Le Petit Lexique du partisan européen (Eurograf, Esneux-lez-Liège, 1985) est une modeste brochure rassemblant 62 entrées parues dans les premiers numéros de Vouloir. Cette initiative éditoriale offrait ainsi une première et rapide approche de la contre-offensive idéologique qu'entendait remplir la toute récente amicale paneuropéenne E.R.O.E. Il s'agissait de poser des jalons en tenant compte des changements historiques du vieux-continent, et ce non pour baliser de manière dogmatique un idéal abstrait mais pour défricher des pistes de réflexion, et par là tenir compte de la marge de manœuvre permettant d'actualiser une volonté de destin pour notre Europe. Ni manifeste ni exposé doctrinal sous forme d'abécédaire, mais soucieux de présenter une démarche cohérente, ce lexique “à la hussarde” entendait bel et bien sonner la charge. Petit bréviaire tactique donc, délibérément non exempt de parti-pris qui ne renvoient pas seulement à la stratégie intempestive néo-droitière très prégnante dans son traitement des thèmes mais aussi à des débats, polémiques ou enjeux ressortant du contexte d'alors, il nous a parfois contraint pour rester dans une visée pédagogique à quelques légers remaniements sur cette page. Ce lexique n'en constitue pas moins un point de départ, un élan à parcourir, nullement un aboutissement : les liens internes suffiront à témoigner de la maturation des travaux de recherche attentifs aux réalités à assumer et à relever. Mais n'est-ce point le propre du partisan que d'être mobile sur la ligne de front qu'il a intériorisée, celle contre son époque ?
Nota bene : une version fac-similé (éditée par ARS, Nantes) est disponible sur Librad (6 €). Par ailleurs une version refondue a été proposée par G. Faye dans : Pourquoi nous combattons, manifeste de la résistance européenne, L'Æncre, 2001.
◘ Pour un nouveau vocabulaire idéologique
Nous sommes des combattants. Essentiellement. Mais nous nous plaçons résolument sur le terrain des idées. Il faut avoir des idées claires avant de proposer une praxis cohérente. Les idéologies aujourd'hui dominantes avaient, au temps de leur jeunesse, des projets réalisables. Elles ont tenté leur chance et eu leur heure de gloire. C'est fini. Les “ismes” néo que l'on nous sert parfois font penser à de vieilles courtisanes qui découvrent un nouveau fard pour masquer leurs rides. Les nouveaux rimmels du libéralisme, pour citer un exemple fracassant, s’appellent Hayek ou Friedmann. Nous préférons la fraîcheur. Comme pour les filles et le poisson. La nécrophilie, nous la laissons à nos collègues du Pourquoi pas ?, du Figaro-Magazine, de Magazine Hebdo ou des feuilles d'extrême-droite qui pensent avoir trouvé une rubrique panacée. Dans notre rubrique VOCABULAIRE, chaque mois, nous présenterons les termes idéologiques qui feront le monde de demain. Celui du XXIe siècle. En dépit des amateurs de moisi. Cette rubrique rendra Vouloir doublement utile parce qu'elle fournira à ses lecteurs des outils efficaces pour résister à l'assommoir idéologique qu'est devenue la grande presse et parce qu'elle livrera, en quelques phrases très concises, toute la pensée innovatrice qui s'élabore aux quatre coins de l'Europe.
Le combat des idées et la construction d'un corpus doctrinal efficace, ainsi que son utilisation optimale, passent par une claire définition et une bonne connaissance d'un certain nombre de mots-clés ; ces derniers doivent se différencier de ceux des idéologies adverses. Se réapproprier le réel, c'est d'abord le nommer et, de ce fait, imposer ses propres notions, ses propres définitions.
L'ambition de ce court lexique est de proposer une définition claire de nos concepts les plus fréquents et les plus importants et, par là même, d'offrir un aperçu global de notre vue du monde. (…)
Rédigée de manière didactique, chaque notice se compose de 3 parties. En premier lieu, la définition proprement dite, volontairement courte, qu'il convient de bien posséder. Deuxièmement, le "commentaire", c'est-à-dire le condensé de notre discours sur l'idée à laquelle renvoie le mot défini. Enfin la plupart des notices sont pourvues d'une bibliographie qui permettra à chacun de diversifier et d'approfondir ses lectures sur les sujets concernés.
Index des notices :
A : Américanisme / Aristocratie / Autarcie
B : Bien-être / Biologie / Bourgeoisisme
C : Christianisme / Civilisation occidentale / Communauté / Conception-du-monde
D : Démocratie / Désinstallation
E : Économisme / Égalitarisme / Élite / Empire / Enracinement / Ethnopluralisme / Éthologie / Europe / Évolution
F : Fonction
G : Géopolitique
H : Homme
I : Idéologie(s) occidentale(s) / Individualisme
J : Judéo-christianisme
L : Libéralisme / Liberté
M : Modernité / Monothéisme / Mythe
N : Nation / Nature / Nihilisme / Nominalisme
O : Organique
P : Paganisme / Peuple / Politique / Polythéisme
R : Racisme / Raison / Réductionnisme / Région / Religion
S : Sacré / Sélection / Sens / Société marchande / Souveraineté
T : Totalitarisme / Tradition / Tragique / Travail / Tripartition
U : Universalisme
V : Valeurs / Volonté de puissance
◘ 1 - AMÉRICANISME
Forme dominante de la déculturation occidentale véhiculée par son foyer principal, la société-nation des États-Unis.
L'américanisme constitue ce qu'il y a de plus occidental dans la culture de masse de la civilisation occidentale, du fait de la position centrale des États-Unis en tant que modèle de la société marchande, en tant que représentants privilégiés de l'égalitarisme, du biblisme, et enfin en tant que puissance d'exportation de mœurs que l'on doit qualifier de néo-primitives.
L'américanisme n'est donc nullement la modernité entendue comme futurisme. Parmi ses nombreux éléments constitutifs, retenons : la domination linguistique anglo-américaine, la diffusion homogénéisante de formes artistiques, vestimentaires, musicales, alimentaires, etc., de provenance et surtout de “style” américains (américanomorphe autant qu'”américains”) ; l'alignement des modes d'enseignement, des techniques de presse, de gestion, de communication, comme de l'imaginaire et des mythes sociaux sur la société américaine. La progression de l'américanisme se fait, notamment, par un système où entrent les modes culturelles et la consommation de produits, ou l'adoption de mœurs liées à ces modes (”complexe économico-culturel”). La critique de l'américanisation des cultures, américanisation qui entraîne pour les peuples la perte de leur indépendance économique et politique, est un vecteur idéologique particulièrement fructueux — un des thèmes sur lesquels peuvent se retrouver une nouvelle droite et une nouvelle gauche.
L'empire américain, C. Julien, Grasset, 1968 [recension]
Le modèle défiguré, l'Amérique de Tocqueville à Carter, Thomas Molnar, PUF, 1978
« Il était une fois en Amérique », R. de Herte et HJ Nigra, in : Nouvelle École n°27/28, 1975
L'America di fronte all'Europa, P. Gerbore, G. Volpe Ed., 1981. Bref survol des relations euro-américaines depuis 1776. L'A. insiste tout particulièrement sur la "bonne affaire" qu'ont réalisé les milieux financiers américains en envoyant les GI's en Europe.
Amerika ist allem Schuld : Die Amerikanisierung der Alten Welt, G. Herm, W. Heyne Vg, Munich, 1980. Depuis plus de 100 ans, l'américanisation du monde est en marche. Herm nous en décrit toutes les étapes. Un bon livre documentaire auquel manque, hélas, une conclusion politique claire.
◘ 2 - ARISTOCRATIE
Gouvernement du peuple par ses meilleurs éléments, ou bien catégorie du peuple, qui ne se confond pas avec une classe économique, qui manifeste au plus haut degré les qualités éthiques, spirituelles, anthropologiques, psychologiques et intellectuelles propres à ce peuple, l'aristocratie est de ce fait “l'essence du peuple”.
Toute société possède une élite. Mais l'élite ne désigne que ceux qui sont en position dominante de fait, sans faire référence à des valeurs — ou en faisant référence à des valeurs qui sont pour nous négatives. Ainsi aujourd'hui, les critères de sélection des élites sont déterminés par les valeurs du bourgeoisisme — intérêt, position économique, pouvoir financier, capacités démagogiques — ou de la technocratie, savoir purement technique, manipulation des appareils institutionnels. À l'inverse, les valeurs aristocratiques, qui intègrent par ailleurs le savoir technique et les hiérarchies économiques, insistent d'abord sur le caractère, l'exemplarité, le commandement compris comme service. L'aristocratie n'est pas une “noblesse” en forme de caste : elle est partie intégrante de la communauté populaire qu'elle anime et inspire, ses obligations sont la mesure de ses privilèges. La civilisation égalitaire n'a pas tué les aristocraties : elles sont virtuelles, puisqu'un peuple, biologiquement, en génère toujours. Il nous appartient de créer les conditions de réalisation de ce potentiel. Notre communauté doit constituer, par elle-même, le premier embryon d'une future aristocratie populaire. D'où les grandes exigences que nous devons nous imposer à nous-mêmes. Il faut savoir que le risque majeur qui guette toute aristocratie est de générer en caste nobiliaire. Cela s'est souvent produit au cours de l'histoire (exemples de la République romaine ou de l'Ancien Régime finissant, en Europe).
◘ 3 - AUTARCIE
Régime économique dans lequel les échanges d'un espace économique avec l'extérieur sont limités, surtout à l'importation, de manière à lui conférer une indépendance politique et à protéger le développement des industries intérieures.
Savamment régulée, l'autarcie a été pratiquée par toutes les puissances industrielles naissantes, surtout sous la forme d'autarcie sectorielle, nécessaire à promouvoir le lancement d'un “secteur” industriel précis. Aujourd'hui, devant le complet échec du libre-échangisme économique et du système monétaire international, de plus en plus d'économistes, auxquels nous nous rallions, préconisent la construction de régions économiques en développement autocentré, dit aussi “autarcie d'expansion” organisée pour de grands espaces homogènes politiquement et culturellement ; c'est une réponse à la déculturation et à la crise économique du système occidental. Certains sous-continents du Tiers-Monde, tout comme l'Europe de l'Ouest, pourraient adopter ce système, en outre de plus en plus compatible avec l'état actuel des techniques énergétiques (énergies autoproduites) ; il a été par ailleurs démontré que seule la solution du développement autocentré pouvait combattre le sous-développement croissant du Tiers-Monde provoqué par le néo-colonialisme de l'économie de libre-échange. L'autarcie d'expansion est un outil privilégié dans la construction d'un équilibre de grands blocs géopolitiques.
◘ 4 - BIEN-ÊTRE
Version laïcisée par les idéologies occidentales de l'idéal chrétien du bonheur entendu comme félicité passive, le bien-être est une des finalités centrales de la société marchande.
Il repose sur la définition universaliste de besoins économiques et sociaux qui seraient propres à tous les humains. Quoique légitime comme fin seconde du politique, le “bien-être économique individuel” est devenu, dans une perspective réductionniste, la finalité centrale des États-providence contemporains, au détriment des dimensions historiques, politiques et culturelles de la vie des peuples. Il contribue à domestiquer ces derniers dans le consumérisme et à les transformer, conformément aux doctrines du progrès et du développement, en masse d'individus-consommateurs dont la seule aspiration légitime doit être la satisfaction de besoins matériels, définis a priori et posés comme des droits (des “droits de l'homme”). Il faut se demander sérieusement si le bien-être, par sa “mortelle tiédeur”, n'est pas le plus grand danger qui menace les peuples, en les incitant à démissionner de l'Histoire. Le bien-être c'est le “totalitarisme mou”.
Ensemble des sciences de la vie et de ses mécanismes micro-cellulaires de transmission de l'information et d'évolution, la biologie est venue contredire beaucoup d'axiomes de la conception-du-monde égalitaire.
La biologie a corroboré l'idée intuitive que les cosmogonies indo-européennes se faisaient de la vie (vitalisme tragique, infirmant dans chaque cas les conceptions issues du judéo-christianisme). La vie est conflictuelle, puisque la sélection, inter et intraspécifique y fonde le devenir des espèces comme la destinée des potentiels génétiques ; la vie est hiérarchisante, complexifiante, néguentropique à l'inverse de la convergence entropique — retour au chaos — qui caractérise la matière inanimée toujours en déperdition d'énergie : c'est une infirmation de la téléonomie judéo-chrétienne. La vie est évolutive selon un schéma non-linéaire, gaspilleuse ; ses phénomènes sont marqués par l'aléatoire, le schéma défi/réponse, la polarité hérédité/mutation qui correspond au couple tradition/innovation, c'est-à-dire conservation sélective d'informations/tentative risquée d'introduire de nouvelles informations. Bref, la vision d'une nature aléatoire, non-rationnelle, risquée, évolutive et d'un temps sphérique (sphère en expansion), et non pas linéaire-segmentaire, corrobore la conception traditionnelle indo-européenne du devenir.
En outre, la biologie peut maintenant être associée à la sociologie et à l'histoire, comme aux sciences politiques et économiques, ce que refusent toujours les idéologies dominantes, très mécaniscistes : en effet, le développement des cultures comme le fonctionnement des sociétés ou le déroulement de l'histoire suivent des processus métabiologiques (cf. organique et culture). c'est pourquoi nous entendons intégrer la biologie, en adoptant une perception globalisante (holiste) du fait humain, dans l'analyse sociale et politique (biopolitique). Par ex., la société marchande peut, entre autres, être dénoncée comme une pathologie de la domestication biologique, et la civilisation occidentale comme une pathologie de l'homogénéisation biologique de l'humanité, ou encore la divergence culturelle peut être décrite comme un impératif biologique (un fait bio-culturel). Notre volonté d'inclure la dimension biologique dans notre analyse des phénomènes et notre vue-du-monde s'accompagne évidemment d'un clair refus de tout réductionnisme biologique.
◘ 6 - BOURGEOISISME
Mentalité, attitude de l'esprit et, plus généralement, attitude devant l'existence, caractéristiques de la bourgeoisie, étendue à l'ensemble de la société moderne indépendamment des classes sociales. C'est donc plus un concept philosophique qu'un concept d'ordre sociologique ou économique.
Le bourgeoisisme désigne en fait les traits négatifs de l'esprit bourgeois dès lors qu'ils deviennent universels mais ne renvoie pas aux traits positifs de la “bourgeoisie entreprenante”, aujourd'hui en plein déclin. Le bourgeoisisme qui s'oppose à l'esprit populaire comme à l'esprit aristocratique, domine la société marchande et la civilisation occidentale : morale de l'intérêt, recherche individualiste du bien-être immédiat, réduction du lignage à l'héritage matériel, esprit de calcul, conception négociante de l'existence, ignorance du don, préservation parcimonieuse de la vie, refus du risque et de l'aléa, esprit d'entreprise limité à l'accroissement de richesse, désir de sécurité, tendances cosmopolites, indifférence aux attaches, aux enracinements et aux solidarités avec son propre peuple, détachement envers tout sentiment religieux de nature collective ou gratuite, ignorance complète du sacré. Le bourgeoisisme caractérise aujourd'hui, au-delà des étiquettes de “droite” ou de “gauche”, la plus grande partie de la société européenne.
Citation :
« Le bourgeoisisme lui-même, en tant qu'état humain qui subsiste à perpétuité, n'est pas autre chose qu'une aspiration à la moyenne entre les innombrables extrêmes et antipodes de l'humanité. Prenons pour exemple une de ces paires de contrastes telle que le saint et le débauché, et notre comparaison deviendra immédiatement intelligible. L'homme a la possibilité de s'abandonner entièrement à l'esprit, à la tentative de pénétration du divin, à l'idéal de la sainteté. Il a également la possibilité inverse de s'abandonner entièrement à la vie de l'instinct, aux convoitises de ses sens, et de concentrer tout son désir sur le gain de la jouissance immédiate. La première voie mène à la sainteté, au martyre de l'esprit, à l'absorption en Dieu. La seconde mène à la débauche, au martyre des sens, à l'absorption en la putrescence. Le bourgeois, lui, cherche à garder le milieu modéré entre ces deux extrêmes. Jamais il ne s'absorbera, de s'abandonnera ni à la luxure ni à l'ascétisme ; jamais il de sera un martyr, jamais il ne consentira à son abolition : son idéal, tout opposé, est la conservation du moi ; il n'aspire ni à la sainteté, ni à son contraire, il ne supporte pas l'absolu, il veut bien servir Dieu, mais aussi le plaisir ; il tient à être vertueux, mais en même temps à avoir ses aises.
Bref, il cherche à s'installer entre les extrêmes, dans la zone tempérée, sans orage ni tempêtes violentes, et il y réussit, mais au dépens de cette intensité de vie et de sentiment que donne une existence orientée vers l'extrême et l'absolu. On ne peut vivre intensément qu'aux dépens du moi. Le bourgeois, précisément, n'apprécie rien autant que le moi (un moi qui n'existe, il est vrai, qu'à l'état rudimentaire). Ainsi, au détriment de l'intensité, il obtient la conservation et la sécurité ; au lieu de la folie en Dieu, il récolte la tranquillité de la conscience ; au lieu de la volupté, le confort ; au lieu de la liberté, l'aisance ; au lieu de l'ardeur mortelle, une température agréable. Le bourgeois, de par sa nature, est un être doué d'une faible vitalité, craintif, effrayé de tout abandon, facile à gouverner. C'est pourquoi, à la place de la puissance, il a mis la majorité ; à la place de la force, la loi ; à la place de la responsabilité, le droit de vote.
Il est clair que cet être pusillanime, en quelque grande quantité qu’il existe, est incapable de se maintenir, qu’en raison de ses facultés il ne peut jouer dans le monde un autre rôle que celui d’un troupeau de brebis entre des loups errants. Néanmoins, nous voyons que, aux périodes de domination des natures puissantes, le bourgeois, bien qu’opprimé, ne reste jamais sur le carreau et parfois paraît même régir le monde. Comment est-ce possible ? Ni la quantité numérique du troupeau, ni la vertu, ni le sens commun, ni l’organisation ne seraient assez puissants pour le sauver de la mort. Aucune médecine au monde ne saurait garder en vie celui dont la force vitale, dès l’abord, est à ce point affaiblie. Cependant le bourgeoisisme existe, il est fort, il est prospère. Pourquoi ? » (Hermann Hesse, Le Loup des steppes)
Métamorphose du bourgeois, J. Ellul, Calmann-Lévy, 1967
J'accuse la bourgeoisie, (pamphlet) R. Poulet, Copernic, 1979
Kapitalismus als Kultur : Entstehung und Grundlagen der bürgerlichen Geselllschaft, D. & K. Claessens, Suhrkamp, Francfort/M., 1979
◘ 7 - CHRISTIANISME
Produit de la conception-du-monde judéo-chrétienne, le christianisme sous ses différentes formes est une religion qui s'est laïcisée en idéologies puis en comportement sociaux tout au long des Temps Modernes, avant de retourner aujourd'hui à sa matrice judéo-chrétienne et d'agir sous forme séculière.
