Ernst Krieck (1882-1947) : instituteur dans le pays de Bade (1904-1924), professeur de pédagogie à partir de 1928, il entre dans la vaste catégorie de la pensée (populaire) néo-idéaliste. Il participe au débat sur la Cristusmythe du côté des monistes, contre la théologie libérale. À partir de 1932, il devient une des figures de proue de la pédagogie national-socialiste. La théorie de l’État organique est au cœur de l’ouvrage de Ernst Krieck : Die deutsche Staatsidee : Ihre Geburt aus dem Erziehungs- und Entwicklungsgedanken, Iena, Diederichs, 1917. Elle se fonde sur une critique de l’individualisme abstrait de l’Aufklärung de la Révolution française. L’individu n’est pas un simple rouage dans le mécanisme de l’État (critique romantique), il est « membre d’un organisme » censé défendre, en l’intégrant, son existence concrète. À la base de la doctrine de l’État allemande. il y a la famille et non l’association libre (Verein), comme le prétend le droit naturel. D’une part, l’État s’enracine dans la vie de la nation (Volkstum) ; de l’autre, il requiert le passage de la nature à l’esprit comme principe d’organisation (« der Geist ist ein organisches und organisierendes Lebensprinzip »). C’est un principe téléologique formateur des éléments et des forces qui doivent coopérer en vue d’un but commun (« planmaßige Ausbildung auf ein gemeinsames Ziel »). Krieck reprend l’idéal « spartiate » de l’État commercial fermé (« der geschloβene Handelsstaat »). Il reconstitue une lignée allemande s’opposant au libéralisme d’Adam Smith : après Fichte, Adam Müller, critique à la fois du droit romain formaliste, individualiste, et de l’économie politique anglaise. Ce sont les forces destructrices de l’esprit, de la nation, de la « santé » du peuple et de l’État. Comme tous les Kulturkritiker, Krieck fait appel à l’héritage de Lagarde, le Praeceptor et pourfendeur de la petite Allemagne du compromis bismarckien. Ce système bourgeois, calqué sur l’Europe, est destiné à disparaître dans la tourmente. La guerre produit une véritable révolution de l’intérieur et l’économie de guerre sert de modèle pour l’avenir. Le nouvel État doit néanmoins renouer avec le modèle corporatiste des Stände permettant la « médiation » nécessaire entre l’intérêt individuel et le Tout (« der ständisch gegliederte Volkstaat, der alle Kräfte bildet und im Sinne des Ganzen lenkt »). L’État bureaucratique (Beamtenstaat) doit être remplacé par l’organisation pyramidale de l’État national corporatiste. Ce dernier est appelé à défendre la « qualité du travail » national allemand. Il représente la seule alternative crédible au socialisme d’État, si besoin par une politique interventionniste capable d’enrayer et d’orienter la dynamique du capital (« die nationale Bindung und Veredelung des Kapitals »). Enfin l’État organique et/ou éthique interventionniste est un État pédagogue (« das oberste Erziehunginstitut »), à l’opposé donc de l’idéal humboldtien.
[notice introductive basée sur l'appareil critique de l'ouvrage de M. Pulliero : Une modernité explosive : La revue 'Die Tat' dans les renouveaux religieux, culturels et politiques de l'Allemagne d'avant 1914-1918, paru chez Labor & Fides en 2008]
Ernst Krieck
Né à Vögisheim en pays de Bade le 6 juillet 1882, ce pédagogue entame une carrière d'instituteur en 1900, puis de directeur d'école primaire, pour devenir, après s'être formé en autodidacte, docteur honoris causa de l'Université de Heidelberg en 1923. En 1928, Krieck est nommé à l'Académie pédagogique de Francfort s.M. Ses convictions nationales-socialistes lui valent plusieurs mesures disciplinaires. Après la prise du pouvoir par Hitler, il est nommé professeur ordinaire à Francfort. De 1934 à 1945, il enseigne à Heidelberg. Avec ses amis M.R. Gerstenhauer et Werner Kulz, il édite de 1932 à 1934 la revue Die Sonne, fondée en 1924. À partir de 1933, il publie seul la revue Volk im Werden. Il collabore dans le même temps à plusieurs publications consacrées à la pédagogie. L'objectif de ses études historiques sur la pédagogie était d'ordre philosophique, écrit-il, car elles visaient à cerner le noyau commun de tous les modes d'éducation, juif, grec, romain, médiéval, allemand (de l'humanisme de la Renaissance au rationalisme du XVIIIe et de celui-ci au romantisme national(iste)). À partir de 1935, Krieck abandonne la pédagogie stricto sensu pour vouer tous ses efforts à l'élaboration d'une anthropologie völkisch au service du nouveau régime.
