Connaissance par les labyrinthes
Ressentir une des structures supérieures du vivant, la faire passer de l'interne au conscient et au visible, a sans doute été une étape importante dans l'avènement de l'homme.
La forme labyrinthique, complexe par définition, peut paraître presqu'aussi élémentaire que la droite, le cercle ou le carré lorsqu'il s'agit de figurer une conception du monde et du destin de l'homme. Le symbole est extrêmement ancien.
Nietzsche remarquait : « Nous avons pour le labyrinthe une véritable curiosité, nous nous efforçons de faire la connaissance de Monsieur le Minotaure », symbole de toutes les terreurs labyrinthiques. L'affronter et le jouer comme, dans les corridas minoennes, les plus généreux trompaient le taureau au centre de l'arène et sautaient par-dessus ses larges cornes, revient à peu près à affronter Zeus et à le jouer au profit des forces fécondes et enivrantes. Comme Ariane, petite-fille de Zeus, délaissée par Thésée, devient à Naxos l'épouse de Dionysos, couple d'antagonismes primordiaux selon Nietzsche, masculin-féminin, qui doit mener au dépassement et à la transvaluation.
« L'essence du taureau divin — écrit J. Duchaussoy —, force impérieuse de la nature créatrice, n'est ni destructrice ni salvatrice par elle-même. Elle s'efforce de faire pénétrer (en nous) dans sa plénitude le sens de la vie, en tirant l'homme hors du labyrinthe où l'enferment ses instincts ou ses passions refoulées. Comme ceux de Mithra, les mystères de Dionysos étaient destinés à faire acquérir cette maîtrise par le sacrifice joyeux des plaisirs, mais après en avoir pris connaissance ».
Thésée, guerrier et champion sauveur, doit d'abord être sauvé lui-même. Sa victoire sur le Minotaure est une victoire sur la mort, une nouvelle naissance. Son parcours souterrain est comme le mouvement en serpentin de la ronde initiatique des jeunes gens, dans l'aire de danse, à l'entrée de la caverne.
Nietzsche se proclamaient homme labyrinthique, c'est-à-dire selon lui, celui qui s'enfonce toujours plus, détours et retours, profondément dans le chaos, jusqu'à la vérité radicale, plus réelle pour lui que la «vérité» elle-même. Libérateur comme Dédale, l'homo faber qui fait passer du labyrinthe naturel au labyrinthe construit, il fait glisser du symbole au concept, d'un donné naturel et surnaturel à un schéma produit par l'homme et qui échappera progressivement à la sphère sacrée. Et, nouveau Thésée, il marque la fin d'une période archaïque.
On a pu dire que le labyrinthe est le fruit de l'union de deux taureaux et de deux femmes. On se souvient que le roi Minos est né des amours d'Europe et de Zeus olympien, qui pour la séduire et l'enlever prit la forme d'un taureau blanc. Il la ramena dans l'île de Crète où lui-même avait vu le jour, sur les sommets sacrés des monts Ida et Aigaion, dont les flancs abritent une multitude de cavernes insondables.
Minos fera construire par l'architecte Dédale un palais de mille salles aux issues enchevêtrées pour y enfermer le Minotaure, monstre mi-taureau, mi-homme, né de l'amour de son épouse Pasiphaé pour un taureau écumant sorti de la mer, amour coupable surtout parce qu'il consacre la trahison de Minos à son engagement de sacrifier l'animal à Poséidon en payement d'un service rendu par le dieu.
On a dénombré en Crète plus de 3.000 cavernes. Aux temps minoens, elles servaient pour l'épreuve de l'initiation des jeunes gens, initiation à la mort et au courage de vivre. Comme les 7 garçons et les 7 filles qui avaient accompagné Thésée dans l'antre du Minotaure, ces jeunes gens se masquaient, s'assimilant momentanément à la mort pour pouvoir renaître ensuite à eux-mêmes, à leur âge adulte, « après avoir retrouvé le nœud au centre spirituel de la circonférence, par une somme égale de dépouillements et d'acquisitions qui leur permettront d'échapper à l'enchaînement du cycle ».
Les mythes et les rites, comme le remarque Georges Dumézil, sont solidaires et s'engendrent réciproquement. Ces rituels initiatiques si fournis illustrent l'importance du mythe qu'ils ont nourri et sa persistance. Ses rémanences modernes, hors les nombreux labyrinthes de haies dans les parcs (hedge-maze en Angleterre) ou de gazons et de sentiers, se retrouvent le plus sûrement, hors les puzzles et les jeux de l'oie, dans les marelles (ou merrils) que les enfants dessinent sur les trottoirs et dont le «ciel» est le couronnement, terme d'un cheminement semé d'épreuves de plus en plus ardues. Alain de Benoist rappelle à ce sujet le rapprochement significatif fait par Shakespeare, dans Le Songe d'une nuit d'été : « la boue a envahi la cour où s'assemblaient nos joueurs de marelle et l'herbe folle efface les fins lacets du labyrinthe abandonné ».
