôme Sarközy-Kouchner. Le seul danger d’une reconnaissance générale de l’État kosovar serait de donner prétexte aux Musulmans des presidios de Ceuta et Melilla de réclamer une indépendance analogue, avec la bénédiction des mêmes parrains wahhabites et yankees. Raison pour laquelle l’Espagne refuse de reconnaître le nouvel État auto-proclamé (outre le fait basque).
Dans tous les cas de figure, nous aurons l’occasion de militer en faveur de notre vision de l’Europe. De demeurer des combattants. De véritables zôon politikon. Les Vestales d’un inéluctable Grand Retour de la tradition impériale.
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[illustations : drapeau traditionnel et actuel]
Réflexions sur la proclamation unilatérale d’indépendance au Kosovo
Cette manière de procéder — de proclamer unilatéralement son indépendance — peut avoir de terribles conséquences pour l’Europe, du moins pour sa portion située entre les Pays Baltes et les Balkans. Si l’on suit cette logique, la plupart des États doivent se dissoudre. Pourquoi les Hongrois de Transylvanie ou du sud de la Slovaquie, pourquoi les Russes des Pays Baltes, pourquoi les Allemands de Haute Silésie (actuellement polonaise) devraient-ils renoncer à cette autodétermination que s’accordent les Kosovars ? Vu sous cet angle, nous avons, en reconnaissant le Kosovo, ouvert une véritable boîte de Pandore. Les groupes ethniques, nés au cours de l’histoire, qui se sont développés sur un territoire précis pendant plusieurs siècles successifs, ont bien davantage le droit de revendiquer leur indépendance politique que les Kosovars, qui ne sont jamais qu’une nation d’immigrants.
Vu la nature explosive que revêt l’idée du droit des peuples à l’autodétermination dans ces régions multi-ethniques et bigarrées et vu les conséquences que cela pourrait entraîner, la seule alternative viable aurait été d’européaniser ces territoires. L’imbroglio ethnique et culturel que l’on retrouve en Europe orientale, et surtout dans les Balkans, et qui forme la trame de ces régions, ne peut trouver de solution pacifique que sous un baldaquin supra-national, comme au temps de la monarchie des Habsbourgs. Une perspective européenne pour l’ensemble des Balkans occidentaux serait effectivement une solution envisageable. Lorsque tous les États qui ont émergé de l’ancienne Yougoslavie seront devenus membres de l’UE, lorsque les marchandises circuleront librement dans un territoire sans frontières, les conflits de nationalités pourront de fait être définitivement surmontés.
Mais la situation actuelle ne nous permet pas d’être optimistes : les Balkans, semble-t-il, resteront un baril de poudre en Europe, pendant quelques générations encore. La fierté de la nation serbe a été bafouée ; l’orgueil nationaliste des Albanais a été galvanisé ; les Croates de Bosnie n’ont trouvé aucune solution à leurs problèmes ; plus généralement, ces États nés de la dissolution de la Yougoslavie ne sont pas viables économiquement, ce qui rajoute encore de la poudre au baril déjà plein à ras bord.
Les autres États européens ne semblent pas réellement conscients de la situation : ils ne suggèrent aucune politique intelligente pour enrayer ce processus calamiteux. Dans le cas du Kosovo, ils ont aggravé la situation en voulant l’améliorer, n’ont pas contribué à apporter une solution durable. Nous réclamons une politique qui aille dans le sens des intérêts de l’Europe toute entière !
► Andreas Mölzer, extrait d’un long article paru dans zur Zeit n°9/2008. (tr. fr. : RS)
Le Kosovo : nouveau protectorat américain ?
Le Kosovo, que les Allemands nomment aussi l’Amselfeld, le “Champ des Merles”, est une région au centre de la péninsule balkanique, dont les frontières touchent au sud-ouest l’Albanie, au nord-ouest le Monténégro, au nord et à l’est la Serbie aujourd’hui réduite et, au sud-est, la Macédoine. Après la guerre de 1999, le Kosovo a reçu, par le truchement de la résolution 1244 des Nations Unies, le statut d’un territoire autonome à l’intérieur de la Serbie et a été placé sous l’administration de l’ONU.
Les frontières occidentales et méridionales du Kosovo sont constituées de zones montagneuses. Au centre de cette cuvette, nous trouvons deux plaines : celle du Champ des Merles, avec Pristina pour capitale, et la Métochie à l’Ouest, dont le centre est Prizren. Les deux plaines sont séparées par une zone de collines, semi-montragneuse. Le Kosovo, avec ses 10.877 km², a une superficie a peu près égale au tiers de celle de la Belgique. Sa densité démographique de 175 habitants par km² en fait un territoire à la population relativement dense. On estime que la population du Kosovo est d’environ 1,9 million d’habitants. Cette population est très jeune : 33 % a moins de 15 ans ; 6 % seulement a plus de 65 ans. Entre 350.000 et 400.000 Kosovars vivent à l’étranger, surtout en Allemagne, en Autriche et en Suisse. D’après des estimations récentes de l’OSCE, 91 % de la population du Kosovo est albanaise, 5% est serbe et les derniers 4 % sont constitués d’autres minorités, surtout des Tziganes et des Turcs. À la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2007, que les Serbes ont boycottées, le PDK (Parti Démocratique du Kosovo), formation du chef de l’opposition Hashim Thaçi, est devenu la principale force politique du pays. Une semaine après ces élections, ont commencé les ultimes négociations entre Serbes et Albanais du Kosovo à Baden près de Vienne. Elles se sont terminées le 28 novembre 2007 sans qu’un accord n’ait été conclu. Après cet échec, le Président Sejdiu a exclu toute poursuite des négociations avec la Serbie et a annoncé que la seule alternative serait de proclamer bien vite l’indépendance du Kosovo.
C’est ainsi que l’indépendance du Kosovo est devenue une probabilité toujours plus grande, même si la Serbie, et son allié traditionnel, la Russie, ont annoncé que ce ne serait pas sans conséquences. Les Albanais du Kosovo reçoivent le soutien des États-Unis et de l’Union Européenne. Même l’ancien ministre allemand des affaires étrangères, l’écologiste Fischer, n’hésite pas à transgresser certaines règles diplomatiques et à propager l’idée d’un Kosovo indépendant. Mais l’histoire nous enseigne toutefois que le Kosovo est le cœur même de la Serbie.
Une histoire sanglante
Ce n’est pas sans raison qu’un homme politique macédonien, il y a quelques années, qualifiait les Balkans de « débris d’empires ». Longtemps peuplé de populations de souche illyrienne, le Kosovo est devenu la patrie des Serbes, une population slave méridionale. Au départ, le Kosovo a été le centre de la Serbie médiévale. Le biographe de Charlemagne, Eginhard, mentionne déjà la Serbie en 822. L’Albanie n’apparaîtra dans les textes médiévaux qu’en 1272, après qu’elle eût été fondée par Charles d’Anjou. Avant l’occupation ottomane à la suite de la défaite serbe du Champ des Merles en 1389, aucune chronique n’évoque d’Albanais en Serbie. Ce n’est qu’après l’occupation complète de la Serbie par les Turcs musulmans que les Albanais pénètrent dans cette région située au nord de leur zone de peuplement, après avoir adhéré en masse à la religion islamique. Les historiens albanais voient dans les Albanais des descendants des Illyriens, ce qui est cependant contesté. Les Serbes quittent le pays par vagues, ce qui diminue leur pourcentage au sein de la nouvelle population.
À la suite des avancées des troupes du Prince Eugène de Savoie-Carignan, qui battent les Turcs, les Serbes se soulèvent au Kosovo et font payer cher aux occupants ottomans les avanies que ceux-ci leur avaient fait subir. La “Grande Migration” de 1690 mena beaucoup de Serbes sur le territoire de l’actuelle Croatie, où les souverains autrichiens les utilisèrent comme paysans-colons et garde-frontières, dotés de privilèges, le long de la frontière militaire austro-ottomane, afin de prévenir et contenir toute nouvelle invasion turque.
En 1871, le rapport était de 318.000 Serbes pour 161.000 Albanais au Kosovo. Tandis que la Serbie était devenue complètement indépendante en 1878, la domination turque au Kosovo ne se termina qu’en 1912. Dans les dernières années de l’occupation ottomane, la terreur anti-serbe alla crescendo, tant et si bien que peu avant que n’éclate la première guerre mondiale en 1914, il n’y avait plus que 90.000 Serbes dans la région. Pendant la seconde guerre mondiale, la Kosovo appartenait à l’Albanie qui était protectorat italien. Tandis que les Serbes sont demeurés jusqu’à nos jours assez germanophobes, l’Allemagne était généralement adulée chez les Albanais. Il y eut même une division de Waffen-SS constituée de volontaires albanais (la Division “Skanderbeg”).
Après 1945, le chef de la nouvelle Yougoslavie communiste, Tito, interdit aux Serbes de revenir sur le territoire du Kosovo, alors qu’il laissait les frontières entre la Serbie et l’Albanie ouvertes, ce qui entraîna l’immigration de 100.000 Albanais sur le territoire kosovar, sous souveraineté yougoslave. Sous Tito régnait un véritable embargo sur toutes les informations en provenance du Kosovo. Finalement, la minorité serbe subit ouvertement attaque sur attaque, ce qui, d’après des sources américaines, a entraîné l’exode hors du Kosovo de quelque 60.000 Serbes entre 1972 et 1982. En 1974, le régime titiste accorde une autonomie élargie aux Albanais du Kosovo. Cette autonomie fut annulée en 1989 après l’énorme vague d’indignation qui secoua la Yougoslavie après que les Albanais eurent commis des viols en masse et des voies de fait contre des concitoyens non albanais au Kosovo.
Dans les années 90, l’UçK se constitue grâce aux appuis que lui procurent les services secrets américains. L’UçK entendait systématiser la terreur pour parvenir à un Kosovo indépendant. L’appareil policier serbe riposta, avec toute la rigueur voulue, en 1999. L’exode des Albanais du Kosovo vers l’Albanie fut le prétexte saisi par l’OTAN pour intervenir militairement contre la Serbie. En Allemagne, le gouvernement rouge-vert de l’époque participa allègrement à cette violation flagrante du droit des gens, déguisée en « action de représailles », alors qu’un pays de l’OTAN comme la Grèce a eu le courage d’exprimer à l’égard de la Serbie sa « solidarité orthodoxe » et de rester neutre. Depuis 1999, 16.000 soldats de la KFOR, sous le commandement de l’OTAN, sont stationnés au Kosovo, dont 3500 militaires de la Bundeswehr allemande. Malgré cette présence, personne ne s’attend à une relance économique de la province, vu le taux de chômage de 70 % qui y règne.
Aujourd’hui, on parle d’installer au Kosovo un protectorat américain supplémentaire, après que l’expérience bosniaque se soit, elle aussi, avéré un fiasco total. Dans le nouveau cabinet kosovar, on constate, par exemple, que le ministère de l’énergie sera confié à l’économiste Justina Pula-Shikora, qui avait travaillé jusqu’ici à la fameuse Fondation Soros à Pristina. L’État du Kosovo ne sera donc jamais qu’une marionnette aux mains de Washington. Pour amadouer le gouvernement de Belgrade, on promet aux Serbes qu’ils pourront adhérer à l’UE. Le contribuable allemand ira bien entendu de sa poche pour financer ce marché de dupes.
Un avenir sanglant ?
Il serait tout à fait incongru d’appliquer des critères centre-européens dans une région comme les Balkans. Sur le plan historique, le Kosovo a appartenu politiquement, depuis toujours, à la Serbie. Mais la Voïvodine, très fertile sur le plan agricole, appartenait jadis ethniquement à la Hongrie et est aujourd’hui peuplée majoritairement de Serbes. Quant aux Serbes de Bosnie, qui menacent de proclamer leur propre État indépendant sur le territoire bosniaque, ils ne sont arrivés là qu’à partir du XVIe siècle. Beaucoup d’entre eux venaient d’ailleurs du Kosovo. Il faut aussi se rappeler qu’une grande partie des 600.000 Serbes qui ont vécu pendant plusieurs siècles en Krajina, un territoire croate, ont quitté la Croatie après l’opération “Tempête” du Général Ante Gotovina en 1995.
Le mieux, à l’évidence, est de trouver des solutions pacifiques à cet imbroglio, prévoyant des entités ethniquement homogènes et cohérentes sur le plan territorial. On pourrait éventuellement procéder à des “échanges territoriaux” et à des compensations matérielles. Or ce sont précisément des solutions pacifiques de ce type-là que l’Occident, avec les États-Unis en tête, a sans cesse torpillé. Car finalement l’existence d’entités étatiques fragiles sert l’hégémonisme global. Les faiblesses intérieures entraînent la dépendance en politique extérieure. Cette réalité vaut sur le plan de la domination culturelle comme sur celui de la domination économique, ce que démontrent notamment les privatisations au profit de consortiums étrangers en Bosnie et au Kosovo. Ce dernier détient, soulignons-le, les plus grandes ressources en minerais divers d’Europe. Les Balkans ont toujours eu une grande importance géopolitique et, au beau milieu de ceux-ci, le Kosovo réunit à lui seul tous les atouts stratégiques de la péninsule. Il est à la croisée des voies de communications, à cheval sur les lignes de fracture de demain, quand il s’agira de maîtriser les sphères d’influence politiques et les réserves de matières premières.
L’offre serbe d’accorder une très large autonomie au Kosovo, d’accepter que se constitue une équipe de football kosovar indépendante et que la province aujourd’hui majoritairement albanophone dispose de représentations diplomatiques a été une offre correcte, une ouverture au dialogue intelligente et posée. Mais les Kosovars, excités par les Américains, ont exigé l’indépendance totale. Même si l’on raisonne en termes d’ethnies, de patries charnelles ou d’appartenance linguistique, on doit alors partir du principe minimal d’une partition possible et nécessaire du Kosovo entre la Serbie et l’Albanie. En effet, au nord de la rivière Ibar, la majorité de la population est serbe. En revanche, si l’on raisonne en termes d’histoire et de culture, cette partition est impensable pour les Serbes car la plupart des monuments religieux et des monastères serbes se situent au-delà de la rive sud de l’Ibar.