Krieck est surtout devenu célèbre pour sa polémique contre Heidegger, amorcée dans les colonnes de Volk im Werden et dans son discours de Rectorat à l'Université de Francfort prononcé le 23 mai 1933. Outre sa polémique agressive et sévère contre le langage abstrait, calqué sur les traditions grecques et juives, de l'auteur de Sein und Zeit, Krieck reprochait à Heidegger de vouloir sauver la philosophie, la « plus longue erreur de l'humanité hespériale », une erreur qui consiste à vouloir « refouler et remplacer le réel par le concept ». Refoulement et oblitération du réel qui conduisent au nihilisme. Partisan inconditionnel de l'hitlérisme, Krieck affirme que la révolution nationale-socialiste dépassera ce nihilisme engendré par la dictature des concepts. Reviendra alors le temps des poètes homériques, inspirés par le « mythe », et des « historiens » en prise directe sur les événements politiques, dont l'ancêtre génial fut Hérodote, l'ami du tragédien Sophocle. Figure emblématique de la Terre-mère, idée mobilisatrice de la Vie, puissance du destin, sentiment tragique de l'existence, cosmos, sont les mots-clefs de cette pensée du pédagogue Krieck, en guerre contre la philosophie du concept. Le règne du logos, inauguré par Héraclite d'abord, puis surtout par Platon, l'ennemi des poètes, conduit les hommes à vivre dans un monde aseptisé, inerte, dépourvu de tragédie : le « monde des idées » ou de l’Être. La pensée doit donc faire retour au charnel grouillant et bouillonant, aux matrices (Mutterschoß et Mutterboden), aux « lois incontournables du sang et de la race », dans un maëlstrom de faits et de défis sans cesse effervescent, ne laissant jamais aucun repos à la volonté, cette force intérieure qui arraisonne ce réel inépuisablement fécond.
Interné dans le camp de concentration de Moosberg en 1945, pour son appartenance aux cadres de la NSDAP, Krieck y meurt le 19 mars 1947.
◘ L'idée de l’État allemand (Die deutsche Staatsidee), 1934
L'intérêt de cet ouvrage est de nous livrer une histoire de la pensée politique allemande, telle que peut la concevoir un vitaliste absolu qui adhère au mouvement hitlérien. Pour Krieck, les sources de l’État moderne résident dans l'absolutisme, instauré graduellement à partir de la fin du XVe siècle. Avant l'absolutisme régnait en Allemagne le droit communautaire germanique. L'irruption dans le discours politique de l'idée et de l'idéologie du droit naturel est le fruit du rationalisme et du mathématisme du XVIIe siècle, renforcé au cours du XVIIIe et trouvant son apothéose chez Kant. Dans l'optique du droit naturel et du rationalisme, le droit et l’État sont des formes aprioristiques de l'esprit et ne sont pas le résultat d'un travail, d'une action, d'une aventure historique tragique. En ce sens, le droit naturel est abstrait, explique Krieck. C'est une pensée politique idéaliste et non organique. Krieck définit ce qu'est pour lui l'organique : c'est l'unité vivante qu'il y a dans un être à composantes multiples. C'est la constance que l'on peut observer malgré les mutations successives de forme et de matière. C'est, enfin, l'immuabilité idéelle de certains traits essentiels ou de caractère. Le libéralisme s'est opposé au constructivisme absolutiste ; en Angleterre, il vise à limiter l'emprise de l’État et à multiplier les droits politiques pour la classe possédante. En France, depuis la révolution jacobine, tout le poids décisionnaire de l'appareil étatique bascule entre les mains de la majorité électorale sans tenir compte des intérêts des oppositions. En Allemagne, le libéralisme anti-absolutiste est d'une autre nature : il est essentiellement culturel. Ses protagonistes entendent sans cesse se former et se cultiver car le droit à l'épanouissement culturel est le premier des droits de l'homme. L’État libéral allemand doit par conséquent devenir une sorte d'institut d'éducation éthique permanente. Dans cette optique, sont condamnables toutes les forces qui contrarient le développement de l'éducation. Humboldt est la figure emblématique de ce libéralisme. Krieck entend mettre les « illusions » de Humboldt en exergue : la figure de proue du libéralisme culturaliste allemand croit que l'homme, dès qu'il est libéré du joug de l'absolutisme, va spontanément adhérer à l'idéal de la culture. Cette vision idéalisée de l'homme est désincarnée et l’État se trouve réduit à un rôle minimal, même s'il est sublime. Humboldt a raison de dire que l'énergie est la première des vertus de l'homme mais l'idéal qu'il propose est, lui, dépourvu d'énergie, de socle dynamisant. L'humanité, contrairement à ce que croit Humboldt, ne se déploie pas dans l'espace en harmonie mais à partir d'une lutte constante entre entités vitales supra-personnelles. Il y a émergence d'une Bildung originale là où s'affirme une force dans une lutte qui l'oppose à des résistances. Mais quand on parle de force, on doit toujours parler en terme d'holicité et non d'individu. Une force est toujours collective/communautaire et révèle dans le combat son idée motrice, créatrice d'histoire. Humboldt, dit Krieck, est prisonnier d'une méthodologie individualiste, héritée de l'Aufklärung. Or la Bildung n'est pas le produit d'une individualité mais le reflet du meilleur du peuple, sinon elle ne serait qu'originalité inféconde. L’État doit organiser la Bildung et l'imposer à tout le corps social / populaire. Affirmer ce rôle de l’État : voilà le pas que n'a pas franchi Humboldt. Il rejette l'absolutisme et la bureaucratie, qui en découle, comme des freins à l'épanouissement de la Bildung sans conjuguer l'idée d'un État éthique avec l'idéal de cette Bildung.