On ne s'accorde guère sur l'origine des labyrinthes ni sur celle de leur nom. On fit d'abord dériver le mot «labyrinthe» du mot grec labrys : hache double qu'on a retrouvé dans de nombreux endroits à Cnossos et surtout dans le palais. On en a conclu que le palais était le labyrinthe des anciens. L'étymologie «labrys» fut discréditée par le fait que l'objet s'appelait à cette époque, en Crète, peleky.
Le fameux Ventris, après son déchiffrage du «linéaire B», a proposé une autre explication. Les mots «da-pu-ri-to-jo», «po-ti-ni-ja» et «da-da-re-jo» se retrouvaient sur les tablettes du linéaire B et les 2 premiers termes semblaient même associés. Compte tenu de la relation linguistique «d-l», on pouvait lire «labyrinthe», «Potnia» (divinité chtonienne) et «Daidallion». La question de savoir si le labyrinthe était habité par la Potnia (et non le Minotaure) reste sans réponse. Des recherches en cours, il n'est pas exclu que l'on aboutisse à la conclusion que «labrys» et d'autres étymologies proposées aient quand même un rôle à jouer dans l'explication du mythe, plus ancien et plus répandu qu'on le pense communément.
Au sujet du mythe connexe de Thésée, Ovide rapporte : « deux fois déjà il s'était repu du sang de l'Acté, il fut vaincu lorsqu'elle lui envoya pour la troisième fois les victimes que le sort lui désignait tous les neuf ans. Aidé par une vierge, le fils d'Egée retrouva au moyen d'un fil qu'il enroulait la porte d'accès difficile, par où nul autre avant lui n'était revenu. Aussitôt après, ayant enlevé la fille de Minos, il fit voile vers Dia (Naxos) et là le cruel abandonna sa compagne sur le rivage.
L'association de la ville de Troie au labyrinthe est ancienne. Le souvenir de Cnossos s'estompant, on admit communément une connexion ethnique, ce que rapporte Virgile, qui dit, dans le cinquième chant de l'Énéide, que le berceau de la race troyenne fut la Crète.
Quand on sait que Troie était la forteresse que les Achéens ne purent investir que grâce à la ruse, on peut comprendre que le Moyen Âge militaire en ait été impressionné et que de nombreuses places fortes aient porté son nom. Dans le nord de l'Europe, où les représentations de labyrinthes sont très répandues et très anciennes, l'association existe au niveau du langage. Alain de Benoist observe qu'en Angleterre, en Allemagne, en Suède, en Hollande, au Pays de Galles, le nom commun du labyrinthe est « château (ou ville) de Troie » (Trojaburg) et que dans les langues de ces pays, la racine du verbe «tourner», et souvent celle du verbe «ruser» y est apparentée.
Il n'est pas inattendu que Jérusalem ait été associée au mythe labyrinthique, et ceci pour trois raisons : d'abord, c'était une ville sainte, centre de l'enseignement du Rédempteur; ensuite, elle était l'aboutissement du pèlerinage en terre sainte ; finalement, elle représentait la cité parfaite où l'on accédait à la rédemption finale de l'âme. D'autres lieux de pélérinage accédèrent bientôt à une renommée continentale, dont Saint Jacques de Compostelle. Nombreux étaient les fidèles désireux de s'y rendre, qui ne pouvaient songer à réaliser leur vœu. À leur intention, on se mit à dessiner dans le dallage des églises des labyrinthes appelés «chemin de Jérusalem» qu'on parcourait à genoux, en chantant des psaumes de pénitence.
Saint-Hilaire relève dans les établissements religieux de nos régions, à l'abbaye de Lophem (Loppem), près de Bruges (Brugge), un labyrinthe de haies qui conduit à un grand arbre et un autre à l'abbaye de Groenendaal. Plus intéressant encore est le labyrinthe inscrit dans le dallage de la cathédrale de Saint-Omer, à proximité d'un énorme monolithe, couvert d'un enchevêtrement de fines lignes et qui porte l'inscription «Tombeau de Saint Erkembode». À l'heure actuelle encore, les fidèles viennent déposer sur la pierre des chaussures ou des bas, survivance de la pratique ancienne des pélerins de passage, qui y déposaient, geste propitiatoire pour leur long et difficile voyage, leurs sandales et leur bâton, arme du pélerin. Quand on aura remarqué que «erkend bode» signifie en néerlandais «envoyé reconnu», on se rappelera que Thésée avait reçu, avant même d'être né, de son père, le Roi Égée, la mission de soulever, dès qu'il serait assez fort pour le faire, une énorme pierre sous laquelle il avait caché ses sandales et son épée et de les porter pour venir le rejoindre. Il reconnaîtrait son fils à ces signes. Ce qui fut accompli.