Si d’aventure le Kosovo devenait définitivement indépendant, les mouvements sécessionnistes auraient le vent en poupe dans le monde entier, ce qui constituerait un désavantage évident pour la Russie, principal adversaire géopolitique des États-Unis. La problématique du Kosovo montre, de manière exemplaire, que tout assemblage étatique multiculturel est, à terme, menacé d’éclatement et, qu’en fin de compte, seules les puissances extérieures à l’espace (raumfremde Mächte) profitent de leurs tensions intérieures. La protection qu’accordent les États-Unis aux Albanais musulmans du Kosovo ne tiendra qu’aussi longtemps que cela conviendra aux intérêts des cénacles dominants de New York et Washington. Si, un jour, les Albanais du Kosovo décidaient de mener leur politique à leur guise, ils devront vite déchanter et il ne leur resterait plus qu’à méditer un adage jadis forgé par Ernst Niekisch : « Celui qui a l’Amérique pour amie, n’a plus besoin d’ennemis ! ».
► Safet Babic, Deutsche Stimme, fév. 2008. (tr. fr. : RS)
Regard rétrospectif sur un conflit inhabituel
◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
Atelier MINERVE — Section “Actualités Internationales” — Bruxelles, Metz, Milan, le 22 décembre 1999
Erik Suy a été longtemps professeur de droit des gens à l'Université Catholique de Louvain (KUL) et, pendant les années 80, il a été secrétaire-général adjoint des Nations Unies. Il fut l'un des premiers en Belgique à condamner l'intervention de l'OTAN dans le ciel du Kosovo. Par des formules acerbes, il a fustigé l'action de l'alliance occidentale, en toute connaissance de cause, comme on peut s'y attendre de la part d'un homme de sa trempe. Il nous a expliqué son point de vue dans son bel appartement bruxellois.
• Votre réaction face à l'intervention de l'OTAN pendant la crise du Kosovo n'a pas été tendre. Vous avez parlé du retour de la politique de la canonnière. Qu'entendez-vous exactement par là ?
ES : Je suis parti du point de vue que la Charte des Nations Unies n'était pas un vulgaire chiffon de papier. Elle est, au fond, la loi fondamentale de la communauté internationale et il ne me paraît pas licite de la prendre par-dessus la jambe, car personne ne songerait à agir de la sorte face à la loi fondamentale d'un État national. Une loi fondamentale n'est pas comparable à un menu où nous choisissons ce qui nous plait. Si nous jetons un coup d'œil sur le texte de cette Charte, nous lisons, dans l'art. 2, paragraphe 4, que le principe de base est le suivant : les États s'engagent, dans leurs relations internationales, à s'abstenir de menacer les autres ou de recourir à la violence. Dans cette même charte figurent également les deux seules exceptions à cette règle générale avec, d'une part, l'art. 51 qui prévoit le droit de se défendre et, d'autre part, le chapitre VII qui dit explicitement que le Conseil de Sécurité prend la décision de recourir à la violence en cas de « menace contre la paix, de contravention à la paix ou d'actes d'agression ». Telles sont et restent les règles, même si, dans de nombreux cas, elles n'ont pas été respectées. Question : ces nombreuses entorses doivent-elles conduire à une modification de la règle ? Le vol est également interdit, mais, comme il est un délit très fréquemment commis, doit-on pour autant l'accepter ?
• Mais, vu ses nombreuses exceptions, n'est-il naïf de croire que la Charte des Nations Unies contribue à canaliser la violence dans le monde ?
Bon nombre d'États prétendent qu'il existe encore d'autres exceptions que les 2 qui sont prévues dans la Charte. Notamment, l'usage préventif de la violence ou, en d'autres termes, l'utilisation de la violence pour éviter la violence. L'exemple classique en ce domaine est le bombardement israélien d'un réacteur atomique irakien au début des années 80. En s'appuyant sur ce précédent, on cherche d'autres exceptions et on en est arrivé à affirmer que les interventions humanitaires doivent être rendues possibles. Je ne suis pas contre ce type d'interventions et je vais vous donner quelques exemples d'interventions humanitaires qui sont acceptables à mes yeux. Prenez par ex. l'intervention des troupes belges à Stanleyville en 1964 ou la libération des otages de l'aéroport d'Entebbe par les Israéliens. Cette dernière action a été fortement critiquée comme tout ce qu'entreprend Israël, toutefois, sous des conditions très strictes, cette sorte d'opérations m'apparaît acceptable. Entre-temps, on a fait un pas de plus et on en arrive au cas du Kosovo.
• L'intervention au Kosovo peut être ou ne pas être fondée sur une procédure via les canaux classiques prévus par les Nations Unies. L'argument définitif contre l'application de cette procédure n'est-il pas de dire qu'elle risque constamment d'être annulée par un veto russe et peut-être aussi chinois ?
En effet, c'est l'argument classique, mais on n'a même pas essayé. Je peux aussi comprendre qu'on se soit attendu à un veto russe ou chinois, mais alors, je suis obligé de faire référence à un précédent, quand les Américains, en 1950, lors de l'Assemblée générale des Nations Unies, on réagit face à cet argument en approuvant la résolution “united for peace”, qui est bien connue. En vertu de cette résolution, et quand le Conseil de Sécurité est paralysé, l'Assemblée générale peut prendre en charge les tâches des Nations Unies. C'est une procédure qu'on aurait pu essayer et on peut penser que l'Assemblée générale aurait réuni une majorité asses large pour légitimer l'usage de la violence, mais les Américains n'ont pas appliqué cette méthode, qu'ils avaient pourtant élaborée eux-mêmes jadis. Dire que cette procédure alternative aurait duré trop longtemps est absurde, car le Conseil général, aujourd'hui, est en réunion permanente.
• Si je puis m'exprimer de manière un peu cavalière, cette “négligence de procédure” n'est-elle pas largement compensée par une intention pieuse et louable, celle d'éviter une “catastrophe humanitaire” ?
Cette catastrophe humanitaire ne s'est produite qu'après l'intervention. On a calculé qu'au moment de l'intervention, environ 150.000 Kosovars de souche albanaise étaient en fuite, aujourd'hui un nombre égal de Serbes errent sur les routes ou végètent dans des camps de réfugiés, mais on ne parle pas d'eux ! L'argument “humanitaire” est de plus en plus avancé pour légitimer des opérations militaires. En avril dernier, le prétexte humanitaire était mûr et les bombes ont commencé à tomber dru ; cependant, la décision d'intervenir avait déjà été arrêtée en août 1998. À cette époque-là, le Conseil de l'OTAN avait pris la décision d'intervenir militairement, décision suivie de plusieurs mois de tergiversations sur les fondements juridiques qu'il fallait apporter pour justifier l'opération, et qu'on ne trouvait pas… Finalement tout le monde s'est rallié à la légitimation “humanitaire”. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que Louis Michel, notre propre ministre des affaires étrangères, a dit, il y a quelques semaines, devant l'Assemblée Générale des Nations Unies, qu'avec la résolution 1244 la légalité avait été rétablie. Donc le ministre belge des affaires étrangères admet que l'intervention au Kosovo a été illégale. Je ne suis donc pas un révolutionnaire quand j'affirme considérer cette intervention comme infondée sur le plan juridique.
• Pendant les mois qui ont précédé l'intervention, on a assisté à une campagne médiatique rudement bien orchestrée contre la Serbie en général et contre Milosevic en particulier. Dans quelle mesure les informations qui nous parvenaient de cette manière étaient-elles conformes à la vérité ?
En octobre 1998, Milosevic a rompu l'accord convenu précédemment avec l'envoyé spécial des États-Unis, Richard Holbrook ; aussitôt les médias ont crié au meurtre. Et Milosevic a effectivement rompu l'accord, mais là n'est pas toute l'histoire. Dans un rapport du Secrétaire général des Nations Unies — où l'on désigne notamment l'UÇK comme une organisation “terroriste” — on peut lire qu'au fur et à mesure que les troupes serbes se retirent, leurs positions sont occupées par l'UÇK. À ce moment, Milosevic a organisé une contre-attaque, dirigée contre l'UÇK et non pas contre la population du Kosovo ; à ce moment-là, les choses ont pris une tournure plus tragique. La rupture de l'accord convenu avec Holbrook a eu lieu précisément parce que la partie adverse ne respectait pas la convention.
• C'est alors que nous avons eu la conférence de Rambouillet…
On parle beaucoup des accords de Rambouillet, mais qui a vraiment lu le texte de ces accords ? La Serbie, en vertu de ces propositions de paix ne devait pas seulement accepter la présence de troupes de l'OTAN au Kosovo mais sur l'ensemble du territoire serbe. Cette proposition était inacceptable pour Belgrade donc elle devait aboutir à un échec. Avec les bombardements, on voulait contraindre Milosevic à accepter ces accords envers et contre tout. Attention, en vous disant cela, je ne vous raconte pas des secrets : on peut le lire dans les journaux de l'époque. À ce moment, j'ai comparé Rambouillet aux accords de Munich en 1938. La France et l'Angleterre ont exercé une pression sur la Tchécoslovaquie pour qu'elle donne un certain degré d'autonomie au Pays des Sudètes, à la suite de quoi Hitler a exigé l'indépendance complète et a menacé de bombarder Prague s'il n'obtenait pas satisfaction. L'OTAN a agi d'une manière identique. On ne doit pas oublier que, selon les règles du droit international, les traités qui sont signés sous la menace sont nuls et non avenus. On retrouve ce principe dans le Traité de Vienne relatif au droit des traités (1969), où les juristes ont réfléchi aux accords de Munich, qui furent leur principale source d'inspiration.
• Le chiasme profond qui existe entre l'idée que se font les gens de la crise du Kosovo et le récit que vous nous faites ici n'est-il pas inquiétant ?
Dans le passé, j'ai dit, dans plusieurs entretiens, que l'on ne pourrait convaincre la population de la justesse d'une intervention qu'au moment où Milosevic et sa clique seraient suffisamment démonisés. Une fois cette œuvre de démonisation achevée, on pouvait commencer “l’intervention humanitaire”, mais de quelle manière ? Est-il nécessaire, dans le cadre d'une intervention humanitaire, de bombarder des ponts et des réserves de pétrole situés à 200 km du lieu frappé par la misère ? Ces bombardements ont eu des répercussions économiques très lourdes, tant pour la Yougoslavie que pour la Bulgarie, l'Autriche et la Bavière. Était-il nécessaire, toujours dans le cadre de cette intervention “humanitaire” de frapper l'ambassade de Chine, en toute conscience comme cela semble être le cas depuis peu ? Je comprends l'argument qui dit que le respect de la souveraineté d'un État ne peut pas constituer une excuse pour tolérer les entorses portées à l'encontre des droits de l'homme, mais il s'agit ici de juger les moyens employés…
• Quel a été le motif réel de l'intervention ?
Il y a deux véritables raisons. Si vous jetez un coup d'œil sur la carte de l'Europe, vous vous apercevrez que l'OTAN est en train de s'élargir considérablement, avec les adhésions de la Hongrie, de la Tchéquie et de la Pologne. À l'Est de ces trois pays, vous avez la Grèce et la Turquie. Vous remarquerez aussitôt qu'il y a un “chaînon manquant” dans la continuité territoriale. L'OTAN est présent en Macédoine, en Bosnie, en Albanie et au Kosovo donc l'occupation du “chaînon manquant” territorial sert à l'encerclement de la Russie. Cette dernière éprouve un fort ressentiment en constatant cette manœuvre d'encerclement, mais elle est aujourd'hui très faible, pourtant, un jour, tôt ou tard, elle redeviendra forte, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Deuxième explication : la nouvelle stratégie que l'OTAN a acceptée fin avril. L'optique de cette deuxième stratégie est de se donner la possibilité d'intervenir “en dehors de sa zone” (out of area) pour protéger des intérêts vitaux ; concrètement, l'OTAN veut dire que le Kosovo est une position clef en ce qui concerne le transport du pétrole en provenance du Caucase. Les États-Unis veulent que ce transport s'effectue via la Turquie, mais les Russes donnent la préférence à un tracé situé plus au nord. La capitale de la Tchétchénie, Grozny, se situe aussi sur une position charnière. Dans ces régions, la question du pétrole est toujours présente. Tout tourne en réalité autour du pétrole : c'est ce qu'il faudrait dire à l'opinion publique. Personne ne doit s'imaginer que cette intervention avait pour objectif les droits de l'homme, ce serait de la pure niaiserie. En plus, un troisième facteur doit entrer en ligne de compte : l'Albanie et le Kosovo constituent, territorialement parlant, la plus grande région de transit pour le transport de cocaïne et d'héroïne en provenance de la Turquie.
• À la lumière de tout ce que vous venez de me dire, n'est-il pas logique que l'Europe, dans un proche avenir, tente de se donner davantage d'indépendance au sein de l'OTAN et d'avoir droit au chapitre ?
Il est évident que si l'Europe veut parler d'une voix plus forte dans toutes les affaires de sécurité relatives à notre propre continent, elle devra faire un choix stratégique en ce qui concerne son armement et toutes les implications qui en découleront. Si nous voulons tout laisser aux mains des États-Unis et ne pas avoir droit au chapitre, alors nous devons poursuivre la voie que nous empruntons aujourd'hui. En revanche, si l'Europe veut une voix, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'OTAN, et sans doute plutôt à l'intérieur de l'OTAN — et la réponse, ici, devrait être “oui” —, elle doit se doter d'un pilier militaire que l'on puisse prendre au sérieux. Il va falloir investir davantage en armements et une plus grande part de nos BNP devra aller à la défense. La question est de savoir si monsieur-tout-le-monde sera d'accord…
► propos recueillis par Michaël Vandamme, pour le magazine Ons Leven n°1/oct. 1999.
◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
Junge Freiheit (Berlin) — Minerve (Metz) — NdSE (Bruxelles) — Mai 1999
Foreign Affairs, revue diplomatique américaine de réputation internationale consacre beaucoup d'articles à l'UÇK dans sa livraison de mai-juin 1999. L'auteur de ce dossier, le spécialiste de Balkans Chris Hedges, constate d'emblée que l'UÇK, dans sa lutte pour un Kosovo indépendant revendique cette indépendance maintenant pour arriver ensuite à une Grande Albanie. Ce projet n'admet aucune compromission. L'UÇK a repoussé le leader de la majorité des Albanais du Kosovo, Ibrahim Rugova, et les diplomates de Washington en ont été atterrés. L'UÇK se pose désormais comme le seul interlocuteur des Albanais du Kosovo. Hedges est assez discret quand il évoque l'orientation idéologique de l'UÇK ; il dit vaguement que des fonctionnaires américains ont constaté que l'UÇK entretient des rapports avec des organisations islamiques, qui la financent. Des associations de bienfaisance, basée dans le Golfe, auraient ainsi versé des millions de dollars à l'UÇK. Mais Hedges omet de dire dans son rapport que l'UÇK était classée comme organisation terroriste par les Américains jusqu'en 1998, immédiatement avant l'intervention de la police serbe. Un article paru dans l'hebdomadaire conservateur Human Events, le 5 mars 1999, rappelle qu'en juin 1998, des unités de l'armée yougoslave avaient eu un accrochage avec un groupe de mudjahiddins à la frontière albanaise. Ce groupe avait tenté de pénétrer en territoire serbe par des chemins de montagne. Lors de cet accrochage, les Yougoslaves ont abattu un guerillero du nom d'Aliya Rabie, un Albanais membre de l'UÇK. Les documents découverts sur son corps prouvaient qu'il était à la tête d'un contingent de 50 mudjahiddins venus apporter la “Guerre Sainte” contre les Orthodoxes au Kosovo.
Human Events évoque ensuite une publication anglaise, Jane's International Defense Review. “Jane” est une institution basée en Grande-Bretagne et proche de l'OTAN. Elle se spécialise dans l'observation des États dits “terroristes” et travaille étroitement avec les services américains. “Jane”, pourtant, qualifie l'UÇK de mouvement dangereux et peu fiable, poursuivant essentiellement 3 objectifs : 1) l'assassinat des Musulmans qui refusent de coopérer avec l'UÇK ; 2) l'assassinat de policiers serbes ; 3) enfin, but le plus important, déchaîner la terreur contre la minorité orthodoxe du Kosovo. Cette terreur vise 2 buts : l'abandon de la province par les Serbes ; provoquer la répression policière serbe pour la faire condamner par les observateurs de l'OSCE.
Human Events rejette dès lors la politique de Clinton. « Quelle politique menons-nous donc, dit la revue, si nous soutenons un mouvement d'indépendance nationaliste qui recourt à des méthodes terroristes, se sert de guerilleros islamistes financés par des États arabes, le tout dans les frontières historiques d'un État européen ? ». Mais Human Events n'est pas la seule source qui souligne le caractère fondamentaliste-islamiste de l'UÇK. Ainsi Chris Stephen, dans The Scotsman, le 30 novembre 1998, rapporte depuis Pristina que les fondamentalistes islamistes sont bien établis en Albanie, en dépit des interventions ponctuelles de la CIA et de l'armée albanaise, qui ont capturé 5 personnages clé de la “Djihad Islamique” ainsi que d'autres membres de groupes islamistes issus du Moyen Orient. Les forces de sécurité albanaise soulignent, d'après Stephen, l'influence croissante des extrémistes islamistes venus de divers États musulmans au Kosovo. Fatos Klosi, directeur des services de renseignement albanais, constate, dit Stephen, une forte influence venue not. d'Égypte, d'Algérie, de Tunisie et du Soudan.
Stephen poursuit : les États-Unis, dit-il, craignent que le mouvement rebelle de l'UÇK ne s'oriente davantage sur l'extrémisme islamiste, notamment sous l'influence de l'ennemi n°1 des États-Unis, Ousama Ben Laden. Ses hommes seraient déjà actifs en Albanie. Stephen se réfère à un rapport de l'Associated Press du 29 novembre 1998, où Fatos Klosi explique qu'Ousama Ben Laden monte un réseau, afin de mettre des unités à la disposition de ceux qui combattront au Kosovo. Mais le rapport le plus détaillé sur les menées de Ben Laden nous est fourni par Steve Rodan dans le Jerusalem Post du 14 septembre 1998. Rodan explique que l'Iran et l'Arabie Saoudite fournissent des fonds pour l'UÇK. Il évoque aussi Ben Laden. Les services de renseignement américains ont également constaté que l'UÇK reçoit un soutien de Bin Ladin, qui serait derrière les attentats de Nairobi et Dar-Es-Salam contre les ambassades américaines !
Pourtant cette présence fondamentaliste en Bosnie et au Kosovo n'est guère dénoncée dans les médias dominants, déplore Rodan. Il nous donne une explication : comme le monde arabe et islamique constitue un immense marché pour la plupart des pays européens, l'intervention des États islamiques est minimisée, car une dénonciation claire de leurs actions au Kosovo risquerait de nuire aux bonnes affaires. Pourtant le soutien apporté par ces réseaux islamistes à l'UÇK est perçu en Europe comme extrêmement dangereux pour l'ensemble des Balkans et pourrait avoir des retombées en Europe occidentale. Rodan cite un certain nombre d'indices : des gardes révolutionnaires iraniens auraient entraîné des miliciens de l'UÇK. Des chargés d'affaires iraniens et saoudiens auraient créé des filiales permettant de financer l'organisation de l'UÇK. Une banque islamique a ainsi été fondée à Tirana en Albanie. À Skadar en Albanie, une Société Ayatollah Khomeini aurait été mise en place.
Dans les rangs de l'UÇK, il y aurait beaucoup d'instructeurs et de guérilleros iraniens, qui avaient déjà été actifs en Bosnie au début des années 90. Les services de renseignements occidentaux estiment que leur nombre est d'environ 7.000. Bon nombre d'entre eux auraient épousé des femmes bosniaques. Ensuite, dans les unités de l'UÇK, on trouverait beaucoup d'Afghans, d'Algériens, de Tchétchènes et d'Égyptiens. Rodan rappelle les paroles d'un collaborateur du Congrès américain qui se plaignait que le gouvernement Clinton était parfaitement conscient des activités iraniennes en Bosnie et au Kosovo. Mais cet état de choses est passé sous silence. Ce collaborateur du Congrès disait aussi comprendre l'inquiétude des Européens.
Un autre article, d'Uzi Mahnaimi dans le Sunday Times de Londres, en date du 22 mars 1998, dénonce le fait que les révolutionnaires iraniens et le milliardaire Ben Laden coopèrent pour soutenir l'armée clandestine des Albanais du Kosovo. Ils viserait l'établissement d'une base pour toutes les activités islamiques armées en Europe. Mahnaimi dit que le State Department américain est parfaitement au courant du fait que Ben Laden monte des bases opérationnelles en Europe orientale. Le 22 septembre 1998, USA Today abonde dans le même sens : l'UÇK entretiendrait bien des liens étroits avec des réseaux terroristes dont celui de Ben Laden, qui a déclaré la “Guerre Sainte” aux États-Unis. En conclusion, nous pouvons affirmer que le gouvernement américain est parfaitement informé de toutes ses connexions.
Le Cheik Mohammed Stubla, Président de la société albanaise-islamique de Londres, a expliqué clairement ce qu'incarnait l'UÇK et quels objectifs politiques elle poursuivait, dans un entretien accordé au magazine Nida'ul Is-lam, en avril-mai 1998 : l'UÇK est une organisation albanaise et islamique qui se donne pour objectif de défendre son peuples, sa patrie et sa religion par tous les moyens ; l'objectif de l'UÇK est la libération du sol national de la présence de l'ennemi et l'indépendance du pays. Tout ce que déploiera l'ennemi contre l'UÇK pour annuler l'influence de l'Islam et des musulmans dans les Balkans ne servira à rien, car la puissance de l'Islam est telle, qu'ils obtiendront le contraire de ce qu'il voudront imposer. Mohammed Stubla formule ensuite de sombres prévisions, surtout pour la Grèce, qui, dit-il, a coopéré à la préparation du génocide perpétré par les Serbes. Quand Mohammed Stubla parle d'utiliser « tous les moyens », il sait de quoi il parle ; il suffit de dresser le terrible bilan du terrorisme de l'UÇK. Depuis les premiers actes de violence commis, il y a 8 ans, l'UÇK, d'après Associated Press, United Press International, Pristhina Media Center et Kosova Information Center, a assassiné 135 policiers serbes, 124 civils albanais (soi-disant des “collaborateurs”) et 115 autres civils (serbes et ressortissant d'autres minorités du Kosovo). Au cours de la même période, 101 personnes ont été grièvement blessées et 125 autres l'ont été légèrement par les miliciens de l'UÇK. En 1998 et 1999, l'UÇK a kidnappé 179 Serbes ou Monténégrins, 104 Albanais, 14 Tziganes et 6 ressortissants d'autres nationalités. Un étranger a également été pris prisonnier. 125 personnes ont pu s'échapper ou ont été libérées par l'UÇK. Les autres sont considérées comme mortes ou leur sort est demeuré inconnu.
Nous devons au moins évoquer les liens de l'UÇK avec les réseaux de criminalité organisée, surtout dans le trafic de l'héroïne. L'argent du trafic de drogues est utilisé pour soutenir le combat de l'UÇK, comme le soulignait le quotidien italien Corriere della Sera, le 19 janvier 1999, qui commentait l'arrestation du roi de la drogue à Milan, Agim Gashi (35 ans), natif de Pristina. Il avait mis à la disposition de ses “frères du Kosovo” en lutte contre les Serbes, une partie des milliards et des milliards de lire, qu'il avait tirés du commerce de stupéfiants. On peut facilement accumuler les informations de cet acabit. Le 6 juin 1994 déjà, l'International Herald Tribune expliquait que les trafiquants albanais de drogues entraient en concurrence avec leurs homologues turcs, surtout en Allemagne. La police de la RFA en savait peu de choses. Ces Albanais travaillaient surtout avec des mafieux géorgiens ou arméniens, qui se méfiaient des Turcs. Le 10 décembre 98, le quotidien londonien The Independent, signalait que les Albanais contrôlaient 70 % du marché suisse de l'héroïne. 2.000 Albanais du Kosovo croupissaient dans les prisons helvétiques pour des délits liés à la drogue. Le 15 mars 1999, le Philadelphia Inquirer constatait que l'Italie allait devoir affronter bientôt une nouvelle vague de criminels, issus du Kosovo albanais ! Le journaliste américain ajoutait que la brutalité de ces mafieux dépassait largement celle de la mafia italienne. Un policier italien lui avait dit que, dès le début du conflit du Kosovo, les gangs kosovars et albanais, qui ne s'étaient jusqu'alors intéressé qu'à la drogue, avaient commencé à lorgner du côté des trafics d'armes.
Ces quelques exemples doivent suffire à démontrer à quelles catégories d'individus l'OTAN, et surtout les États-Unis, ouvrent la voie à coup de bombes au Kosovo. Cette guerre ne sert en rien les intérêts de l'Europe, mais offre au fondamentalisme islamiste une nouvelle base opérationnelle sur notre continent, qui appuiera et contribuera à radicaliser les minorités islamiques déjà présentes en Europe, mais, en sus, tissera des liens logistiques avec la criminalité organisée.
► Michael Wiesberg, Junge Freiheit n°20/1999.
Le projet est de créer une enclave islamique s'enfonçant en Bosnie et dans le Sandjak.
◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
Atelier Minerve – Bruxelles, Paris, le 17 mars 2000
Il y a un an, lorsque, pour la première fois, nous avons traité du problème de la “dorsale islamique”, on nous a traité de visionnaires et de partisans des théories du complot. Pourtant, aujourd'hui que la Guerre du Kosovo est achevée, le projet de “dorsale verte” ou de “dorsale islamique” est bel et bien entré dans sa phase d'actualisation. Le Kosovo est devenu dans les faits l'anneau principal dans la chaîne d'entités politique qui forment un corridor islamique à travers toute la péninsule balkanique, un corridor qui s'enfonce profondément en direction des portes historiques de l'Europe. Ce corridor est ce que nous appelons la “dorsale verte” ou “dorsale islamique”. Ce projet vise à constituer un espace géopolitique unitaire pour tous les musulmans de l'ancienne fédération yougoslave et d'Albanie. L'objectif est donc de reconstituer l'Albanie ethnique et de l'étendre au Sandjak et à la Bosnie, laquelle est d'ores et déjà sous le contrôle des Musulmans grâce à la garantie que leur accordent les États-Unis. Le Kosovo est en réalité la dynamo qui alimente le processus de déstabilisation des territoires prévus pour être annexés à la future Grande Albanie ethnique.
La voie magistrale pour parvenir à unifier tous les territoires albanais a été d'abord exposée par l'UÇK puis réalisée par l'aide de l'OTAN : elle consistait à prendre dans un premier temps la province serbe pour en faire en quelque sorte une rampe de lancement. Par le biais de la “libération” manu militari de ce territoire, on visait à provoquer un effet domino qui déclencherait ensuite une série de processus de déstabilisation plus ou moins traumatisants en Serbie, au Monténégro et en Albanie même. La tactique était claire. Elle est devenue rapidement tragique quand on voit que, dans le processus de guerre, on a cyniquement instrumentalisé les flux de réfugiés quittant la Serbie. L'UÇK et les États-Unis, dès leurs premiers contacts, avaient déjà émis la possibilité d'une solution militaire, comme celle qui a été concrétisée, dans une étude bien planifiée dans tous ses détails.