Le christianisme religieux n'est plus dominant aujourd'hui. D'ailleurs, en raison de son dualisme originel (créateur séparé des créatures et infériorisation du réel et de la nature), le christianisme était une expression imparfaite du sacré et portait en germe nihilisme et athéisme. Le christianisme qui s'est historiquement exprimé en Europe dans la foi populaire, dans la théologie ou dans les arts, n'était pas “chrétien”, mais résultait d'un syncrétisme avec le paganisme. C'est ce dernier qui est responsable, paradoxalement, de ce qu'il y a de plus “religieux” dans l'expression mystique ou culturelle de la foi. Le catholicisme, notamment, dans ses rites, dans son panthéon, dans ses arts, dans son idéologie sociale — par ex. dans l'Europe médiévale — exprime davantage un psychisme païen que chrétien. L'Europe n'a été, de ce fait, réellement christianisée que tardivement : surtout au moment de la Réforme et de la Contre-Réforme (XVIe et XVIIe siècles), et lors de la laïcisation du christianisme en morale évangélique séculière, dans les idéologies égalitaires. Aujourd'hui déclinant en tant que rituel orthopraxique et système de croyances, le christianisme se distingue peu du judéo-christianisme. Chrétiens, libéraux, marxistes, et autres héritiers de la conscience christianomorphe se regroupent autour de l'évangile laïc de la philosophie des droits de l'homme, expression synthétique de l'idéologie occidentale et légitimation de l'individualisme marchand pour désigner l'ennemi commun : les opposants à la “société ouverte”.
L'idéologie de la césure au sein de la Modernité est néanmoins considérée par certains comme relevant d'une autonomisation de la catégorie d'individu par rapport au religieux. En ce sens dans la perspective critique exposée ci-dessus, c'est moins la religiosité chrétienne qui est visée qu'une certaine logique historique de la pensée occidentale. Il est évident que pour cette dernière le processus de sécularisation amorcé à la fin du Moyen-Âge a rompu l'unité en voie d'accomplissement que portait la civilisation européenne et l'a ouvert à cette force de rupture qu'est l'Histoire. Une fois la totalité antique/médiévale éclatée, les mini-totalités éparses ont voulu se hisser au niveau d'une totalité globale. Résultat : l'avènement d'identités (d'uniformités) homogénéisantes, rigides, improductives, non irriguées par la différence symbolique. L'avènement des identités homogénéisantes engendre un désordre constant de rigidités juxtaposées. Ces rigidités, à leur tour, suscitent la critique. Et l'instrument critique, mis en avant par les tenants de l'Aufklärung, qui ont voulu en faire une "police du savoir", enregistre toujours, dans un premier temps, quelques succès périphériques, avant de retomber impuissant ou, pire, de refouler encore davantage l'horizon du symbolique. La critique, en effet, cherche à éradiquer la "différence symbolique" (ou à l'intégrer) et, pour combler le vide que laisse cette dernière, elle suscite l'apparition d'une prolixité inflationnaire de différences superficielles, dépourvues de signification et de sens (en l'occurrence des produits de consommation, des données statistiques, des informations médiatiques, etc.).
◘ 8 - CIVILISATION OCCIDENTALE
Civilisation mondiale fondée sur la déculturation de tous les peuples et l'élimination de la notion de communauté populaire (ethnocide), visant à établir un mode de vie et une idéologie planétaire en universalisant le modèle de la société marchande occidentale, de son égalitarisme, de son réductionnisme économiste, et de la philosophie des droits de l'homme.
Jadis prolongement naturel de l'Europe, la civilisation occidentale se retourne contre elle et peut lui être funeste, ainsi qu'aux autres cultures. Devenue système, elle a son centre impulseur aux États-Unis, néanmoins de plus en plus relayé par les autres pays industriels qui véhiculent à leur tout l'américanisme culturel ou/et économique (ou une autre culture américanomorphe). Liée au développement d'un marché mondial, elle est aussi bien portée par les régimes libéraux que sociaux-démocrates ; compatible avec les États-Providence et le social-étatisme, elle s'inscrit dans l'essor d'un nouveau capitalisme transnational, technocratique et non-patrimonial.
Pendant la Guerre froide, l'opposition entre Est & Ouest, “Occident” & système soviétique, a correspondu partiellement à une connivence géopolitique, un conflit-coopération destiné à empêcher l'émergence des volontés nationales et notamment de la puissance européenne comprise. Aujourd'hui, l'atlantisme, vecteur d'un monde unipolaire américanocentré, continue à faire de l'Europe un nain politique et l'éloigne de tout projet eurasien.
Facteur de fin de l'histoire, la civilisation occidentale doit cesser d'être défendue par les consciences européennes évoluées. Elle doit même leur apparaître comme le principal obstacle à une prise de conscience devant permettre aux peuples européens de (re)trouver leur identité et d'assumer leur destin.
◘ 9 - COMMUNAUTÉ
Groupe humain dont les liens internes, de caractère global et organique, sont structurés par le sentiment d'une commune appartenance, d'un héritage et d'un vouloir vivre collectif, par opposition aux liens contractuels, individuels et intéressés qui régissent la “société”.
La communauté est, éthologiquement, le mode de regroupement humain le plus naturel mais aussi celui qui permet le plus l'expression d'une culture. Parce qu'elle est homogène sur le plan ethno-culturel, la communauté préexiste à ses propres formes d'organisation, à l'inverse de la société ; mais elle n'existe jamais à l'état pur et inclut de ce fait des rapports sociétaires. On parlera donc de modèle (et non d'utopie) communautaire. Ce modèle, qui peut aller de la nation (communauté du peuple) à la famille, en passant par la confrérie (communauté de foi), l'armée (communauté de combat), l'entreprise (communauté de travail), s'oppose radicalement aux modèles sociétaires des idéologies dominantes marquées par l'individualisme et l'égalitarisme unilatéraux propres aux doctrines du “contrat social”. Dans le modèle communautaire, les rapports humains sont pluridimensionnels et organisés selon une structure holiste : la communauté est à la fois affective, rationnelle, hiérarchisée, pluri-fonctionnelle ; elle a une histoire et un destin, et ne se limite pas au présent. Son être transcende les existences individuelles et leur donne un sens. La notion de service communautaire, de devoir communautaire est au centre de nos valeurs éthiques. Le modèle communautaire, qui a toujours tenté les doctrines de gauche les moins dogmatiques, constitue une réponse appropriée au nihilisme croissant de la société marchande.
◘ 10 - CONCEPTION DU MONDE
Ensemble des valeurs, des idées, des idéaux et des interprétations du réel, fédérés et organisés par un sens, implicites et explicites, affectifs et intellectuels, propres à une communauté, à un peuple à un système idéologique ou religieux.
Proche des vocables de vue-du-monde ou de vision-du-monde [Weltanschauung], qui en désignent plutôt l'aspect affectif et intuitif, la conception-du-monde forme le soubassement des cultures et des formes de civilisation. Lieu où agit l'inconscient collectif, la conception-du-monde est directement influencée par la biologie et l'anthropologie du groupe qui la porte, et elle constitue la véritable infrastructure des institutions, du politique, de l'économie, etc. (et non pas l'inverse comme dans les schémas marxistes ou libéraux où elle n'est perçue que comme une superstructure. Une même conception du monde peut donner lieu à différentes idéologies, qui peuvent s'opposer, mais qui sont l'expression du même projet historique et social. Le concept de conception-du-monde permet donc de mettre en lumière la parenté fondamentale des idéologies occidentales, apparemment antagonistes, mais dont les postulats (cf. individualisme et égalitarisme) sont communs.
Deux conception-du-monde s'affrontent dans notre monde depuis bientôt 2 millénaires : l'une, christianomorphe, c'est-à-dire centrée autour de la sensibilité et de l'enseignement du judéo-christianisme, a donné lieu à toutes les idéologies égalitaires aujourd'hui dominantes ; l'autre, d'origine indo-européenne, bien que politiquement et historiquement censurée, s'est constamment exprimée dans la culture, la philosophie et l'art européens. Avec Nietzsche, elle a accédé à la formulation consciente.
Kursbuch der Weltanschauungen (Schriften der Carl Friedrich von Siemens Stiftung), hrsg. von A. Peisl & A. Mohler, Bd 4, Ullstein, Berlin, 1980
◘ 11 - CULTURE
Spécifique de l'humain, la culture, partie intégrante de la nature physiologique de l'homme, est la “grille” à travers laquelle nous interprétons le monde, étant dépourvus de comportements programmés (néoténie). Chaque groupe, chaque peuple, se construit, de ce fait, sa culture spécifique, en fonction de son hérédité et de son milieu.
L'homme est biologiquement programmé pour ajouter à ses comportements innés de comportements culturels. La culture est donc, comme le potentiel génétique, susceptible de sélection et d'évolution. L'histoire caractérise précisément le mouvement évolutif d'une culture. Le terme “civilisation” désigne l'aspect extérieur, matériel de la culture ; cette dernière touche aussi bien au langage qu'à la gestuelle, aux arts, à l'idéologie, du plus simple au plus complexe. L'humanité a biologiquement besoin de cultures différentes et divergentes. D'autre part, chaque groupe ethnique est adapté, conformé pour et par sa propre culture, même si elle évolue. D'où le danger de l'acculturation (adoption de l'ensemble d'une culture étrangère) ; d'où l'erreur d'opposer culture (acquise) et nature biologique (innée) : la biologie héritée d'un groupe et sa culture reçue sont, en effet, en constante interaction. Les cultures peuvent s'influencer tout en restant elles-mêmes, mais en se fondant dans la même culture unique comme aujourd'hui, l'humanité est menacée d'involution. Pour nous, défendre et promouvoir une culture européenne spécifique, ce n'est pas revendiquer un “superflu”, un “ornement”, mais c'est tenter de conserver l'essentiel de ce que nous sommes. Déculturé, un homme n'est plus lui-même : pire, il perd une partie de son humanité même. C'est sur le terrain culturel que se joue aujourd'hui l'avenir des peuples européens. C'est pourquoi nous avons choisi de nous battre sur ce terrain de lutte.
◘ 12 - DÉMOCRATIE
Type d'organisation politique et sociale fondée sur la représentation égalitaire et individuelle des membres d'une population, et sur la définition de la souveraineté comme service des besoins des masses.
Les démocraties modernes, apparues au XVIIIe siècle sous l'impulsion de l'idéologie des Lumières et des doctrines du Contrat social, opèrent à la fois une sécularisation de l'individualisme égalitaire du judéo-christianisme et une application à l'ensemble de la société du modèle de l'homo œconomicus rationnel et calculateur. En ce sens, elles atomisent les sociétés (cf. droits de l'homme, société marchande, libéralisme). Les démocraties actuelles, dont le modèle se trouve aux États-Unis, n'ont rien à voir avec le modèle démocratique originel scandinave, germanique, hellénique ou romain qui était fondé sur la participation des clans (démoï) au pouvoir. Le démocratisme actuel s'étend à toutes les sphères de la société : par ex., le féminisme, la “démocratie sexuelle” qui impose à tous un devoir hygiéniste d'orgasme qui est aussi un “droit universel”, etc., sont des avatars de la mentalité démocratique.
Bien que le régime juridique de la démocratie soit l'un des universaux du droit international actuel, et à ce titre déculturant et ethnocentrique, (cf. civilisation occidentale), la démocratie entre aujourd'hui en crise : elle donne lieu à la technocratie, elle perd sa légitimité morale et n'est pas exempte de totalitarisme. C'est pourquoi, s'opposer à la démocratie occidentale sera de moins en moins perçu comme une cynique apologie des tyrannies ; il faut user de la critique de la démocratie sous forme, notamment, d'une dénonciation de l'”oppression démocratique”. La démocratie organique (à opposer à la démocratie individualiste et massifiante), qui suppose et inclut le principe de hiérarchie fonctionnelle, ne pourra exister, un jour, que dans une communauté du peuple ayant retrouvé le sens de son destin historique.
◘ 13 - DÉSINSTALLATION
Capacité — fondée sur la curiosité, l'esprit d'aventure et de conquête — de sortir de son propre cadre de vie tout en restant fidèle à soi-même et à son héritage.
L'esprit bourgeois est cosmopolite et en même temps installé ; l'esprit aristocratique est enraciné et désinstallé. Les Bororos d'Afrique sont installés et enracinés. La désinstallation a été la marque faustienne des cultures historiques européennes. Conquêtes, découvertes scientifiques, assaut technique sur la nature, grandes aventures individuelles et collectives des “découvreurs et conquérants” procèdent de la désinstallation. Sans elle, l'enracinement devient enfermement et fin de l'histoire (l'esprit du pétainisme vichyssois — “le retour à la terre-qui-ne-ment-pas”, “la France seule” — très influencé par une droite chrétienne et réactionnaire, est une bonne illustration d'une idéologie du renoncement et du masochisme culpabilisateur justifié par l'enracinement).
« V. Pareto : “Le traité de sociologie générale”, présentation et interprétation », B. Marchand, Nouvelle École n°36, 1981
◘ 14 - ÉCONOMISME
Réduction à l'économie des finalités sociales et des buts du politique, caractéristique des idéologies occidentales.
L'économisme qui provient au départ du libéralisme classique (XVIIe et XVIIIe siècles) a été repris par toutes les doctrines socialistes. Dans l'optique économiste, l'histoire est d'abord expliquée par le régime économique, considéré comme infrastructure des civilisations. Les fonctions sociales disparaissent au profit des classes économiques. Un “bon” système économique est censé entraîner le progrès dans tous les autres domaines (cf. réductionnisme). Individualiste, l'économisme pose l'homme comme homo œconomicus, à la recherche de la maximisation calculée de son bien-être économique. Véritable monothéisme de l'économie, aux accents totalitaires, l'économisme est compatible aussi bien avec une économie étatisée (étatisme, social-étatisme) dans laquelle l'État omniprésent se fait gestionnaire de l'économie au détriment de ses autres fonctions (cf. souveraineté) qu'avec les doctrines libérales pures de l'Anti-État dans lesquelles ne subsiste qu'une société réduite au rôle d'un marché. La civilisation occidentale, comme la philosophie des droits de l'homme nourrissent un projet économiste, visible dans la doctrine progressiste du développement. Mais comme on le voit aujourd'hui, l'économisme ne produit pas un “bonne économie” ni le “développement” souhaité. La réponse à l'économisme n'est pas l'anti-économie, mais une conception fonctionnelle et organique de l'économie, considérée comme un instrument de puissance et de prospérité au service des valeurs non-économiques, et non pas comme une finalité (cf. autarcie).
◘ 15 - ÉGALITARISME
Position de principe de type axiomatique caractéristique de toutes les idéologies occidentales, héritée de la morale judéo-chrétienne et considérée aujourd'hui comme projet de société, selon laquelle tous les hommes seraient pas essence égaux dans l'équivalence absolue.
L'égalitarisme est un dérivé de l'individualisme chrétien. Le judéo-christianisme pose au départ les hommes comme égaux devant Dieu, comme sont égaux des “grains de poussière”, des insignifiances, face à la Loi divine. Différences et appartenances sont ravalées au rang des réalités provisoires, éléments d'un ici-bas éphémère et méprisable. À partir du XVIIe et du XVIIIe siècle, les doctrines sociales vont séculariser cette égalité théologique en égalité des droits face à un État niveleur ; à partir du XIXe siècle on exigera l'égalité des résultats. L'égalitarisme social débouche aujourd'hui sur l'anonymat des sociétés de masse et légitime en fait les inégalités économiques. Fausse justice, l'égalitarisme contredit dans les faits l'égalité des chances ; il nivelle et homogénéise l'environnement sans rien changer à la nature inégalitaire de la situation humaine. La notion d'égalité en revanche, semble admissible au pluriel (les égalités), comme un valeur située sur une échelle hiérarchique d'autres valeurs dépendant des circonstances. L'équité sociale ne passe pas par l'égalitarisme, qui réifie (”chosifie et robotise”) les hommes, mais par l'organisation d'égalités et d'inégalités conformes au réel. Ainsi, dans le domaine de l'enseignement, l'État doit assurer une réelle égalité des chances au départ pour permettre une fructueuse inégalité des résultats à l'arrivée.
L'inégalité de l'homme, Hans J. Eysenck, Copernic, 1977
Der Mythos der Gleicheit, Dieter E. Zimmer, Piper Vg, Munich, 1980
« L'égalitarisme bourgeois », L. Chanteloup, in : éléments n°28/29, 1979
Die Wiederentdeckung der Ungleicheit, C.D. Darlington, Umschau Vg, Francfort/M., 1980
« Le totalitarisme égalitaire », A. de Benoist, in : Les idées à l'endroit, Hallier, 1979, pp. 159-162
« Les néo-conservateurs américains, exemple de contradictions internes de l'idéologie égalitaire », G. Faye, in : Orientations n°6, 1985
◘ 16 - ÉLITE
Catégorie sociale “dirigeante” au sens très large du mot, sans préjuger de sa légitimité. L'élitisme désigne toute doctrine qui entend réserver à une “élite” le monopole d'une détention, d'une consommation, d'une production, etc.
Élite et élitisme sont 2 termes assez neutres. Tout groupe humain, quel qu'il soit, est pourvu d'une élite et applique à quelque niveau, partiellement ou pas, consciemment ou pas, explicitement ou pas, l'élitisme. Le problème est celui de la légitimation de l'élite. L'éthologie humaine nous enseigne que la hiérarchisation des sociétés génère des élites. Les sociétés égalitaires appliquent l'élitisme en le refusant théoriquement : d'où des schizophrénies sociales : d'autre part, influencées par l'économisme libéral ou marxiste, elles réduisent l'élite aux classes socio-économiques (cf. bourgeoisisme). La société contemporaine manifeste d'autre part une réticence à une indispensable circulation des élites, du fait de cet économisme mais aussi d'une trop grande rationalisation des processus de sélection sociale. La démocratisation ralentit la promotion sociale de même que la culture de masse qui en résulte empêche le recrutement des élites populaires virtuelles. Nous devons nous prononcer pour une égalité des chances et une méritocratie — une aristocratie populaire, basée sur la notion de devoirs (et non de droits) et donc de service communautaire. Les élites actuelles ne nous semblent pas correspondre à une hiérarchie fonctionnelle (cf. fonction) souhaitable.