Les premiers labyrinthes ne sont certainement pas à situer en Crète. On en relevait à usage militaire en Égypte dès la IIe dynastie (-3500), bien antérieurs à l'époque de la construction des premiers palais crétois (-2000). Le géographe grec Strabon a fait peu avant le début de notre ère la description du labyrinthe que le pharaon Amenhemat III de la XIIe dynastie (-1850) fit construire en bordure du Lac Moeris, et qu'Hérodote avait déjà évoqué 5 siècles plus tôt. Saint-Hilaire note que la description évoque les grands ensembles mégalithiques de Bretagne et d'Angleterre.
A. de Benoist relève dans l'ouvrage d'Emmanuel Anati sur le site protohistorique de Val Camonica dans les Alpes italiennes, à propos de représentations de labyrinthes : « La légende du Minotaure trouve là sans doute ses origines » et dans celui de Paolo Santarcangeli : « Le labyrinthe est un des thèmes les plus constants de l'art rupestre européen. Il apparaît gravé sur la pierre en Europe vers le IIe millénaire avant JC » pour préciser que les premiers apparaissent en Europe septentrionale sur les gravures rupestres de la Scandinavie méridionale, avant l'Irlande, l'Angleterre, l'Islande, l'Allemagne, la Russie.
Janet Bord se réfère aux études de datation au carbone radioactif de Colin Renfrew et Jonathan Cape (Before Civilization, Londres, 1973 ; tr. fr. : Les origines de l'Europe, 1988) pour préciser que les labyrinthes gravés du nord-ouest de l'Europe dateraient de -2500 à -4500.
Dans l'Énéide, Virgile décrit sur la porte de l'Hadès, gardé par une sibylle, la gravure du labyrinthe crétois. Des dessins labyrinthiques spiraliformes se retrouvent dans nombre de tombeaux celtiques du Pays de Galles et d'Irlande.
Janet Bord indique que le mouvement centrifuge figurerait la renaissance et le mouvement centripète, la mort, le retour à la terre mère, de laquelle on naîtra peut-être une seconde fois. Ceci est à rapprocher de l'opinion que les tumuli avaient été conçus comme une représentation du corps maternel dans lequel le mort reposait comme avant la naissance, à rapprocher également des cérémonies d'initiation sélective au cours desquelles on célébrait des rites de renaissance à l'issue d'épreuves.
Les figures labyrinthiques sur les maisons, les étables et sur les lieux de mariage, les fils embrouillés et les entrelacs, qui se sont pratiqués couramment, auraient été destiné à égarer les influences néfastes et stérilisantes. En Inde, les femmes dans certaines populations dravidiennes ont conservé la coutume de dessiner à l'aube devant leur maison, au mois du solstice d'hiver, réputé néfaste parce que le soleil «meurt», des labyrinthes que le maître de la maison devait parcourir. Leur forme rappelle soit le labyrinthe crétois soit la svastika. On les pratique aussi en tatouage.
La colline artificielle de Maiden Castle, dans le Dorset, qui paraît d'origine néolithique et se présente comme un plateau en ellipse entouré de remblais et de fossés concentriques, avec dans les grands côtés des entrées labyrinthiques obligeant à faire un demi-circuit pour franchir le remblais suivant, peut difficilement être considérée comme une place forte (il aurait fallu 250.000 hommes pour la tenir efficacement). Elle serait plutôt un lieu de culte, l'entrée dans l'enceinte étant réservée aux initiés. Jackson Knight, auteur d'une importante étude, Les portes cuméennes (Cumean Gates, Basil Blackwell, Oxford, 1936 ; 2ème éd. : Vergil, London, 1967) considère que les premiers labyrinthes militaires seraient égyptiens et dateraient de la IIe dynastie (-3500).
Le Tholos d'Épidaure, petit temps circulaire, contenait dans son sous-sol un petit labyrinthe de six enceintes, qui abritaient dans leur centre les serpents sacrés que seuls les prêtres allaient visiter. De même, Glastonbury Tor, dans un site mentionné dans la légende du Graal, paraît fort probablement être un labyrinthe initiatique. Ses 7 couloirs présentent des obstacles à 3 dimensions, en ce sens qu'il fallait les aborder en ordre irrégulier (3, 2 ,1, 4, 7, 6 et 5) et selon les cas vers la gauche ou vers la droite et à certains endroits escalader des montées abruptes jusqu'au sommet du mur.