L'exode en masse des Kosovars a de fait régionalisé la crise. La façon dont cet exode a été canalisé (vers le Monténégro, la Macédoine et l'Albanie) nous montre, sans craindre de nous tromper, que les dirigeants de l'UÇK et leurs protecteurs américains avaient l'intention d'utiliser les réfugiés pour renforcer les bases de la future “dorsale islamique”. L'UÇK a ainsi simultanément invité formellement les Kosovars à rester au Kosovo, pour “défendre la patrie”, et a dirigé les flux de réfugiés le long des axes envisagés par le projet. Le comportement des Américains, ensuite, ne laisse aucun doute, même aux plus hésitants. Les Américains ont bombardé le Kosovo en sachant très bien qu'ils allaient ainsi créer un flux ininterrompu mais très manœuvrable de réfugiés et ont joué la carte de l'urgence humanitaire et sanitaire pour avoir les mains libres et gérer la “crise” de la manière la plus utile à leurs desseins. En premier lieu, ils ont inclus dans leur projet “idéal”, le trafic des stupéfiants, très prosaïque mais très rémunérateur.
Avant le conflit qui a secoué la Bosnie, les canaux classiques des trafics illicites, en particulier des drogues en provenance de l'ex-URSS et de la Turquie étaient deux: ceux que contrôlait la mafia serbe et celle qui était organisée par les clans kosovars et albanais. L'implication directe de la Serbie dans le conflit a bouleversé les équilibres, faisant basculer l'axe en faveur d'un renforcement des 5 “cartels” du Kosovo. En même temps, la Macédoine, devenue indépendante, s'est muée de fait en un point névralgique pour la transformation de l'héroïne et le trafic d'armes. Ensuite, les réseaux kosovars s'occupaient du placement de cette drogue et de ces armes sur les marchés (comme l'a constaté les services de renseignement italiens DIA de Brindisi), en utilisant 3 corridors bien définis. Ces 3 routes sont de fait de véritables pistes sacrées, dans le sens où elles traversent des territoires étroitement contrôlés par les Musulmans des diverses régions balkaniques. Nous avons affaire là à un phénomène très important pour revenir à l'actualité. Les racines du problème résident dans le fait, qu'au cours de ces dernières années, des centaines de missionnaires islamiques sont arrivés en Bosnie, accompagnés de fonctionnaires de diverses organisations humanitaires musulmanes. Utilisant et exploitant la solidarité religieuse dans la région, ces missionnaires ont été les moteurs de l'intervention des mudjahiddins contre les Serbes et les Croates. Missionnaires et humanitaires ont permis la prolifération de mosquées, d'écoles coraniques et de centres sociaux confiés à des enseignants de confiance, provenant d'institutions religieuses orthodoxes.
Parallèlement à cette pénétration religieuse, les réseaux criminels ont fait leur chemin et la portée de ce phénomène est très dangereuse, comme le confirme les rapports du département d'État américain concernant le Sheik terroriste Bin Laden. Ces rapports confirment la présence de groupes organisés de son obédience en Bosnie, dès la fin du conflit, groupes qui activent le holding musulman que nous venons de décrire. Mais le Sheik terroriste a étendu son bras avide depuis longtemps déjà sur la périphérie islamique des Balkans et sur l'Albanie naturelle, tête de pont maritime vers l'Europe. Dans le pays des Aigles, Laden contrôle la très puissance Islamic Arab Bank, qui finance les commandes publiques. Le projet est aussi clair qu'inquiétant : construire, par l'intermédiaire d'une présence disséminée sur le territoire et dans les réseaux de trafic illicites (le ciment le plus fort et le plus adhésif !), une nation islamique unissant tous les frères musulmans de l'ex-Yougoslavie et de l'Albanie, de façon à avoir une Grande Albanie ethniquement pure. C'est clair : l'expansion des activités criminelles dans les Balkans n'est pas entièrement déductible des projets d'affirmation musulmane dans cette région, même si ces projets ont de fait aplani la voie et permis des accords avec les réseaux mafieux autochtones, surtout dans le Sud de l'Albanie, zone exclue du projet musulman de "dorsale islamique", parce qu'elle n'est pas ethniquement compatible.
Mais si pour l'Europe occidentale, aveugle et esclave quand elle le veut, la menace de ces réseaux mafieux et d'une avancée de l'Islam dans les Balkans est claire, pour les États-Unis, rien ne change vraiment. Pour les Américains, les Balkans sont une terre lointaine. L'instabilité balkanique peut être un prétexte, pour Washington, d'étendre dans l'avenir l'OTAN jusqu'aux frontières russes (il suffit de penser que l'armée américaine songe à acquérir l'ancien quartier général de l'aéronautique yougoslave à Krolovac en Macédoine). Quant aux mafias balkaniques et à leurs contacts directs avec les structures du terrorisme fondamentaliste, elles ne préoccupent guère les États-Unis, car elles sont moins dangereuses pour eux que les cartels colombiens ou chinois. L'Amérique, toutefois, craint Ben Laden et ses activités qui échappent à son contrôle. Le gouvernement américain, avant toute chose, cherche à ne pas heurter la susceptibilité de la Turquie et de ses alliés dans le Golfe, dont l'Arabie Saoudite est le principal. Turcs et Saoudiens, en effet, soutiennent les communautés musulmanes dans les Balkans. Aux yeux des Américains, ensuite, la Serbie reste l'unique puissance capable de concrétiser une revanche russe dans les Balkans. Dans leur optique, redonner un équilibre aux Balkans consisterait à leur donner une gestion néo-ottomane, sous l'œil bienveillant de la Turquie, capable de tempérer les exagérations de l'islamisme fondamentaliste, tout en restant la pierre angulaire de l'OTAN dans le Sud-Est de l'Europe.
► Mauro Bottarelli, La Padania, 9 mars 2000.
◘ Intervention de Robert Steuckers au Colloque de Synergon-Deutschland, 24-25 avril 1999 & à la Conférence sur la Guerre en Yougoslavie de la Lega Nord, Milan, 6 mai 1999.
Avec le déclenchement du conflit en Yougoslavie, le 25 mars 1999, toute géopolitique européenne, russe, euro-russe, eurasienne ou germano-russe (peu importe désormais les adjectifs !), doit :
♦ Premièrement : être une réponse au projet de Zbigniew Brzezinski, esquissé dans son livre The Grand Chessboard.
♦ Deuxièmement : organiser une riposte à la stratégie pratique et réelle qui découle de la lecture par les états-majors de ces thèses de Brzezinski. Cette stratégie s’appelle "New Silk Road Land Bridge Project", comme vient de le rappeler Michael Wiesberg dans l’éditorial de Junge Freiheit, la semaine dernière.
Le Projet "New Silk Road Land Bridge" (Pont Terrestre sur le Nouvelle Route de la Soie) repose cependant sur des réflexions géopolitiques et géostratégiques très anciennes. Elle est une réactualisation de la stratégie du " containment " appliquée pendant la guerre froide. Le " containment " dérive des théories géopolitiques:
1. d’Homer Lea, dont Jean-Jacques Langendorf, expert militaire suisse, a réédité le maître-ouvrage en allemand au début des années 80. Dans The Day of the Saxons, Lea fixait la stratégie britannique du " containment " de l’Empire russe, du Bosphore à l’Indus. Lea expliquait que les Russes ne pouvaient pas s’emparer des Dardanelles ou les contrôler indirectement (on se souvient de la Guerre de Crimée et des clauses très dures imposées à l’Empire russe par le Traité de Paris de 1856), qu¹ils ne pouvaient pas franchir le Caucase ni dépasser la ligne Téhéran-Kaboul.
2. d’Halford John Mackinder, pour qui les puissances maritimes, dont l’Angleterre, devaient contrôler les " rimlands ", pour que ceux-ci ne tombent pas sous l’hégémonie du "heartland", des puissances du milieu, des puissances continentales.
La dynamique de l’histoire russe, plus précisément de la Principauté de Moscovie, est centripète, dans la mesure où la capitale russe est idéalement située : au départ de Moscou, on peut aisément contrôler le cours de tous les fleuves russes, comme, au départ de Paris, on peut aisément contrôler tous les fleuves français et les régions qu’ils baignent. Moscou et Paris exercent une attraction sur leur périphérie grâce à la configuration hydrographique du pays qu¹elles contrôlent.
La dynamique centrifuge de l¹histoire allemande
Au contraire, la dynamique de l¹histoire allemande est centrifuge parce que les bassins fluviaux qui innervent le territoire germanique sont parallèles les uns aux autres et ne permettent pas une dynamique centripète comme en Russie d’Europe et en France. Un pays dont les fleuves sont parallèles ne peut être aisément centralisé. Les bassins fluviaux restent bien séparés les uns des autres, ce qui sépare également les populations qui se fixent dans les zones très œcuméniques que sont les vallées. L’unification politique des pays à fleuves parallèles est très difficile. Face à cet inconvénient du territoire allemand, plus spécialement de la plaine nord-européenne de l’Yser au Niémen et, plus particulièrement encore, au territoire du Royaume de Prusse (du Rhin à la Vistule), l’économiste Friedrich List préconisera la construction de chemins de fer et le creusement de canaux d’une vallée parallèle à l’autre, de façon à les désenclaver les unes par rapport aux autres.
Outre l¹Allemagne (et la Prusse), d’autres régions du monde connaissent ce parallélisme problématique des fleuves et des vallées.
• 1. La Belgique, dont la configuration hydrographique consiste en une juxtaposition des bassins de l’Yser, de l¹Escaut et de la Meuse, avec un quasi parallélisme de leurs affluents (pour l’Escaut : la Lys, la Dendre ; puis la Senne, la Dyle et le Demer), connaît en petit ce que la grande plaine nord-européenne connaît en grand. Au début de l¹histoire de la Belgique indépendante, le Roi Léopold I a fait appel à List, qui lui a conseillé une politique de chemin de fer et le creusement de canaux permettant de relier les bassins de l¹Escaut et de la Meuse, puis de la Meuse et du Rhin, en connexion avec le système allemand. De ce projet, discuté très tôt entre Léopold I et F. List, sont nés le Canal Albert en 1928 seulement (d’Anvers à Liège) et le Canal du Centre (reliant la Haine, affluent de l’Escaut, à la Sambre, principal affluent de la Meuse). Ensuite, autre épine dorsale du système politico-économique belge, le Canal ABC (Anvers-Bruxelles-Charleroi). L’unité belge, pourtant très contestée politiquement, doit sa survie à ce système de canaux. Sans eux, les habitants de ces multiples microrégions flamandes ou wallonnes, auraient continué à s’ignorer et n’auraient jamais vu ni compris l’utilité d’une certaine forme d’unité politique. L’idée belge est vivace à Charleroi parce qu’elle repose, consciemment ou inconsciemment, sur le Canal ABC, lien majeur de la ville avec le large (les ports de mer de Bruxelles et d’Anvers) (le Ministre-Président flamand, Luc Van den Brande, confronté récemment à de jeunes étudiants wallons de Charleroi, dans un débat sur la confédéralisation des régions de Belgique, a entendu de vibrants plaidoyers unitaristes, que l’on n’entend plus ailleurs en Wallonie ; dans leur subconscient, ces jeunes savent ou croient encore que leur avenir dépend de la fluidité du trafic sur le Canal ABC).
• 2. La Sibérie, comme " Ergänzungsraum " de la Russie moscovienne, connaît également un parallélisme des grands fleuves (Ob, Iénisséï, Léna). Si la Russie semble être, par son hydrographie, une unité géographique et politique inébranlable, en dépit d’un certain particularisme ukrainien, les immenses prolongements territoriaux de Sibérie, eux, semblent avoir, sur le plan hydrographique, les mêmes difficultés que l¹Allemagne et la Belgique en plus petit ou en très petit. Raison pour laquelle le Ministre du Tsar Sergueï Witte, au début de ce siècle, a réalisé au forceps le Transsibérien, qui alarmait les Anglais car les armées russes acquéraient, grâce à cette voie ferroviaire transcontinentale, une mobilité et une vélocité inégalées. La réalisation du Transsibérien donne l’occasion à Mackinder de formuler sa géopolitique, qui repose essentiellement sur la dynamique et l¹opposition Terre/Mer. Parce que les voies ferrées et les canaux donnent aux puissances continentales une forte mobilité, comparable à celle des navires des thalassocraties, Mackinder théorise le containment, bien avant la guerre froide, au moment où la moindre mobilité habituelle de la puissance continentale russe cesse d’être véritablement un handicap.
• 3. L’Indochine possède également une configuration hydrographique de type parallèle (avec le Hong rouge, le Mékong, le Ping, le Yom, le Salween, l¹Irrawaddy). Cette configuration explique la " Kleinstaaterei " de l¹ensemble indochinois, manipulé par les Français à la fin du XIXe siècle, par les Américains après 1945.
• 4. La Chine a aussi des fleuves parallèles, mais elle a pu y pallier en organisant des liaisons par une navigation côtière bien organisée. Autre caractéristique de l’hydrographie chinoise : les sources des grands fleuves se trouvent pour une bonne part sur les hauts plateaux du Tibet, ce qui explique l’acharnement chinois à conserver ce pays conquis dans les années 50. Qui contrôle les sources tibétaines des grands fleuves chinois et indochinois risque à terme de contrôler l’alimentation en eau de la Chine.
Ce regard jeté sur l’hydrographie démontre surtout que la géopolitique est bien souvent une hydropolitique.
