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Manipulation

Techniques de manipulation des masses


cyberpunk not dead



École des Cadres de "Synergies-France"

INTRODUCTION

Des premières traces de civilisation jusqu'à aujourd’hui, toute entité politique (état, tribu, groupe) a cherché à obtenir ou à maintenir le pouvoir. Puisqu’il y a plusieurs entités avec des valeurs différentes, inévitablement, certains vont entrer en conflit entre eux cherchant à étendre la grandeur de leur territoire ou à imposer leur politique. De plus, les dirigeants de l’État doivent garder leur emprise sur la population qu’ils contrôlent et éviter de se faire ravir le pouvoir par d’autres groupes qui pourraient chercher à le prendre.

Une façon de gérer son pouvoir et de chercher à en acquérir plus consiste à utiliser la force militaire. Une autre approche consiste en l’emploi intentionnel d'action psychologique (McLaurin, 1982). L’action psychologique (psychological operations ou PSYOPS) comprends toute forme d’action planifiée prise pour affecter la perception ou le comportement d’une cible politique choisie sans l’usage de force militaire (Bloom, 1991 ; McLaurin, 1982). L’action psychologique s’inscrit dans le cadre des relations internationales dans la mesure où un état tente d’imposer sa volonté sur un autre état (McLaurin, 1982).

Sun Tzu était un général chinois qui vécut 3 siècles avant J-C. Il écrivit un texte nommé l’art de la guerre. Son texte traitait à la fois de tactique de combat et de technique d’influence. Pour lui, « Ceux qui sont experts dans l’art de la guerre soumettent l’armée ennemie sans combat. Ils prennent les villes sans donner l’assaut et renversent un état sans opération prolongées » (p.27 ; voir Volkoff, 1986). Les préceptes de son texte touchant les techniques d’influence sont nombreux, en voici quelques une : discréditer les chefs, désorganiser l’autorité, ridiculiser les traditions, semer la discorde entre les citoyens, perturber l’économie, répandre l’immoralité et la débauche, utiliser les hommes vils et dresser les jeunes contre les vieux.

Le but de ce texte est de décrire les différentes techniques d’influence ainsi que les méthodes utilisées pour les planifier. La première partie consistera en la description des 3 grandes catégories d’actions psychologiques (propagande, désinformation et mesure active) ainsi que certaines de leurs applications. Ensuite, la deuxième partie consistera en une description des moyens utilisés pour planifier une propagande ou une désinformation ainsi que pour mesurer les effets de diverses actions psychologiques. 

ACTION PSYCHOLOGIQUE

Comme mentionné précédemment, l'action psychologique (psychological operations) est définie comme l'utilisation planifiée ou programmée de toutes formes d'actions humaines non coercitives désignées pour influencer les attitudes ou les actions des groupes ennemis, neutres ou alliés de manière à servir les intérêts nationaux (McLaurin, 1982). Il s'agit donc d'affecter les comportements d'une cible par l'intermédiaire des cognitions ou des émotions. Les actions psychologiques ont pour but soit de changer les perceptions des dirigeants ennemis sur nos intentions, soit de modifier les attitudes de la population et des soldats ou soit de supporter des mouvements qui suivent les intérêts de l'acteur. La cible des actions détermine si celles-ci ont un caractère offensif ou défensif (McLaurin, 1982). Lorsque les destinataires sont étrangers, l'action est dite offensive alors que lorsque l'action est dirigée vers sa propre population elle est dite défensive (Durandin, 1993). Son utilisation n'est pas seulement en temps de guerre, ce qui tend à nuancer les définitions classiques de guerres et de paix (McLaurin, 1982).

Bloom (1991) donne 7 raisons rendant les actions psychologiques plus avantageuse que l'usage de la force pour atteindre des objectifs :

  • elles sont moins dispendieuses,
  • elles permettent d'atteindre un plus grand nombre d'objectifs,
  • toutes actions ou situations ont des significations psychologiques qui peuvent être utilisées par les actions psychologiques,
  • la population est peu favorable à l'usage de la force et les actions psychologiques deviennent un moyen populaire d'imposer ses politiques,
  • les dilemmes de sécurité sont des phénomènes psychologiques qui peuvent avoir plus d'effet sur les actions de l'antagoniste qu'une démonstration de force,
  • les actions psychologiques permettent d'atteindre des objectifs sans perte de vie,
  • les actions psychologiques peuvent être implantées sans que la cible s'en aperçoive.

 

Bloom (1991) distingue 2 types d'actions psychologiques : la propagande et les mesures actives. Pour ce travail la désinformation a été considérée comme un troisième type d'action psychologique car elle peut servir à la fois à appuyer la propagande et les mesures actives, mais aussi être une opération en elle même. En temps de guerre, ces 3 actions peuvent venir à se confondre et la délimitation entre les 3 devient nébuleuse. 