◘ 17 - EMPIRE
Conception d'organisation de la politique et de la souveraineté conforme à des principes organiques, conciliant à la fois la Puissance unifiante de la fonction souveraine et la diversité vivante de la société, de la culture, de l'économie et de l'espace. L'Empire tout à la fois transcende et garantit les diversités.
L'Empire est pour nous à la fois un mythe à régénérer et à appliquer à l'Europe à partir des exemples macédonien, romain, germanique, et une philosophie politique et géopolitique. Mais nous n'entendons pas en faire une utopie en la réduisant à une description institutionnelle ou à un programme. Notre vision impériale comporte 3 axes :
• 1) L'Empire unifie autour de la fonction première de toute société équilibrée, la fonction de souveraineté, ce qui relève de l'essence du politique et de la conscience historique, donc du destin ; pour le reste, il préserve la diversité de toutes les autres fonctions, des institutions, etc., qui n'ont pas d'incidence directe dans ces 2 domaines. L'Empire fédère mais n'homogénéise pas, au contraire de la “Nation”.
• 2) En deuxième lieu, son existence ne se justifie que par la recherche de la puissance et de la grandeur culturelles et historiques des peuples qu'il rassemble en une communauté politique. En revanche, ce qui relève du bien-être et du “social” regarde les institutions propres des peuples mais pas l'instance impériale.
• 3) En troisième lieu, puisqu'il est, selon nous, par nature ouvert sur le monde, prêt à y jouer un rôle à la mesure de sa puissance et non exclusif des autres entités politiques ou culturelles, l'Empire est universel mais non universaliste, car les peuples qui le constituent, dans notre conception tout au moins, n'ont pas de vocation à s'étendre à toute la Terre, ni territorialement ni ethniquement. En ce sens, l'Empire n'est pas républicain, au sens français ou américain, et se distingue du système occidental actuel qui entend, au contraire, inclure et homogénéiser tous les peuples. Empire ne signifie pas impérialisme. L'Empire, selon notre conception, n'inclut et ne prend en charge le destin que des seuls peuples qui peuvent, historiquement, ethniquement et culturellement, se dire et se sentir parties de la même communauté. Nous pensons que ce “sentiment” est historialement fondé à surgir en Europe, Est & Ouest unis/réunis. Une Europe dont les “nations-États”, au sens des idéologies actuellement dominantes, ne nous paraissent pas légitimes. En effet, à nos yeux, seule une Europe impériale structurée par le maillage des régions ethniques nous semble, à terme, viable et donc légitime. Historiquement, la notion d'Empire a toujours eu contre elle, d'une part, le pouvoir théocratique et le pouvoir marchand (l'un et l'autre foncièrement cosmopolites), et d'autre part, le principe de l'État-Nation dont la logique est fondamentalement sécessionniste, centralisatrice, homogénéisante et réductrice, et dont l'esprit très “provincial” génère le chauvinisme de bête à cornes. Cette idée impériale, nous voulons aujourd'hui la reprendre à notre compte, en lui donnant le sens de mouvement que lui conférait déjà Moeller van den Bruck.
◘ 18 - ENRACINEMENT
L'enracinement est la qualité d'hommes et de groupes fidèles à leurs attaches et à leurs héritages territoriaux, culturels et historiques. L'enracinement s'oppose au cosmopolitisme de la civilisation occidentale.
Ce cosmopolitisme provient de l'universalisme chrétien, qui a historiquement débouché sur le règne conjoint de l'individu et de la masse, au détriment de toute appartenance intermédiaire. De notre point de vue, le dynamisme créateur et les œuvres culturelles de portées mondiale ne peuvent être qu'enracinés. À une époque où le mondialisme arase les spécificités en un Système planétaire, l'enracinement constitue une réponse globale aux pathologies — sociales, économiques, physiologiques, culturelles, etc. — d'une civilisation mondiale paralysée et cancérisée. Il faut néanmoins se méfier des récupérations de l'enracinement comme immobilisme muséifiant, comme folklore ou comme fin-de-l'histoire, opérées par les idéologies occidentales. L'histoire européenne se fonde en effet sur un mode d'enracinement qui suppose conquête et désinstallation.
L'enracinement, d'autre part, ne saurait être considéré comme un passéisme ; sa modernité lui est rendue notamment par les nouvelles technologies et les nouveaux modèles économiques qui insistent sur le développement autocentré et les autarcies territoriales. L'enracinement est donc pour nous d'abord enracinement dans une culture. C'est une notion dynamique, en relation directe avec la nécessité de l'actualisation d'un héritage.
◘ 19 - ETHNOPLURALISME
L'ethnopluralisme est la reconnaissance de la diversité ethnique de l'espèce humaine, de la nécessite biologique et culturelle de préserver des groupes ethniques différents en accordant à chacun d'entre eux sa valeur propre et spécifique. Fondé sur un point de vue anti-totalitaire, anti-universaliste et nominaliste, l'ethnopluralisme s'oppose à l'indifférenciation de la civilisation occidentale. Il suppose, à l'inverse de toute tradition monothéiste, que n'existe aucun critère de comparaison universel entre les cultures et les substrats anthropologiques des populations, que l'assimilation et l'acculturation à un modèle ethno-culturel homogène et unique constituent des facteurs d'ethnocide nuisibles aux groupes visés comme à l'espèce entière. Par suite, l'ethnopluralisme est la réponse au racisme de supériorité comme au racisme d'assimilation. Il est la meilleure riposte au projet de nivellement mondialiste que véhicule la société marchande.
◘ 20 - ÉTHOLOGIE
L'éthologie est la science comparative des comportements animaux et humains qui intègre leur dimension biologique et les explique, notamment, par l'évolution (phylogenèse). Fondée au début du XXe siècle par Jacob von Uexcküll et représentée entre autres par K. Lorenz et I. Eibl-Eibelsfeldt, l'éthologie est venue ruiner les conceptions égalitaires et environnementalistes de l'anthropologie. Parmi ses principaux enseignements, retenons : l'homme est un primate prédateur, muni d'une part intégralement animale qu'il dépasse néanmoins, doté d'une pulsion agressive, d'un sens territorial, d'une spécialisation hiérarchique héritée du monde animal et plus puissante encore dans l'espèce humaine que dans les autres espèces animales. D'autre part ces dispositions sont innées et non pas acquises : l'instinct est constitué par une pulsion innée mise en œuvre par un indispensable programme comportemental dont la culture fixe les schémas (cf. homme, hominité, humain).
Notre conception, scientifique et moderne, des “sciences humaines” nous fait mettre en relation l'éthologie avec la politologie et la sociologie, à la différence des tendances académiques actuelles pénétrées de marxisme, qui refusent toute réflexion véritablement interdisciplinaire.
◘ 21 - EUROPE
Terre qui porte notre peuple, l'Europe est notre patrie, c'est-à-dire le sol, l'espace de notre enracinement, l'entité dont nous entendons faire un sujet de l'histoire, et la culture que nous voulons défendre et poursuivre. L'Europe est la valeur centrale de notre conception-du-monde.
Aujourd'hui, dans un monde planétarisé, l'Europe peut prendre conscience de son unité. Le cosmopolitisme occidental, comme l'évolution actuelle du christianisme, la dégagent de l'Occident chrétien et lui permettent de se reconnaître dans une culture indo-européenne commune, sa mémoire fondatrice la plus profonde. Les divisions politiques et économiques de l'Europe ne sont pas un obstacle mais une difficulté, une menace et un défi qu'il faut utiliser pour cette prise de conscience identitaire. Une régénération, une “nouvelle fondation” de l'Europe, événement historial, commence par la définition d'une conception-du-monde commune, ce qu'ils s'emploient à faire au-delà de toute entreprise politicienne (cf.métapolitique). L'Europe a aujourd'hui un intérêt commun avec les peuples du Sud, en proie, eux aussi, à la civilisation occidentale. Pendant la Guerre froide, l'ennemi de l'Europe a été le système conjoint des blocs (États-Unis et URSS) qui en firent leur échiquier de conflit-coopération, qui la divisèrent pour affaiblir la puissance qu'elle constitue virtuellement ; aujourd'hui il se manifeste principalement dans cette logique américanocentrée hostile à tout monde multipolaire et bras armé du système à tuer les peuples.Toute entreprise qui permettrait la constitution de l'Europe en un bloc autocentré a la faveur des nationalistes européens. En ce sens, certains d'entre eux, inspirés par les thèses de la Nouvelle droite, formulent 4 propositions susceptibles de guider une réflexion sur le problème européen :
• 1 : L'État-Nation tue toute évolution vers une unité européenne de type impérial. On ne peut construire notre unité qu'en s'opposant de façon claire et radicale aux structures libérales-jacobines. L'État-nation favorise notre division donc notre position d'infériorité. Face aux superpuissances, il est indispensable de réaliser notre unité, garante de notre indépendance.
• 2 : L'Europe sera impériale ou ne sera pas. L'Empire est la forme et l'essence de notre devenir historique. Ce concept est à la fois spirituel et organique. Il assure la nécessaire cohésion pour notre défense, représente un front uni dans nos relations internationales. Concept organique, l'Empire respecte les identités dont l'Europe se compose, tout en symbolisant sa spécificité universelle.
• 3 : L'Empire est un composé de “régions ethniques” qui, à leur niveau, sont des éléments essentiels de son existence. Dans cette optique, les “jeunes nationalismes” européens sont des mouvements positifs, puisqu'ils donnent à chaque peuple d'Europe le sens de son enracinement, de ses racines culturelles. Ces luttes, telles qu'elles sont menées par les Irlandais, les Basques, les Corses, les Bretons, etc., sont des tentatives historiques de destruction des États-nations, donc de destruction des relais du système occidental. Conjuguées avec une idéologie impériale européenne, elles sont les avant-gardes de notre unité.
• 4 : L'Empire européen sera le cadre historique des peuples-régions ou régions ethniques dont les contours se dessinent aujourd'hui. Il convient que les partisans de ce projet hautement traditionnel soient conscients de la stratégie à suivre.
◘ 22 - ÉVOLUTION
L'évolution ou phylogenèse, désigne, selon les découvertes du darwinisme, la métamorphose complexificatrice des espèces et l'apparition de nouvelles espèces, provoquée par la double pression des mutations génétiques et de la sélection adaptative.
L'évolution n'est pas linéaire ni téléonomique — c'est-à-dire orientée en vue d'une finalité. Elle peut se comparer à une sphère en expansion dans tous les sens, selon les hasards et les aléas des patrimoines génétiques et du milieu. Elle semble obéir à une coopération de principes dionysiaques — fulguration des mutations et des naissances de nouvelles formes — et apolliniens — sélection et organisation des formes. L'évolutionnisme corrobore les cosmologies indo-européennes — qui en sont une traduction imagée, poétique et mythique. L'évolution ne laisse apparaître aucune raison en œuvre dans son procès : elle est risquée, gaspilleuse ; dionysiaque, elle ne connaît ni fatigue ni désespoir ; elle ne se “suicide” jamais, ayant toujours une réponse pour chaque impasse. L'évolution culturelle, comme l'évolution phylogénétique, procèdent par accumulation d'“informations” et donc de “programmes d'action” possibles ; c'est la néguentropie, principe inverse de la déperdition d'énergie et de l'homogénéisation d'informations qui régit la matière inanimée (entropie). À l'accumulation d'informations que nous héritons de l'évolution, la culture ajoute un patrimoine acquis, mais qui peut se perdre (domestication). L'évolution est la clef de la vie ; cette constatation est à la base de notre vue du monde.
◘ 23 - FONCTION
Type et genre d'activité nécessaire à la vie d'un groupe, présent à tous les niveaux de sa hiérarchie, organiquement inséré de manière subordonnante dans le “tout” formé par les autres fonctions.
La tripartition indo-européenne, comme les institutions d'une société organique, comme les modèles sociaux qui rejettent la société marchande et les philosophies sociales mécanicistes et économistes du libéralisme ou du marxisme, se réfèrent aux fonctions plutôt qu'aux classes ou aux catégories économiques. Les ensembles humains sont envisagés comme des ensembles vivants (cf. holisme) plurifonctionnels ; d'une part, chaque fonction se trouve représentée au sein de chaque “spécialité” : il existe par ex., selon les circonstances, une “fonction politique” ou une “fonction marchande” de l'industrie ou des exportations ; la fonction souveraine peut être présente au sommet de l'État comme dans les corps intermédiaires, etc. En deuxième lieu, nous pensons que la fonction souveraine doit dominer les autres et les innerver de ses valeurs. Bref, si la fonction ne se confond pas avec les institutions ni avec les classes ; le point de vue fonctionnaliste ne nie absolument pas les réalités et l'importance de ces dernières, mais il subordonne tous les découpages rationnels, économiques ou professionnels de la société à l'idée de fonction. L'individu trouve la justification de sa vie en raison de la fonction qu'il occupe au sein de la communauté.
◘ 24 - GÉOPOLITIQUE
En tant que théorie, la géopolitique constitue la branche de la science politique qui étudie les rapports complexes existant entre les catégories de phénomènes relevant du politique ou ayant des implications politiques et la multiplicité des configurations spatiales de la surface terrestre, ou encore, en d'autres termes, c'est une méthode qui cherche à établir la part active prise par la géographie dans la détermination des événements politiques et historiques mondiaux ; en tant que pratique, elle inspire la stratégie politique des puissances appliquées à la maîtrise de l'espace continental et océanique.
Condamnée, dénigrée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale parce qu'elle avait trop ouvertement justifié les entreprises militaires du Troisième Reich, la géopolitique réoccupe aujourd'hui en force toute la place qui lui revient dans le domaine de la réflexion politiques. Elle n'avait d'ailleurs jamais cessé — en sous-main — d'être actuelle. Mieux, ce sont ses principes mêmes qui permirent aux Super-Grand de bâtir leur puissance et de triompher en 1945. Et le plus fondamental de ces principes pose la relation étroite existant entre puissance et espace. Aussi, le dernier grand conflit opposa-t-il en fait des peuples pauvres en espace — les puissances de l'Axe — à d'immenses empires territoriaux et maritimes — l'Union soviétique et les États-Unis, ces derniers prenant la relève d'une Grande-Bretagne en déconfiture — qui entendaient bien conserver l'avantage stratégique essentiel que leur conférait le contrôle de vastes espaces et renforcer une hégémonie contestée par leurs adversaires. Ainsi, dès le début du XIXe siècle, l'Union des 13 colonies révoltées contre l'Empire britannique s'assigna clairement comme but la domination totale du continent américain — au prix de l'extermination des Peaux-Rouges et d'une politique de conquête, contre les Anglais, les Espagnols, les Mexicains, etc. — afin d'en faire une base inexpugnable d'une thalassocratie mondiale dont Alfred Mahan se fit le théoricien : la doctrine de Monroe (“l'Amérique aux Américains”, 1923 : un modèle d'analyse avant la lettre !) fut avant tout une déclaration de guerre à l'Europe — guerre dont le premier acte décisif s'acheva par l'invasion de 1944, préméditée de longue date. Quant à l'Empire russe, son expansionnisme séculaire se résume en 2 séries de chiffres. Jusqu'en 1667, la frontière de l'Europe (Pologne) se trouvait à 220 km de Moscou ; en 1945, l'armée rouge s'est arrêtée à moins de 600 km de Paris. En 278 ans, donc, la marée russe s'est enfoncée en Europe sur plus des trois quarts de la distance Paris-Moscou (2.500 km). Plus probant encore : depuis 1462, l'empire moscovite s'est agrandi en moyenne de plus de 130 km2 par jour !
Dès lors, pour mettre en cause les enseignements de la géopolitique et, en premier lieu, l'importance primordiale de la dimension spatiale, il faut être aveugle ou de très mauvaise foi — comme les oligarchies d'affairistes et de vaincus professionnels qui prétendent nous gouverner tout en prenant leurs ordres à Washington, et qui, obéissant à une logique toute occidentale, se montrent toujours prêtes à l'abandon quand il s'agit des possessions ou des intérêts européens dans le monde. À l'heure présente, aux yeux de l'observateur averti, les slogans fatigués de déphasés des idéologies occidentales, tels le catéchisme des “droits de l'homme”, cachent de plus en plus mal ces aiguillons omniprésents de la politique mondiale que sont le désir d'hégémonie et la volonté de contrôler des positions stratégiques. Car quels que soient les paravents invoqués, la politique des puissances inclut toujours la lutte pour l'espace — qu'il faut conquérir, conserver, exploiter et, si possible, ne jamais céder. La raison évidente en est que l'espace constitue le support, le théâtre, de toutes les actions humaines, qu'il conditionne le destin des peuples — par ses dimensions, ses ressources, sa conformation et sa situation — et que, pour tout dire, il est la base même de la vie. Sans oublier que, l'histoire étant par excellence le lieu de l'inattendu, l'espace constitue la seule grandeur fixe et prévisible dans l'équation de la politique mondiale.
Cependant, une mise en garde s'impose. En effet, si le rôle capital du facteur spatial mérite d'être mis en lumière, il ne faudrait pas pour autant tomber dans le piège réductionniste du déterminisme géographique, à la façon d'un certain dogmatisme fréquent chez les premiers géopoliticiens. En la matière, il ne saurait y avoir d'absolu : le terme même de géopolitique renvoie à l'idée d'une combinaison active de facteurs géographiques et politiques — c'est-à-dire humains — en interaction permanente. Or, la diversité, le nombre, la taille des phénomènes d'ordre géographique sont infinis et leurs configurations spatiales, qui varient souvent avec le temps, se superposent sans presque jamais coïncider. D'autre part, l'homme du fait de son “programme ouvert” de comportement et de sa variabilité culturelle, s'accommode des données de la géographie de très diverses manières. Les choix dépendent de la culture, de l'idéologie, du niveau technologique des groupes humains. Quelques agents physiques — géologiques, climatiques, etc. — ne sauraient suffire à expliquer le déroulement de l'histoire ; ils lui imposent seulement un cadre plus ou moins contraignant.