Le seul fait de suivre la voie labyrinthique sinueuse comme dans les danses initiatiques, constituait sans doute un rite d'exclusion. La plus connue de ces danses du labyrinthe est la danse du géranos (grue) de l'Ile de Délos. D'après les Scolies, elle aurait été dansée pour la première fois par les compagnons de Thésée, sauvés des griffes du Minotaure. Les masques d'animaux portés par certains danseurs et le cheraton (autel à cornes) autour duquel elle se danse, symbolisent peut-être le Minotaure.
On dansait, et on danse encore, des danses du labyrinthe dans plusieurs régions d'Europe ; en Suisse, en Bavière à Munich, les danses Schäffer, dansées tous les 7 ans, à Traunstein, la danse de Saint Georges tuant le dragon, récupération probable par l'Église du mythe de Thésée, et dans l'Ile de Corfou, la danse des grues où les danseurs tiennent une longue corde.
Selon Norman O. Brown (Le corps d'amour, Densel, 1960), les danses rituelles initiatiques auraient représenté symboliquement les efforts archétypiques de l'ancêtre divin, de l'homme prototypique, pour émerger dans ce monde. Janet Bord note que généralement « les rituels religieux dégénèrent au cours du temps jusqu'à ne plus laisser aux éléments retransmis qu'une vague ressemblance avec le modèle original et une signification imprécise ».
Au cours de l'évolution des figurations de labyrinthes, on aura pu constater les «changements d'humeur» de cette expression figurative. À l'époque des premiers âges historiques, c'est la spirale et le méandre qui ont donné leur forme au labyrinthe. Une forme logique et mathématique ne se fera jour qu'en Égypte et au cours des premiers siècles helléniques. Celui qui poursuivra sa route avec constance est assuré de parvenir au terme du chemin.
Ensuite, dans la conversion des cathédrales du Moyen Âge, le Christ remplace Thésée, la foi, Ariane, et l'âme du pèlerin libéré de ses angoisses, le Minotaure.
Vers la fin du XVIe siècle, fait propre au baroque, pour représenter la tragique incertitude du monde et de l'homme, surgissent systématiquement les bifurcations dans le dessin du labyrinthe. La faculté de choix intervient et la possibilité non seulement d'errer mais aussi et surtout de se tromper. Aujourd'hui, on a ajouté l'impénétrabilité du destin : l'élection divine a son rôle à jouer.
Quoi qu'il en soit, l'idée fondamentale du labyrinthe a toujours été la même : la conscience que l'homme peut prétendre atteindre le dépassement, la liberté de son esprit, que ce soit par la foi, par la connaissance ou par la persévérance opposée au destin.
► Juan Lemmens & Georges Hupin, 1980.
♦ Bibliographie :
Ernst L. Krause : l’archéologue qui s’est penché sur les labyrinthes et le mythe de la “Fille-Soleil”
Le 22 novembre 1839, naissait à Zielenzig en Allemagne Ernst Ludwig Krause, qui sera le premier éditeur de la revue Kosmos, consacrée aux sciences naturelles et écologiques avant la lettre. Ernst L. Krause exprime sa pensée organiciste et écologiste dans un ouvrage en 2 volumes, paru en 1876, réédité en 1906 : Werden und Vergehen (Devenir et passer). Il se considérait comme un disciple du philosophe “tellurique” Carl Gustav Carus, qui avait développé au XIXe siècle, dans le sillage du romantisme, une “philosophie de la terre” et de la Vie, dont l’objectif était de faire table rase de toutes les abstractions philosophiques, désincarnées, déracinées, qui avait conduit la pensée européenne au nihilisme.