LA PROPAGANDE

La propagande est définie par Linebarger (1972) comme n'importe quelle sorte de communication sans moyen violent utilisé pour modifier l'opinion, l'attitude, les émotions ou les comportements de n'importe quel groupe dans le but de favoriser l'utilisateur (militaire ou non) directement ou indirectement. Pour Bloom (1991), il s'agit de stimuli (signe et symbole) qui transportent un message via un média de communication. La plupart des techniques de propagandes actuelle se sont développé aux cours des 2 guerres mondiales (Jowett, 1987)

Bien que les méthodes de propagandes et de publicité tendent de plus en plus à se ressembler (études de marché, population cible, etc..), Durandin (1993) la distingue de la publicité par le seul fait qu'elle porte un message politique, idéologique ou d'intérêts publics plutôt que commercial et qu'elle laisse moins de place aux "free will" pour se manifester.

Selon Durandin (1993), la propagande utilise des informations pour exercer une influence sur les attitudes. Ces informations visent à amener une modification du traitement de l'information chez l'individu afin de lui faire percevoir la réalité autrement (Durandin, 1993). Le propagandiste espère modifier la conduite à partir de ce changement de perceptions ou d'opinion. (Durandin, 1993) La propagande a pour but d'exercer une influence sur l'individu ou sur un groupe soit pour le faire agir dans un sens donné ou soit pour le rendre passif et le dissuader de s'opposer à certaines actions (Durandin, 1993). Par sa dépendance envers des informations, la différence entre la désinformation et la propagande est mince.

Bien que pour Bloom (1991) le message véhiculé doit être véridique en majeure partie, le propagandiste peut ajouter de la désinformation à sa propagande soit en ajoutant/inventant des informations confirmant sa thèse ou soit en cachant des informations qui infirme sa thèse. Par contre la propagande se distingue de la désinformation par le fait qu'elle n'est pas toujours mensongère. En effet, dire la vérité est souvent plus simple que de mentir. De plus, selon McLaurin (1982), cela permet de garder la confiance de sa population et de réduire la méfiance de l'antagoniste. D'autre part, la désinformation a l'inconvénient de faire perdre toute crédibilité à l'émetteur si le mensonge est exposé au grand jour.

Suite à l'usage qu'en ont fait Hitler et Staline, la propagande possède maintenant une connotation négative. Certains auteurs (par ex. Fuller, 1920 ; voir McLaurin 1982) la décrivent comme étant une corruption de la raison humaine, un minage de l'intellect, une désintégration du moral et de la vie spirituelle d'une nation par la volonté d'une autre. Il n'empêche néanmoins que l'utilisation de propagande est encore très contemporaine (message d'intérêts publics sur les paquets de cigarettes, message de Patrimoine Canada, etc.).

MODÈLES

Modèle de Tchakhotine 

Tchakhotine (1952, voir Volkoff, 1986) en s'appuyant sur la théorie des réflexes conditionnés de Pavlov, ainsi que sur une classification des pulsions humaines a analysé les mécanismes de la manipulation propagandiste. Selon lui, d'une manière générale, le succès de la propagande dépend de l'habileté du propagandiste à associer un des thèmes qu'elle développe à une des 4 pulsions majeures de l'être humain (agressivité, satisfaction matérielle, désir sexuel, amour parental). L'individu soumis à ces pulsions agirait de façon inconsciente conformément à ce qui lui a été dicté. En étudiant les différentes entreprises de propagande, Tchakhotine fut amené à remarquer l'importance de l'utilisation judicieuse des symboles psychologiques (hymnes, logo, etc.) qu'il considère comme la clef de la propagande. Les symboles fonctionnent non seulement comme un signe de reconnaissance entre individus se réclamant d'une même communauté de pensée, mais aussi comme stimulus conditionnel. Les exemples de propagande ayant recours à un symbole sont extrêmement nombreux. Le symbole frappe et suggère sans informer, il fait appel à l'émotivité. De plus, selon cet auteur, environ 10 % de la population (les "actifs") ne serait pas susceptible a être influencé par la propagande. Pour convaincre ces "actifs" le propagandiste devrait développer des arguments très forts. Par contre, il note que 90 % de la population sont susceptibles à la propagande (les passifs) et que cela est amplement suffisant pour atteindre une majorité.

Propagande fasciste

Clyde Miller (voir Vorkoff, 1986) a établit des lois concernant le bon déroulement de la propagande fasciste : 

  • 1 - suggérer la peur et faire ensuite entrevoir la possibilité d'atteindre la sécurité par les actions suggérées,
  • 2 - mettre les nouvelles idées en relation avec des idées qui leur sont coutumière pour les faire accepter par les masses,
  • 3 - avoir un nombre relativement restreint de formules tranchantes et concises afin qu'ils deviennent des symboles,
  • 4 - sans cesse exposer la population à la propagande,
  • 5 - appuyer la force à la propagande pour empêcher les autres idées de s'exprimer,
  • 6 - employer l'exagération et
  • 7 - adapter la propagande en fonction de l'auditoire auquel ont s'adresse.