La réalité est beaucoup plus complexe et un contexte géographique identique peut induire des solutions géopolitiques fort différentes, voire même inverses. En un mot, l'esprit commande et dispose là ou la nature propose, de telle sorte que la géopolitique invite à une vision possibiliste de l'histoire plutôt que déterministe. Et c'est pourquoi le combat des idées garde toute son importance, car toute politique vise des hommes, qu'elle veut saisir, et les espaces, qu'elle veut occuper : géostratégie et psycho-stratégie ne sont que des aspects d'une même réalité.
Conçue et affinée depuis la fin du siècle dernier par des hommes tels que Ratzel, Reclus, Kjellen, Mackinder et Haushofer (bien que Grecs et Romains n'en aient pas ignoré certaines prémices), la géopolitique connaît aujourd'hui un regain de vitalité, et ceci en contradiction avec les idéologies mondialistes et universalistes. En effet, faire de la géopolitique, c'est implicitement admettre que les peuples luttent pour la possession de l'espace (impératif territorial).
Actuellement, on assiste à une amplification de ce type de conflit : lutte pour le contrôle des voies maritimes, pour les gisements de ressources primaires, pour les espaces maritimes fermés, etc. Le regain de pratique géopolitique des États, comme le récent succès de cette discipline dont les présupposés corroborent notre vision du monde et des relations internationales, attestent d'une échec du “projet libéral” de “pacification” et d'unification homogénéisante de la Terre. Les grandes tendances des mouvements géopolitiques contemporains sont : la conscience de solidarités continentales dans le Tiers-Monde, l'opposition croissante “Ouest-Ouest” et la divergence d'intérêts entre les États-Unis et l'Europe, et, d'une manière générale, l'infirmation de la “solidarité atlantique” et de l'homogénéité occidentale.
La géopolitique permet de repenser les ensembles humains comme des “blocs ethno-politiques territoriaux”. L'unité géopolitique de l'Europe s'oppose directement à à toute ingérence comme celle atlantiste ou comme autrefois au partage entre Soviétiques et Américains auquel elle avait dû se soumettre. Les enjeux géopolitiques sont les enjeux décisifs dans l'histoire des sociétés.
◘ 25 - HISTOIRE
Conscience, apparue au sein de la culture européenne, de l'émergence du destin d'un peuple dans le temps.
La dimension historique est spécifiquement humaine : elle est conscience du temps et de l'espace. L'historicité et la conscience historique sont le lieu premier d'affrontement de la conception-du-monde christianomorphe et de la conception-du-monde indo-européenne. C'est à la fois parce qu'elles accordent à l'histoire une si haute valeur et parce qu'elles lui donnent des sens diamétralement opposés que ces 2 conception-du-monde se combattent en une “guerre des dieux” dont nos contemporains sont souvent inconscients, mais dont l'enjeu a, depuis bien longtemps, été la poursuite — ou l'arrêt — du destin historique des peuples européens.
Les Anciens avaient une conception cyclique de l'histoire : ni auto-dépassement, ni fin de l'histoire. Le judéo-christianisme introduisit une conception à la fois dynamique de l'histoire (dialectique de l'innovation) et téléonomique : l'histoire est segmentaire et concourt elle-même à sa propre fin, puisqu'elle est envisagée comme une malédiction provisoirement nécessaire. Les idéologies occidentales, à savoir notamment de la raison historique hégélienne, ont très exactement repris ce schéma eschatologique (finaliste). De nos jours, on mesure à quel point le système occidental aspire à figer l'histoire dans une culture planétaire stable. Quant à nous, nous proposons une nouvelle philosophie de l'histoire “surhumaniste”, “faustienne” : elle est post-chrétienne en ce qu'elle répond au défi du christianisme et des idéologies modernes en donnant à l'histoire une dynamique, fondée non plus sur le retour cyclique, mais sur la notion nietzschéenne d'éternel retour de l'identique (et non pas du même) : le passé peut être réapproprié à chaque époque présente en fonction des projets toujours renouvelés et, par là même, transfiguré (cf. mythe). Le présent est le point de rencontre du passé traditionnel, immémorial et sans cesse recréé, et de l'avenir. Le futur demeure donc ouvert (cf. modernité), à la différence des conceptions archéo-païennes cycliques ou judéo-chrétiennes. Traditionalisme et futurisme explosent ensemble dans la même énergie. De ce fait une deuxième définition peut être donnée de l'histoire : l'histoire est ce qui doit être conservé et régénéré pour que les peuples européens échappent à la disparition et, à ce titre, elle constitue l'enjeu et le point focal de la guerre des conceptions-du-monde, et de la guerre tout court, qui oppose depuis des générations et sur plusieurs continents la conscience judéo-chrétienne et la conscience indo-européenne.
C'est pourquoi notre action se situe, volontairement, à l'échelle de l'histoire, en dehors, au dessus des péripéties, qualifiées traditionnellement de “politiques”.
Nietzsche, finalisme et histoire, P. Chassard, Copernic, 1977 : la philosophie nietzschéenne de l'histoire est anti-providentialiste, « elle démystifie et montre que l'univers n'est soumis à aucune toute-puissance qui lui imposerait une fin, et que les hommes font eux-mêmes l'histoire. Elle fait apparaître celle-ci, en son caractère essentiel, comme le résultat d'une lutte entre des systèmes de valeur exprimant des types humains différents, des besoins et des intérêts de puissance spécifiques »
Die Zukunft der Vergangenheit : lebendige Geschichte, klagende Historiker, GK Kaltenbrunner, Herder, 1975
Est humain ce qui appartient en propre à l'homme, ce qui vient en surplus de son animalité, c'est-à-dire le fait culturel et la conscience auto-réflexive (conscience d'avoir conscience et d'avoir une destinée).
Pour le judéo-christianisme et les idéologies dominantes, l'humanité désigne un ensemble homogène dans lequel les divergences ethniques et culturelles sont provisoires et secondaires. Pour nous, c'est là ramener le fait humain au fait animal ; c'est du biologisme, paradoxalement (cf. réductionnisme). L'hominité, au contraire, c'est-à-dire la spécificité biologique des hommes, c'est d'être dissemblables culturellement, de diverger anthropologiquement, de ne pas posséder de conscience d'espèce. L'humanité de l'homme, selon nous, c'est-à-dire ce qui le définit comme “humain”, ne se trouve pas dans les ressemblances et les similitudes entre les hommes, tous différents par groupe comme par individu, mais dans le fait que tous les hommes échappent à l'inconscience de l'animalité et aux déterminismes biologiques par les réponses culturelles profondément différentes, inégales, qu'ils élaborent pour survivre, comme autant de méta-natures. En ce sens, l'humanité n'est pas une “condition”, mais un état progressif qui se conquiert, une “situation”. L'homme tends vers le toujours-plus-humain, c'est-à-dire vers le surhumain, vers l'accroissement de sa liberté envers les déterminismes biologiques. La conscience historique comme la technique moderne sont des facteurs de surhumanisme. L'humanisme égalitaire qui débouche sur la société marchande et sur un système universaliste ravale l'homme au rang d'être abstrait, définitif, individué et le fait paradoxalement régresser (involution).
Comprendre l'homme de manière totale, anti-réductionniste, c'est l'envisager à la fois comme un produit de l'évolution, comme un “animal” complet limité par son hérédité mais ne pouvant actualiser cette dernière — dont les possibilités sont immenses — que par son ouverture-au-monde ; cette dernière autorise l'homme à recevoir la discipline d'une culture qui démultiplie de ce fait ses possibilités innées par des informations acquises. L'homme s'investit alors comme un être d'action : il agit sur son milieu alors que l'animal se contente d'y survivre et de s'y adapter. La volonté de puissance appartient donc, biologiquement et culturellement, à ce qu'il y a de plus humain dans l'homme. Elle correspond à cette “étincelle divine” dont ont parlé beaucoup de penseurs européens et qui fait de l'homme un être-en-devenir permanent.
◘ 27 - IDÉOLOGIE(S) OCCIDENTALE(S)
Les idéologies occidentales sont des idéologies héritant de la laïcisation du judéo-christianisme, partageant sa finalité postulée de réalisation rationnelle et déterminée par une Raison universelle d'un bonheur individualiste, et partant, prônant l'égalitarisme et la construction d'une civilisation mondiale, “occidentale”. L'axiomatique des 3 idéologies occidentales s'organise autour des 3 concepts clés : individu, raison, bonheur. C'est la “triade” de l'idéologie occidentale, partagée par tous, de l'extrême conservatisme au néo-marxisme. Bien que rivales, les idéologies occidentales partagent le même projet et la même conception-du-monde. La fin du XXe siècle consacre leur rapprochement, par rétraction autour de la philosophie des droits de l'homme, par arrêt de leur progression et de leur stratification théorique et intellectuelle. Elles entrent dans leur “troisième âge” : le premier religieux, se confondit avec le christianisme, le second — du XVIIe au XXe siècle —, avec la montée et le progrès des doctrines égalitaires ; aujourd'hui, nous vivons l'application pratique et sociologique des postulats des idéologies occidentales qui finit par se confondre avec les faits sociaux, et qui s'intériorise dans les mentalités. Triomphantes dans les formes, mais en déperdition de sens, installées mais vieillissantes, les idéologies occidentales appellent un renversement, une relève. Les temps sont mûrs pour le surgissement d'une idéologie européenne reposant sur une vue-du-monde qu'on peut peut-être qualifiée — pour faire référence à une très ancienne tradition — d'hyperboréenne.
◘ 28 - INDIVIDUALISME
L'individualisme est une mentalité introduite dans la civilisation occidentale par le judéo-christianisme, selon laquelle l'homme individuel abstrait vaut plus que ses appartenances et constitue l'élément de base de l'espèce, avant toute communauté.
L'individu chrétien est “hors du monde”, isolé face au Dieu-père qui le dévalue et peut seul lui accorder le salut. De là découle l'égalitarisme. Les idéologies occidentales transposeront dans le social et dans l'histoire (laïcisation) cette individualisation de l'humanité. D'où destruction des organicismes, atomisation des sociétés par l'État et constitution des masses qui sont la contrepartie de l'individualisme. L'homo œconomicus libéral, le prolétaire des marxistes, l'”être humain” de l'idéologie des droits de l'homme, sont des conséquences de cet individualisme qui, autant que l'égalitarisme et le rationalisme, caractérise la société et la conception-du-monde dominantes. À l'individualisme, il faut opposer le holisme dans lequel la personnalité est mise en valeur par sa communauté et son peuple, et échappe au narcissisme comme à l'isolement. Dans la perspective holiste, l'homme se réalise pleinement et trouve son épanouissement dans et par le service de sa communauté.
◘ 29 - JUDÉO-CHRISTIANISME
Ensemble de la conception-du-monde propre au judaïsme et au christianisme, mais à laquelle ce dernier a conféré sa forme majeure, agissant d'abord sous forme de religion puis, à partir des temps modernes, d'idéologies.
Le judéo-christianisme a, pour nous, constitué un apport allogène pour la conscience européenne, qui se trouve ainsi, depuis 2.000 ans, partagée, schizophrène, et en proie à une acculturation constante. Conscience christianomorphe d'un côté, héritée du judéo-christianisme, conscience païenne de l'autre : “c'est la guerre des dieux”. La conception-du-monde judéo-chrétienne, qui a réussi, au fil des siècles, à s'installer de plus en plus profondément en Europe jusqu'à devenir la marque principale de la civilisation occidentale, est à l'origine de l'universalisme, de l'individualisme et de l'égalitarisme. La mentalité scientifique s'est développée contre cette conception malgré la philosophie utopiste de celle-ci et sa propension à dévaloriser le réel au profit d'une métaphysique (monde des essences ou des principes absolus révélés) et d'une téléonomie de fin de l'histoire. Le biblisme est un autre nom pour le judéo-christianisme, dans la mesure où la Bible constitue une référence commune aux héritiers du judaïsme, du catholicisme et du protestantisme. Dans l'Occident d'aujourd'hui, la conception judéo-chrétienne du monde est professée avec le maximum de vigueur aux États-Unis, patrie de la conception actuelle des droits de l'homme.
Aujourd'hui dépourvu de valeur religieuse, le judéo-christianisme, devenu l'arrière-fond mental d'une civilisation en crise, passant de ce fait de l'état de conscience à celui de l'inconscience, est plus vulnérable que par le passé à l'assaut venu d'une "nouvelle conscience". Nous devons, par l'offensive de notre vue-du-monde, acculer le judéo-christianisme à une position défensive.
Éclairage : L'expression regroupant "judaïsme" et "christianisme" n'apparaît qu'au XIXe siècle (période de l'émergence de l'histoire telle qu'on la conçoit aujourd'hui) : elle entend désigner l'ensemble des dogmes et préceptes communs à ces deux religions. Elle souligne également le fait que le christianisme est issu du judaïsme, que leur histoire est intimement liée. Ici l'emploi polémique de cette expression concerne principalement la morale abstraite occidentalo-centrée entendue comme normative et négatrice des différences. Ce rejet de la morale dite judéo-chrétienne, entendue comme un fonds de valeurs sécularisées, a surtout en ligne de mire cette imposition d'une prétendue mission universelle des démocraties libérales qui n'aboutit qu'à dénier toute historicité aux peuples et à justifier l'inertie politique quant à un sens de l'histoire jugée seul bon. La (re)connaître ne suffit pas à y faire volte-face, c'est dans ce cadre-là qu'il faut interpréter ce parti-pris. Il s'agit d'interpeller les mentalités modernes, de dégager une véracité non pas historique mais historiale. Mais qu'en est-il de cette filiation ? Si Hegel reconnaît au judaïsme le mérite d'avoir rompu avec l'ordre naturel (« le spirituel y répudie immédiatement le sensible ») et que de cette rupture — signe d'une spiritualité consciente de soi — serait née la chrétienté, le christianisme ne peut pour autant être considéré comme une continuation et extension du judaïsme sacerdotal, sans aucune forme de rupture. L'Église catholique n'est pas plus une succursale de la synagogue (quoique parfois depuis Vatican II disent certains…) que la chrétienté médiévale européenne n'est une “religion sémite” (car puisant dans son propre génie culturel, not. grec pour ses fondements théologiques et romain pour ceux institutionnels et en tant que mission civilisatrice). Les querelles de chapelle ne sont par ailleurs que d'un faible intérêt pour les Européens de l'avenir, les Temps Modernes restent sombres si n'est appréhendé dans sa complexité le processus de sécularisation. C'est pourquoi par néo-paganisme est entendu non point nostalgie des origines ou bien réduction des religions à n'être que l’expression d’un particularisme identitaire, culturel et biologique, mais essentiellement une éthique de résistance, à la fois spirituelle et politique, s'occupant moins d'inversion que de transvaluation des valeurs.
Europe et modernité, G. Faye, Eurograf, 1985 (tableau de la guerre des dieux : le face-à-face des consciences christianomorphe et païenne)
◘ 30 - LIBÉRALISME
Le libéralisme désigne de manière générique l'ensemble des doctrines apparues à partir du XVIIe siècle en Occident qui font de l'individu abstrait la clef de voûte de tout leur système. Le terme étant ambigu, selon qu'il l'applique à soit la philosophie politique soit à l'économie politique, nous retiendrons moins les philosophes (Locke, Montesquieu, Rousseau) défendant respect de la liberté individuelle que les tenants du libéralisme économique (Quesnay, Say, Adam Smith, Malthus, Ricardo, J. Stuart Mill) qui seuls nous intéressent pour cette entrée lexicale.
Le libéralisme économique est une conception qui refuse l'intervention de l'État (si ce n'est pour défendre l'initiative privée) et qui postule l'existence de lois naturelles capables d'assurer l'équilibre de l'offre et de la demande, à condition que soient respectées la concurrence et la propriété privée des moyens de production. Le néo-libéralisme actuel est une doctrine qui, devant l'échec du libéralisme classique, admet une certaine intervention de l'État dans l'économie sans pour autant remettre en question le principe de la concurrence et de la libre entreprise.
Ses principes fondamentaux sont les suivants : individualisme économique, assimilation de la société à un marché (société marchande), méfiance à l'égard des pouvoirs de nature politique, croyance dans la transparence et la spontanéité des rapports sociaux dès lors qu'ils sont marchands et égalitaires, réduction des finalités culturelles à l'obtention du bien-être, croyance dans la fin possible des idéologies au profit d'une gestion “technique”, neutre et éclairée de la société, etc. Le libéralisme débouche sur la technocratie et l'étatisme (gouvernance), sur la mercantilisation et l'opacité des rapports sociaux, sur la réification de l'homme, assimilé à une “chose” dotée d'une valeur monnayable, qui est cette entité abstraite qu'est l'homo œconomicus. Tout en se vantant d'organiser le libre-échange économique et la libre communication culturelle, le libéralisme alimente la domination du modèle occidental de civilisation et d'un système économique transnational (cf. américanisme). D'autre part, il faut combattre l'idée que le libéralisme, aujourd'hui contesté dans son efficacité économique (cf. économisme), détienne le monopole de la concurrence et de l'économie privée de marché (cf. autarcie ou localisme).
Au plan politique, le régime idéal est fondamentalement celui où il y a le moins de contraintes sociales. Au plan social, il consomme la rupture avec le principe holiste, soit qu'il nie purement et simplement la notion d'intérêt collectif, soit qu'il le fasse naître de l'ajustement miraculeux des conduites individuelles mues par la recherche rationnelle du meilleur intérêt. Dans cette optique, c'est seulement le jeu des intérêts particuliers qui constituent la société : le tout n'est que le produit du comportement des parties. L'ordre public naît ainsi de la concurrence généralisée. Vision de guerre civile : l'ordre spontané, c'est le consensus établi sur l'exclusion des "perdants".
Le libéralisme s'avère là une machine à produire la désillusion. Dans une société libérale, le lien social résulterait de la libre concurrence des conduites individuelles ? Jamais comme dans le monde occidental actuel, l'anomie sociale n'a été aussi grande. Le marché serait pluraliste par nature ? Par le jeu du mimétisme concurrentiel, jamais les modes de vie n'ont été aussi indifférenciés : partout, le libéralisme détruit les identités collectives, les cultures enracinées, et s'avère générateur d'uniformité. Il serait principe de liberté, d'émancipation du sujet ? Jamais les hommes n'ont été aussi aliénés que dans le rapport à la marchandise qui caractérise le système des objets.