L’État doit être la puissance éducatrice et « éthicisante » du peuple. Krieck reprend à son compte, dans sa synthèse, l'héritage de l'Aufklärung selon l'agitateur et pédagogue rousseauiste Basedow. Au XVIIIe siècle, celui-ci militait pour que l’État — et non plus l’Église — organise un système d'enseignement cohérent et fondateur d'une élite politique. Après l'échec de la vieille Prusse devant les canons napoléoniens, la pensée allemande prend conscience de la nécessité de structurer le peuple par l'éducation. Krieck rappelle une parole de Fichte qui disait que l’État allemand qui aurait pour programme de faire renaître la nation par l'éducation, tout en promouvant l'idée de l’État éducateur, en tirerait le maximum de gloire. Dans cette perspective pédagogisante fichtéenne / krieckienne, l’État, c'est l'organisation des moyens éducatifs au bénéfice de ses objectifs propres. Krieck se réfère ensuite au Baron von Stein qui avait la volonté de fusionner trois grands courants d'idées en Allemagne : le prussianisme (avec son sens du devoir et du service), l'idée de Reich et l'idée culturelle/spirituelle de Nation. De cette volonté de fusion découlait une vision originale de ce que doit être l'éducation : faire disparaître les disharmonies existant au sein du peuple et provoquées par les querelles entre états (Stände), de façon à ce que « chaque ressortissant du Volk puisse déployer ses forces dans un sens moral ». Stein ne se contente donc pas de vouloir éliminer des barrières mais veut très explicitement diriger et encadrer le peuple façonné par la Bildung. L'éducation fait de l’État un organisme animé (beseelter Organismus) qui transmet sa force aux générations futures. Pour Fichte — et en écho, pour Krieck — l'éducation doit susciter une Tatbereitschaft, c'est-à-dire une promptitude à l'action, un ensemble de sentiments puissants qui, ajoutera ultérieurement Schleiermacher, donne une âme à l’État et cesse d'en faire un simple jeu de mécanismes et d'engrenages. Hardenberg est une autre figure de la Prusse post-napoléonienne qu'analyse Krieck. Souvent cité en même temps que Stein, Hardenberg est toutefois moins radical, parce que plus lié aux anciennes structures absolutistes : il prône un laissez-faire d'inspiration anglaise (Adam Smith) et ne conçoit l’État que comme police. Pour Krieck, c'est là une porte ouverte au primat de l'économie sur l'éducation, à l'emprise du manchesterisme et du monopolisme ploutocratique à l'américaine sur le devenir de la nation.
[ci-dessous : le Berlinois Adam Heinrich Müller (1779-1829) vers 1810. À la fois journaliste romantique, historien de l'Allemagne catholique, théoricien de la Contre-Révolution (en disciple de Bonald) et publiciste de la Sainte-Alliance (un des premiers représentants de la Ständeidee, cet idéal corporatiste nostalgique de l'Ancien Régime) mais aussi, radicalisant Schelling, un philosophe politique caractérisé par une méfiance envers la théorie et le goût du concret. Mais il est surtout resté à la postérité comme économiste anti-libéral, dévancier de l'école historique, adversaire du cosmopolitisme et protestant contre le libre-échange absolu, représentée par Friedrich List (1798-1846). Müller reproche à Adam Smith une conception mécaniciste et matérialiste de la société qui néglige l'élément moral, pour lui dominant : elle ne s'occupe que de la propriété et des intérêts privés, oubliant qu'un peuple est une collectivité solidaire et une existence historique. Les nations sont de véritables organismes avec leurs habitudes de vie, leurs individualités définies qui déterminent leur évolution historique. La vie économique d'un peuple est une de ses fonctions, laquelle doit s'accorder avc les autres sous la direction de l'État, organe de l'ensemble. À côté du capital matériel dont parle Smith, les nations possèdent un capital moral, le langage prenant ici le rôle de la monnaie, capital d'expérience, de sagesse, de qualités et de sentiments, qui se transmet et s'accroît d'une génération à l'autre et permet à chacune de produire bien plus qu'elle ne le pourrait par ses propres efforts. Le système de Smith est inoffensif en Angleterre en raison de la position insulaire de ce pays qui peut sauvegarder son capital spirituel de lois, d'usage de mœurs, cause essentielle de sa prospérité. Mais l'Allemagne n'a pas les mêmes immunités, raison pour laquelle elle doit s'attacher à développer un pouvoir national et à concentrer ses forces matérielles et morales]
Krieck critique Schelling, personnage jugé par lui trop aristocratique, trop isolé du peuple, et qui, par conséquent, a été incapable de formuler une philosophie satisfaisante de l’État et de l'histoire. En revanche, certaines de ses intuitions ont été géniales, affirme Krieck. L’État, pour Schelling, n'est plus une « œuvre d'art », le produit d'une technique, mais le reflet de la vie absolue. Droit et État, chez Schelling, n'existent pas a priori pour qu'il y ait équilibre dans la vie mais l'équilibre existe parce que la vie existe, ce qui corrobore l'idée krieckienne qu'il n'y a que la vie, sans le moindre arrière-monde. Krieck regrette que Schelling ait enfermé cette puissante intuition dans une démarche trop esthétisante. Adam Müller complète Schelling en politisant, historicisant et économicisant les thèses de son maître à penser. Krieck énumère ensuite les mérites de Hegel. L'idée de l’État éducateur connaît par la suite des variantes conservatrices, réformistes et économistes. Les conservateurs cultivent l'idéal médiévisant d'un État corporatiste (Ständestaat) mais centralisé : ils retiennent ainsi les leçons de l'Aufklärung et de la révolution. Paul de Lagarde est un précurseur plus direct de l’État éducateur national-socialiste, qui ramasse toutes les traditions politiques allemandes, les fusionne et les ancre dans la réalité. Lagarde affirmait, lui aussi, que le premier but de la politique, c'était l'éducation : « la politique est à mon avis rien d'autre que pédagogie, tant vis-à-vis du peuple que vis-à-vis des princes et des hommes d’État ». Dans cet ouvrage datant des premiers mois de la prise du pouvoir par Hitler, Krieck propose pour la première fois de transposer ses théories pédagogiques dans le cadre du nouveau régime qui, croit-il, les appliquera.