Mais, en dépit de son importance pour le développement de la pensée organique et pré-écologique, et pour les idées exprimées dans la revue Kosmos, Ernst L. Krause acquerra surtout la célébrité pour ses thèses audacieuses sur la préhistoire nord-européenne. Un Nord lointain, le “Tuisko-Land” était la patrie originelle des peuples européens, avançait-il, et, par voie de conséquence, le domaine initial des dieux tutélaires, lesquels ne sont rien d’autre que les aïeux divinisés de nos peuples. Pour étayer sa thèse, Krause s’est basé sur les Védas, l’Edda, l’Iliade et l’Odyssée, dont il était un fervent et attentif lecteur. (1)
Sa thèse principale (2) concerne cependant les labyrinthes, dont on a retrouvé un grand nombre en Europe du Nord, en Scandinavie. La construction de ces labyrinthes de pierres dressées repose sur un mythe très ancien, propre à ces régions : l’enlèvement et l’emprisonnement de la “Fille-Soleil” (Syrith, Brunhilde, Ariane, Hélène). Autour de ce mythe très ancien des peuples européens se sont développés toutes sortes de rites, rituels, danses (notamment des danses de l’épée), pour fêter, chaque année au printemps, la libération de la “Fille-Soleil”. Blanche-Neige n’est jamais qu’un conte enfantin qui reprend la même thématique. Blanche-Neige est effectivement une “Fille-Soleil”, qui sera libérée par le bon chasseur, pour rayonner et houspiller, par sa blanche beauté, la méchante reine, symbole de la lune hivernale, qui brille de ses plus beaux feux en janvier et en février, mais dont l’indéniable splendeur devra céder face à la Lumière, plus resplendissante encore, du Soleil, de la “Fille-Soleil”, qui revient, triomphante, libérée, chaque printemps. Ernst L. Krause meurt en 1903, en nous laissant une œuvre que redécouvrent aujourd’hui les spécialistes de la préhistoire et de la proto-histoire.
► Synergies Européennes – Bruxelles / Commission “Traditions” - Mars 2004.
1 : cf. par ex. « The Northern Origin of the Story of Troy », in : The Open court (1887).
2 : Die Trojaburgen Nordeuropas, ihr Zusammenhang mit der indogermanischen Trojasage von der entführten und gefangenen Sonnenfrau (Syrith, Brunhild, Ariadne, Helena), den Trojaspielen, Schwert- und Labyrinthtänzen zur Feier ihrer Lenzbefreiung, E. Krause, 1893.
◘ sur ce sujet, lire aussi : Das Geheimnis der Hyperboorer, Viktor K. Wendt. (tr. fr. : Le secret des hyperboréens : Légende, mythe, ou réalité ?, Lore, 2006)
Labyrinthe et "Trojaborg"
Il est une règle en archéologie qui veut que la fréquence des découvertes sur un site prouve que ce site est le site originel de l'objet en question. Dans le cas du symbole que sont les labyrinthes, le site d'origine doit être le nord de l'Europe et non le sud. Environ 500 labyrinthes de pierre ont été découverts en Europe septentrionale, jusqu'aux confins de l'Océan Arctique. Bon nombre de ces labyrinthes datent de la préhistoire européenne, y compris ceux du Grand Nord. Dans la zone méditerranéenne, on ne trouve que rarement ce symbole, pérennisé dans les alignements de pierres.
En règle générale, le labyrinthe est considéré comme une sorte de jardin, conçu pour jouer à s'égarer. Tous ceux qui ont eu l'occasion de visiter des labyrinthes de haies dans les jardins et parcs anglais, français ou italiens, sauront combien il est parfois difficile de retrouver le chemin de la sortie. Le labyrinthe, en conséquence, est considéré par la plupart de nos contemporains, comme un jeu où l'on s'amuse à s'égarer. Beaucoup de princes européens du XVIe au XIXe siècle se sont fait installer des jardins labyrinthiques pour amuser et distraire leurs invités. Parmi les plus célèbres labyrinthes français, citons ceux de Versailles, de Chantilly, du Jardin des Plantes ; en Angleterre, les labyrinthes de Hatfield House, de Hertfordshire, de Hampton Court Palace (à Londres), ainsi que le grand labyrinthe de Hazlehead Park à Aberdeen ; en Italie, aujourd'hui, on peut encore visiter le célèbre labyrinthe de haies de la Villa Pisani à Stra, à l'ouest de Venise, avec une tour et une statue de Minerve au centre. Ce sont là les labyrinthes les plus connus et les mieux conservés aujourd'hui. 200.000 touristes parcouraient chaque année les allées du labyrinthe de Stra, jusqu'au moment où il a fallu les fermer au public qui devenait vraiment trop nombreux et risquait d'abîmer le site.
Quant au touriste qui s'intéresse à l'histoire de l'art, il peut visiter de nombreux labyrinthes de mosaïques, surtout dans des églises. Ceux qui se rendent en Italie pourront en voir de très beaux dans l'église Santa Maria di Trastevere à Rome, ou encore dans l'église San Vitale de Ravenne, dont le sol présente un magnifique labyrinthe. Dans la cathédrale de Lucca, on peut apercevoir un labyrinthe gravé dans un mur et flanqué d'une inscription latine signifiant "Ceci est le labyrinthe que le Crétois Dédale a construit". En France, notons les labyrinthes de la Cathédrale de Bayeux et de l'église de Saint-Quentin, qui attirent, aujourd'hui encore, de nombreux amateurs d'art. En territoire allemand, nous ne trouvons aujourd'hui plus qu'un seul labyrinthe : dans la crypte de la Cathédrale de Cologne.