À en croire les auteurs libéraux, la liberté s'imposerait d'elle-même dans une société gouvernée par l'économie de marché. Le libre-échange engendrerait la liberté comme son produit le plus naturel, par affinité intrinsèque en quelque sorte. Une telle théorie, qui procède d'un raisonnement similaire au marxisme (c'est l'infrastructure économique qui détermine la superstructure politique et sociale), montre en fait que dans une société calquée sur le marché, la « liberté » elle-même est conçue sur le modèle de l'échange commercial. Ce processus a bien été décrit par Werner Sombart :
« On réclame une liberté aussi large que possible, on exige la suppression de tout ce qui peut faire obstacle à la course au gain. Il s'agit, en premier lieu, de la liberté formelle, de la liberté de faire ou de ne pas faire, qu'on considère comme un facteur essentiel de la bonne conduite des affaires. […] En deuxième lieu, la revendication de la liberté implique l'idée d'un gain ne tenant compte d'aucune considération sans rapport direct avec lui. Elle équivaut à la proclamation de la supériorité du gain sur toutes les autres valeurs. » (Le Bourgeois, ch. XIII).
Henri Lepage décrit significativement la liberté de consommer comme « la plus fondamentale des libertés ». Dans la théorie du producteur-consommateur de Gary Becker, c'est par son aptitude à la consommation que l'individu s'affirme véritablement comme citoyen.
La propriété privé n'est pourtant pas un absolu : il y a quantité d'usages d'une propriété qui équivalent à des nuisances du bien commun. L'initiative privée, elle aussi, peut secréter le meilleur comme le pire. La croire intrinsèquement meilleure parce qu'elle est privée n'est qu'une illusion. Le principe de rentabilité (à distinguer du calcul de rentabilité) n'est qu'une façon d'asseoir le règne de la quantité. Quant à la concurrence, elle ne s'exerce pratiquement jamais selon le modèle idéal de la course des athlètes dans le stade. Elle est le plus souvent biaisée, imparfaite, destructive. La publicité, à elle seule, est déjà une suggestion qui fausse le choix.
Le libéralisme est une doctrine (et même une idéologie) philosophique, économique et politique, et c’est évidemment comme tel qu’il doit être étudié et jugé. Il ne peut être confondu complètement avec le capitalisme, régime économique apparu au XIXe siècle dans lequel les moyens de production relèvent de la propriété privée (car il existe aussi un capitalisme d'État, forme plus ou moins prononcée de collectivisme où l'État est propriétaire des moyens de production, en tout ou en partie). Même si les partisans du libéralisme économique considèrent qu'il constitue le meilleur ressort du développement économique dans la mesure où il stimule la production par la loi constante de l'offre et de la demande, ce régime implique l'exploitation des travailleurs et des peuples, exploitation qui ne peut que s'étendre mondialement pour aboutir à l'impérialisme, et s'accule, à plus ou moins long terme, à des contradictions mortelles entre une production dépendante de la spéculation boursière n'obéissant qu'à la recherche d'un profit toujours croissant et une consommation de plus en plus bloquée puisque, par application de la concurrence qui règne entre producteurs, le système ne peut, en durant, que diminuer le nombre des acheteurs potentiels (effets conjugués de la paupérisation et de la prolétarisation).
De toutes les idéologies occidentales, le libéralisme est la plus dominante et en outre celle qui menace le plus notre spécificité culturelle : confortant l'individualisme impolitique, elle fonctionne comme une drogue qui colonise les imaginaires et bloque, notamment, des réactions de défense concertée des peuples, de solidarité économico-politique et d'initiative locale. Le libéralisme est, très clairement, pour nous, l'ennemi principal. Le combattre, ici et maintenant, c'est prendre le mal à la racine, à savoir anthropologiquement le rabattement du politique sur l'économique.
Citation :
« (…) Quant à ce que ces particules [élémentaires] estiment être leur devoir ou leur bonheur, c’est là une considération qui n’entre plus, à présent, dans le champ de la philosophie politique. En ce sens, et pour parodier ce qu’écrivait Heidegger à propos de la science, on peut juste dire que, pour les libéraux, l’État le plus juste — celui qui, sur tous les plans, nous en demande le moins —, c’est l’État qui ne pense pas. Un État sans idées — ou, comme disent les libéraux, sans idéologie — et qui par une sorte de platonisme renversé, mettrait son point d’honneur philosophique à ne jamais s’interroger sur ce qu’est la meilleure façon de conduire sa vie ou d’employer sa liberté "naturelle". À la limite, cet État sans idées ni valeurs (qui s’interdit de juger, par conséquent, de toutes les questions autres que techniques) ne doit même plus se comprendre comme un "gouvernement des hommes". Il constitue, pour reprendre la célèbre distinction de Saint-Simon, une pure "administration des choses", exigeant bien moins des convictions politiques véritables qu’une simple compétence d’"expert" ou de gestionnaire avisé. De ce point de vue, personne n’a, sans doute, mieux formulé cet idéal de neutralité axiologique absolue, qui est au cœur de tout projet libéral, qu'Emmanuel Kant, lorsqu’il note, dans son Projet de paix perpétuelle, que dans l’hypothèse d’un travail législatif parfait, la seule mécanique du Droit suffirait à assurer la coexistence pacifique même d’un peuple de démons. » (L'Empire du moindre mal, JC Michéa, Climats, 2007, p. 37)
Histoire du libéralisme politique : de la crise de l'absolutisme à la constitution de 1875, A. Jardin, 1985
La nouvelle économie libérale, C. Meidinger, Presses de la Fondation Nat. des Sc. politiques, 1983
Le libéralisme moderne : analyse d'une raison économique, S-C Kolm, PUF, 1984 [recension]
L'idéologie libérale, A. Vachet, Anthropos, 1970
◘ 31 - LIBERTÉ
La liberté est une faculté d'augmenter son pouvoir, de multiplier ses capacités d'action sur le réel et de conquérir par là une autonomie sur les déterminismes, qu'ils soient génétiques ou sociaux.
Cette définition s'oppose à la conception individualiste et égalitaire de la liberté, qui la considère comme une licence passive, comme une absence de contrainte. Cette dernière conception de la liberté est en fait à l'exact opposé de la nôtre. Pour se libérer des déterminismes, l'homme a besoin au contraire de la discipline d'une culture, c'est-à-dire de l'exercice d'une contrainte, à commencer par celle qu'il exerce sur lui-même par sa volonté. La conception libérale de la liberté est régressive : elle produit l'homme domestiqué, involué que nous connaissons, qui abdique son autonomie au profit d'un système social paternaliste. La liberté n'est donc nullement un "droit" comme le voudrait la philosophie des droits de l'homme ; elle est aussi une conquête. De ce fait, la "Liberté" comme absolu est un concept totalitaire qui ne recouvre pas de réalité. La liberté est plurielle (par exemple, parlons des libertés politiques, comme étant de droits conquis, garantis par la force, et ayant des contreparties). Génétiquement, l'homme naît dans un état de grande dépendance, mais sa déprogrammation, son ouverture au monde, en font un être virtuellement "libérable" ou virtuellement plus esclave encore qu'un animal. Plus est grande la liberté — c'est-à-dire l'éventail d'actes faisables par un homme à la suite de l'apprentissage culturel discipliné — plus importante est la contrainte subie. La liberté passe d'abord par la maîtrise de soi. Elle est donc, aussi bien en ce qui concerne les individus qu'en ce qui concerne les peuples, le privilège des forts. "La liberté, c'est la puissance" disait Hobbes.
Citation :
« (…) l’infatuation et l’esprit de chapelle allaient, comme d’habitude, venir à bout de l’intelligentsia française, qui était un peu le navire amiral de la subversion européenne. Les années 60 avaient été celles du naufrage du “matérialisme dialectique” qui, peu à peu, avait perdu toutes ses griffes ; il avait fallu céder le terrain au “nietzschéisme” qui, à son tour, commençait à s’effriter. Hegel, Marx, Nietzsche n’avaient bien sûr rien à voir avec tout cela, mais toute grande pensée, si affûtée soit-elle, périt toujours entre les mains de vestales trop zélées. Les vestales ne manquaient pas : nietzschéisme vagabond qui errait de Zarathoustra à la CFDT, nietzschéisme mondain pour les plus éveillés — aussi indispensable aux dîners parisiens que l’entremets de la maîtresse de maison — et enfin post-nietzschéisme postmoderne pour les plus demeurés ou les plus provinciaux, lassés des “grands récits” et des “luttes ringardes” qu’ils n’avaient jamais eu le courage de mener. Le style Cyber-Wolf, apolitique et blasé, commençait à pulluler : comment résister à la délicieuse frivolité de ceux qui se faisaient fort de “chier sur le négatif”, qui croyaient avoir enfin trouvé le secret de la jubilation permanente et prétendaient cultiver des orchidées dans le désert sans avoir à se préoccuper de l’épineux problème de l’arrosage ? Merveilleux Jardiniers du créatif qui voulaient s’envoler avant d’avoir appris à marcher et qui avaient oublié que la liberté, si elle ne réduit pas au caprice et au rêve, est aussi la maîtrise concrète — et souvent douloureuse — des conditions de la liberté. (Vivre et penser comme des porcs : De l’incitation à l’ennui et à l’envie dans les démocraties-marchés, G. Chatelet, 1998)
« L'État véritable n'empiète pas sur les libertés », G. Faye, Vouloir n°1, 1983
« La liberté », J. Freund, in : L'Essence du politique, Sirey, 1965, pp. 314-316
◘ 32 - MÉTAPOLITIQUE
Diffusion dans la mentalité collective et dans la société civile de valeurs et d'idées (ou d'"idéologèmes") en excluant tout moyen ou toute visée politicienne, comme tout étiquetage politique, mais selon une visée de "Grande Politique", c'est-à-dire de recherche d'un impact historique.
La reconnaissance d'une réflexion fondatrice comme socle de toutes les grandes révolutions historiques, de la subversion chrétienne de l'Empire romain au manifeste du Parti communiste, en passant par les clubs intellectuels précédant la Révolution française (cf. Augustin Cochin), fut conceptualisée par le penseur communiste italien Antonio Gramsci. Dès les années 1920-1930, il fit de la guerre culturelle menée par des "intellectuels organiques" une précondition du succès de l'action politique sur le long terme. « La théorie gramscienne diverge fondamentalement du marxisme classique qui réduit la société civile à l'état de simple infrastructure économique. Pour elle, c'est l'ensemble de la culture, dont l'économie n'est qu'un secteur, qui est en jeu dans la lutte pour le pouvoir. La culture constitue l'infrastructure qu'il faut investir ou subvertir par des moyens intellectuels avant même de s'attaquer au pouvoir politique » (J. Marlaud, Interpellations : Questionnements métapolitiques, Dualpha, 2004).
La métapolitique se situe en dehors et au-dessus de la politique politicienne, laquelle est devenue théâtrale et ne constitue plus le lieu de la politique. La stratégie métapolitique vise à diffuser une conception-du-monde de sorte que les valeurs de cette dernière acquièrent dans l'histoire puissance et pouvoir à long terme. Cette stratégie est incompatible avec les ambitions bourgeoises de détenir le pouvoir, d'"être dans" le pouvoir à court terme. Polyvalente, la métapolitique doit s'adresser aux décideurs, aux médiateurs, aux diffuseurs de tous les courants de pensée, auxquels elle ne dévoile pas forcément l'ensemble de son discours. La métapolitique diffuse aussi bien une sensibilité qu'une doctrine ; elle se fait culturelle ou idéologique selon les circonstances.
Hauteur de vue, souplesse, efficacité pratique et dureté du "discours interne" (qui se distingue du discours externe, lequel ne trahit nullement le discours interne, mais ne dit pas "tout" et en adapte la formulation) sont les quatre qualités de la stratégie métapolitique.
◘ 33 - MODERNITÉ
La modernité est une tendance culturelle, née progressivement en Europe, durant le Moyen Âge, et visant à renouveler les traditions, en les actualisant, à dépasser (auto-dépassement) les formes de civilisation, les idées, les techniques en vigueur, par un appel à la régénération, liée à une intense conscience de l'historicité du temps.
Notion ambiguë, négative et positive à la fois, le modernisme se confondit dès le XVIe siècle avec le progressisme, esprit d'opposition aux "anciens régimes" et aux traditions, liés à la philosophie téléonomique et segmentaire de l'histoire du judéo-christianisme puis des idéologies égalitaires. Dans cette conception prométhéenne de la modernité, l'ambiguïté réside en ce qu'une indéniable énergie d'auto-renouvellement est mise au service d'un projet de fin de l'histoire. Nous lui opposons une conception faustienne de la modernité, dans laquelle le passé n'est pas dévalué mais inspire un futurisme constant et où la volonté-de-puissance, sous forme d'affrontement voulu de l'avenir, rend l'homme créateur de lui-même dans l'histoire, c'est-à-dire démiurge. La technique moderne peut ainsi se réintégrer comme élément mobilisateur et donneur de sens à une montée-en-puissance collective. Les désillusions du progressisme, qui sombre aujourd'hui dans le présentisme ou dans la régression passéiste, laisse le champ libre à une "deuxième modernité du monde". La modernité est une de nos valeurs prioritaires de référence.
◘ 34 - MONOTHÉISME
Le monothéisme est la croyance en l'existence d'un dieu unique, propre aux religions révélées et notamment au judéo-christianisme, et affirmation de l'unité homogène du divin, lequel est radicalement séparé d'une nature plurielle et divers. Le monothéisme apparaît généralement de ce fait comme dualiste.
À l'inverse de l'énothéisme, qui professe l'unicité du divin et la multiplicité de ses apparences, et qui unit donc le divin et la nature hétérogène, le monothéisme dévalorise le réel, le monde et la nature, pourtant créés par le dieu unique, mais néanmoins provisoires et appelées, à la fin des temps, à se fondre dans l'Un. Le monothéisme est de ce fait entropique. Il a donné lieu à l'universalisme philosophique puis socio-politique des idéologies occidentales : de même que le cosmos n'a qu'un créateur, l'histoire n'a qu'un sens et qu'une fin possible, l'homme ne répond qu'à une seule définition, et une seule forme de société apparaît valide (cf. réductionnisme). L'égalitarisme, le rationalisme, le démocratisme, etc., héritent du monothéisme l'affirmation des valeurs absolues, universelles, uniques et révélées. Celles-ci risquent alors de devenir des Lois totalitaires. D'une manière générale, la mentalité monothéiste vise à homogénéiser le réel et la vie selon l'ordre unilatéral d'un principe abstrait qui échappe à l'expérience. Le monothéisme est donc l'exacte antithèse de notre vue du monde.
◘ 35 - MYTHE
Ensemble d'images organisées sous forme de récit de nature poétique, épique, légendaire, lyrique, etc., qui rassemblent dans la tradition d'un peuple, d'une communauté, d'une culture, des représentations fondatrices propres à établir l'existence ou l'historicité du groupe dont il s'agit.
« Un pays qui n'a plus de légendes, dit le poète, est condamné à mourir de froid. C'est bien possible. Mais un peuple qui n'aurait pas de mythes serait déjà mort. La fonction de la classe particulière de récits que sont les mythes est en effet d'exprimer dramatiquement l'idéologie dont vit la société, de maintenir devant sa conscience non seulement les valeurs qu'elle reconnaît et les idéaux qu'elle poursuit de génération en génération, mais d'abord son être et sa structure mêmes, les éléments, les liaisons, les équilibres, les tensions qui la constituent, de justifier enfin les règles et les pratiques traditionnelles sans quoi tout en elle se disperserait. Tous ces récits ont une fonction, la même fonction, vitale » (G. Dumézil).
Ne visant pas à convaincre mais à séduire, le mythe est un résumé mobilisateur de la personnalité d'une communauté, compris comme un récit fondateur : les héros, présentés par les mythes, cristallisent par ex. les types humains et les personnalités créatrices propres à une culture ou érigent en situation-type des évènements précis susceptibles de se reproduire. La dimension religieuse et sacrée du mythe le rend propice à la réactivation à tout moment de l'histoire. C'est pourquoi les dieux du paganisme constituent des mythèmes (éléments signifiants de mythe) toujours capables de trouver une nouvelle signification, une régénération. L'âge des mythes n'est nullement révolu ; il n'y a pas « primitivité » du mythe et celui-ci demeure toujours empreint de véracité même s'il emprunte une autre voie que le savoir rationnel. L'idée d'Empire, les cosmogonies hellènes ou germaniques sont, par ex., porteuses de mythes parfaitement réactivables. De la tétralogie wagnérienne à la science-fiction, les temps modernes produisent toujours des mythes.
Notre conception-du-monde qui, parce qu'elle ne réduit pas l'homme à un animal rationnel, prend conscience de sa dimension mythique (cf. anti-réductionnisme), doit s'employer à insérer, dans une modernité qui s'y prête, un nouveau discours mythique, tourné vers l'appel de l'avenir et le retour de l'immémorial. Le mythe est, par excellence, le domaine de “la plus longue mémoire”.
◘ 36 - NATION
Au sens classique, ce concept, d'origine typiquement européenne, rend compte de la mise en forme politique d'un peuple, c'est-à-dire de la prise de conscience par celui-ci de son identité et de ses intérêts propres, laquelle lui insuffle la volonté d'assurer son destin particulier dans l'universel. Au stade achevé, la nation est un peuple, une partie d'un peuple ou un ensemble de peuples, historiquement parvenu à la constitution d'un État propre.
La nation aujourd'hui, inséparable du principe d'État-nation, est pour nous un phénomène essentiellement négatif. Et cela pour plusieurs raisons. D'abord parce que les nations se sont créées sur les ruines de l'Empire et se sont maintenues en s'opposant systématiquement à l'idée impériale. C'est là un point sur lequel on n'insistera jamais assez : l'Empire précède les nations et, partant, la légitimité suprême lui appartient. Cette légitimité transcende les légalités transitoires des États-nations car seul l'Empire a la puissance nécessaire pour garantir l'avenir de la communauté de peuples qu'il organise. Les nations, précisément parce qu'elles créent des États ou cherchent à en créer, au détriment de l'Empire, constituent un principe de dissolution et organisent la sécession permanente.