◘ Anthropologie politique völkisch (Völkisch-politische Anthropologie), 1936
Les fondements du réel politique sont biologiques : ils relèvent de la biologie universelle. Tel est la thèse de départ de l'anthropologie völkisch de Krieck. La biologie pose problème depuis le XVIIIe siècle, où elle est entrée en opposition au « mécanicisme copernicien ». La « Vie » est alors un concept offensif dirigé contre les philosophies mécanicistes de type cartésien ou newtonien ; ce concept réclame l'autonomie de la sphère vitale par rapport aux lois de la physique mécanique. L'épistémologie biologique, depuis ses premiers balbutiements jusqu'aux découvertes de Mendel, a combattu sur 2 fronts : contre celui tenu par les théologiens et contre celui tenu par les adeptes des philosophies mécanicistes. Leibniz avait évoqué la téléologie comme s'opposant au mécanicisme universel en vogue à son époque. Les théologiens, pressentant l'offensive de la biologie, ont mis tout en œuvre pour que la téléologie retourne à la théologie et ne se “matérialise” pas en biologie. Le débat entre théologiens et « réalitaires biologisants » [école du vitalisme scientifique] a tourné, affirme Krieck, autour du concept aristotélicien d'entéléchie, revu par Leibniz, pour qui l'entéléchie est non plus l'état de l'être en acte, pleinement réalisé, mais l'état des choses qui, en elles, disposent d'une suffisance, d'« une certaine perfection qui les rend sources de leurs actions externes » (Monadologie, § 18). La biologie est donc la science qui étudie tout ce qui détient en soi ses propres sources vitales, soit les êtres vivants, parmi lesquels les peuples et les corps politiques.
Pour Krieck, la Vie est la réalité totale : il n'y a rien ni derrière ni avant ni après la Vie ; elle est un donné originel (urgegeben), elle est l'Urphänomen par excellence dans lequel se nichent tous les autres phénomènes du monde et de l'histoire. La conscience est l'expression de la Vie, du principe vital omni-englobant. Les peuples, expressions diverses de cette Vie, tant sur le plan phénoménal que sur le plan psychique, sont englobés dans cette totalité vitale. Le problème philosophique que Krieck cherche à affronter, c'est de fonder une anthropologie politique où le peuple est totalité, c'est-à-dire base de Vie, source vitale, où puisent les membres de la communauté populaire (les Volksgenoßen) pour déployer leurs énergies dans le cosmos. Tout peuple est ainsi une niche installée dans le cosmos, où ses ressortissants naissent et meurent sans cesser d'être reliés à la totalité cosmique. L'idée de Vie dépasse et englobe l'idée évangélique de l'incarnation car elle pose l'homme comme enraciné dans son peuple de la même façon que le Christ est incarné en Dieu, son Père, sans que l'homme ne soit détaché de ses prochains appartenant à la même communauté de sang. Le cycle vital transparaît dans la religiosité incarnante (incarnation catholique mais surtout mystique médiévale allemande), qui est une religion de valorisation du réel qui, pour l'homme, apparaît sous des facettes diverses : humanité, Heimat, race, peuple, communauté politique, communauté d'éducation, etc. Dans la sphère de l’État, se trouvent de multiples Volksordnungen, d'ordres dans le peuple, soit autant de niches où les individus sont imbriqués, organisés, éduqués (Zucht) et policés. Krieck oppose ensuite l'homme sain à l'homme malade ; la santé, c'est de vivre intensément dans le réel, y compris dans ses aspects désagréables, en acceptant la mort (sa mort) et les morts. Cette santé est le propre des races héroïques dont les personnalités se perçoivent comme les maillons dans la chaîne des générations, maillons éduqués, marqués par l'éthique de la responsabilité et par le sens du devoir. Les hommes malades — c'est-à-dire les esclaves et les bourgeois — fuient la mort et la nient, éloignent les tombes extra muros, indice que l'idée d'une chaîne des générations a disparu.