Le projet "New Silk Road Land Bridge"
Revenons au projet américain de "New Silk Road Land Bridge". Ce projet vise à créer une barrière d’États et de bases contenant la Russie loin des mers et de l’Océan Indien. Cette barrière commence à l’Ouest sur l’Adriatique (avec l’Albanie) et se termine en Chine. Elle relie, comme la Route de la Soie du temps de Marco Polo, les deux parties les plus peuplées de la masse continentale eurasienne. En termes militaires, cette barrière serait constituée de l¹Albanie réorganisée par les partisans de l’UCK, encadrés par des officiers américains et turcs, une Macédoine où l’on aura sciemment minorisé les Slaves au profit des Albanais renforcés par les réfugiés du Kosovo, une Turquie comme pièce centrale de la nouvelle OTAN, l¹Azerbaïdjan qui vient de mettre à la disposition de l’OTAN la plus importante base aérienne de l’ex-Armée Rouge, l¹Ouzbékistan à proximité de la Caspienne qui vient de dénoncer le pacte qui le liait à la Russie (dans le cadre de la CEI). À ce dispositif turcocentré, s’ajoutera très vite la Géorgie (qui vient aussi de se désolidariser du Pacte d’entraide de la CEI), la Tchétchénie qui a déjà perturbé l’acheminement par oléoduc des pétroles de la Caspienne en direction du port russe en Mer Noire, Novorossisk. Plus au nord, dans la région de l’Oural, deux républiques autonomes musulmanes de la Fédération de Russie, le Tatarstan, le Bachkortostan et, au Sud, l’Ingouchie (voisine de la Tchétchénie et également musulmane), par la bouche de leurs présidents respectifs, ont exprimé leurs réticences face à la solidarité qu¹exprimait l¹immense majorité des Russes à l’égard des Serbes dans le combat qui oppose ceux-ci à l’OTAN et aux Kosovars albanais de l’UCK, manipulés par Washington et Ankara. À l’Est de Moscou mais à l’Ouest de l’Oural, sur le cours d’un affluent important de la Volga, la Kama, au sud des régions moins oecuméniques du nord de l’Oural, se trouvent donc des régions susceptibles d’entrer en rébellion ouverte contre Moscou, si le pouvoir russe cherche à disloquer la barrière américano-turque de l’Adriatique aux confins chinois.
Dans The Grand Chessboard, Zbigniew Brzezinski table clairement sur la turcophonie d¹Asie centrale, appelée à être organisée par Ankara, et, par ailleurs, évoque la possibilité d’étendre la sphère d’influence chinoise jusqu’au Kazakhstan, rejoignant ainsi le pôle turcophile et turcophone s’étendant de Tirana à l’Ouzbékistan. La barrière serait ainsi soudée, le verrou serait complet. Les Russes de Sibérie et d’Asie centrale seraient " contenus ". La barrière serait consolidée par un appui inconditionnel à une Turquie de 70 millions d¹habitants (et bientôt 100 millions !). Ankara recevrait des armes et un équipement technologique de pointe. Les États-Unis donneraient ainsi aux Turcs l’accès à des satellites de télécommunications, leur permettant d’inonder l’Asie centrale turcophone d’émissions de télévision orientées. Des fondations apparemment " neutres " offrent d’ores et déjà des bourses d’étude à des étudiants turcophones d’Asie centrale pour étudier à Istanbul et à Ankara. Washington ferme les yeux sur le génocide que subissent les Kurdes, non turcophones et locuteurs d’une langue indo-européenne proche du persan. Les Kurdes pourraient disloquer le verrou en proclamant leur indépendance et en s’alliant aux autres indo-européophones de la région : les Arméniens, orthodoxes et alliés traditionnels des Russes, ennemis jurés de la Turquie depuis le génocide de 1916, et l’Iran, adversaire des États-Unis et alliés potentiels de Moscou.
Carte musulmane obligatoire pour la Russie
Cette carte musulmane jouée par les États-Unis jette le désarroi à Moscou. Evguenii Primakov sait désormais qu¹il doit trouver une parade mais sans brusquer les 20 millions de musulmans de la Fédération de Russie et les ressortissants des ex-républiques musulmanes et turcophones de l’URSS, constituant l’ " étranger proche ". La Russie est contrainte de forger à son tour un projet cohérent pour les peuples turcophones, sous peine de bétonner définitivement son propre encerclement, mis en œuvre par les Américains. C’est ce qui explique, notamment, l’intérêt que porte notre ami Alexandre Douguine à l’Islam, en tant que force traditionaliste que l’on pourrait opposer à l’Ouest. Douguine fonde sa théorie de l'Islam sur l’œuvre de deux auteurs : Constantin Leontiev et René Guénon. Constantin Leontiev voulait au XIXe siècle une alliance des Orthodoxes et des Musulmans contre l’Ouest (catholique, protestant et libéral). Leontiev s’opposait au soutien russe apporté aux petits peuples slaves des Balkans, parce que ceux-ci, disait-il, étaient animés par des idéologies émancipatrices et libérales, téléguidées depuis Vienne, Paris et Londres. Leontiev s’opposait ainsi au théoricien du nationalisme serbe Ilia Garasanin (Garachanine), qui liait l’orthodoxie balkanique à une revendication anti-ottomane et émancipatrice des communautés paysannes slaves. Garasanin demandait l’aide russe, mais ne souhaitait pas introduire l¹autocratisme dans les Balkans. À ce titre, il apparaissait comme subversif pour les traditionalistes, dont Leontiev. La référence à Guénon, qui s’est converti à l’Islam et retiré au Caire, participe essentiellement, chez Douguine, d’une critique générale du " règne de la quantité ". Diverses instances en Russie cherchent donc à justifier et à consolider intellectuellement une politique d’ouverture à l’Islam qui puisse faire pièce à celle que déploient les États-Unis autour de la turcophonie centre-asiatique.
Hydropolitique carolingienne
En Europe, en prenant pied dans les Balkans (en Albanie, au Kosovo et en Macédoine) et en frappant Belgrade et Novi Sad sur le Danube, les États-Unis tentent de barrer la nouvelle grande voie d’eau qui traverse l¹Europe, de l¹embouchure du Rhin à Rotterdam en passant par le Main, le nouveau canal Main-Danube et le cours du Danube lui-même jusqu¹à Constantza en Roumanie. Cette volonté d¹entretenir une liaison fluviale à travers le continent est très ancienne. Déjà Charlemagne avait eu ce projet, à l’aube de l¹histoire européenne occidentale. On oublie très souvent que les Carolingiens raisonnaient en termes d¹hydropolitique. Charlemagne, doté d’une solide santé physique, s’est rendu compte des difficultés géographiques et physiques à centraliser son empire. Pour maintenir l’édifice en place, il a été obligé, pendant toute sa vie, de voyager sans cesse d’un château palatin à l¹autre. Les missi dominici ont pris le relais, transmettant les consignes à travers tout l’empire. Les seules voies de communication permanentes et faciles à l’époque étaient les fleuves. Les Francs, par ex., pour s’emparer de ce qui allait devenir l¹Ile-de-France et en faire le centre de leur puissance politique, ont descendu le cours de l’Oise sur des radeaux. Seuls les fleuves permettaient d¹acheminer d’énormes quantités de marchandises dans des temps raisonnables. Pour ceux qui ne perçoivent pas l¹importance des fleuves après la disparition des routes romaines, le partage de l’empire à Verdun en 843, entre les trois petits-fils de Charlemagne, apparaît absurde. Pourtant, ce partage est d’une logique limpide pour qui raisonne en termes d¹hydropolitique. Charles le Chauve, roi de la Francie occidentale (qui deviendra la France), reçoit les bassins de la Somme, de la Seine, de la Loire et de la Garonne. Lothaire, empereur, reçoit la Lotharingie, de la Frise au Latium, ce qui apparaît illogique voire aberrant, sauf si l’on regarde bien la carte hydrographique : Lothaire reçoit les bassins du Rhin (avec la Moselle), de la Meuse, du Rhône (avec la Saône et le Doubs) et du Pô. Louis le Germanique, avec la Francie orientale (qui deviendra l¹Allemagne) reçoit en héritage la dualité allemande qui repose, physiquement parlant, sur la dualité de la configuration hydrographique du pays : il hérite des fleuves parallèles de la plaine nord-européenne (Ems, Weser, Elbe, Oder) et, surtout, du Danube qui ouvre d’immenses perspectives en aval.
L¹héritage de Louis le Germanique, qui s’emparera de la Lotharingie, scelle la dualité de l¹histoire allemande, où, plus tard, la Prusse organisera la grande zone des fleuves parallèles, tandis que l¹Autriche prendra en charge le système danubien. Cet état de choses explique pourquoi les Allemands se sont immédiatement entendus avec les Hongrois et qu¹ensemble, ils ont guerroyé des siècles durant contre l’Empire ottoman qui entendait, lui aussi, s’emparer du Danube en en remontant le cours pour s’emparer de la " Pomme d’Or " (Vienne). Après les premières tentatives de Frédéric II de Prusse, au XVIIIe siècle, de doter son royaume d’un bon système de canaux raccourcissant les distances pour les marchandises à transporter, réalisations qu¹il récapitule lui-même dans son Testament politique de 1752, l¹économiste du XIXe siècle Friedrich List élabore des projets pour tous les pays d’Europe et pour l’Allemagne en particulier. Il demande aux hommes d’État d’ " organiser le Danube " et d’accélérer le creusement du Canal joignant le Main au Danube. De là vient cette grande idée de relier Rotterdam à Constantza et la navigation fluviale danubienne au système de la Mer Noire et des fleuves russes qui s’y jettent. Plus tard, cette idée récurrente dans les politiques d¹aménagement du territoire se retrouve chez le géopolitologue Walther Pahl, qui signale que la majeure partie des exportations russes en céréales, en pétrole et en produits sidérurgiques empruntent les voies et les ports de la Mer Noire pour se répandre dans le monde. Plus précis, le géopolitologue Arthur Dix, en 1923, quelques mois après la signature des accords germano-russes de Rapallo, entre Rathenau et Tchitchérine, dessine une carte montrant la synergie potentielle entre les systèmes fluviaux russes, allemands et danubiens, permettant d¹organiser l¹Europe centrale et orientale, éventuellement contre les politiques anti-européennes de la France et de l¹Angleterre. Max Klüver, historien controversé des prolégomènes de l’affrontement germano-russe de 1941-45, étudie dans son ouvrage Präventivschlag, les requêtes successives de Molotov auprès de Ribbentrop dans la période du pacte germano-soviétique de 39-41, demandant une participation soviétique dans la gestion du trafic fluvial danubien. Klüver rappelle que Ribbentrop devait tenir compte de réticences roumaines et hongroises et d’abord apaiser le conflit qui opposait ces deux petites puissances danubiennes entre elles. Ce sera l’objet des deux arbitrages de Vienne, œuvre diplomatique de Ribbentrop.
La maîtrise du Danube : cauchemar britannique
L’ouverture d’un trafic transeuropéen via le Danube a toujours été le cauchemar des Britanniques, depuis 1801.Cette année-là, le Tsar Paul I, allié de Napoléon, demande à celui-ci d’envoyer des troupes via le Danube et la Mer Noire, pour amorcer une campagne contre les possessions indiennes de l¹Angleterre en passant par la Perse. Le Danube devait remplacer la Méditerranée comme voie de communication rapide par eau, parce que Nelson en avait chassé les Français et anéanti les projets napoléoniens en Égypte. L’hostilité britannique à tout trafic danubien s’explique :
♦ Parce que le Danube relativise les voies maritimes méditerranéennes contrôlées par les Britanniques ;
♦ En 1942, pendant la Seconde Guerre mondiale, des journalistes anglais publient une carte montrant un " Très Grand Reich allemand " centré autour d’un système " Rhin-Main-Danube ", lui permettant d¹exercer son hégémonie sur l’Ukraine et le Caucase. Pour une certaine opinion à Londres en 1942, le danger nazi n’est donc pas incarné par une idéologie totalitaire ou raciste, ou par un dictateur arbitraire aux réactions imprévisibles, mais par un simple projet d¹aménagement du territoire et des voies fluviales, vieux de mille ans. Comme quoi, selon cette " logique ", Charlemagne était déjà " nazi " sans le savoir ! Et bien avant la fondation de la NSDAP ! Aujourd’hui, pour dénoncer le processus d’unification européen en cours, un géopolitologue français germanophobe, Paul-Marie Coûteaux, ressort la même carte dans un article récent de la revue Géopolitique (mars 1999). Coûteaux se situe ainsi dans la même logique qu’un de ses prédécesseurs, André Chéradame, géopolitologue durant la Première Guerre mondiale et architecte oublié du système de Versailles, notamment pour ce qui concerne ses plans d’accroissement démesuré de la Roumanie et de la Yougoslavie, et de destruction de la Hongrie et de la Bulgarie. Chéradame cherchait à morceler le cours du Danube après Vienne en autant de tronçons nationaux possibles. Sa géopolitique rencontrait davantage les intérêts anglais que les intérêts français.
♦ Tout accroissement du trafic fluvial danubien limite le monopole des transports maritimes exercé par les armateurs de la Méditerranée, généralement britanniques ou financés par la City. Rappelons à ce propos qu¹au moment où Soviétiques et Allemands signent le Traité de Rapallo, les Américains, par les Accords de Washington de 1922, imposent à la France et à l’Italie une réduction considérable de leur tonnage, limité à 175.000 tonnes.
Une succession de crises bien préparées
Quelle est la situation actuelle, en tenant compte de tous les facteurs historiques que nous venons de mentionner ?
◘ A. Depuis quelques années, le système Rhin-Main-Danube est devenu une réalité, vu le percement du Canal Main-Danube sous l¹avant-dernier gouvernement Kohl en Allemagne. Notons que la postérité reconnaîtra forcément le mérite de Kohl, d’avoir réalisé après 1100 ans d’attente un projet de Charlemagne. Mais, inévitablement, en connaissant l’hostilité foncière de la Grande-Bretagne à ce projet, on pouvait s¹attendre à des manœuvres de diversion, dont la guerre contre la Serbie, avec le bombardement des ponts de Novi Sad et de Belgrade, a constitué un prétexte en or.