 

Bien que ce type de propagande soit de moins en moins influent à cause des nouveaux moyens de télécommunication, il est intéressant de noter qu'en Italie, présentement, Silvio Berlusconi du parti Forza Italia (voir Almeida, 1995) emploie une bonne majorité de ces techniques pour faire valoir sont parti politique.

Les propagandes varient en fonction de leurs cible. Les propagandes stratégiques sont celles qui visent les populations civiles (McLaurin, 1982). C'est la vision traditionnelle de la propagande. Les propagandes tactiques sont celles qui s'adressent à un auditoire militaire (McLaurin, 1982).

PROPAGANDE STRATÉGIQUE

La propagande stratégique (ou guerre politique) concerne les stratégies de communication et de politique nationale ayant pour but de faire la promotion à la population adverse ou alliée que leurs intérêts sont mieux servis avec le pays (McLaurin, 1982). Les objectifs de cette forme de propagande visent à influencer les individus des populations qui ont des attitudes moins extrémistes (les passifs de Tchakhotine) et dont leurs actions peuvent faire une différence (McLaurin, 1982). Les objectifs de la propagande stratégique sont généralement à long terme (changer les attitudes des individus). Elle peut s'allier à la désinformation quand elle tente d'exposer au maximum ses forces, de cacher ses faiblesses et de faire croire que les intérêts du pays vont en fonction du bien-être de l'humanité (Lerner, 1972).

Pour modifier les attitudes à un niveau défensif, le propagandiste expose les avantages de sa politique étrangère tout en cachant ses inconvénients (Lerner, 1972). Les messages transmis visent à influencer l'opinion publique de son pays soit pour justifier les actions du gouvernement, soit pour augmenter le moral de la population ou soit pour favoriser l'appui de la population envers le gouvernement (Lerner, 1972). Afin d'acquérir la vertu et donc le support de sa population, il est important de faire percevoir à celle-ci que les ennemis sont soit des sous-humains, soit le mal incarné ou soit normal, mais mal dirigé (Linebarger, 1972). Le gouvernement peut désinformer la population avec l'aide de la propagande pour :

  • 1- éviter de renseigner l'ennemi ou de désinformer l'ennemi par le biais des renseignements donnés à notre population,
  • 2 - ne pas démoraliser la population en leur donnant de mauvaises nouvelles,
  • 3 - ne pas réduire la production en leur donnant de trop bonnes nouvelles (" ça ne sert plus à rien de se forcer, on gagne"),
  • 4 - pour cacher les crimes de guerres ou les actions moins honorables (Durandin, 1993).

 

Dans sa version offensive, ce type de propagande permet d'améliorer le succès d'une campagne militaire en brisant la volonté de résister d'une population sans tout détruire dans le pays (Lerner, 1972). Les messages visent à délégitimer les actions de leur gouvernement, baisser le morale et réduire les appuies de la population envers le gouvernement antagoniste (Lerner, 1972). La population ennemie est une cible intéressante car :

  • 1- elle influence l'élite aux pouvoirs,
  • 2- elle est le moteur principal de production,
  • 3- elle peut supporter des groupes subversifs au pouvoir établi,
  • 4- elle soutient le moral des soldats en permission (Lerner, 1972).

 

En aucun cas une propagande ne sera efficace si on attaque l'idéologie d'un système car c'est ce qui donne un sens à la réalité de la masse (Linebarger,1972). Plus un régime est dictatorial, plus il contrôle les communications et moins il tolère que d'autre idéologie soit discutée (Volkoff,1986). Il est important que la propagande ne soit pas trop loin de la construction que la population s'est faite de la réalité (McLaurin, 1982). De plus, pour éviter que les actions coercitives fassent mauvaise publicité, le propagandiste peut affirmer que le conflit n'est pas contre la population mais contre ses dirigeants (Lerner, 1972). Ce processus amène une dissociation population/élite qui divise la société en plus de provoquer des doutes sur leur dirigeant.

Les propagandes stratégique se classifient aussi selon le degré auquel leur source est cachée (Volkoff,1986 ; Durandin, 1993). La propagande blanche est celle qui ne cache pas son origine, tandis que la propagande noire cache son origine et ment quant à la provenance des informations. La propagande blanche est généralement plus efficace en temps de paix, mais en temps de guerre les populations adverses sont plus méfiantes des "propagandes" provenant de d'autres pays. En temps de guerre la propagande noire est beaucoup plus vraisemblable car la population croit que les messages proviennent de source sure et amie (Durandin, 1993). Par contre, Volkoff (1986) affirme que la propagande noire n'est pas sans désavantage : 

  • 1- elle prend du temps à devenir efficace car le propagandiste doit établir sa crédibilité,
  • 2- elle risque de désinformer son propre coté et
  • 3- si découvert, ce type de propagande perds toute crédibilité.