◘ Caractère du peuple et conscience de sa mission : L'éthique politique du Reich (Volkscharakter und Sendungsbewußtsein : Politische Ethik des Reiches), 1940
Cet ouvrage de Krieck comprend 2 volets : 1) une définition du caractère national allemand ; 2) une définition de la « mission » qu'implique l'idée de Reich. Le caractère national allemand a été oblitéré par la christianisation, même si les Papes évangélisateurs des régions germaniques ont été conscients du fait que l'esprit chrétien constituait une sorte d'Übernatur, d'adstrat artificiel imposé à l'aide de la langue latine, qui recouvrait tant bien que mal une naturalité foncièrement différente. Le Moyen Âge a été marqué par un christianisme véhiculant les formes mortes de l'Antiquité. Seuls les Franciscains ont laissé plus ou moins libre cours à la religiosité populaire et permis au Lied allemand de prendre son envol. La Renaissance, l'humanisme et le rationalisme n'ont fait que séculariser une culture détachée du terreau populaire. Le national-socialisme est la révolution définitive qui permettra le retour à ce terreau populaire refoulé. Il sera la pleine renaissance de la Weltanschauung germanique, qui relaie et achève les tentatives avortées d'Albert le Grand, d'Eike von Repgow, de Walther von der Vogelweide, de Maître Eckehart, de Nicolas de Cues, de Luther, de Paracelse, etc. Sans cesse, l'Allemagne a affirmé son identité nationale grâce à un flux continu venu du Nord. S'appuyant sur les thèses du scandinaviste Grönbech, Krieck parle du sentiment nordique de la communauté, du service dû à cette communauté et à la volonté de préserver son ancrage spirituel contre les influences étrangères. Pour Grönbech et Krieck, l'individu ne s'évanouit pas dans la communauté mais résume en lui cette communauté dont les ressortissants partagent les mêmes sentiments, les mêmes projets, le même passé, le même présent et, res sic stantibus, le même avenir. Ce destin commun s'exprime dans l'honneur (Ehre).
Krieck insiste sur la notion de Mittgart (ou Midgard) qui, dans la mythologie germanique / scandinave, désigne le monde intermédiaire entre l'Asgard (le monde des Ases, le monde de lumière) et l'Utgard (le monde de l'obscurité). Ce Mittgart est soumis au devenir (urd) et aux caprices des Nornes. C'est un monde de tensions perpétuelles, de luttes, de dynamique incessante. Les périodes de paix qui ensoleillent le Mittgart sont de brefs répits succédant à des victoires jamais définitives sur les forces du chaos, émanant de l'Utgard. Le mental nordique retient aussi la notion de Heil, une force agissante et fécondante, à connotations sotériologiques, qui anime une communauté. Cette force induit un flux ininterrompu de force qui avive la flamme vitale d'une communauté ou d'une personne et accroît ses prestations. Le substrat racial nordique irradie une force de ce type et génère un ordre axiologique particulier qu'il s'agit de défendre et d'illustrer. La foi nouvelle qui doit animer les hommes nouveaux, c'est de croire à leur action pour fonder et organiser un Reich, un État, un espace politique, pour accoucher de l'histoire.
Le droit doit devenir le droit des hommes libres à la façon de l'ancien droit communautaire germanique, où le Schöffe (le juge) crée sans cesse le droit, forge son jugement et instaure de la sorte un droit vivant, diamétralement différent du droit abstrait, dans la mesure où il est porté par la « subjectivité saine d'un homme d'honneur ». Le droit ancestral spontané a été oblitéré depuis la fin du XVe siècle par le droit pré-mécaniciste de l'absolutisme, issu du droit romain décadent du Bas-Empire orientalisé. L’avènement de ce droit absolutiste ruine l'organisation sociale germanique de type communautaire. Néanmoins, au départ, l'absolutisme répond aux nécessités de la nouvelle époque ; le Prince demeure encore un primus inter pares, responsable devant ses conseils. Le césaro-papisme, impulsé par l’Église, introduit graduellement le « despostisme asiatique », en ne responsabilisant le Prince que devant Dieu seul. Les pares se muent alors en sujets. L'arbitraire du Prince fait désormais la loi (Hobbes : auctoritas non veritas facit legem ; Louis XIV : L’État, c'est moi !). Dans ces monarchies ouest-européennes, il n'y a plus de Reich au sens germanique, ni d'états mais un État. Le droit est concentré en haut et chichement dispersé en bas. Les devoirs, en revanche, pèsent lourdement sur les épaules de ceux qui végètent en bas et ne s'adressent guère à ceux qui gouvernent en haut. La révolution bourgeoise transforme les sujets en citoyens mais dépersonnalise en même temps le pouvoir de l’État et du souverain tout en absolutisant la structure dans laquelle sont enfermés les citoyens. Dans cette fiction règne le droit du plus puissant, c'est-à-dire, à l'âge économiste, des plus riches. L'essence de la justice se réfugie dans l'abstraction du “pur esprit”, propre de l'humanisme kantien ou hégelien, une pensée sans socle ni racines. Cette idéologie est incapable de forger un droit véritablement vivant, comme le montre la faillite du système bismarckien, forgé par les baïonnettes prussiennes et la poigne du Chancelier de fer, mais rapidement submergé par l'éclectisme libéral et le marxisme, deux courants politiques se réclamant de ce droit universaliste-jusnaturaliste sans racines.