Le processus s'est enclenché lors de l'affrontement de l'Empire romain et des peuples culturellement et politiquement attardés du Nord. La grande chance de l'Europe eût été alors la féconde intégration de ces peuples dans l'organisme impérial. Il n'en a, hélas, rien été. L'échec de la conquête romaine en direction de la Baltique, impressionnant par son ampleur et ses conséquences incalculables, a entraîné un face à face séculaire qui, on le sait, s'est achevé par la rupture de l'équilibre dans le sens le plus défavorable : nord-sud, barbarisation de l'Empire et non pas sud-nord, c'est-à-dire romanisation des barbares. Entretemps, un phénomène capital s'était pourtant produit : rebelles à l'intégration, les barbares, spécialement les Germains, n'en avaient pas moins été confrontés au rayonnement culturel et politique de l'Empire, et ce sont ces influences qui furent à l'origine d'un type d'organisation plus développé et plus efficace des peuples germaniques dans leur lutte malheureuse — pour l'Europe et pour leurs propres descendants — contre l'Empire. Ainsi les Grandes invasions furent-elles le fait non plus de clans ou de tribus mal organisés mais de puissantes confédérations qui n'étaient que l'adaptation, au niveau culturel des peuples concernés, du modèle de la vaste fédération impériale. Insistons bien sur ce fait : il n'y eut pas une mais plusieurs confédérations (Saxons, Francs, Alamans, Goths…) car jamais les Germains, pas plus que les Celtes, n'accédèrent à la claire conscience de leur identité ethnique et moins encore n'imaginèrent une quelconque unité "nationale". De la sorte, plus tard, quand les envahisseurs s'installèrent en vainqueurs sur le sol impérial, il y transplantèrent leur conscience ethnique et leur organisation politique, faisant même souvent disparaître jusqu'au nom des provinces qu'ils occupaient pour le remplacer par le leur. Ainsi, la Bretagne devint l'Angleterre et l'Italie faillit dans sa totalité devenir la Lombardie. Quant aux Gaules, elles cessèrent d'être le fleuron des terres d'Empire pour devenir cette chose dérisoire et barbare qu'on appela "Francia". Depuis lors, le problème majeur de l'Europe est celui de "l'Empire éclaté", effet néfaste de ce "germanisme politique", qui fut assez fort pour contribuer à abattre l'imperium romanum ("la plus grandiose forme d'organisation jamais atteinte dans des conditions difficiles", Nietzsche), mais qui resta incapable, malgré la très honorable tentative carolingienne, de restaurer l'unité perdue, dans un monde miné par le christianisme et voué désormais à la balkanisation "nationaliste" et à la guerre civile permanente.
Si maintenant on évoque le cas de l'Empire chinois, qui constitue l'autre grand pôle historique de l'Ancien Monde, la comparaison de révèle tout à fait défavorable à l'Europe. En effet, bien qu'elle ait connu des péripéties très semblables, avec invasions et partitions, la Chine a toujours su préserver ou restaurer son unité, et cela malgré une diversité et un polyethnisme très comparable à celui de l'Europe. Cet ajout, joint à celui d'une natalité dynamique, assure à la Chine des perspectives plus encourageantes pour le siècle à venir, ce qui n'est pas le cas de l'Europe, démographiquement déclinante, occupée et divisée en même temps que matériellement et mentalement balkanisée par sa structure multinationale.
De nos jours, la Nation-État, conçue comme une monade irréductible, est une forme périmée. Ses dimensions trop réduites la rendent incapable d'assurer l'indépendance et l'avenir des peuples qu'elle enserre, mais la rendent encore capable d'agir en tant que force centrifuge à l'intérieur d'une formation telle que l'Europe politique. Alors que le foisonnement des revendications enflamme les peuples de par le monde, la solution impériale apparaît comme la seule susceptible de préserver la puissance et donc la capacité d'agir sur le destin. Ceci d'autant plus que les idéologies dominantes ont aussi conçu la nation comme échelon d'une société mondiale, comme "département" d'une planète politiquement rationalisée. Aujourd'hui, le système occidental est fondé sur cette idéologie des nations, qui s'oppose à celle de l'Empire, et qui neutralise les peuples en les normalisant dans des nations "égales" qui ne sont plus, à la limite, que des coquilles vides, des cadres dépourvus de sens historique.
◘ 37 - NATURE
Du point de vue de l'homme, tout ce qui ne participe pas de la culture et qui constitue son socle.
Mais la nature, notion complexe, signifie aussi en biologie l'ensemble des organismes et de leur milieu : donc, biologiquement, la culture, “nature de l'homme”, fait partie et est issue de la nature. Nature et culture sont complémentaires et inséparables. En philosophie, la nature, au sens grec de phusis, désigne le règne végétal et animal, mais parfois aussi le cosmos. Dans la cosmogonie païenne, la nature est “divine” et pénétrée de sacré. Dans le judéo-christianisme, un dualisme distingue le créateur de la nature ; celle-ci est implicitement dévalorisée, et destinée à se terminer dans une apocalypse où seul Dieu subsisterait. Dans la perspective faustienne, le sacré n'est pas “dans” la nature mais il procède de l'affrontement-communion de l'humain et de la nature ; à celle-ci, un sens est alors conféré : celui de l'accomplissement de la volonté humaine. La nature est donc le matériau de la culture ; elle est sa forme ; elle relève de l'ordre dionysien alors que la culture relève de l'ordre apollinien. Biologiquement, comme historiquement et politiquement, la nature porte et produit la culture qui rétroagit sur elle et, par cette action, se donne un sens et une visée.
D'un autre point de vue, nous pouvons dire que notre démarche est naturaliste, ou vitaliste. Par ex., à la société actuelle qui génère des pathologies sociales du fait de sa méconnaissance de la naturalité humaine (cf. éthologie), nous opposons des conceptions “naturelles” en ce qu'elles respectent le réel et l'humain tel qu'il est (cf. réductionnisme), avec ses dimensions plurielles (cf. polythéisme). La technique moderne, comme l'artifice en général, nous apparaissent fort “naturels”, au même titre par ex. que la révolution néolithique. Autrement dit, il est dans la nature de l'homme de “dépasser la nature” — tout en s'appuyant sur elle et en la respectant pour réaliser ce dépassement.
L'anti-nature, C. Rosset, PUF, 1973
« Nature et cuture », P. Vial, in : Pour une renaissance culturelle, Copernic, 1979, pp. 73-101
◘ 38 - NIHILISME
Anéantissement du sens des valeurs et la disparition du sacré au profit d'un état dans lequel les dites valeurs sont indifférenciées, sans échelle et sans provenance, et où la mise en perspective de l'existence individuelle comme du destin collectif disparaissent.
Le nihilisme caractérise notre époque où rien ne vaut puisque tout s'équivaut, et s'aggrave depuis un siècle, depuis que les idéaux métaphysiques du christianisme, progressivement vidés de leur substrat religieux, se sont laïcisés en des morales et des idéologies figées. Le nihilisme, lié à l'esprit bourgeois, obsidional et calculateur, mû par l'intérêt individuel, était en germe dans le judéo-christianisme : d'une part parce qu'il mettait davantage l'accent sur le salut individuel que sur les appartenances civiques et communautaires, d'autre part parce qu'il ne reliait l'individu qu'à des universaux, situés hors-du-monde, et à ce titre susceptibles de dégénérer en lois abstraites, déracinées, impropres à mobiliser. Le nihilisme est bien le destin occidental au terme de son histoire.
Aujourd'hui, nous voyons peut-être l'apogée du nihilisme. Si par ce terme on désigne avant tout une manière de vivre en spectateur et de rester à distance de nos expériences, ce n'est là qu'un symptôme d'une implosion du sens provoquée par les idéologies occidentales, d'une schizophrénie occidentale : culte du présent chez l'être réduit à une psychologie individuelle, absence de fins d'un monde dénué de sens et de valeur propre en dépit de la multiplicité des finalités techniques ("monde sans but"). Assomption du bonheur intimiste et solipsiste, et promesse de fin de l'histoire, le nihilisme est le produit d'un gigantesque paradoxe historique (hétérotélie) : en tant qu'athéisme radical et effondrement de toute conscience historique, négation de toute valeur référentielle transcendant la dimension individuelle, il est pourtant le produit d'une conception-du-monde qui entendait fonder sur des absolus le sentiment religieux et la vision de l'histoire. Le nihilisme est la conséquence logique, inévitable, de la dévalorisation du monde initiée par le judéo-christianisme.
◘ 39 - NOMINALISME
Position philosophique, élaborée au Moyen Âge contre la scolastique chrétienne, et qui, en refusant l'universalisme et en proposant une vision relativiste du monde et des valeurs, renoue avec le polythéisme des cosmogonies païennes.
Pour le nominalisme, les universaux ne sont que des “mots”, et les “noms” que nous donnons aux choses ne recouvrent aucune réalité en soi ; ce sont des concepts relatifs, des grilles interprétatives dont nous avons besoin pour vivre dans le monde. De ce point de vue, la perspective polythéiste, en philosophie comme en sciences sociales, se rattache au nominalisme. D'autre part, le nominalisme postule un refus des “essences” : le point de vue nominaliste tend par là à privilégier les “étants” par rapport à “l'être”, le devenir par rapport au finalisme historique (fin de l'histoire par la réalisation de sa propre essence), le monde réel par rapport aux utopies, les valeurs particulières par rapport aux absolus et aux normes révélées, etc. Néanmoins, le nominalisme ne saurait lui non plus être systématisé : il mènerait alors — ce qui s'est produit — à l'individualisme ou au nihilisme par un relativisme systématique. Il fut adopter un “nominalisme minimal” qui considère les valeurs comme relatives “dans l'absolu” et comme “absolues” dans le relatif : chaque peuple, par ex., peut placer au-dessus de tout, et de la vie, ses propres valeurs, tout en les considérant comme relatives, comme son propre bien et non celui de l'humanité.
Le néo-paganisme et l'épistémologie moderne se conjuguent assez bien pour aller dans ce sens anti-universaliste, le premier affirme tout de même la vocation à “l'universel”, c'est-à-dire à l'expansion, gouvernée par la volonté-de-puissance, de ses propres valeurs dans un esprit, non de conversion de l'autre, mais de domination (perçue comme aléatoire et provisoire) ; la seconde ne reconnait plus dans l'univers aucune “loi” universelle ni la possibilité d'aucune connaissance parfaite des lois de la nature, mais valide néanmoins la volonté de l'homme de maîtriser le cosmos, de l'arraisonner sans limitation d'ambition, mais en sachant que la maîtrise totale est impossible. Le nominalisme païen veut la montée-en-puissance de ses valeurs, leur “mouvement ascendant”, mais il ne les veut pas "installées", triomphante à jamais — (cf. tragique) — ce qui est d'ailleurs impossible, car contraire aux lois de la vie. Le nominalisme est ainsi lié à une philosophie tragique de la vie : il faut, bien sûr, “faire les choses” — tout en sachant qu'elles sont provisoires, fragiles, mortelles. Il faut se choisir des valeurs, tout en sachant que c'est notre choix qui les faits valeurs, qui les installe comme valeurs.
« Le tournant nominaliste : un essai de clarification », A. Mohler, ibid.
◘ 40 - ORGANIQUE
Qui s'agence selon des structures et des dispositions proches de la vie, c'est-à-dire caractérisées par l'interaction, la complexification innovatrice, la hiérarchie et le devenir ; l'organique s'oppose à ce qui est "mécanique", c'est-à-dire causal, strictement rationnel, unidimensionnel et historiquement clos.
Par ex., le modèle communautaire est organique alors que la société marchande fonctionne comme un mécanisme. Les modèles organiques de nations ou de sociétés, comme les idéologies de l'"organicisme", mettent l'accent sur le polythéisme social, la diversité des fonctions, le holisme, la prééminence de la souveraineté, l'anti-individualisme des corps intermédiaires ; ils s'opposent au mécanisme égalitaire des idéologies dominantes et des technostructures qui posent l'économie comme infrastructure de toute société et réduisent cette dernière à un agrégat mathématique d'individus. Aujourd'hui les idées “organiques” et les visions “organiques” du monde sont corroborées par la biologie et la cybernétique.
Der Blick aufs Ganze : das Weltbild Othmar Spanns, Walther Becher, Universitas , Munich, 1985
Kurzgefasstes System der Gesellschaftslehre, O. Spann, Verlagsbuchhandlung Quelle & Meyer, Leipzig, 1914
◘ 41 - PAGANISME
Le paganisme est une attitude religieuse qui échappe aux systèmes des 3 grandes religions monothéistes et, plus précisément, dans l'emploi que nous lui donnons désigne la religion traditionnelle de l'Europe, toujours vivante, soit sous forme de rites, soit de sensibilités culturelles, soit, en ce qui nous concerne, de conception-du-monde redevenue consciente.
Caractère commun de tous les paganismes : la religion est liée à la vie ; une dimension prioritaire est attribuée à la vie du groupe, à la vie sociale ; naturel et surnaturel s'interpénètrent ; le sacré est immanent. Le dualisme lui, caractérise les systèmes monothéistes (divin hors du monde, créateur séparé des créatures, âme indépendante du corps, non-interprétation du sacré et du profane). Le paganisme européen — celui des religions préchrétiennes comme celui qui subsistera dans les rites populaires et dans la culture à travers et malgré une apparente christianisation — ajoute à ces éléments le sentiment tragique de la vie, et une divinisation de l'homme par la maîtrise de son destin.
Aujourd'hui, une régénération du paganisme est possible, sous la forme “post-chrétienne” d'un néo-paganisme : le divin peut se confondre avec l'humain, notamment avec sa volonté de puissance démiurgique. “Les dieux sont en nous” : telle est la nouvelle figure de leur retour (cf. modernité). Faustien, le néo-paganisme soit savoir, comme l'ancien, faire alterner sensualité et ascèse (cf. dionysisme, apollinisme). L'épuisement des dogmes chrétiens et le nihilisme contemporain déblayent la voie pour un recours au paganisme, qui ne pourra, selon nous, que s'accomplir sous une forme souveraine et pas seulement sociale, artistique, sexuelle, sportive, etc. Le recommencement païen — surgissement d'une nouvelle conscience, appelée aussi par les sciences et les techniques modernes — est seul susceptible de réconcilier l'âme européenne avec elle-même, d'en finir avec la schizophrénie provoquée par la vue-du-monde et la civilisation christianomorphes. Il peut marquer la fin de l'aliénation chrétienne, le début de la réappropriation de notre culture par elle-même. Le paganisme est donc, pour les peuples européens, une libération. Il est la révolution du XXIe siècle.
Citation :
« Le nom de “païen” est un terme injurieux et ignoble, dérivé du latin paganus, qui signifie un rustre, un paysan. Quand le Christianisme eut entièrement triomphé du polythéisme grec et romain et que, par l'ordre de l'empereur Théodose, on eut abattu dans les villes les derniers temples dédiés aux Dieux des Nations, il se trouva que les peuples de la campagne persistèrent encore assez longtemps dans l'ancien culte, ce qui fit appeler par dérision pagani ceux qui les imitèrent. Cette dénomination, qui pouvait convenir, dans le Ve siècle, aux Grecs et aux Romains qui refusaient de se soumettre à la religion dominante de l'Empire, est fausse et ridicule quand on l'étend à d'autres temps et à d'autres peuples » (Fabre d'Olivet, Examens des "Vers Dorés" de Pythagore).
◘ 42 - PEUPLE
Entité organique qui unit en une communauté les ancêtres, les vivants et les futurs héritiers d'un groupe humain, celui-ci étant caractérisé par une convergence de traits culturels, historiques, ethniques, anthropologiques, psychologiques et géographiques.
L'appartenance à un peuple est ce qui spécifie en premier lieu un homme et ce qui le constitue comme humain. Tout à l'opposé du “peuple” des doctrines libérales et marxistes, qui en font une masse socio-économique ou une “population” agrégative, notre vision des peuples en fait les constituants primaires de l'espèce humaine. Celle-ci y trouve sa principale richesse et la condition de sa survie biologique et historique. Ce dynamisme divergent de l'humanité en peuples est aujourd'hui menacé par une civilisation mondiale (cf. civilisation occidentale) provenant d'idéologies individualistes et universalistes (cf. droits de l'homme). Dans cette mesure, les conflits gauche/droite et Est/Ouest masquent le véritable antagonisme qui oppose tous les peuples à un système qui abolit leur indépendance et leurs spécificités.
Redevenir sujet de l'histoire : voilà ce qu'il faut proposer aux peuples européens. Nous entendons reconnaître et faire prendre conscience de l'existence d'une communauté des peuples européens qui peut se donner un destin historique. Cette nouvelle unité de destin des Européens qui, par “une nouvelle alliance”, par une métamorphose et une transfiguration historiale, peut les “fonder en peuple”, est appelée par les réalités géopolitiques, économiques et culturelles de cette fin de siècle. En revendiquant le droit à l'identité pour la communauté des peuples européens, nous nous battons pour l'âme des peuples européens, nous la “cause des peuples” — de tous les peuples.
◘ 43 - POLITIQUE
Politique, activité publique (la politique) ou fonction publique (le politique), dont l'objet est la recherche de la concorde et la désignation de l'ami et de l'ennemi d'un ensemble collectif (peuple par ex.), et la mise en acte du destin historique de cet ensemble collectif, au sens pratique, technique et stratégique.
Le politique, comme substance ou “activité fonctionnelle”, est un des attributs de la souveraineté qui peut, par ex., s'incarner dans l'État — qui devient alors l'instance du politique. Au sein de la fonction souveraine, le politique doit être soumis à l'ordre spirituel ou religieux porteur de sens (cf. tripartition). Les idéologies de la société marchande suivent la définition libérale du politique qui, d'après les doctrines individualistes du contrat social, le réduisent à la gestion et à l'administration des choses, le comprennent comme une série de marchés transactionnels résultant de la comparaison des besoins et des demandes d'agents sociaux calculateurs, le subordonnent de ce fait à un programme de nature économiste (techno-économique) instaurant le règne des politiciens dont la fonction, loin de toute “Grande Politique”, n'est que spectaculaire (soumise aux médias). La société se dépolitise alors.
L'État, comme la fonction souveraine, perdent le « monopole du politique », qui passe alors entre les mains de « partisans » ou se réfugie provisoirement entre les mains de ce ceux qui font de la métapolitique. La dégénérescence du politique conduit l'État, tout à la fois, à en faire trop (bureaucratisme) et pas assez (effacement, voire disparition de la souveraineté).
La question, assez classique, des rapports entre morale et politique mérite ici un court éclaircissement. Elle ne se pose pas en effet de la même manière dans la sphère privée et celle publique. Dans le premier cas de figure, il s'agit de responsabilité individuelle, dans le second de responsabilité collective. Confondre ces 2 plans par exclusive éthique de conviction, c'est refuser de considérer les 2 types d'agent de toute action (individus et groupes) et éluder la question des moyens du politique (rationalité délibérative) au seul profit des fins d'une société loin de faire l'unanimité (extension illégitime du cas particulier au cas général).