 

Il est important pour se rendre crédible, dans ce type de propagande, d'affirmer plus de vrai que de faux (Durandin, 1993). La propagande noire sert souvent à propager de fausses informations et se rapproche donc énormément de la désinformation.

PROPAGANDE TACTIQUE

Bien que toute action militaire provoque des réponses psychologiques (affect de peur, baisse de morale, stress, etc.) intentionnellement ou non, il ne s'agit pas de propagande tactique (McLaurin, 1982). La propagande tactique ou guerre psychologique implique toute forme de communication utilisée pour faire support aux combats et pour modifier le rapport de force par son influence sur les esprits (McLaurin, 1982). Elle supporte soit en :

  • 1 - informant l'adversaire sur les procédures à suivre pour se rendre ,
  • 2 - augmentant l'impact des armes puissantes,
  • 3- baissant le morale des troupes en faisant croire la défaite inévitable,
  • 4 - supportant les partisans alliés,
  • 5 - instiguant du stress,
  • 6 - contrôlant les civils (n'allez pas sur la plage, il y a des combats)
  • 7 - en contre-attaquant la propagande ennemie en affirmant que s'ils se rendent, les soldats seront bien traités (McLaurin, 1982).

 

Les objectifs ciblés par une telle pratique sont à court terme, ils ne visent pas un changement d'attitude et, de plus, ils peuvent dans certains cas être en contradiction avec les objectifs politiques (McLaurin, 1982).

Ce type de propagande s'adresse obligatoirement à un auditoire hostile, donc Katz (voir McLaurin, 1982) affirme que la propagande doit être véridique afin d'éviter de perdre toute crédibilité suite a de fausses affirmations. De plus, elle doit être employée conjointement avec l'usage de la force car seul, elle est inutile (Katz, voir McLaurin, 1982). Son usage est limité aux moments victorieux car le message n'a aucune crédibilité si les soldats croient qu'ils ont l'avantage au combat. Katz (voir MacLaurin, 1982) suggère d'éviter le ridicule car il n'y a pas de place à l'humour au front. Il propose aussi de ne pas teinter le message de saveur idéologique car l'idéologie a peu d'impact dans une situation de survie. Il affirme aussi que les messages essayant d'instiguer la peur sont inefficaces envers des militaires car ceux-ci sont entraînés à contrôler leur peur. Par contre, ils seraient très utiles face à des civils.

LA DÉSINFORMATION

La désinformation est la technique la plus complexe, mais aussi la plus difficile à classifier. Elle peut être utilisée comme action en soi ou comme support à une autre action que ce soit de manière offensive ou défensive. Ce concept provient du mot russe dezinformatzia qui signifiait dans l'encyclopédie russe de 1947 (voir Durandin, 1993) "l'utilisation de la liberté de presse pour manipuler les masses" (p.17). Montifroi (1994) la définit comme l'usage délibéré de l'information dans le but de fausser la perception de la réalité pour la cible. Elle vise soit à tromper l'antagoniste ou à influencer l'opinion publique soit en amenant la cible à comprendre certaines croyances qu'ils auraient autrement en aversion ou soit pour revendiquer un mensonge comme véridique (Montifroy, 1994). Pour Durandin (1993) il s'agit d'un mensonge organisé dans l'intention de tromper la cible en faveur de la politique étrangère de l'émetteur à une époque ou les moyens de diffusion de l'information sont omni-puissant.

Vorkoff (1986) pousse plus loin en affirmant que toute information a une teneur en désinformation par ce que l'individu est incapable d'atteindre l'exactitude dans ses perceptions et que chaque individu possède une appréciation relative de l'importance des choses. Une information possède 2 éléments : le contenu de l'information et sa source. Il y a mensonge, et donc désinformation, quand un de ces 2 éléments manque d'intégrité (Durandin, 1993).

La désinformation comme action vise principalement l'opinion mondiale et/ou l'opinion d'une population par l'utilisation de média de masse, mais pas les dirigeants (Volkoff, 1986). La manipulation des dirigeants se fait par l'entremise de l'opinion publique (Durandin, 1993). La désinformation comme support vise à renforcer l'effet des autres actions psychologiques soit en augmentant leur impact ou soit en favorisant leur caractère clandestin. Il est important à noter que la désinformation peut aussi être utilisée pour un bien commun.

***

Les désinformations peuvent se classer (Durandin, 1993) par des procédés différents constitués des 3 catégories suivantes : le signe, l'opération et les canaux.