◘ B. Depuis l¹annonce de la fin des travaux du percement du Canal Main-Danube, bon nombre de voies de communication dans le système euro-russe du Danube, de la Mer Noire et de la Caspienne subissent des crises violentes, provoquant des instabilités de longue durée, avec :
• 1. le conflit de la Tchétchénie, où un oléoduc important acheminant le pétrole de la Caspienne vers un terminal russe sur la Mer Noire, a été bloqué par les troubles qui ont affecté cette république ethnique de la Fédération de Russie.
• 2. Une intensification observable des liens entre la Turquie, fermement appuyée par les États-Unis, et les ex-républiques soviétiques turcophones, qui quitte l¹orbite de la CEI et donc de la Russie.
• 3. Un conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour l¹enclave arménienne du Nagorno-Karabach, où l’Arménie, sans accès à la mer, est coincée entre son adversaire et l’allié de celui-ci, la Turquie.
• 4. Un chaos permanent dans les Balkans, surtout depuis la crise bosniaque et la démonisation médiatique de la Serbie, décrite comme une sorte de croquemitaine politique en Europe.
• 5. L¹échec d’un plan complémentaire, du temps de Kohl et de Mitterrand, visant à joindre le Rhin au Rhône et donc le système Rhin-Main-Danube au bassin occidental de la Méditerranée ; ce projet " carolingien " a été torpillé par l’aile pro-socialiste du parti des Verts en France, orchestrée par une certaine Madame Voynet, aujourd¹hui ministre dans le gouvernement Jospin.
• 6. La crise financière qui secoue l’Extrême-Orient et affaiblit ainsi des alliés potentiels de la Russie et de l’Europe.
• 7. L¹arrestation du leader kurde Öcalan, quelques semaines avant le déclenchement des opérations de l’OTAN, afin que le mouvement de résistance kurde soit neutralisé et ne puisse organiser de diversion contre les opérations américano-turques dans les Balkans, avec l'appui militaire de leurs mercenaires et de leurs vassaux européens.
• 8. Le bombardement des ponts sur le Danube en Serbie et en Voïvodine, coupant la voie fluviale la plus importante d’Europe et annulant l’effort financier qu¹avait consenti le gouvernement allemand du temps de Kohl pour réaliser le canal Main-Danube. Les frappes contre ces ponts sont des frappes contre l’Europe et, plus spécialement, contre l’Autriche, dont le commerce extérieur a connu un boom spectaculaire depuis la chute du Rideau de fer et l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie, et contre l’Allemagne. Ainsi, selon un article du Washington Times, un armateur allemand de Passau en Bavière risque la ruine de son entreprise parce que le Danube n’est plus navigable au-delà de Belgrade ; de même, un armateur autrichien, disposant d’une flotte plus considérable, a vu 60 de ses embarcations bloquées à l’Est de la frontière yougoslave. La Bulgarie et la Roumanie sont isolées et coupées du reste de l¹Europe. Ces pays sont contraints d¹accepter les conditions de l’OTAN et de mettre leurs espaces aériens à la disposition de l’alliance.
• 9. Fin mars, début avril 1999, trois républiques de la CEI, la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Ouzbékistan déclarent se désolidariser du pacte de défense collective qui les liait à la Russie. Ce qui conduit à l¹encerclement complet de l’Arménie, enclavée entre trois pays ennemis, avec pour seule issue l’Iran. Les oléoducs passeront donc par la Turquie pour aboutir au terminal de Ceyhan sur la côte méditerranéenne, se soustrayant de la sorte à la dynamique Danube/Mer Noire.
De cette façon, le " Pont terrestre " (Land Bridge) sur la nouvelle Route de la Soie devient une réalité géopolitique, au détriment de l’Europe et de la Russie.
Une riposte est-elle encore possible ?
Quelle stratégie opposer à ce gigantesque verrou qui coupe l’Europe et la Russie de leurs principales sources d¹approvisionnement énergétique ? Il a été un moment question de forger une nouvelle alliance entre la Russie et :
• 1) La Serbie ;
• 2) La Macédoine, à condition qu’elle reste majoritairement slave et orthodoxe ;
• 3) La Grèce, qui se détacherait de l’OTAN pour manifester sa solidarité avec les autres puissances orthodoxes, mais se verrait coincée entre une Albanie surarmée et appuyée par les États-Unis et une Turquie qui n’a jamais cessé de la menacer en Mer Ionienne.
• 4) Chypre, qui serait libérée des Turcs qui occupent sa portion septentrionale, et deviendrait une base de missiles de la marine russe. On doit rappeler ici l’enjeu important que constitue cette île, véritable porte-avions dans la Méditerranée orientale. Chypre se situe à 200 km des côtes syriennes et libanaises, à 500 km des côtes égyptiennes. Elle est passée sous domination britannique en 1878 et quasiment annexée en 1914, année où les Cypriotes ont pu acquérir des pas-se-ports britanniques. Ce n’est qu’en 1936 que l’armée, la marine et l’aviation britanniques transforment cette île en forteresse, au même moment où les Italiens font de Rhodes, qu’ils possèdent à l’époque, une forteresse et une base aérienne. Rhodes se situe à 400 km à l’Ouest de Chypre et également à 500 km des côtes égyptiennes, à hauteur d’Alexandrie. En 1974, la Turquie occupe le Nord de l’île et y constitue une république fantoche qu¹elle est la seule à reconnaître. L’an passé, de graves incidents ont opposé des manifestants grecs à des policiers de l’État fantoche turc de l’île. Un manifestant grec a été abattu froidement par cette police, devant les caméras du monde entier, sans que cela ne suscite d¹indignation médiatique ni d’intervention militaire occidentale.
• 5) La Syrie, dont les fleuves, le Tigre et l’Euphrate, sont asséchés par la politique des barrages turcs, installés en Anatolie du temps d’Özal. Seule la Syrie ne peut résister à la Turquie ; au sein d’une alliance avec la Russie (et si possible, avec l¹Europe), elle serait à nouveau en mesure de faire valoir ses droits.
• 6) Le Kurdistan, de manière à dégager l’Arménie de son enclavement et, si possible, de lui donner un accès à la Mer Noire ;
• 7) L’Irak, qui serait le prolongement mésopotamien de cette alliance et une ouverture sur le Golfe Persique.
• 8) L’Iran qui échapperait aux sanctions américaines (mais on apprend que l’Iran soutient les positions de l’OTAN au Kosovo !).
• 9) L’Inde, dont le gouvernement nationaliste vient de tomber à la date du samedi 17 avril 1999, alors qu¹il avait déployé une politique de défense et d’armement indépendante, pourrait donner corps à cette alliance planétaire, visant à encercler le " Land Bridge " entre l¹Europe et la Russie au Nord, et une chaîne de puissances du " rimland " au Sud.
• 10) L’Indonésie et le Japon, puissances extrême-orientales affaiblies par la crise financière qui les a frappées l’an passé. L’alliance éventuelle du Japon et de l’Indonésie, avec le Japon finançant la consolidation de la marine de guerre indienne (notamment les porte-avions), afin de protéger la route du pétrole du Golfe au Japon. Cette alliance avait inquiété les géopolitologues américain et australien Friedmann et Lebard, il y a quelques années (cf. The Coming War with Japan, St. Martin’s Press, New York, 1991). Dans son éditorial du Courrier International (n°441, 15/21 avril 1999), Alexandre Adler, dont les positions sont très souvent occidentalistes, craint les hommes politiques japonais hostiles aux États-Unis. Il cite notamment Shintaro Ishihara, devenu gouverneur de Tokyo. Il écrit : « Si un Japon nationaliste et communautaire décide de devenir le banquier de la Russie néonationaliste, nous aurons encore beaucoup à réfléchir sur les effets à long terme de la crise serbe que nous vivons pour l’instant avec autant d’intensité ».
Le flanc extrême-oriental de cette alliance potentielle s¹opposerait au tandem Chine-Pakistan, soudé à l¹ensemble albano-turco-centre-asiatique.
Deux stratégies face à la Chine
Dans ce contexte, nous devons réfléchir sur l¹ambiguïté de la position chinoise. Brzezinski veut utiliser la Chine dans la constitution du barrage anti-européen et anti-russe ; il cherche à en faire l¹élément le plus solide du flanc oriental de cette barrière, de ce " Land Bridge " sur la Route de la Soie, dont l’aboutissement — on le sait depuis Marco Polo — est le " Céleste Empire ". Une alliance sino-pakistanaise tiendrait ainsi en échec l’Inde, allié potentiel du Japon dans l’Océan Indien. D’autres observateurs américains, au contraire, voient en la Chine un adversaire potentiel des États-Unis, qui pourrait devenir autarcique et développer une économie fermée, inaccessible aux productions américaines, ou se transformer en " hegemon " en Indochine et en Mer de Chine. C’est pourquoi on reproche régulièrement à la Chine de ne pas respecter les droits de l’homme. À ce reproche la Chine répond qu¹elle entend généraliser une pratique des droits de l’homme " à la carte ", chaque civilisation étant libre de les interpréter et de les appliquer selon des critères qui lui sont propres et qui dérivent de ses héritages religieux, philosophiques, mythologiques, etc.
Les États-Unis développent donc vis-à-vis de la Chine deux concepts stratégiques :
• a) Ils veulent " contenir " la Chine avec l’aide du Japon et de l’Indonésie, voire du Vietnam.
• b) ou bien ils veulent l¹arrimer à la barrière antirusse, favoriser son influence dans le Kazakhstan et renforcer l¹alliance anti-indienne qui la lie au Pakistan (l’optique américaine est tout à la fois anti-européenne sur le Danube et dans les Balkans ; antirusse dans les Balkans, en Mer Noire, dans le Caucase et en Asie centrale turcophone ; anti-indienne dans d¹Himalaya et dans l¹Océan Indien ; en toute logique les diplomaties européennes, russes et indiennes devraient faire bloc et afficher une politique globale du grand refus).
• c) Reste la question irrésolue du Tibet. Si la Chine accepte le rôle que lui assignent les disciples de Brzezinski, l’Europe, la Russie et l’Inde doivent donner leur plein appui au Tibet, prolongement himalayen de la puissance indienne. Le Tibet offre l¹avantage de pouvoir contrôler les sources de tous les grands fleuves chinois et indochinois ainsi que les réserves d’eau du massif himalayen, vu que l’eau devient de plus en plus un enjeu capital dans les confrontations entre les États (cf. Jacques Sironneau, L’eau, nouvel enjeu stratégique mondial, Economica, 1996). La Chine tient à garder une mainmise absolue sur le Tibet pour ces motifs d’hydropolitique.
Trois pistes à suivre impérativement
En conclusion, ce tour d’horizon des questions stratégiques actuelles nous montre l¹absence tragique de l¹Europe sur l¹échiquier de la planète. Politiquement et géopolitiquement, l¹Europe est morte. Ses assemblées ne discutent plus que des problèmes impolitiques. Aucune école de géopolitique connue n’a pignon sur rue en Europe. Que reste-t-il à faire dans une situation aussi triste ?
◘ A. Développer une politique turque européenne, qui rejette tout retour de la Turquie dans les Balkans, terre d’Europe, mais, au contraire, favorise une orientation des potentialités turques vers le Proche-Orient et la Mésopotamie, en synergie avec les puissances arabo-musulmanes de la région. La Turquie ne doit plus être instrumentalisée contre l’Europe et contre la Russie. Elle doit permettre l’accès aux flottes européennes et russe à la Méditerranée via les Dardanelles. Elle doit cesser de pratiquer la désastreuse politique d’assécher la Syrie et l’Irak qu’avait amorcée Özal, en dressant des barrages haut en aval du cours de l’Euphrate et du Tigre. Elle doit renouer avec l’esprit qui l’animait au temps du grand projet de chemin de fer Berlin-Bagdad (autre hantise de l’Empire britannique).
◘ B. Généraliser une politique écologique et énergétique qui dégage l¹Europe de la dépendance du pétrole. C’est le contrôle des sources du pétrole au Koweït, à Mossoul, dans le Caucase et le pourtour de la Mer Caspienne qui induit les États-Unis à développer des stratégies de containment. Un désengagement vis-à-vis du pétrole doit forcément nous conduire à adopter des énergies plus propres, comme l'énergie solaire et l'énergie éolienne. Ces énergies seraient dans un premier temps un complément, dans un deuxième temps, un moyen pour réduire la dépendance. De Gaulle avait compris que la diversification des sources d’énergies était favorable à l’indépendance nationale. Sous De Gaulle, de nouvelles techniques ont été mises en œuvre, comme les usines marémotrices de la Rance, l’énergie solaire dans les Pyrénées, une politique de construction de barrages dans tout le pays et le pari sur l’énergie nucléaire (qui n’est plus une alternative absolue depuis la catastrophe de Tchernobyl). L’objectif de toute politique réelle est d¹assurer l¹indépendance alimentaire et l¹indépendance énergétique, nous enseignait déjà Aristote.
◘ C. Vu que la supériorité militaire américaine dérive, depuis le Golfe et la guerre contre la Yougoslavie, d’une bonne maîtrise des satellites d¹information, il est évident qu¹une coopération spatiale plus étroite entre l¹Europe et la Russie s’impose, de façon à offrir à terme une alternative aux monopoles américains dans le domaine de l’information (médias, internet, etc.). Il est évident aussi que l’utilisation militaire des satellites s’avère impérative, tant pour les Européens que pour les Russes. La minorisation de l¹Europe vient de son absence de l’espace.
► Robert Steuckers, Nouvelles de Synergies Européennes n°40, 1999.
Bibliographie :
Réflexions sur la crise du Kosovo
Entretien de Robert Steuckers avec le journal Le Baucent (Metz)
◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
Le Baucent (Metz) — Minerve (Metz) — NdSE (Bruxelles) — Avril 1999
◘ Depuis 5 semaines que l'OTAN s'acharne à briser (“normaliser”, selon le jargon du Pentagone) la résistance du peuple serbe dressé derrière Slobodan Milosevic ; SEUL CONTRE TOUS, comment réagissez-vous :
• à l'acharnement médiatique qui fait du Serbe un barbare sanguinaire, pire qu'un nazi ?