◘ 44 - POLYTHÉISME
Caractérisé par un panthéon où coexistent plusieurs divinités hiérarchisées, à l'image de la diversité vivante, le polythéisme est un des grands traits dominants de la conception-du-monde païenne et inégalitaire : il signifie la reconnaissance de la multiplicité ordonnée du réel.
Le polythéisme suppose néanmoins un ordre supérieur intégrateur (holisme) à l'intérieur duquel coexistent, même en contradiction mutuelle, des “dieux”, des valeurs, des fonctions, extrêmement diverses. L'atomisation individualiste de la société actuelle, indifférenciée, n'est pas plus du polythéisme que du “différentialisme”. Ce pluralisme égalitaire apparaît au contraire comme massifiant et relève du monothéisme puisque tout est mesuré à la même aune, est mis au même niveau. Le polythéisme suppose au contraire la hiérarchie des valeurs, des idées, des fonctions, des divinités, etc. ; l'ordre polythéiste est dominé par une unité, qui n'a rien de totalitaire, mais qui est celle du sens supérieur, celle des “dieux souverains”, celle de la souveraineté. Le polythéisme politique, par ex., n'est pas le pluralisme démocratique qui atomise les individus et factions, mais homogénéise les valeurs ; il est l'inverse : ce qui rassemble individus et factions, mais qui diversifie hiérarchiquement les valeurs. Le polythéisme social suppose, par ex., que la fonction souveraine laisse la société, la “troisième fonction”, se diversifier dans ses formes (reconnaissance des marginalités), mais rassemble le peuple autour d'une conception-du-monde commune. C'est là tout l'inverse de l'étatisme égalitaire qui dissout les valeurs communes mais homogénéise les mœurs et les formes sociales.
Nous pouvons avoir une conception polythéiste des cultures en disant que celles-ci sont incomparables et incommensurables (là est le vrai “droit à la différence”). La perception polythéiste du réel, comme ordre discontinu et contradictoire, est maintenant celle des sciences modernes. Nombreux sont désormais les auteurs, en diverses disciplines, à définir leur pensée en termes de polythéisme.
♦ Bibliographie : voir Paganisme.
◘ 45 - RACISME
Le racisme est un mot-valise confondant 2 réalités différentes : la haine raciale et le racialisme, confusion aboutissant à faire croire que toute constatation de différences raciales est mue par la haine et est totalement irraisonnée. Le racialisme aboutit généralement à critiquer la promiscuité ethnique, facteur de tensions, de jalousie, de revendications, voire de guerre civile, et à prôner l'homogénéité ethnique et culturelle, à l'image de Malcolm X. La haine raciale est, au contraire, généralement le fruit de la promiscuité forcée, suivant l'adage : "sociétés multi-ethniques, sociétés multi-racistes". Par extension, et corruption de son sens originel, le racisme est généralement considéré comme une attitude d'exclusion d'un groupe humain en raison de ses appartenances biologiques et/ou culturelles, soit pour l'assimiler à un modèle anthropologique et culturel réputé normatif, soit pour l'inférioriser.
Le racisme se développe avec le cosmopolitisme, souvent en réaction devant les conséquences de l'immigrationnisme forcené. Idéologiquement, il peut être une réaction épidermique à l'égalitarisme ou au terrorisme intellectuel qui prend l'anti-racisme pour alibi, celui, par ex., des doctrines des droits de l'homme. En prônant un mélange ethnique universel, en voulant conformer toutes les cultures au modèle occidental, on dénie implicitement aux hommes et aux peuples leur spécificité biologique et culturelle. En niant le fait racial, on méprise la race des autres, on ravale le fait humain à un fait individuel. Il faut donc renvoyer dos à dos le racisme d'exclusion et le racisme d'assimilation, qui l'un et l'autre entendent ramener la diversité humaine — qui fait la richesse de l'espèce — à une modèle unique. À noter que la Bible est un texte très imprégné de racisme, et les exemples qu'on y trouve comptent parmi les pires qui soient.La lutte anti-raciste sert d'alibi à tous les viols de conscience, le racisme étant traité comme un sentiment intime irraisonné mais que l'État doit combattre en le criminalisant. Cet alibi permet également de criminaliser toute opposition ou critique de la politique immigrationniste incitative.
◘ 46 - RAISON
L'idée d'inspiration judéo-chrétienne de Raison universelle et absolue, pensée comme attribut divin, en vue d'une téléonomie rationnelle et d'une eschatologie raisonnable, c'est-à-dire absolument nécessaire, du monde, a donné lieu aux rationalismes des idéologies occidentales.
Celles-ci entendent, en effet, “réaliser rationnellement le bonheur individuel”, lui même envisagé comme relevant d'une nécessité absolue. La morale, l'histoire, la société sont soumises au déterminisme d'une raison objective, héritière de la Loi hors du monde. L’ambiguïté de la raison tient à ce que la raison instrumentale, ou “raison subjective” est à la fois le produit de la “raison objective” et du “logos” grec, lié à l’esprit scientifique. L'État égalitaire, le marxisme, le libéralisme, les technocraties, etc. procèdent à une rationalisation du social qui homogénéise les cultures et détruit les communautés organiques. Notre civilisation rationalisée — et de ce fait, anorganique — en est le produit.
Nous entendons opérer un déplacement de la notion de raison, selon une perspective néo-païenne et faustienne : la raison objective universelle, dans l'histoire ou dans le cerveau de chaque homme, n'existe pas. (…)
◘ 47 - RÉDUCTIONNISME
Démarche intellectuelle qui procède par réduction d'un tout à une seule de ses parties, d'un phénomène à une seule de ses causes, d'un fait social à une seule de ses dimensions ; ainsi isolée, ces dernières se voient ensuite érigées en absolus ou universaux.
Le réductionnisme désigne au départ l'attitude behavioriste et environnementaliste qui réduit le comportement organique et pluridimensionnel de l'homme à un schéma stimulus/réponse ou à un mécanisme physico-chimique. Par extension, le réductionnisme s'applique à un type de raisonnement commun aux doctrines égalitaires. Que l'on réduise l'histoire sociale à l'économie (marché ou lutte de classes), le psychisme à la raison ou à l'âme immortelle, ou encore à la libido sexuelle, les besoins au bien-être consumériste, etc., le schéma est le même : le réel est déclaré provisoire en regard d'un critère universalisable supposé égal chez tous mais qu'une oppression ou qu'une injustice empêche de triompher. Rationalisme, freudisme, marxisme, libéralisme, etc., procèdent par réductionnisme ; ils reconduisent la démarche métaphysique du christianisme : refus de la complexité du réel et de la vie, de l'ici-bas, et construction d'une utopie déréalisante.
Le réductionnisme est également mécaniciste et individualiste : un tout est toujours envisagé comme agrégat d'atomes, que l'on peut isoler. Par ex., la société “n'est que” l'addition des êtres humaines abstraits, etc. Rétif à toute vision polythéiste du monde, le réductionnisme est ruiné par l'épistémologie moderne, qui démontre qu'un phénomène est toujours pluriel et que son dynamisme provient d'une interaction complexe entre ses “parties” qui peuvent être contradictoires et qui s'emboîtent en niveau hiérarchisés (cf. holisme, organique). Par ex. l'éthologie a montré que le comportement agressif était la contrepartie du comportement amical — et liée à lui. L'homme est tout à la fois guerrier, pacifique, génétiquement déterminé et culturellement libre ; son acquis ne prend de sens que par ce qui lui est inné, et l'inné ne vaut que par l'acquis qui l'actualise. L'anti-réductionnisme caractérise, de ce fait, et notre conception-du-monde et l'attitude scientifique moderne : il nous faut accepter tout le réel et l'ensemble de ses niveaux d'intégration (micro-physique, macro-physique, biologique, phylogénétique — l'évolution —, psycho-sociologique, historique, etc.), il nous faut accepter la polyphonie du monde.
« Bilan des travaux du S.E.R. », Michel Norey in Études et Recherches n°11, 1974
◘ 48 - RÉGION
La région avec l'émergence des États-nations est le plus souvent caractérisé au sein de la Modernité comme un sous-ensemble territorial. Or sa spécificité et sa continuité procèdent de l'interaction de facteurs géographiques et historiques, c'est-à-dire résultent de la confrontation et de l'intégration de la culture d'un groupe humain à un milieu naturel donné. C'est pourquoi il est légitime de considérer la région comme constituant, selon une vision organiciste du monde, la projection dans l'espace d'un niveau spécifique d'organisation d'une communauté politique.
« Une individualité géographique ne résulte pas de simples considérations de géologie ou de climat. Ce n'est pas une chose donnée d'avance par la nature. Il faut partir de cette idée qu'une contrée est un réservoir ou dorment des énergies dont la nature a déposé le germe, mais dont l'emploi dépend de l'homme. C'est lui qui, en la pliant à son usage, et en lumière son individualité. Il établit une connexion entre des traits épars ; aux effets incohérents de circonstances locales il substitue un concours systématique de forces. C'est alors qu'une contrée se précise et se différencie, et qu'elle devient à la longue comme une médaille frappée à l'effigie d'un peuple » (Vidal de la Blanche).
Les grands espaces structurés par le maillage régional sont caractéristiques des plus anciennes civilisations sédentaires. C'est en effet avec l'émergence de ces dernières, conséquence directe de la “révolution néolithique”, qu'a vraiment commencé le processus d'enracinement de l'homme sur son sol. Les innovations culturelles décisives que représentent les techniques agricoles puis métallurgiques ont permis l'action grandissante des divers groupes humains sur leur environnement. C'est alors, à partir des premiers noyaux développés, devenus greniers et ateliers, qu'a pu démarrer la grande entreprise humaine d'habitabilité du monde.
Il s'agit là d'un phénomène très complexe, marqué dès le départ par un double mouvement évoluant sur un rythme pendulaire : processus d'homogénéisation d'une part, de différenciation d'autre part. En effet, intégration et assimilation (acculturation) ont été des traits permanents de la dynamique d'expansion des grandes civilisations. Mais, par ailleurs, cette logique a toujours subi la triple contrainte des facteurs temps, espace et variabilité culturelle — cette dernière renvoyant à l'élément spécifiquement humain, le plus décisif — qui constituent en fait les 3 dimensions fondamentales propres à l'histoire elle-même. C'est le jeu combiné de ces trois facteurs qui est à l'origine du caractère très changeant et très mobile des faits humains, et partant, de leur diversité.
Nous n'insisterons pas sur le facteur temps : conditionnant les deux autres, il introduit immédiatement les notions d'évolution et de mutation. La variabilité culturelle, quant à elle, découle de la nature génétiquement "ouverte", non entièrement déterminée du comportement humain. Face à un milieu changeant, il y a adaptation libre : la nature propose, l'homme dispose. Enfin, retenons le rôle capital de la dimension spatiale, top souvent négligée. Elle est le théâtre de l'action humaine. Or, celui-ci n'est pas indifférencié ; la surface terrestre et, par conséquent, les conditions qui y règnent, ne sont pas uniformes. Dès lors, la localisation d'un phénomène en un point particulier de l'espace n'est pas du tout indifférente (cf. géopolitique). Les grandes civilisations historiques ne se sont pas développées au hasard mais, tout au contraire, dans des zones bien déterminées. Leur éclosion a été favorisée là où un certain nombre de conditions géographiques avantageuses étaient réunies. De même à l'intérieur de ces aires de civilisation, l'habitat s'est établi de préférence dans les contrées les plus propices aux besoins de l'homme. Le peuplement humain n'a donc jamais été uniformément réparti. À l'origine, de vaste zones en friche, quasi vides de toute présence humaine — forêts, landes, montagnes, steppes, etc. — entouraient les noyaux habités. Avec les progrès techniques et démographiques, ces “déserts” se sont peu à peu réduits, mais la distance entre groupes humains, en tant qu'expression de la dimension spatiale, ne saurait être annulée.
Le fait régional est né dans ce contexte : il est le résultat d'une confrontation séculaire, voire millénaire, entre les données géographiques particulières d'un sol et la [culture] spécifique d'une population. Il est à noter que, vu le confinement toujours relatif de celle-ci, les influences extérieures qu'elle subit, lesquelles contribuent pour une bonne part à la maturation de son identité — par une stimulation et une assimilation active —, dépendent également de la situation géographique du territoire considéré.
Historiquement, deux grandes zones de civilisation ont constitué les pôles culturels et géopolitiques de l'ancien monde — qui fut longtemps le monde tout court : l'Europe et la Chine. Dans les deux cas, nous observons des ensembles dont la diversification interne et la très ancienne structuration régionale offrent un parallélisme saisissant. Dans le cas de l'Europe, auquel nous nous attachons ici, l'histoire enseigne que sa structure régionalisée constitue un de ses traits distinctifs fondamentaux. C'est ce caractère qui la distingue de son prolongement russo-sibérien. Car l'Europe — indûment élevée au rang de “continent” par le chauvinisme des géographes européens — n'est en réalité que la pointe occidentale de l'Eurasie et aucune limite géographique précise ne vient la séparer des profondeurs de l'espace eurasiatique, si ce n'est justement la structure compartimentée de son paysage et l'articulation multiple de sa conformation, partout pénétrée par les mers ou découpées par les chaînes de montagnes ; configuration qui l'oppose sur le levant à la massivité indifférenciée de la plaine russe. Là, entre Baltique et mer Noire, à l'est d'une ligne Könisberg-Odessa, jamais aucune région historique n'a pu véritablement prendre corps : l'observateur n'enregistre que "gouvernements", "districts", "khanats", balayés par le vent de la steppe ou barrés par des forêts infinies. Exception notable : les pays baltes. Leur exemple illustre bien le caractère culturel et politique du régionalisme européen. De fait, sur les marches, même là où la géographie ne fournissait aucun cadre marquant, des ethnies européennes se sont battues tout autant pour façonner le paysage selon leur génie propre que pour préserver ou imposer leurs institutions face à un environnement hostile. Tel fut le cas des Allemands entre Oder et Niémen ou précisément dans le Baltikum, le cas aussi des peuples hispaniques lors de la reconquista.
Ainsi, la structure régionale de l'Europe constitue son armature profonde, moulée par les siècles et, malgré de continuelles oscillation locales, depuis longtemps stabilisées — en grande partie depuis le Haut Moyen Âge, plus tardivement dans les zones périphériques. Autrement dit, les régions représentent les briques constitutives de l'Europe, ses éléments permanents, avec et par-dessus lesquels se sont faits et défaits les divers empires, nations et États qui ont marqué son histoire : il s'agit là d'une manifestation de l'essence “polythéiste” de la culture commune des peuples européens. Dès lors, toute construction d'un authentique Empire Européen devra non seulement prendre en compte le fait régional mais encore le fondement même de l'édifice. Dans cette perspective, la région est perçue comme une composante organique essentielle d'un État communautaire et le régionalisme conçu comme une arme stratégique en vue de l'instauration d'une Europe politique unifiée.
◘ 49 - RELIGION
Lien créé entre des hommes — et entre des hommes et l'univers — par le sens du sacré propre à la fois à souder une communauté et à figurer spirituellement (ce qui implique la conviction qu'il y a "quelque chose au-dessus et au-delà de soi") un idéal, un projet, indispensable à l'ordonnance interne d'une culture, et structuré par des institutions.
Les polythéismes païens constituaient des religions plus authentiques que le judéo-christianisme, parce que la communauté politique, patrie ou cité, était au centre des cultes et s'incarnait dans les dieux. Le judéo-christianisme est, dans son essence, plus idéologie et morale que religion, puisqu'il est d'abord obéissance à une loi et promesse de salut pour les individus. Le caractère “religieux” du christianisme lui a été conféré par son syncrétisme avec la religiosité païenne. La religion en effet procède d'abord d'une orthopraxie (rite conforme à l'esprit d'une communauté) plus que d'une orthodoxie ; la religion est forme et image ("esthétique") — notions que rejette la Bible —, mobilisation par le rite, seul capable de créer le mythe. L'athéisme et le nihilisme contemporains procèdent de la laïcisation des idéaux évangéliques dans la société. Aujourd'hui, le retour des dieux doit s'entendre comme la régénérescence, non de croyances archéo-païennes dans les divinités "existantes", mais de valeurs communautaires et historiques — qui relient et guident la communauté du peuple.
Attribut d'un phénomène ou d'un mouvement de conscience dont la nature est tout à la fois de porter un sens puissamment mobilisateur, de créer un lien religieux et spirituel, et d'engendrer une valeur telle qu'elle incite à la distance, (et/ou) au mystère, (et/ou) à l'intensité comprise comme fulguration, comme embrasement intérieur.
Notion essentiellement païenne — et dénoncée comme telle aujourd'hui par certains auteurs judéo-chrétiens (BHL) — le sacré se différencie de la “sanctification” du christianisme, qui ne renvoie qu'à l'obéissance à une loi manichéenne. Le peuple, la guerre, la mort, l'éros, la souveraineté peuvent devenir, dans des circonstances précises, porteurs de sacralité. De même que chaque fonction avait son dieu dans le polythéisme, de même dans notre vision-du-monde non-dualiste, toute activité humaine, étant polymorphe, est porteuse à la fois de sacré et de profane (cf. antiréductionnisme). C'est d'ailleurs le christianisme qui, historiquement, a introduit la distinction entre sacré et profane dans les sociétés européennes. Dans le paganisme traditionnel, la nature est productrice de sacré que l'homme recueille (alors que dans la Bible, elle est profane) ; dans le polythéisme moderne, caractérisé par la conscience faustienne, où l'homme se fait démiurge, ce dernier devient maître du sacré et non plus seulement son interprète (cf. sens). Par ex., le risque et l'aventure, ressentis par un peuple qui choisit d'affronter un défi, constituent des éléments de cette immanence et de cette maîtrise du sacré. C'est vrai pour chacun de nous car le sacré est en nous — si nous le voulons.
◘ 51 - SÉLECTION
La sélection est un processus qui accompagne l'évolution naturelle tout comme le mouvement historique des cultures, comme encore les phénomènes sociaux, et, par lequel des formes disparaissent par l'inadaptation à un milieu changeant — au terme d'une compétition — tandis que d'autres formes apparaissent par victoire et adaptation.