LES SIGNES

Il peut y avoir plusieurs signes que l'on montre à la cible pour faire une désinformation : les paroles orales ou écrites, les images (photographies et films), les faux phénomènes, les fausses actions (manifestations prétendues spontanées) et les faux documents (contrefaçon). Si plusieurs signes différents qui s'accordent pour décrire le même mensonge l'effet de la désinformation augmente. Durandin (1993) note 2 sortes de mensonges : tactique (mensonge visant modifier directement la conduite d'une cible) et médiatique (mensonge visant à modifier la conduite par l'intermédiaire de son image publique).

En plus de pouvoir présenter les mensonges en information factuelle, l'existence de mots fait croire à l'existence de choses, donc par le langage on peut instiguer un jugement d'existence et de valeur (Durandin,1993). Trouver des mots qui portent est plus important que de transmettre des données objectives.

Le double langage est une sorte de désinformation qui utilise le langage comme signe. Il consiste à dire 2 choses différentes à 2 groupes différents à propos d'un même problème soit en isolant les 2 destinataires ou soit en gardant la vérité qu'aux cadres de haut niveau (Durandin, 1993).

Le trucage des photos a été pendant longtemps très complexe et la photo devint un moyen très fidèle pour représenter la réalité. Par conséquent, elles sont devenues des instruments très vraisemblables pour faire croire une fausse réalité (Durandin, 1993). Aujourd'hui, avec les moyens d'infographie actuelle, toutes photos ou tous films peuvent être manipulés de n'importe quelle façon.

L'utilisation de faux documents se fait soit en cachant/détruisant/substituant des documents ou en créant des faux documents ou en falsifiant les documents existants (Durandin, 1993). Les "faux faux" consistent à créer un faux document, le "découvrir" et ensuite en attribuer la provenance chez l'adversaire (Durandin, 1993). Un autre "faux faux" consiste à déformer sa signature de façon à se laisser une porte de sortie ("Ceci n'est pas ma signature") si la situation devient désavantageuse (Durandin, 1993). L'utilisateur peut en faire soit un usage tactique (influencer le comportement de l'antagoniste) ou médiatique (nuire à la réputation de la cible) (Durandin, 1993).

LES OPÉRATIONS

Les opérations constituent les diverses façons d'altérer la représentation de la réalité. Elle sont fonction du choix que le désinformateur fait des éléments à montrer ou non et fonction de sa thèse (Durandin, 1993). Ce dernier peut soit réduire des éléments (omission de faits, négation, minimisation ou suppression de trace), soit mettre en valeur des éléments (exagération, exhibition) ou soit faire une combinaison des deux (exagérer l'importance de certains faits et en omettre d'autres). S'il manque des éléments pour soutenir une thèse, le désinformateur peut en inventer. L'omission est l'opération la plus facile car il ne soulève pas de contradiction (Durandin, 1993).

La surprésentation est une technique donnant l'illusion de participer à l'activité et pouvoir faire quelque chose à la situation. Il suffit de présenter un maximum d'informations (souvent en direct) superflues afin de masquer les informations importantes (Durandin, 1993). Cette technique est abondamment utilisée sur CNN, et fut l'une des désinformations principales de la guerre du Golfe (Durandin, 1993) avec le contrôle des journalistes (McCormack, 1995) et des informations diffusées (Rakos, 1993).

LES CANAUX

Les canaux sont les moyens utilisés pour transmettre la désinformation. Certains canaux visent la population dans son ensemble, tandis que d'autres ciblent des groupes spécifiques (Durandin, 1993). Les canaux qui touchent la population dans son ensemble sont : les médias de masses (presse, radio, films, télévisions, etc.), les communications informelles (rumeur, conversation), les organisations de masses (ONG, groupes communautaires), manifestation culturelle (fête, sports) ou des mouvements de masse (mouvement écologique, pacifique, etc.). Les canaux qui ciblent des groupes spécifiques sont des périodiques spécialisés, des organisations professionnelles (congrès, etc.), des signes prétendus confidentiels, personnes influentes ou des agents d'influence (membre des services de renseignement). Les destinataires peuvent être atteint par plusieurs canaux ce qui augmente la crédibilité de la désinformation (Durandin, 1993).

En plaçant les actions psychologiques sur un continuum partant d'un extrême communication (propagande) et de l'autre un extrême opération directe (mesure active). L'usage des médias de masses à des fins de désinformation transpose celle-ci aux limites de la propagande tandis que l'usage d'agent d'influences aux limites des mesures actives. Les médias sont considérés par tous les auteurs comme une cible de premier choix pour la désinformation à des fins offensives ou défensives (Durandin, 1993 ; Volkoff, 1986 ; Montifroy, 1994). L'utilisation de journalistes est utile car :

  • ils n'ont pas toujours le temps de vérifier leurs sources à cause du milieu extrêmement compétitif de leur emploi,
  • ils sont facilement influençables (chantage, corruption),
  • ils sont crédibles,
  • ils ont accès à de vastes moyens de diffusion (Durandin, 1993).