Krieck définit ensuite la Vie, vocable utilisé à profusion par toutes les écoles vitalistes, comme un « cosmos vivant », un All-Leben. Ce dynamisme de l'All-Leben, nous le trouvons également chez les Grecs d'avant Socrate et Platon. Mais les Grecs ont très tôt voulu freiner le mouvement, bloquer le dynamisme cosmique au profit d'un statisme et de formes (en autres, de formes politiques) fermées : la Polis, l'art classique, expressions du repos, de quiétisme. Les Germains n'ont pas connu ce basculement involutif du devenir à l'Être. L'aristotélisme médiéval n'a pas oblitéré le sens germanique du devenir : le monachisme occidental et la scolastique n'ont jamais été pleinement quiétistes. Cluny et les bénédictins ont incarné un monachisme combattant donc dynamique, même si ce dynamisme a été, en fin de compte, dirigé par Rome contre la germanité. Après cette phase combattante seulement, la scolastique s'est détachée du dynamisme naturel des peuples germaniques, a provoqué une césure par rapport à la vie, césure qui a trouvé ultérieurement ses formes sécularisées dans le rationalisme et l'idéalisme, contesté par le romantisme puis par la révolution nationale-socialiste.
En proposant une « caractérologie comparée » des peuples, Krieck part d'une théorie racisante : les peuples produisent des valeurs qui sont les émanations de leur caractère biologiquement déterminé. Derrière toutes les écoles philosophiques, qu'elles soient matérialistes, idéalistes, logiques, sceptiques — orientations que l'on retrouve chez tous les peuples de la Terre — se profile toujours un caractère racialement défini. Les Allemands, tant dans leurs périodes de force (comme au Haut Moyen Âge ottonien) que dans leurs périodes de faiblesse (le Reich éclaté et morcelé d'après 1648), se tournent spontanément vers le principe d'All-Leben, de cosmicité vitale, contrairement aux peuples de l'Ouest, produits d'une autre alchimie raciale, qui suivent les principes cartésiens et hobbesiens du pan-mécanicisme (All-Mechanistik). La pensée chinoise part toujours d'une reconnaissance du Tao universel et vise à y adapter la vie et ses particularités. L'ethos chinois exprime dès lors repos, durée, équilibre, régularité, déroulement uniforme de tout événement, agir et comportement. La pensée indienne résulte du mélange racial sans doute le plus complexe de la Terre. Contrairement à la Chine homogène, l'Inde exclut la réminiscence historique, la conscience historique et est, d'une certaine façon, impolitique. Autre caractéristique majeure de l'âme indienne, selon Krieck : l'ungeheure Triebhaftigkeit, la foisonnante fécondité des pulsions et la prolifération des expressions de la vie : fantaisie et spéculation, désir (Begier) et contemplation, sexualité et ascèse, systématique philosophique et méthodique psycho-technique, etc. Cette insatiabilité des pulsions fait de l'Inde le pôle opposé de la Grèce (mises à part certaines manifestations de l'hellénisme) : l'âme indienne submerge toujours la forme dans l'informel, le démesuré, les figures grimaçantes et grotesques. L'hybris, faute cardinale chez les Grecs, est principe de vie en Inde : le roi n'y a jamais assez de puissance, l'ascète n'y est jamais assez ascétique, etc. Le génie grec, quant à lui, est génie de la mesure, de l'équilibre intérieur de la forme.
Le mécanicisme newtonien est l'expression du caractère anglais, surtout quand il met en exergue l'antagonisme des forces. Cet antagonisme s'exprime par ailleurs dans le bipartisme de la vie politique anglaise, dans la concurrence fairplay de la sphère économique, dans le sport. Le génie français (Descartes, Pascal, d'Alembert, H. Poincaré) procède d'une méthode analytique et géométrique. Ce géométrisme se perçoit dans l'architecture des jardins, de la poésie, de l'art dramatique du XVIIe siècle et du rationalisme politique centralisateur de la révolution de 1789.
Conclusion de Krieck : le peuple allemand est le seul peuple suffisamment homogène pour adhérer directement à la Vie sans le détour mutilant des schémas mécanicistes, du logos ou de la “philosophie de l'Être”. Adhésion à la vie qui s'accompagne toujours d'une discipline intérieure et d'un dressage.