Dans la sélection naturelle, les mutations les plus favorables par rapport au milieu sont sélectionnées, au terme de la survie des plus aptes ; la sélection peut prendre — ou ne pas prendre — l'aspect d'un combat direct entre congénères. La sélection est un des éléments structurels clés de la vie, biologique ou culturelle. La pression sélective s'exerce aussi dans la culture où les institutions sont en compétition les unes avec les autres. Une tradition est le résultat d'une sélection. Dans la société, la circulation des élites obéit au même processus ; dans la société marchande, la sélection prend l'aspect d'une lutte des classes parce que, réduite à sa dimension économique, telle que la défend par ex. le libéralisme, elle devient incompatible avec le sentiment communautaire et brise le consensus, d'où les refus actuels de la sélection sociale — refus qui n'ont pas d'effets pratiques mais aggravent encore les iniquités — comprise comme une discrimination, ce qu'elle est devenue en fait bien souvent. Mais le refus de toute sélection procède aussi, néanmoins, d'une mentalité entropique propre à la conception-du-monde judéo-chrétienne, pour laquelle le combat et le conflit, phénomènes vitaux, sont à ce titre rejetés. Pour nous, nous acceptons la sélection naturelle dans la limite où les traditions adaptées ne sont pas supprimées, et la sélection sociale si elle se fonde sur la méritocratie, si elle obéit à des principes aristocratiques, si elle ne brise pas la solidarité communautaire, si elle respecte l'égalité des chances, si elle ne se présente pas comme une sélection de classe. Ajoutons qu'une sélection se manifeste également entre les peuples, mais ses résultats ne sont jamais définitifs. Il n'y a pas de peuple élu (cf. élite).
◘ 52 - SENS
Visée suprême par laquelle les hommes mobilisent leur existence, et qu'ils posent librement mais avec risque, le sens ne se confond pas avec les valeurs, mais les organise, les ordonne, les hiérarchise et les met en perspective.
Pour l'éthique païenne, l'homme est créateur de sens : dans une perspective organique, la souveraineté donne un sens englobant au destin du peuple, dans lequel s'inscrivent les destinées individuelles. Dans le judéo-christianisme, le sens appartient à Dieu, situé hors du monde, et l'homme en est dépossédé : le monde est déterminé d'avance vers une fin qui lui échappe ; c'est la téléonomie. Le "péché originel", dans la Genèse, est d'ailleurs constitué par le geste de l'homme qui, contre l'interdit du Créateur, cueille le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal — et, ce faisant, s'institue donneur de sens. La créature accède ainsi, par ce geste de défi, au statut de créateur. Les idéologies occidentales ont laïcisé ce schéma : sens-de-l'histoire du marxisme, idéologie du progrès du libéralisme, etc. Dans la société marchande, le rationalisme économique prive l'homme et les cultures de la possibilité de choisir un sens à l'existence (destin) : l'individu devient hétéronome et la société absurde, en proie à “l'implosion du sens” (Baudrillard). Le nihilisme des idéologies issues du judéo-christianisme provient de ce qu'elles ont dépossédé l'homme de la création du sens. Dans l'éthique païenne, le non-sens du monde et la liberté risquée et aléatoire de l'homme ne sont pas générateurs d'angoisse ou de péché, comme c'est le cas dans la morale biblique, mais de mobilisation religieuse (conscience tragique). La science moderne, qui reconnaît l'univers comme analogique et dépourvu de raison suprême, permet d'inaugurer une modalité faustienne d'action humaine que les possibilités de la technique permettent, au surplus, d'actualiser (cf. volonté de puissance, modernité)
◘ 53 - SOCIÉTÉ MARCHANDE
Société où les actions et les mentalités sont gouvernées par l'esprit marchand, où “tout” a un prix, mais où rien n'a de "valeur", où même ce qui n'est pas économique et commercial — fonctions et rapports sociaux — est considéré comme une marchandise.
La société marchande — terme préférable à “société capitaliste” — domine la civilisation occidentale, transcendant les régimes politiques et, bien qu'elle trouve son origine dans les doctrines du libéralisme, elle s'accommode parfaitement de la gestion de l'État-Providence et n'est pas nécessairement liée à l'économie de marché ni au mercantilisme économique. Dominée par l'esprit de calcul caractéristique du bourgeoisisme, la société marchande réduit la diversité des fonctions sociales et la pluralité des rapports sociaux au modèle économiste de l'échange, comme si la société n'était qu'un marché et le bien commun la somme des transactions entre les préférences intéressées d'acteurs sociaux individuels.
« Économie organique et société marchande », Secrétariat Études & recherches, in : éléments n°28/29, 1979
Fonction qui incarne les valeurs supérieures et fondatrices, liées à l'histoire, dans la conception-du-monde indo-européenne (cf. tripartition).
La souveraineté, dans notre optique, appartient à la fois au religieux et au politique, celui-ci étant subordonné à celui-là. Elle assure le destin du peuple sur le long terme. Présente dans une institution suprême dont les formes peuvent varier, les valeurs souveraines peuvent s'incarner du haut en bas de l'échelle sociale dans diverses instances (holisme), relativisant, hiérarchisant et se soumettant les autres valeurs, parfaitement légitimes de ce fait (cf. organicisme et organique). La souveraineté ne se confond donc pas nécessairement pour nous avec un État central, unificateur, individualisateur et égalitaire ; elle est même tout à l'opposé de l'étatisme contemporain, qui rend impossible toute autorité souveraine (cf. société marchande). Une communauté qui oublie le sens de la souveraineté est, à terme, condamnée à mort.
♦ Bibliographie : voir Tripartion.
◘ 55 - TOTALITARISME
Le totalitarisme est la réduction des normes culturelles, des projets collectifs, des formes et des finalités sociétales à une “totalité” fermée et unilatérale, résultant de l'imposition à la société d'une morale et d'une idéologie unidimensionnelles, fondées sur des absolus, généralement liés à l'égalitarisme.
Pendant plus de mille ans, le judéo-christianisme a tenté d'imposer à l'Europe une société totalitaire sous le nom de “chrétienté”. Laïcisé, il a fondé les totalitarismes modernes qui entendent imposer une définition de l'homme, du politique, du social, en forme de vérité révélée. Le totalitarisme est un monothéisme : il unifie les projets de société et les visées historiques autour d'une valeur dominante, à connotation égalitaire : l'économisme des idéologies occidentales est, par ex., porteur de totalitarisme. Le totalitarisme est le fruit de l'égalitarisme, puisque ce dernier exige une homogénéisation du social selon des lois d'équivalence.
Si le communisme marxiste montre un totalitarisme autoritaire, le libéralisme et la social-démocratie (social-étatisme) procèdent par totalitarisme latent et “doux” (cf. État-Providence) qui, pour être moins évident, n'en est que plus dangereux. Ce dernier se manifeste par l'inflation règlementaire, le paternalisme social, la pression anonyme des bureaucraties : société et individus deviennent hétéronomes, gouvernés de l'extérieur par des instances d'autant plus fortes qu'elles se légitiment par un discours libertaire et hyper-démocratique ; ainsi appuyées sur des concepts “singuliers” — Liberté, Égalité, etc. — elles tentent d'en imposer de force l'application dans le social ; elles enferment alors la vie dans une “totalité” close où l'économie, la culture de masse, l'enseignement, etc., concourent à la fabrication d'un homme unidimensionnel. Ainsi, le totalitarisme peut-il être latent dans une société permissive qui se prétend conviviale. Tous ceux qui se rebellent contre ce “totalitarisme mou” sont nos alliés objectifs.
◘ 56 - TRADITION
Trait culturel spécifique d'un peuple, particulièrement chargé de valeur et toujours conservé par “sélection culturelle” en raison de sa constante adaptation, de son intemporalité, une tradition est également nécessaire à une communauté pour se définir et se donner une conscience historique.
Pour nous, la tradition est un perpétuel recours : elle ne s'oppose pas au futur ou au moderne, elle le fonde. D'ailleurs, la modernité fait partie de nos traditions. Dans notre vision de l'histoire, les projets et les visées d'avenir sont des mises en perspective de traditions. La tradition touche aussi bien les attitudes mentales (vue-du-monde païenne, mythe impérial) que les rites (solstice, Noël, etc.) qui doivent demeurer immuables, afin que la dynamique de l'appel du futur soit contrebalancée par un enracinement. Aujourd'hui, les traditions sont soit détruites (déculturation, américanisme, cosmopolitisme), soit neutralisées par muséification dans le folklore. Les traditions peuvent être régénérées ou “réinventées” même après une période d'interruption.
L'un de nos objectifs majeurs est de réactiver une tradition qui ne fait pas partie de la tradition officielle, de l'enseignement d'un Occident chrétien puis progressiste : cette liberté vis-à-vis de ses propres traditions est tout à l'inverse d'une vision déterministe de l'histoire. Nous pouvons nous choisir des traditions parmi d'autres possibles, car, comme l'avenir, le passé est ouvert. En ce sens, nous ne sommes pas traditionalistes. Autre particularité : notre choix d'une société traditionnelle n'a rien à voir avec le passéisme. Une “société traditionnelle” échappe au présentisme contemporain : tournée vers la modernité, elle respecte ses traditions et les constitue en mémoire vivante. Un peuple sans mémoire est un peuple sans âme, donc sans avenir. Sur ce point, Cicéron a bien résumé l'opinion des Anciens en écrivant : « L'esprit même qui voit l'avenir se souvient du passé ». Et Nietzsche de conclure par une phrase célèbre : « L'homme de l'avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue ».
Le tragique est un sentiment caractéristique de la conception-du-monde païenne, appréhendant la vie comme aléatoire, risquée, menacée par la mort et dépourvue de finalité autre que celle que lui imprime, par combat et défis relevés, la volonté humaine.
Le sentiment tragique du monde n'est pas du “pessimisme”. Le tragique n'est pas non plus le “drame” ou, à la manière chrétienne, la perception d'un monde “malheureux” : au contraire, du tragique procède la joie ; il est voulu comme tel parce qu'il décalque l'expérience de la vie telle qu'elle est.
À tout moment de l'existence, il faut opérer des choix et donc des sacrifices. La volonté de puissance suppose en ce sens une ascèse : sacrifier un possible pour en obtenir — mais sans certitude — un autre plus grand encore. En reconnaissant que le destin des peuples comme la destinée individuelle sont ainsi constitués, le sentiment tragique pousse à l'action et à l'audace. Il est tout à l'opposé des mentalités actuelles, héritées du finalisme judéo-chrétien, où la vie n'est pas — ne doit pas être — risquée et où, dans un esprit déterministe tenté par la sécurité, la “garantie”, la préservation d'une vie sans intensité (parce qu'elle attend un “salut” ou un bonheur final promis), la prudence passive s'installent. Tout à l'opposé de l'esprit joueur et créateur de la mentalité tragique (cf. travail), que l'on retrouve dans le mythe de Faust, se tient le calcul bourgeois. On en observe, par ex., les conséquences dans la psychologie technocratique. À notre époque de convergence de défis planétaires, une renaissance historique européenne requiert un renouveau de “l'activisme” tragique.
◘ 58 - TRAVAIL
Le travail représente la transformation arraisonnante de l'homme sur son milieu, conçue comme coopération conflictuelle, manifestation de la volonté de puissance et activité privilégiée où l'humain se manifeste comme tel, c'est-à-dire comme créateur de formes, initiateur de culture.
Dans la conception biblique du travail, ce dernier est dévalorisé comme punition du péché originel. Dans le christianisme, le travail n'est qu'une ascèse, un instrument de salut. S'il est aimé en tant que tel, comme volonté de puissance, il devient péché d'orgueil, défi à Dieu. Poursuivant cette instrumentalisation du travail, le puritanisme puis la société marchande le réduisent à un moyen d'acquisition de richesse et de bien-être. C'est en dépit de ces idéologies, et en contradiction avec elles, que la culture européenne a développé une telle force de travail, transformatrice du monde, qu'elle lui a permis de maîtriser et de transformer le milieu terrestre — et, demain, le milieu cosmique. Notre vision du travail : il prend une valeur pour lui-même, comme lien communautaire du peuple et comme matérialisation de projets historiques d'action sur le monde. l'essence du travail n'est donc pas “économique” et l'ouvrier ne constitue pas sa seule figure. Le Travailleur qui s'oppose radicalement au Bourgeois comme figure historiale, symbolise un type d'homme créateur, dont la personnalité se constitue par la participation au travail — en tant que volonté de puissance collective — qui donne ainsi un sens à son existence. Dans la société contemporaine, taraudée par le modèle du loisir et du non-travail, le travail est moralement dévalorisé du fait de son organisation individualiste et marchande, et de la platitude de ses finalités (bien-être et profit). Il s'agit donc pour nous de redonner au travail son véritable sens, en insistant sur le fait que, par son travail le Travailleur se transforme, se façonne, se construit lui-même.
◘ 59 - TRIPARTITION
Conjugaison d'une division de la société en 3 grandes fonctions et d'une conception-du-monde — ou d'une cosmogonie — qui la légitime, propre aux peuples indo-européens, et distinguant une fonction religieuse et souveraine, une fonction guerrière, et une fonction productive, qu'elle soit biologique ou économique.
Trait d'une vision inégalitaire (cf. égalitarisme) du monde, traduisant une perception holiste de la société (organisée comme un tout hiérarchique avec des niveaux d'intégration différents, des valeurs dominantes et des valeurs subordonnées), la tripartition idéologique atteste de l'acceptation par les Indo-européens de la division de la société réalisée au moment de la révolution néolithique. De l'Inde à la Scandinavie, de Rome à l'Europe médiévale, la tripartition a fonctionné. Elle était véritablement la “conception sociale” des peuples indo-européens. Elle s'oppose au “mono-fonctionalisme” social hérité du monothéisme judéo-chrétien, lequel assigne à toute la société la même fonction. Ce monothéisme social s'est réalisé aux Temps modernes, lorsque le christianisme s'est laïcisé dans les idéologies égalitaires et marchandes : aux fonctions se substituent les classes socio-économiques : à la pluralité des valeurs sociales fédérées par un même sens, se substitue l'unité de valeur marchande (cf. société marchande) qui pénètre toutes les activités et s'érige en finalité monopoliste.Inventer pour le monde moderne une nouvelle idéologie tripartite, c'est, par ex., plaider pour le retour d'une souveraineté contre l'étatisme, ou plaider pour la subordination de l'économique au politique, ou encore pour la fin de l'asservissement du domaine militaire aux considérations budgétaires à court terme : c'est, aussi, redonner à la fonction de production sa place légitime : toute sa place, mais rien que sa place.
Mythe et épopée I : L'idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, G. Dumézil, 1968
Propension philosophique, caractéristique du judéo-christianisme et de ses idéologies dérivées (cf. idéologies occidentales) à généraliser à la nature et au genre humain tout entier des idées ou des attributs particuliers, réels ou imaginaires, en les érigeant en “universaux” à caractère absolu (cf. réductionnisme).
En universalisant par ex. des traits culturels occidentaux ou des projets égalitaires de société, ou bien encore des notions comme la raison, le droit individuel, etc., l'universalisme, qui s'oppose au nominalisme, traduit une volonté totalitaire d'unifier, d'homogénéiser les formes de civilisation. La démocratie, la libido, le marché ou la lutte des classes, ont été par ex. érigés en universaux. Pourtant, l'épistémologie contemporaine invalide l'universalisme en mettant en lumière la vanité qui consiste à prétendre dégager de la nature physique des lois universelles — la nature est polysegmentaire — tandis que le modèle d'une société et de mœurs universalisés montre aujourd'hui l'étendue de ses conséquences négatives. l'universalisme met en danger de mort la spécificité des peuples. C'est une arme idéologique typiquement totalitaire.
◘ 61 - VALEUR
Attitude de vie ou idée concrétisable qui, dans la conception-du-monde propre à une culture ou à une religion cristallise un attachement particulier et symbolise, en le signifiant, un mode d'être-au-monde.
Les idées n'ont de légitimité que si elles recouvrent des valeurs. La métapolitique vise à accréditer de telles “idées porteuses de valeurs”. Chaque conception-du-monde comprend une échelle de valeurs hiérarchisées ; des valeurs contraires en apparence peuvent cohabiter à condition que chacune ait sa fonction et son rang hiérarchique : ce n'est possible que dans les conception-du-monde et les cultures organiques. Par ex. les valeurs de souveraineté ne peuvent cohabiter avec les valeurs marchandes de calcul et d'ostentation sociale que si elles les soumettent. La société marchande et le libéralisme se caractérisent par l'unidimensionnalité des valeurs : les valeurs marchandes produisent toutes les fonctions sociales ; c'est un héritage du monothéisme.
Avec l'aggravation du nihilisme on remarque actuellement une renaissance désordonnée mais positive de centres de valeurs échappant aux idéologies dominantes et au judéo-christianisme ainsi que la persistance de certaines valeurs fortes du psychisme européen, dans le travail, la technique, la guerre, etc. Il convient donc de ne pas croire à la “crise des valeurs” dénoncée par la vieille droite : notre société se caractérise au contraire par la naissance d'un “nuage” anarchique de valeurs positives et par la persistance de valeurs européennes, mais qu'aucun sens, qu'aucun projet ne viennent mettre en perspective. Il importe donc aux militants européens de formuler ce projet, de proposer à leur peuple un système de valeurs qui lui permette de retrouver sens et conscience de son destin.
◘ 62 - VOLONTÉ DE PUISSANCE
Tendance impérieuse à l'accroissement de la vie et de l'emprise humaine sur le monde (arraisonnement) dont les racines sont biologiques et culturelles, individuelles et collectives. La volonté de puissance est la traduction humaine consciente de l'élan vital des formes animales et végétales, qui les pousse à contre-courant de l'entropie de la matière inanimée.
Énergie complexifiante, elle est pour un peuple le choix de son destin, pour une lignée la transmission d'un héritage dominant, pour un individu la volonté de laisser sa marque. Parfaitement naturelle, la volonté de puissance a été incapacitée, comme manifestation d'orgueil, par le judéo-christianisme et ses succédanés. Il faut la distinguer du vulgaire désir de domination, individualiste et d'essence marchande ou politicienne. La volonté de puissance suppose l'ascèse : elle est sacrifice du présent à l'avenir, de l'intérêt individuel à une communauté. Alors que les conceptions-du-monde égalitaires et bourgeoises se donnent comme des voies d'accès au bonheur, notre conception-du-monde lui oppose la volonté de puissance comme moyen de mobiliser les psychismes individuels. La technique moderne donne à la volonté de puissance la possibilité de s'actualiser pour la première fois dans l'histoire, comme forme et non plus seulement comme sens. D'où la contradiction entre l'hédonisme idéologique de notre civilisation et cette volonté de puissance en acte qui n'est pas vraiment assumée et qui se voit souvent dégradée en pulsion matérialiste (domination par l'argent, etc.), (cf. modernité).