Mais en Allemagne, comme en divers endroits d'Angleterre, on peut encore voir les traces, dans l'herbe, de très anciens labyrinthes comme la Roue (Rad) d'Eilenriede près de Hannovre ou les labyrinthes d'herbe de Steigra et de Graitschen en Thuringe. Malheureusement, le magnifique labyrinthe de Stolp en Poméranie, l'un des plus beaux du monde, a été détruit.
En Angleterre, au contraire de l'Allemagne où l'on ne trouve plus que les 3 labyrinthes que je viens de citer, le touriste amateur de sites archéologiques pourra en visiter une bonne centaine. Dans les Iles Britanniques, on les appelle Troy-town ou Murailles de Troie (Walls of Troy), exactement comme plusieurs labyrinthes scandinaves encore existants (Trojaborg ; en all. Trojaburg). À l'évidence, labyrinthes britanniques et labyrinthes scandinaves sont structurellement apparentés. Car il ne s'agit pas de constructions de modèle simple, édifiées pour le seul plaisir du jeu, mais d'une allée unique serpentant circulairement vers un centre, pour en sortir immédiatement, toujours en serpentant. Il est intéressant de noter que les élèves des écoles primaires, en Scandinavie, apprenaient encore, dans les années 30, l'art de "dessiner des labyrinthes".
Avant de nous pencher sur la signification étymologique des termes "labyrinthes" et "Trojaborg" (Troy-town ; Troja-burg), je voudrais d'abord signaler qu'aujourd'hui, sur le territoire suédois, j'ai dénombré 296 Trojaborge de pierre, dont les diamètres varient entre 4 et 24 m et qui comptent généralement 12 segments circulaires ; en Finlande, y compris les Iles Åland, j'en ai dénombré 150 ; dans le nord de l'Angleterre, 60 (dont 15 sont fouillés par des archéologues professionnels) ; en Norvège, 24 ; en Estonie, 7 ; en Angleterre méridionale, 2 ; sur le territoire de la RFA (avant la réunification), 1. Nous arrivons ainsi au nombre de 540 Trojaborge nord-européens en pierres, auxquels il faut ajouter la centaine de labyrinthes en prairie des Iles Britanniques et leurs 3 équivalents allemands. Malheureusement, la zone archéologique méditerranéenne ne compte plus, aujourd'hui, de labyrinthes de ce type ; seuls demeurent les labyrinthes des églises et ceux, récents et en haies, des parcs. Nous pouvons en revanche découvrir des labyrinthes gravés sur des parois rocheuses, comme dans le Val Camonica dans les Alpes italiennes, ou à Pontevedra en Espagne septentrionale. Ce labyrinthe ibérique présente le même modèle que celui découvert sur la pierre irlandaise de Wicklow et celui de Tintagel en Cornouailles.
J'ai cherché à découvrir un labyrinthe en Crète, qui confirmerait la légende de Thésée et Ariane. Je n'ai pas découvert le fameux labyrinthe de Cnossos. Or, on associe très justement la Crète au symbole du labyrinthe, car, au British Museum et dans le Musée de l'Antiquité de Berlin, les visiteurs peuvent y voir des labyrinthes sur des monnaies crétoises du IIième et du Vième siècle avant notre ère. En Égypte, pays d'où nous viendrait, d'après les linguistes, le terme "labyrinthe" (Loperohint, soit le palais à l'entrée du lac, allusion à un labyrinthe disparu, qui se serait situé sur les rives du Lac Méri), je n'ai pas eu plus de chance qu'en Crète et je n'ai pas trouvé la moindre trace d'un labyrinthe. D'autres spécialistes de l'étymologie croyent que l'origine du mot labyrinthe vient du terme "labrys", qui désigne la double hache crétoise.
Quant au nom scandinave de Trojaborg, il n'a rien à voir avec la ville de Troye en Asie Mineure, comme l'a prouvé un spécialiste allemand des symboles, qui vivait au siècle dernier, le Dr. Ernst Krause. Trojaborg serait une dérivation d'un terme indo-européen que l'on retrouve en sanskrit, draogha, signifiant "poseur de pièges". Dans la mythologie indienne, en effet, existe une figure de "poseur de pièges", qui pose effectivement des pièges pour attraper le soleil.