 

Cette situation est le propre des sociétés permettant la liberté d'expression. Les sociétés ne laissant pas cette liberté sont à toute fin pratique immunisées contre la désinformation offensive (Volkoff, 1986). Les journaux peuvent être un moyen de désinformation en temps de paix soit :

  • en imitant un journal existant contenant de fausses nouvelles,
  • en créant ou achetant un journal afin de présenter sa vision des choses,
  • en subventionnant secrètement un journal,
  • en utilisant des agents d'influence sur un journaliste,
  • par l'entremise de publi-propagande payée dans un journal à grand tirage (Durandin, 1993).

 

Les ondes radios ne sont pas soumises aux frontières entre les états. La désinformation peut se faire :

  • en émettant à partir d'un poste radio d'un autre pays,
  • en utilisant une onde très proche d'une station existante,
  • en achetant une radio existante en temps de paix (Durandin, 1993).

 

En temps de guerre la radio peut servir à démoraliser l'adversaire :

  • en lui donnant de fausses mauvaise nouvelle,
  • en excitant les ennemis de nos ennemis,
  • en donnant de vraies informations militairement tactiques pour ensuite donner de fausses informations afin de tendre une embuscade (Durandin, 1993).

 

Ce type de diffusion est associé à la propagande noire. Aucun poste de télévision n'a été jusqu'à ce jour considérer noir, par contre le contenu de certaines émissions aurait put être influencé par certains agents occultes (Durandin, 1993).

L'acteur désinforme dans un journal ou une radio soit :

  • en ne présentant que des nouvelles fausses pour lesquelles l'auditeur ne peut vérifier,
  • en sélectionnant que des nouvelles allant dans le sens de ses intentions,
  • en mélangeant des informations véritables et des informations fausses,
  • en " commentant " des informations vraies,
  • en exposant des nouvelles vraies avec des preuves concrètes dans un contexte qui en changent le sens,
  • en grossissant et défigurant les informations vraies afin de susciter des sentiments forts chez les auditeurs,
  • en donnant une répartition inégale de la longueur et de la qualité des informations,
  • en habillant une information fausse avec un fait réel et
  • en donnant l'information sans conclusion de façon à ce que l'auditeur fasse lui-même la conclusion qui s'impose (Durandin, 1993). Remarquez que certains journalistes utilisent ces techniques pour présenter leurs points de vue sans que cela paraisse.

 

OBJETS DE LA DÉSINFORMATION

La désinformation peut porter sur les faits, les intentions, les opinions, les valeurs ou sur les croyances/idéologies : Les faits touchent ce qui peut être observé par plusieurs personnes, que ce soit des comportements ou des situations. Plus les faits sont difficiles à connaître, plus il est facile de les déformer et moins il y a de témoins, plus le fait est propice à la désinformation (Durandin, 1993). Les événements passés et historiques sont donc facilement manipulés. Voici quelques moyens simples de tromper une cible avec des faits (Durandin, 1993) :

  • Imaginer le futur à la place de la cible : le désinformateur peut présenter une possibilité du futur comme un fait afin d'aviver l'espoir ou pour créer de l'angoisse.
  • Présenter des faits dans un format scientifique sans avoir de contenu scientifique est un moyen d'augmenter sa crédibilité en désinformant.
  • Utiliser des estimations pour démoraliser l'ennemi à propos de ses performances
  • Affirmer des bases idéologiques comme des faits pour donner raison à nos actes

 

Volkoff (1986) note que la vérité n'est pas toujours vraisemblable et que le mensonge a souvent une apparence plus véridique que la vérité. Une intention est un objet qui peut être facilement dissimulé particulièrement si elle est un projet d'agression (Durandin, 1993). Les moyens de cacher ses intentions sont simples :

  • 1 - ne pas en parler,
  • 2 - utiliser des termes vagues de façon à provoquer plusieurs analyses possibles,
  • 3 - faire semblant de respecter les valeurs d'autrui et
  • 4- faire de faux plans pour ensuite les laisser " découvrir " par son antagoniste (Durandin, 1993).

 

Le désinformateur peut mentir sur une croyance, une valeur ou une idéologie en faisant semblant d'y adhérer ou de la respecter afin de s'en servir comme couverture pour parvenir à ses fins. De plus, les croyances ésotériques peuvent servir à faire des prédictions qui seront perçues comme des faits et qui renforceront le discours.

LES MESURES ACTIVES

Les mesures actives comprennent toutes opérations directes visant à influencer les récepteurs (Bloom, 1991). Elles sont habituellement clandestines et exécutées par des services de renseignements (Bloom, 1991). Ces mesures peuvent être des assassinats, de la diplomatie coercitive, du chantage sexuel sur l'élite étrangère, du terrorisme, du soutien financier de partis politiques en dehors du pays, d'infiltration d'organisation de masses , de formation de spécialistes (guérilla/antiguérrilla), de sabotage ou d'aide international (Bloom, 1991).