• à la soumission de l'Europe aux prétentions hégémoniques américaines, qui la réduisent à bombarder son propre sol, à l'heure de l'Union Européenne ?
• à l'humanitarisme affiché qui légitime les frappes sur Pristina et, désormais, Belgrade ?
L'acharnement médiatique fait partie depuis longtemps de l'arsenal de la guerre psychologique. On sait depuis longtemps que l'Occident américain se positionne comme l'agent du Bien moral sur la Terre : ses adversaires doivent donc incarner le Mal absolu. Souvent, depuis 1945, ce Mal absolu est mis en équation avec Hitler et le nazisme. C'est d'autant plus vrai après la disparition du Rideau de Fer. Ceaucescu a échappé à l'équation hitlérienne. Saddam, deux ans plus tard, n'y a plus échappé. Milosevic est considéré comme le maître d'œuvre de la “purification ethnique”, une méthode que quelques pseudo-historiens parisiens attribuent aux érudits qui ont fondé le nationalisme serbe au XIXe siècle : Vuk Karadzic (que l'on ne confondra pas avec le chef des Serbes de Bosnie) et Ilya Garasanine. Malheureusement pour ces terribles simplificateurs, ces érudits étaient des humanistes populistes, soucieux d'établir une république paysanne et émancipatrice dans leur pays, qu'ils espéraient hisser dans une confédération fraternelle de tous les Slaves, les Grecs et les Albanais catholiques et orthodoxes des Balkans ! Toutes les sources relatives à ces auteurs les décrivent comme des hommes politiques scrupuleux, opposés à l'arbitraire des Princes et des roitelets locaux, reconnus par leurs pairs à Vienne, Berlin, Paris et Moscou, agissant dans des circonstances difficiles, face à la toute-puissance de l'Empire ottoman. Wolfgang Libal, écrivain viennois de confession israëlite, longtemps correspondant de presse à Belgrade, a dressé récemment, dans un livre consacré à l'histoire de la Serbie, un portrait très différent et élogieux de ces deux hommes. Sur la place de Paris, ils sont des “monstres”, ancêtres d'autres “monstres”. D'un côté, l'analyse, de l'autre, la propagande.
L'intervention de l'OTAN contre la Yougoslavie a démontré que l'Europe était morte politiquement. Ma thèse est la suivante : l'objectif des États-Unis est triple dans cette opération. Contenir l'Europe loin de l'Égée et du bassin oriental de la Méditerranée. Contenir la Russie et l'empêcher d'intervenir de quelque façon que ce soi dans ce bassin oriental. Juguler le trafic Rhin-Main-Danube, qui branche l'Europe industrielle sur le système de la Mer Noire, donnant accès aux pétroles du Caucase et de la Caspienne. L'Allemagne de Kohl a dépensé des milliards de marks pour assurer le creusement du canal Main-Danube et celle, inconséquente, de Schröder et Fischer laisse les avions américains bombarder les ponts du Danube, qui s'écroulent dans le lit du fleuve et bloquent la circulation. Les journaux allemands et autrichiens parlent de la ruine de tous les armateurs bavarois ou viennois qui ont investi dans des flottes fluviales destinées à acheminer du fret le long de ces voies d'eau paneuropéennes. Soixante pousseurs et péniches appartenant à une seule société autrichienne sont coincés à l'Est de la Yougoslavie. Ensuite, comme le soulignaient le porte-parole de la SABENA (compagnie aérienne belge) et un éditorialiste du quotidien milanais Il Giornale, l'espace aérien dans le Sud-Est européen est complètement perturbé : l'Est de l'Italie est très difficilement accessible, la Grèce est quasi isolée et le tourisme estival de cette année n'y donnera rien, fragilisant encore plus l'économie grecque, déjà précaire. De même, pour la Bulgarie et la Roumanie. Il est donc tout simplement inadmissible de voir le personnel politique européen accepter sans sourciller une telle situation qui va à l'encontre de l'intérêt de tous les Européens et de la société civile de notre continent. Le personnel politique qui a accepté cette guerre, cette occupation de notre espace aérien, n'est plus un personnel politique au service de la population, de ses travailleurs et de ses entreprises. Constat dont il faudra très vite tirer les conséquences.
Quant à l'humanitarisme, il est d'abord un instrument médiatique nécessaire à l'auto-légitimisation de l'Empire du Bien. Ensuite, il est évident que les opérations actuelles font partie d'une stratégie mise au point depuis fort longtemps. Mais cette stratégie a été tenue secrète. Il a fallu la financer autrement que par des crédits votés légalement dans les parlements. On chuchote évidemment que les réseaux mafieux ont contribué ainsi à blanchir l'argent de la prostitution, du jeu, des “pyramides financières”, de certains hold-ups sanglants ou d'attaques de fourgons postaux (avec mort d'hommes). L'humanitarisme, et l'appel à la charité, est la stratégie qui consiste à masquer le financement non démocratique voire crimino-politique de cette opération préparée de longue date. Et à faire financer toute la logistique militaire et civile (hôpitaux, etc.) sur le terrain par le biais de la charité de la population ahurie et abrutie par des images télévisées qui risquent bien vite de s'avérer aussi illusoires que celle de Timisoara, lors de l'affaire Ceaucescu… Notons aussi que bon nombre d'organisations humanitaires se montrent très réticentes à collaborer avec les militaires de l'OTAN. La Croix-Rouge Internationale craint par ex. de perdre sa neutralité habituelle.
◘ Le spectre d'une guerre terrestre, pour incertain, hante les salles de réunion de l'état-major de l'OTAN à Bruxelles. Les préparatifs des belligérants, largement diffusés par les télévisions, prouvent que tout risque n'est pas écarté. Quelles seraient d'après vous les conséquences, à terme, d'une telle radicalisation du conflit ?
La perspective d'une guerre terrestre est acceptée avec plus de légèreté depuis que les armées ne sont plus composées de conscrits ou de mobilisés. Les interventions directes des armées occidentales seront donc réduites. Je pense qu'on surarmera les volontaires de l'UCK et les Albanais pour constituer le gros des troupes d'infanterie. Il ne semble pas que les Turcs interviendront, même si, dans l'OTAN, ils disposent des plus gros bataillons de chair à canon disponible. L'armée yougoslave, avec l'appui occidental sous Tito, a organisé le pays pour rendre possible la guerre des partisans. Via l'Albanie, que l'on songe à accepter au sein de l'OTAN plus rapidement que la Slovénie ou l'Estonie, l'OTAN, et donc les États-Unis et la Turquie, vise à faire de ce pays et du Kosovo une immense base militaire entre la Méditerranée et le Danube. Pire, les États-Unis visent à créer un vide dans le Sud-Est européen, comme l'Irak (donc la Mésopotamie) est aujourd'hui un vide, un pays avec qui personne ne peut coopérer sur les plans civil, industriel et commercial. Nous aurions en Europe une zone neutralisée, gênant tous les trafics, empêchant le continent de se structurer. Un conflit sanglant rapidement terminé (même au bout de 6 mois) n'empêcherait pas cette structuration, il la retarderait tout simplement. Clinton ne craint rien sur le plan électoral : il a 2 mandats derrière lui et ne peut plus en briguer un troisième. Il peut déclencher une opération qui coûtera des milliers de vies américaines, mais, à terme, ce n'est pas ce qui intéresse les stratèges qui décident bien au-dessus de lui. En revanche, un conflit tiré en longueur, fait d'avancées et de reculades, de négociations sans fins, de frappes ciblées, avec dégâts collatéraux de plus en plus importants, suivi de poses ou d'autres opérations, va dans l'intérêt des stratèges du Pentagone et nuit aux intérêts européens. L'intérêt américain va vers un très long pourrissement de la situation, vers l'entretien d'un abcès purulent sur le flanc sud-oriental de l'Europe, ne permettant pas le déploiement d'une nouvelle dynamique continentale, initiée par la perestroïka, le creusement du canal Main-Danube, le redressement potentiel (mais très lent) de l'Ukraine, la proximité des pétroles du Caucase et de la Caspienne.
◘ Que souhaiteriez-vous dire aux citoyens européens incrédules devant l'énormité de la démonstration de force “otanienne”, si un organe de presse conséquent vous ouvrait ses colonnes ?
Je demanderais aux Européens d'ouvrir les yeux, de relire leur histoire, surtout celle qui s'est déroulée pendant des siècles dans les Balkans. Je leur demanderai de bien saisir les enjeux des voies de communication en Europe, de bien percevoir leurs intérêts économiques, de refuser toutes les logiques que véhiculent les médias manipulés, de prendre en considération la vacuité de leurs gouvernants et de se mobiliser en conséquence, de créer de nouveaux partis politiques au-delà de toutes les idéologies en place sur les échiquiers européens actuels. J'appellerai à la constitution d'une internationale européiste et fédéraliste, dans la mesure où chaque communauté nationale ou régionale doit prendre en charge ses propres problèmes et viser à généraliser ce fédéralisme à l'échelle de tout notre espace civilisationnel. Enfin, je demanderai au public de bien réfléchir sur le principe de Carl Schmitt : pas d'intervention chez nous de puissances étrangères à notre espace et/ou à notre civilisation.
► Propos recueillis par Laurent Schang, 1999.
◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
Junge Freiheit (Berlin) – Minerve (Metz) – NdSE (Bruxelles) — Avril 1999
Le gouvernement fédéral allemand et le Bundestag ont entraîné l'Allemagne dans le conflit le plus risqué depuis la Seconde Guerre mondiale. L'Allemagne entre donc dans le cadre de l'alliance nord-atlantique dans sa première guerre depuis l'effondrement du Reich en 1945. L'attaque aérienne lancée contre la Serbie sous le drapeau de l'OTAN par l'Allemagne, l'Italie, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis est une guerre commencée à la légère, mais elle aura de sérieuses conséquences. Cette agression menée sous la houlette des États-Unis signifie la faillite politique de l'Europe. Les pays porteurs de l'Union Européenne (France, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne) n'ont pas voulu agir dans l'indépendance et se sont avérés incapables d'organiser une initiative européenne autonome pour stabiliser les Balkans, alors qu'il s'agit d'une affaire strictement européenne. La réputation qu'avait acquise l'Allemagne, celle d'être une puissance d'apaisement en Europe centrale et sud-orientale, est définitivement perdue. Les affects germanophobes des Serbes vont être bétonnés pendant des générations.
L'objectif proclamé — éviter une “catastrophe humanitaire” au Kosovo – n'a pas été atteint. Au contraire, les Serbes ont beau jeu de chasser sans hésitation les Albanais du Kosovo de leur patrie, à l'ombre des bombardements de l'OTAN. Conséquence pour les pays de l'UE et plus particulièrement pour l'Allemagne : des flots de réfugiés se déverseront dans nos pays à la suite de ce conflit, ce qui contribuera à aggraver la problématique des immigrations. Mais la guerre contre la Serbie arrache surtout le masque à cette Allemagne, qui s'est développée dans le bien-être matériel. Ils sont bien oubliés aujourd'hui les défilés aux flambeaux des pacifistes, les avertissements solennels contre tout “nationalisme exagéré” et contre la “xénophobie”. Les médias allemands, ces derniers jours, dépourvus d'instinct et d'intuition, appellent à la guerre contre le “boucher Milosevic”, qui, bien entendu, est aussi un “fou” voire un “givré”. Avec une ivresse indescriptible, les télévisions abreuvent les téléspectateurs d'images soigneusement censurées par les militaires. Les journalistes allemands s'exposent ces jours-ci au jugement de leurs contemporains, mais honte sur eux. Les politiciens verts, qui conspuaient naguère les militaires allemands et en faisaient a priori et sans nuances des “assassins” réels ou potentiels, les politiciens de la social-démocratie, qui avaient ouvert, il y quelques mois, une exposition itinérante pour stigmatiser les soldats de la Wehrmacht, que font-ils ? Eh bien, à grands renforts de trémolos et d'effets de manche, ils évoquent la possibilité d'envoyer des unités sur le terrain dans les Balkans, comme s'il s'agissait de transporter des castors…
Nous appartenons au camp du néo-conservatisme ou du néo-nationalisme et on nous reprochera sans doute de citer ici Gregor Gysi du PDS néo-communiste, en l'approuvant. Tant pis. Nous prenons le risque d'essuyer des critiques. Gregor Gysi avait raison, la semaine dernière, quand il déclarait au Bundestag : « Si l'on entend mener une guerre, sans avoir soi-même été agressé, alors cette guerre est bel et bien une guerre d'agression et non pas une guerre défensive. Or c'est précisément ce type de guerre d'agression que nous interdit de mener la Loi fondamentale de la République Fédérale d'Allemagne ». L'issue de cette aventure militaire qui, d'après les calculs de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, engloutit chaque jour près de 500 millions de DM, est totalement incertaine. Ensuite, ce qui a déjà été engagé n'a permis d'obtenir aucun résultat. Les experts militaires avaient bien vu qu'on ne pourrait pas limiter ce conflit à des frappes aériennes au Kosovo et avaient conseillé de préparer l'intervention de troupes au sol. Ces experts savaient comment les Serbes réagiraient aux attaques aériennes de l'OTAN. Dès lors, l'absence de concept réaliste dans le camp occidental devient chaque jour, au fil des bombardements, plus patente : rien n'y est envisagé pour donner aux Balkans un ordre politico-territorial cohérent.