L'idée de Reich, à rebours de toute soumission ou oppression, vise la communauté des Stämme (des tribus, des régions). Centre de l'Europe, enjeu de l'histoire européenne, le Reich offre, dit Krieck, une forme politique acceptable pour tous les Européens et pour tous les peuples extra-européens. Dans cette perspective, le monde doit être organisé et structuré d'après les communautés qui le composent, afin d'aboutir à la communauté des peuples. Tous, sur la Terre, doivent bénéficier d'espace et de droit : tel est la réponse de l'Allemagne au « Moloch » qu'est l'impérialisme britannique. La mission universelle du Reich est d'assurer un droit à toutes les particularités ethniques / nationales nées de la vie et de l'histoire.
Enfin, il convient de former une élite disciplinée, qui dresse les caractères par la Zucht et la Selbstzucht (maîtrise de soi). La poésie et l'art ont un rôle particulier à jouer dans ce processus de dressage permanent, de lutte contre l'Utgard, l'Unheil.
◘ Éducation nationale-politique (Nationalpolitische Erziehung), 1941
Ouvrage qui définit tout un ensemble de concepts pédagogiques et qui reprend les théories de Krieck pour les replacer dans le cadre du nouvel État national-socialiste. Les définitions proposées par l'auteur sont soumises à une déclaration de principe préalable : l'ère de la raison pure est désormais révolue, de même que celle de la science dépourvue de préjugés et de la neutralité axiologique (Wertfreiheit). La règle du subjectivisme absolu triomphe car la science prend conscience que des préjugés de tous ordres précèdent son action. L'acceptation de ces préjugés imbrique la science dans le réel. Son rôle n'est pas de produire quelques chose d'essentiel car le monde n'est jamais le produit des idées. La science doit au contraire se poser comme la conscience du devenir et, ainsi, pouvoir pré-voir, pressentir ses évolutions ultérieures, puis planifier en conséquence et se muer de la sorte en « technique », en force méthodique de façonnage, de mise en forme du réel. Grâce à la science/technique ainsi conçue, la pulsion (Trieb) devient acte (Tat), le grouillement de la croissance vitale (Wachsen) se transforme en volonté, l’événementiel est dompté et permet un agir cohérent. Krieck annonce la fin de la science désincarnée ; le sujet connaissant fait partie de ce monde sensoriel, historique, ethnique, racial, temporel. Il exprime de ce fait un ensemble de circonstances particulières, localisées et mouvantes. Reconnaître ces circonstances et les maîtriser sans vouloir les biffer, les figer ou les oblitérer : telle est la tâche d'une science réelle, incarnée, racisée. L'homme est à la fois sujet connaissant et objet de connaissance : il est certes le réceptacle de forces universelles, communes à toutes les variantes de l'espèce homo sapiens, mais aussi de forces particulières, raciales, ethniques, temporelles / circonstancielles qui font différence. Une différence que la science ne peut mettre entre parenthèses car ses multiples aspects modifient l'impact des forces universelles. Il y a donc autant de sciences qu'il y a de perspectives nationales (science française, allemande, anglaise, chinoise, juive, etc.). Krieck insiste sur un adage de Fichte : Was fruchtbar ist, allein ist wahr (Ce qui est fécond seul est vrai). Mais Krieck demeure conscient du danger de pan-subjectivisme que peuvent induire ses affirmations. Il pose la question : la science ne risque-t-elle pas, en perdant son autonomie et sa liberté par rapport au « désordre » des circonstances particulières, de n'être plus qu'une servante, une « prostituée » (Dirne) au service d'intérêts ou de stratégies partisanes ? La réponse de Krieck tombe aussitôt, assez lapidaire : cela dépend du caractère de ceux qui instrumentalisent la science. Celle-ci a toujours été déterminée et instrumentalisée par le pouvoir. Le pouvoir indécis du libéralisme, démontre Krieck, a affaibli et la science et le peuple. Un pouvoir mené par des personnalités au caractère fort enrichit la science et le peuple.
Parmi les définitions proposées par Krieck, il y a celle de « révolution allemande », en d'autres termes, la révolution nationale-socialiste. La « révolution allemande » devra créer la « forteresse Allemagne », soit forger un État capable de façonner et de dresser (zuchten) les énergies du Volk, d'organiser l'espace vital de ce peuple. L’État doit éduquer les Allemands sur bases de leurs caractéristiques raciales et organiser la santé collective et la sécurité sociale. Cette révolution est organique et dépasse les insuffisances délétères des mécanicismes libéral et marxiste.
Krieck nous présente une définition du terme « race ». La race consiste en l'ensemble transmissible par hérédité des caractéristiques déterminées des corps et des prédispositions spirituelles. Ces caractéristiques corporelles et ces prédispositions spirituelles dépassent l'individu ; elles se situent au-delà de lui, dans sa famille, son clan, sa tribu, son peuple, sa race. La Zucht, le dressage, vise la rentabilisation maximale de cet héritage. L'absence de dressage conduit au mixage indifférencié et à la dégénérescence des instincts et des formes. La politique raciale, qui doit logiquement découler de cette définition, n'a pas que des facettes biologiques : elle a surtout une dimension psychique et spirituelle, greffée par l'éducation et le dressage. L'homme est néanmoins un tout indissociable qui doit être étudié sous tous ses aspects. Les interventions éducatives de l’État doivent progresser simultanément dans les domaines corporel, psychique et spirituel. En Allemagne, l'idéaltype racial qui doit prévaloir est le modèle nordique. La race nordique doit demeurer le pilier, l'assise de tout État allemand viable. La saignée de 1914-1918 a affaibli le corps de la nation allemande-nordique. Les idéologies universalistes étrangères ont eu le dessus pendant la période de Weimar, avant que le substrat racial-psychique-spirituel ne revienne à la surface par l'action des Nationaux-Socialistes. Ce mouvement politique, selon Krieck, constate la faillite du libéralisme diviseur et rassemble toutes les composantes régionales, confessionnelles, sociales du peuple allemand dans une action révolutionnaire instinctuelle et non intellectuelle.