Plusieurs de ces actions sont très coercitives par nature (par ex. un assassinat) et se trouvent à la limite de l'usage de la force militaire et de l'action psychologique. Ces mesures sont incluses comme actions psychologiques car elles visent une modification de comportements de la part de la cible (individu ou groupe) et non pas sa destruction pure et dure. L'assassinat d'un journaliste dans un pays se fait pour empêcher que les journalistes parlent d'un événement sous peine de mort et non pas dans le but qu'il arrête d'écrire. L'assassinat ne s'adresse pas à la victime mais à tous ceux qui sont similaires à elle. Il est bon de noter que ces mesures plus coercitives sont le fruits d'états n'étant pas démocratiques.

Plusieurs de ces actions sont supportées par la désinformation (cacher la source des actions ou les traces), par contre, les mesures actives n'utilisent pas obligatoirement le mensonge. L'assassinat d'un journaliste pour ne pas que les autres parlent ne contient pas de désinformation dans la mesure où l'état ne cache pas la source de ses actions. Un assassinat sur un journaliste dans un autre pays, que les instigateurs déclarent provenant d'un autre groupe contient de la désinformation.

Assassinat et intoxication

◘ Assassinat

Un assassinat comme mesure active peut servir à :

  • renforcer la perception des capacités militaires et de la volonté politique d'un groupe paramilitaire ou rebelle,
  • tuer clandestinement certains de ses alliés pour ensuite condamner publiquement les " massacres " de son adversaire et ainsi prendre du capital politique,
  • induire la peur à une élite scientifique ou corporative pour les empêcher de collaborer avec l'adversaire,
  • assassiner un média afin de forcer les autres journalistes à ne pas aborder une question du problème,
  • dans une dictature, utiliser l'assassinat pour instiguer la peur et maintenir le pouvoir (Bloom, 1991).

 

◘ Intoxication

L'intoxication (ou désinformation tactique) est une autre forme de mesure active qui consiste à implanter de fausses informations dans les services de renseignements ennemis par l'entremise d'un intoxicateur (généralement un agent double) (Volkoff, 1986). Cette mesure consiste à faire croire aux dirigeants ennemis ce qu'il faudrait qu'il croit pour courir à sa perte soit sur le plan politique ou sur le plan militaire (Durandin, 1993). L'intoxication la plus efficace fut faite par les nazis envers Staline (Durandin, 1993) avant la deuxième grande guerre, en lui laissant croire que la majorité de l'état-major russe conspirait contre lui. Plus de 80 % des hauts gradés russes furent fusillés avant la guerre.

La subversion

La subversion est une action qui regroupe l'ensemble des moyens psychologiques ayant pour but le discrédit et la chute du pouvoir établi sur des territoires politiquement ou militairement convoités (Volkoff, 1986 ; Durandin, 1993). Elle vise à susciter un processus de dégénération de l'autorité pendant qu'un groupe désireux de prendre le pouvoir s'engagera dans une guerre " révolutionnaire " (Mucchieli, voir Volkoff, 1986). Un état peut utiliser la subversion afin de créer le chaos dans un pays étranger soit pour des raisons politiques ou militaires. Elle est la base du terrorisme et de la guérilla.

Les objectifs de la subversion sont :

  • 1 - démoraliser la population et désintégrer les groupes qui la composent,
  • 2 - discrédité l'autorité et
  • 3 - neutraliser les masses pour empêcher toute intervention générale en faveur de l'ordre établi (Mucchieli, voir Volkoff, 1986).

 

La subversion utilise les médias de masses pour manipuler l'opinion publique par l'entremise de la " publicité " que les nouvelles lui accordent après des actions spectaculaires (Mucchieli, voir Volkoff, 1986). Cette publicité survient car elle provoque chez l'auditeur un changement perceptuel envers les antagonistes comme une forme d'identification à l'agresseur (Mucchieli, voir Volkoff, 1986). Les autorités sont perçues de plus en plus faibles et irresponsables, tandis que les agents de subversion paraissent plus puissants et plus convaincus de leur cause (Mucchieli, voir Volkoff, 1986). L'opinion publique vacillera un jour du côté des agents subversifs. Sans oublier que les groupes subversifs peuvent utiliser la désinformation et la propagande dans les journaux et les radios leur appartenant pour renforcer la manipulation de l'opinion publique.

De plus, pour atteindre des groupes clefs, les agents subversifs peuvent utiliser plusieurs techniques en plus de la manipulation des médias de masse :

  • 1- intensifier les revendications légitimes, les besoins ou l'idéologie des groupes désignés,
  • 2- forcer un sous groupes se présentant comme le champion des intérêts du groupe (modèle) à faire des actions directes,
  • 3 - mobilisation du groupe s'il y a attaque perpétrée contre un membre du groupe et finalement,
  • 4 - la technique provocation-répression-appel à l'unité contre la répression (Mucchieli, voir Volkoff, 1986).