Cette absence de clarté de vue et de projet réaliste est proprement aberrante. Surtout quand on sait que les États-Unis, dans le passé, n'ont jamais hésité à renverser voire à éliminer physiquement les hommes d'État qui leur déplaisaient. Dans les Balkans, les puissances avaient jusqu'ici opté pour le long terme. La France et l'Angleterre menaient une politique serbe uniquement dans l'espoir d'empêcher l'Allemagne d'étendre sa légitime influence dans son arrière-jardin balkanique. La question des droits de l'homme ne préoccupait guère Londres et Paris. Les intérêts des États-Unis sont différents. L'ancien conseiller de l'Administration Carter, Zbigniev Brzezinski, dans son livre The Grand Chessboard, a esquissé très clairement et sans le moindre détour les ambitions géopolitiques des États-Unis. Ses arguments rythment la mise en œuvre actuelle de la politique américaine dans le monde. La tâche principale des États-Unis aujourd'hui, pour Brzezinski, c'est de contenir tous les nouveaux challengeurs, surtout dans le grand espace eurasiatique. Il est important, à ses yeux, de garder comme vassaux certains États (comme l'Allemagne et le Japon), en limitant l'expression politique de leur puissance, et de les maintenir dans des fonctions utiles à la politique américaine. L'objectif prioritaire, du point de vue américain, est de conserver une certaine main-mise sur et un accès direct aux réserves énergétiques, non seulement au Proche-Orient, mais aussi dans les nouveaux États d'Asie centrale et du bassin de la Caspienne, où, semble-t-il, d'immenses réserves d'énergie et de matières premières attendent d'être exploitées.
On notera que Brzezinski parle à ce propos de « Balkans eurasiens » (= l'Asie centrale entre la Caspienne et le Pamir, ndt), dans lesquels il faut empêcher la Russie d'intervenir et d'agir, alors que Moscou tente d'y maintenir vaille que vaille sa sphère d'influence traditionnelle. Dans la logique de Brzezinski, une stabilisation des Balkans ne va pas dans l'intérêt des États-Unis. À juste titre, le ministre de la recherche scientifique de la RFA, Andreas von Bülow, constate qu' « une stabilisation de cette région, permettant à l'Europe industrielle d'avoir accès à ces Balkans d'Eurasie, si riches en énergies et en matières premières, n'est pas dans l'intérêt dissimulé (donc réel) des États-Unis ». L'action américaine au Kosovo, secondée par la Grande-Bretagne, par une France inconséquente et par une Allemagne qui cherche, en tâtonnant maladroitement, un rôle à jouer dans le monde qui bouge, confirme les thèses de von Bülow. En priorité, les États-Unis veulent que les Balkans restent une zone de tensions, manipulables de l'extérieur. L'intérêt géopolitique de Washington explique les contradictions de la guerre au Kosovo. Les Albanais du Kosovo auront du mal à rester dans la Fédération yougoslave, vu la situation actuelle et ses conséquences. Ensuite, chaque jour qui passe rend plausible une intervention des troupes terrestres de l'OTAN, afin de « protéger les Albanais non fugitifs contre les attaques serbes ». Mais avec l'intervention de troupes terrestres, le conflit s'éternisera ad infinitum dans les Balkans. Les Américains auront ainsi obtenu ce qu'ils voulaient : les Balkans seront plongés pendant longtemps dans la guerre, où des soldats allemands devront verser leur sang aux côtés de leurs camarades d'autres nationalités. Afin, bien sûr, de garantir un “ordre” et une “paix” voulus par les États-Unis.
Il est grand temps que les pays européens pratiquent une politique commune, correspondant aux intérêts réels de l'Europe. Ce serait par ex. une tâche immédiate pour le gouvernement allemand qui assure actuellement la présidence l'UE. L'agression de l'OTAN contre la Serbie ne correspond donc ni aux intérêts de l'Allemagne ni aux intérêts de l'Europe. Il faut donc qu'elle cesse sans délai. La médiation russe, en revanche, constituerait un premier pas positif. Apaiser les conflits dans les Balkans est une tâche qui doit être réservée aux seules puissances de la région.
► Dieter Stein & Michael Wiesberg (éditorial de Junge Freiheit n°14/avril 99).
◘ SYNERGIES EUROPÉENNES
La Padania (Milan) — Minerve (Metz) — NdSE (Bruxelles) — Mars 1999
La crise du Kosovo a été créée de toutes pièces par les États-Unis. Ils ont financé et armé l'UCK. Le financement s'est opéré de la manière désormais classique par laquelle les États-Unis financent “leurs” mouvements de guérilla (les Contras, l'Unita, les Talibans, etc.) : ils insèrent ces mouvements dans le trafic de drogues. Ils peuvent agir de la sorte parce qu'ils sont la puissance qui contrôle les principales zones de production que sont l'Amérique latine pour la cocaïne et le Triangle d'Or pour l'héroïne. Indubitablement l'Amérique latine est une colonie américaine depuis des décennies. Le Triangle d'Or est une zone montagneuse et difficilement accessible, s'étendant sur les territoires de la Birmanie, de la Thaïlande et du Laos, mais où les dirigeants de ces pays n'ont pas accès. En 1949, quand Tchang Kai Tchek perd la guerre civile en Chine, les États-Unis récupèrent 2.000 hommes de son armée, celle du Kuomintang. Ils les aident à s'emparer des plantations d'opium. Ce groupe s'est perpétué et s'est accru en nombre, se mêlant aux tribus locales. Aujourd'hui encore cette armée fantôme contrôle cette zone pour le compte des États-Unis, auxquels elle rend d'autres services (par ex., sous le nom de Mong Thai Revolutionary Army, elle mène une guerilla constante contre des objectifs militaires et civils birmans). La distribution du gros de ces drogues, cocaïne ou héroïne, s'effectue par l'entremise de la mafia italo-américaine Cosa Nostra, sur base d'accords jadis conclus avec Lucky Luciano. Le recyclage de l'argent se fait via des banques installées en Floride, toujours sous la protection de fait du gouvernement. La raison pour laquelle les États-Unis veulent maintenir et contrôler ce trafic est essentiellement politique ; ainsi, ils font participer qui ils veulent dans des opérations douteuses et obtiennent le concours d'alliés quasiment sans rien débourser et aux dépens des seuls consommateurs de drogues… La subversion et la néo-colonisation du tiers monde sont garanties de cette façon. Mais pas seulement du tiers monde, aussi de l'Europe comme nous allons le voir. L'UCK trafique de la drogue (héroïne) en provenance du Triangle d'Or (!).
C'est par ces canaux que l'armée de l'UCK a été mise sur pied. L'UCK a reçu l'ordre de Washington de ne pas négocier avec Belgrade, de ne jamais trouver un accord avec le gouvernement yougoslave. Mais de continuer sans cesse les provocations. Et de faire des morts… Ainsi, les Européens ont été bernés, l'OTAN a été mobilisée pour intervenir militairement en Yougoslavie et “arrêter les massacres”. Pourquoi cette opération ?
Revenons à 1989, quand tombe le Mur de Berlin. Depuis lors, l'établissement économique américain (les multinationales) n'a plus eu qu'une seule obsession : empêcher tout accord entre l'Europe occidentale et la Russie. Ces deux entités ont des atouts et des lacunes. L'Europe dispose d'un potentiel industriel et commercial énorme, mais n'a pas une puissance militaire suffisante pour disputer aux États-Unis la maîtrise des marchés internationaux. En effet, les États-Unis sont les ennemis économiques naturels de l'Europe. Celle-ci, effectivement, n'a pas les armes qu'elle devrait avoir et qui comptent dans les arsenaux actuels, c'est-à-dire des forces nucléaires stratégiques équivalentes à celles des Américains. La Russie, elle, dispose de telles forces nucléaires mais son économie est un désastre. Si Européens et Russes mettent leurs atouts en commun, ils éliminent leurs lacunes et résolvent leurs problèmes réciproques. La Russie prend une cure de jouvence sur le plan économique et industriel au contact de l'Europe occidentale. L'Europe occidentale bénéficie des armes de la Russie pour affronter les États-Unis ailleurs dans le monde.
Les États-Unis se sont rapidement rendus compte du danger mortel qui risquait à terme de les menacer. Il leur fallait boycotter tout rapprochement euro-russe. La crise du Kosovo a été fabriquée de toutes pièces pour troubler les relations euro-russes. Elle a débouché sur une intervention de l'OTAN contre la Serbie, protégée historique de la Russie. Ainsi une pomme de discorde a été jetée entre l'Europe et la Russie, ce qu'ont voulu les Américains dès le départ.
Attention : il faut savoir que les Américains ont toujours voulu régler le sort de l'Europe à leur guise. Il faut se rappeler que le Pentagone a conçu depuis plusieurs dizaines d'années un plan prévoyant de provoquer artificiellement une guerre nucléaire en Europe entre l'OTAN et la Russie au cas où se serait dessinée une alliance entre l'Europe occidentale et l'URSS. Dans mon livre de 1991 (Vecchi trucchi = Les vieux trucs), j'avais appelé ce plan « L'Europe occidentale sera nôtre ou ne sera à personne ». Pour les Américains, l'Europe occidentale doit rester sous leur contrôle et se contenter des miettes de l'impérialisme occidental ou elle doit être détruite.
Donc l'intervention de l'OTAN en Serbie pourrait être la première manche de ce plan : si la Russie intervient militairement pour défendre la Serbie, les Américains feront tout pour arriver rapidement à l'escalade nucléaire, en la limitant bien entendu au théâtre européen, ce qui serait facile et correspondrait à leurs objectifs. Mieux : la Russie serait peut-être dans le camp des vainqueurs mais serait tellement affaiblie qu'elle ne pourrait plus protéger la Chine, qui tomberait dans l'orbite américaine comme l'Amérique latine et d'autres grandes zones de la planète. Le monde aurait ainsi un unique patron.
Telle est la situation sur fond de crise du Kosovo. On me dira sans doute que les dirigeants européens sont au courant de ces dynamiques et ne tomberont pas aussi facilement dans ces pièges grossiers tendus par Washington. Je n'en suis pas si sûr. Déjà pendant la Guerre Froide, les dirigeants européens ont montré qu'ils n'étaient pas à la hauteur des Américains. La guerre froide était une comédie mise en scène par les Américains dans le seul but d'avoir les mains libres pour organiser la subversion et la néo-colonisation de la moitié du monde, avec l'excuse de lutter contre le communisme. Les Européens ne semblent pas l'avoir compris. Aujourd'hui, ils ne sont pas davantage à la hauteur de la situation. Comment auraient-ils dû réagir dès le départ ? C'est simple : ils auraient dû dire aux Américains : “Vous semblez tellement scandalisés par les quelques dizaines de morts au Kosovo (alors que vous faites des milliers et des milliers de morts chaque fois que vous intervenez quelque part dans le monde), vous vous apprêtez à attaquer la Serbie, en compagnie de votre valet habituel, la Grande-Bretagne. Et si la Russie réagit et déclenche une guerre nucléaire ? Nous en ferons les frais”. Voilà qui aurait été logique. Mais personne en Europe n'a osé dire cela !
► John Kleeves (article paru dans La Padania, 23 mars 1999).
Kosovo : l'opinion de Zoran Jeremic, ambassadeur de Yougoslavie à Vienne
SYNERGIES EUROPÉENNES
Zur Zeit (Vienne) - Minerve (Metz) - NdSE (Bruxelles) — Mars 1999
Répondant aux questions de Karl P. Gerigk, pour la rédaction de Zur Zeit, Zoran Jeremic indique la voie à suivre pour l'Europe et la Russie dans le dernier conflit qui ravage les Balkans :
• L'OTAN veut étouffer le conflit au Kosovo. Que pensez-vous de l'envoi de troupes terrestres allemandes là-bas ?
ZJ : C'est la dernière chose que l'on puisse espérer, après l'histoire commune qu'ont connue les Allemands et les Serbes en ce siècle. Je plaide pour que l'Allemagne prenne conscience de ses res-ponsabilités, vis-à-vis de sa propre histoire. Nous, Serbes, ne voulons pas de soldats étrangers au Kosovo et en Métohija. Nous ne voulons pas de soldats allemands non plus, ni de leurs armes. Au lieu de militaires, nous avons besoin d'investisseurs allemands, de spécialistes. Nous voulons coopérer avec l'Allemagne et l'UE. Pourquoi l'Allemagne suivrait-elle aveuglément la politique unilatérale des États-Unis ? Les Américains veulent mettre au pas leurs alliés. En suivant cette politique américaine, l'Allemagne met la construction européenne en danger. Nous avons été les témoins des trucs et des expédients avec lesquels les Américains ont forcé les Allemands à accepter une participation militaire au Kosovo, lorsque Fischer (ministre vert des Affaires étrangères) et Schröder (chancelier) se sont rendu chez Clinton avant le changement de gouvernement en Allemagne.
• L'Europe devrait-elle jouer un rôle plus important dans les Balkans ?
La grande faute politique de l'Allemagne et des autres États européens, c'est de céder face aux intérêts américains et de ne pas avoir jouer un rôle indépendant dans les Balkans, qui se serait avéré plus rentable. Alors que le plus grand intérêt de la Serbie, c'est l'Europe. Nous sommes une partie de cette Europe. C'est une erreur énorme de pousser la Serbie dans un coin. Cette politique est menée intentionnellement, pour chasser les Européens et les Allemands de notre région.
• La Russie n'est-elle pas votre grand allié en coulisse et l'adversaire des États-Unis dans les Balkans ?
Nous considérons que la Russie fait partie intégrante de l'Europe. Elle devrait contribuer à empêcher les puissances de suivre inconditionnellement l'Amérique dans ses errements. Si la Russie défend notre point de vue au Kosovo en Métohija, elle défendra ses propres intérêts.
◘ Nos commentaires : Cet entretien, paru dans une revue nationale-conservatrice autrichienne, prouve que tous les adeptes de cette orientation idéologico-politique n'adoptent pas des points de vue rabiquement anti-serbes, comme le laisse accroire une certaine presse parisienne, nationaliste ou bernard-henry-léviste (source : Zur Zeit n°11/1999).