Les diverses phases de l'éducation se déroulent dans la famille, les ligues de jeunesse et la formation professionnelle. L'ère bourgeoise a été l'ère de l'économie, affirme Krieck, et l'ère nationale (völkische) sera l'ère des métiers, de la créativité personnelle et de l'éducation professionnelle.
L’État doit être une instance portée par une strate sélectionnée, politisée et organisée en milice de défense, homogène et cohérente, recrutée dans tout le peuple et répartie à travers lui. C'est elle qui formera la volonté politique de la collectivité. Au XIXe siècle, cette « strate sélectionnée » était l'élite intellectuelle bourgeoise (bürgerliche Bildungselite), universitaire et savante. Mais cette bourgeoisie, en dépit de la qualité remarquable de ses productions intellectuelles, n'avait pas d'organisation qui traversait tout le corps social. Sa capillarisation dans le corps social était insuffisante : ce qui la condamnait à disparaître et à ne jamais revenir.
Krieck définit aussi ce qu'est la Weltanschauung, mot-clef des démarches organicistes de la première moitié du siècle. La Weltanschauung, pour Krieck, est la façon de voir le monde propre à un peuple et au mieux incarnée dans la strate sélectionnée. L'homme primitif élaborait une Weltbild, une image du monde magique-mythique. L'homme de la civilisation rationaliste est désorienté, sans image-guide, ne perçoit plus aucun sens. Sa pensée est dissociée de la vie. L'homme qui a dépassé la phase rationaliste / bourgeoise maîtrise et la vie et la technique, a le sens de la totalité/holicité (Ganzheit) de la vie, allie le magique et le rationnel, le naturel et l'historique. Trois types d'hommes se côtoient : ceux qui sont animés par la foi et ses certitudes, ceux qui imaginent tout résoudre par la raison et ses schémas et, enfin, ceux qui veulent plonger entièrement dans le réel et acceptent joyeusement les aléas du destin et du tragique qu'il suscite. Ces derniers sont les héros, porteurs de la révolution que Krieck appelle de ses vœux.
Dans la dernière partie de son ouvrage, l'auteur récapitule ses théories sur l'éducation et les replace dans le contexte national-socialiste.
► Robert Steuckers, 1992.
♦ Bibliographie :
pour un recencement complet des écrits de Krieck, cf. Armin Mohler, Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1989 (3ème éd.). Nous recensons ci-dessous les principaux livres de l'auteur :
◘ Sur Krieck :
♦ Entrées connexes : Bachofen – Hauer
La presse juive sous le IIIe Reich
• Recension : Herbert Freeden, Die jüdische Presse im Dritten Reich, Jüdischer Verlag bei athenäum, 1987, 203 p.
Le livre de Freeden lève le voile qui cachait jusqu'ici l'histoire de la presse juive sous le Troisième Reich et les débats que celle-ci a véhiculés. La presse juive dont il est question ici n'est pas la presse progressiste, non spécifiquement juive de l'époque de Weimar, que certains polémistes nationalistes avaient affublé du titre de Judenpresse. Il s'agit d'une presse, propre à la communauté israëlite allemande, qui n'a cessé de paraître qu'à la fin de 1938. Cette presse comptait 65 journaux et revues dont le tirage global mensuel s'élevait à un million d'exemplaires. Elle dérivait de 2 matrices bien distinctes :
Une question importante était débattue après la proclamation des “lois de Nuremberg” : rester ou émigrer ? Les sionistes ne réclamaient pas une émigration massive vers la Palestine et les non-sionistes n'excluaient par pour autant la possibilité de l'Aliyah (retour à la “terre promise”). D'autres pariaient sur la Tchuva, le retour à la religion. Beaucoup d'intellectuels et les anciens combattants, notamment ceux qui s'exprimaient dans Der Schild, réaffirmaient haut et fort leur patriotisme allemand. Du côté des autorités, Ernst Krieck, recteur de l'université de Francfort, plaide pour la constitution d'une autonomie populaire (völkisch) juive au sein du Reich, qui reprendrait à son compte le refus sioniste de l'émancipation-assimilation, destructrice d'identité. On s'aperçoit, grâce à la recherche de Freeden, quelle densité prenait le débat éternel sur la question juive à l'ombre du drapeau à croix gammée. À relire au moment où en France des polémistes simplificateurs cherchent à créer une histoire juive aseptisée et abstraite.
► Robert Steuckers, Orientations n°10, 1988.