En langue vieille-persique, nous retrouvons la même connotation dans la figure d'un dragon à trois têtes, du nom de druja; en langue suédoise dreja signifie l'acte de "tourner" ou de manipuler un tour. Le sens caché du labyrinthe se dévoile dans la légende de Thésée et d'Ariane, dans l'Edda et dans la Chanson des Nibelungen, où nous retrouvons, partout, une jeune fille solaire gardée par un dragon ou un Minotaure, symboles des forces de l'obscurité. Le mot "Troja" se retrouve, outre dans le nom de la ville de l'épopée homérique, dans le nom de centaines de labyrinthes scandinaves et britanniques, dans la danse labyrinthique française, le Troyerlais, dans la ville de Troyes en Champagne, dans les trojarittes de la Rome antique, dans le nom de Hagen von Tronje, figure de la Chanson des Nibelungen. Des dizaines de noms de lieu en Europe portent la trace du vocable "troja".
Le Prof. Karl Kerényi, l'un des principaux spécialistes contemporains des mythes et des symboles, est l'un des très nombreux experts qui admettent aujourd'hui l'origine nordique du symbole du labyrinthe. Les pays du Nord, pauvres en soleil, développent une mythologie qui cherche à rendre cet astre captif, au contraire des mythologies du Sud de l'Europe. Les archéologues spécialisés dans la préhistoire, sur base de leurs fouilles, datent les labyrinthes nord-européens de l’Âge du Bronze (de 1800 à 800 avant notre ère) ; les labyrinthes sur parois rocheuses de l'Europe centrale, de même que le labyrinthe en pierres plates d'argile de Pylos dans le Péloponnèse, datent, eux, de 1200 à 1100 avant notre ère. Un labyrinthe de vases étrusque date, lui, du VIIe ou du VIe siècle avant notre ère, tandis que les monnaies de Cnossos, sur lesquelles figurent des labyrinthes, datent du Ve et du IIe siècle avant notre ère.
La ressemblance est frappante entre les labyrinthes des monnaies crétoises du IIe siècle avant notre ère et la configuration du labyrinthe suédois de Visby en Gotland. Cette configuration, nous la retrouvons dans de nombreux sites de Suède, et aussi en Norvège, en Finlande et en Estonie. D'où, la question de l'origine septentrionale de ces symboles labyrinthiques se pose tout naturellement.
Ces labyrinthes reflètent le tracé astronomique des planètes. Les mythes associés aux labyrinthes, d'après de nombreux chercheurs et érudits, reflètent la nostalgie du soleil chez les peuples des régions septentrionales de l'Europe.
► Dr. Frithjof Hallman, Combat païen n°19, 1992. (texte issu de Mensch und Maß, 23.2.1992)
Nous avons été projetés à la périphérie sous l’empire impitoyable du temps, maître de toute véritable épreuve. Il nous faut trouver et emprunter le chemin qui ramène au cœur auroral. Là est notre combat. Là est notre quête. Ainsi respire l’univers, visible et invisible.
Le cœur du labyrinthe est à la fois le lieu des affrontements décisifs et celui où l’être se ressource, se relie, s’élève.
Quête spirituelle : au cœur du labyrinthe
◘ recension : Au cœur du labyrinthe (Méditations sur la Quête spirituelle), Christophe Levalois, Sol Invictus, 1999.
Fort élégant et sobre, dans le sens traditionnel de ces termes, tant par la présentation que par le choix de la typographie, c'est un substantiel volume de poèmes que nous offre Christophe Levalois, qui a déjà publié plusieurs remarquables études, traduites en plusieurs langues, sur différents aspects des doctrines traditionnelles.
Retenons principalement : un petit ouvrage d'une rayonnante clarté sur le symbolisme du Pôle (Nord) (1), et l'origine mythique d'une terre correspondante, dans les expressions du divin d'Orient ou d'Occident. Plusieurs études sur la royauté (2) dans son acception la plus élevée, une participation passionnante à une Enquête sur la Tradition aujourd'hui (3), un ouvrage capital par sa densité et sa concision sur la crise du monde moderne (4) à l'aune des principes des diverses formes du Sacré, et un volume sur les mythes et traditions du loup (5) où la rigueur de l'exposition des données historiques ne le cède en rien à celui de la connaissance des coutumes, des légendes et des symboles de cet animal noble, solidaire et courageux qui, nous dit l'auteur, « servit de modèle aux redoutables confréries guerrières indo-européennes ».
Notre époque a bien du mal à apprécier la poésie, sans doute parce qu'elle a autant de difficulté à appréhender de façon orthodoxe l'intériorité des doctrines traditionnelles. Préférant leur substituer soit de laborieux exercices de langage, soit les fadaises du New Age. Rien de cela ici, et nous n'irons pas par quatre chemins pour dire ce que nous avons ressenti à la lecture méditative de ces pages magnifiques où se mêle avec bonheur la moelle de l'authenticité du message au miel harmonieux du style et du choix des mots. Cette quête, telle un rayon solaire immanent à la Vérité, rejoint le centre du flamboiement et étincelle par les arabesques qu'elle tisse sur l'être et l'univers.
Questionnement du Sphinx
Précipitez-vous auprès de l'éditeur, car comme bien des recueils de poésie le tirage est limité, et nous ne saurions trop insister sur la belle et nue qualité de ces textes, qui vous feront entrer dans le prochain millénaire, un peu plus serein et avec, chevillé au cœur, la sensation d'avoir franchi comme un pont sur l'invisible. Quatre parties, qui sont comme les balises du travail alchimique, respectivement intitulées, «I, Retournement, II, Mort et rectification, III, Cheminement, et IV, La lumière du cœur », l'ensemble couronné par une ouverture ou un «portique», —à l'image du célèbre questionnement du Sphinx—, et des citations des plus beaux écrits de mystiques, pour entrer en douceur dans la quête spirituelle et au cœur de «ce» labyrinthe.
Comme l'avait écrit Frithjof Schuon dans un hommage au Shaykh Ahmad al-Alawî décédé : « Il arrive parfois, à notre époque où le doute et l'esprit utilitaire s'étendent en une couche uniforme toujours plus envahissante, que nous ayons des contacts avec des mondes dont la vie coule encore, semblables aux lourds fleuves d'Asie, selon des rythmes séculaires » (6). Le poème « L'Anneau d'or » par ex., nous met en relation immédiate avec ces mondes dont Schuon nous parle, tout en secouant l'acédie, le relâchement qui sans cesse nous guette, cf. « Naître une deuxième fois », « Recomposer dans l'harmonie », et appeler à notre vigilance autant qu'à notre sens du discernement entre l'Absolu de Dieu et la relativité de notre humaine condition. Or le rythme «séculaire» ou pérenne, est le lieu possible où se déploie la parole, levain de la langue parce que nativité du Réel intégral. Il y a ici une alternance des modes qui métamorphose le «métal» du mental dans l'or de la quête où se transfigure l'être profond.
Devenir un souffle
Pour franchir la porte — entre toute au cœur du labyrinthe — quatrième et qui clôt (momentanément) le livre, une citation en provenance du Mahâbhârata : « Là nul n'était supérieur aux autres, tous avaient même luminosité (...) ». Comment acquérir cette luminosité? Dans « Ici et là » l'auteur nous murmure qu'il faut : « Avoir des certitudes qui meurent, Et se renouvellent à chaque instant. Se débarrasser de l'être, Il finit par encombrer. Devenir un souffle ».
Il n'est pas assuré, avec le nivellement du mode de vie moderne, que tous comprennent la signification d'une pareille sentence, comme nous l'enjoint le Mahâbhârata, et selon l'expression miroitée et métaphorique de C. Levalois. Peut-être pourrait-on se risquer au commentaire suivant : c'est par leur participation originelle à la dimension proprement miraculeuse de l'existence que «les créatures, quelles qu'elles soient, sont rigoureusement égales. L'existence, ou encore, comme dit Frithjof Schuon, la non-inexistence, constitue une différentielle radicale d'avec le néant. De ce point de vue, il n'y a pas de plus ou de moins» (7). Néanmoins, il est de la nature de l'homme de transcender l'œuvre au noir dont il est composé, et c'est ce que confirme le poème « Du visible à l'invisible », qui nous propose « d'Être un pont », afin que « Rayonne un anneau d'or, (...) soigneusement déposé, (...) [que] l'on ne regarde pas avec l'œil du premier corps » (« L'Anneau d'Or »), [mais] « Par les ailes de l'esprit, Où il n'y a finalement plus rien » (« Du cœur de l'être »), et où l'on peut, « Rassembler le tout, Et le laisser. Pour un presque rien, Qui est plus que tout » (« Rassembler ce qui est épars »).
Bien des sons et des accents de ces poèmes, gorgé de magie polaire, de la tendresse simple et altière des sous-bois, nous ont rappelé le grand écrivain norvégien Tarjei Vesaas et son Palais de glace (8).
Ce petit volume étincelant, s'achève (ou s'ouvre à nouveau ?) sur ce splendide extrait d'une des Odes mystiques de cet Éveillé qu'était Djalâl-od-Dîn Rûmî : « Quand tu auras transcendé la condition de l'homme, tu deviendras, sans nul doute, un ange. Alors, tu en auras fini avec la terre ; ta demeure sera le ciel. Dépasse même la condition angélique; pénètre dans cet océan, afin que ta goutte d'eau puisse devenir une mer ».
Supplément au n°4, de la revue Tradition, ce volume est à commander auprès du Cercle Sol Invictus.
► Olivier Dard, Genève, décembre 1999.