 

Cette dernière technique se fait en 4 temps :

  • 1 - acte de brigandage pour forcer l'autorité à être répressive,
  • 2 - répression de l'autorité que l'acteur doit faire percevoir comme une menace collective pour le groupe,
  • 3 - augmenté le niveau de violence des actions afin d'augmenter la répression de façon circulaire et
  • 4- appel au front commun contre la répression en culpabilisant l'autorité et en justifiant les actes de brigandages du départ (Mucchieli, voir Volkoff, 1986).

 

LA PLANIFICATION D'ACTION PSYCHOLOGIQUE

La planification est un aspect essentiel de toute action psychologique. Les actions doivent avoir des objectifs précis. La prochaine section aborde les méthodes de planification de propagande et de désinformation, les mesures d'efficacités des propagandes et les facteurs à considérer lors de l'élaboration de propagande et de désinformation. Aucune des sources consulté ne parlait de planification de mesures actives.

La première étape à toute action psychologique est la recherche de renseignement (McLaurin, 1982). Celle-ci peut se faire grâce à des techniques de recherche de marché (sondage d'opinion, etc.), entrevue, interrogatoire ou de l'analyse de contenus de documents. Ces techniques peuvent provenir de sources d'information variées : des renseignements humains (prisonnier de guerre, civil ennemi ou allié, réfugié), de renseignements électroniques (écoute électronique, interception de données informatiques), des documents capturés, des experts ou par une revue de littérature (rapport de renseignement, périodique/livres, propagande ennemie, média de masse, études spéciales) (McLaurin, 1982). La recherche de renseignement vise à : 1) définir les audiences clefs dans une population, 2) évaluer les attitudes et les motivations des gens, 3) analyser les vulnérabilités d'audience spécifiques et 4) déterminer le meilleur moyen d'atteindre ses objectifs (McLaurin, 1982).

La deuxième étape d'une propagande consiste à choisir le contenu du message, les moyens de communications et les techniques utilisées en fonction des objectifs, de la situation et de l'audience ciblée (McLaurin, 1982). Il est important que le contenu du message soit cohérent avec ce que les gens croient (Lerner, 1972). La troisième étape consiste à planifier la logistique nécessaire et à transmettre la propagande (McLaurin, 1982).

Le propagandiste doit tenir compte de plusieurs facteurs pour élaborer son message. Ce dernier doit :

  • 1- attirer l'attention,
  • 2- être compréhensible par la cible,
  • 3- ne pas l'offenser,
  • 4- activer des besoins individuels et fondamentaux et
  • 5- proposer une réponse pour une collectivité car les comportements sont fortement influencés par son rôle et son groupe de pairs (McLaurin, 1982).

 

Les facteurs de persuasion sont les mêmes qu'en publicité :

  • 1- la source doit être crédible, prestigieuse et/ou similaire à la cible ,
  • 2 - le contenu dépend des objectifs, mais il doit être semblable aux attitudes de la cible ,
  • 3 - de façon générale, les masses médias sont plus efficaces
  • 4- l'audience cible doit être celui ayant les attitudes les moins prononcées (Bloom, 1991 ; McLaurin, 1982).

 

Pour pouvoir faire une désinformation, il faut tout d'abord que les renseignements obtenus démontrent que les cibles sont susceptibles a être affectée par une désinformation. Cette susceptibilité provient de :

  • 1- une cible apte à être déformée,
  • 2 - un état d'esprit dans la population ou chez les dirigeants tel qu'il acceptera la désinformation comme légitime,
  • 3 - une désinformation qui doit correspondre avec leur préconception de la réalité ou leur mode,
  • 4 - avoir des canaux de désinformation crédible et bien établis et
  • 5 - la cible doit être convaincue que le désinformateur ne peut pas l'atteindre (Montifroy, 1994).

 

Pour les services de désinformations Tchécoslovaques (Bittman ; voir Volkoff, 1986), après le recueil de renseignement, les agents faisaient des propositions de désinformations. Les meilleures propositions étaient choisies en fonction des objectifs à long terme et étaient transmises par : des agents de renseignement, des agents doubles, des collaborateurs idéologiques ayant des postes influents ou par du matériel délivré de façon anonyme.

La dernière étape consiste à mesurer les effets d'une action (McLaurin, 1982). Les mêmes sources d'informations sont nécessaires que pendant la première étape. En temps de paix, les études de marchés sont simples à effectuer car elles sont faites sans crainte de contrôle gouvernemental (Durandin, 1993). En temps de guerre, la situation devient plus complexe à évaluer et plusieurs questions se posent. Quel critère utiliser pour mesurer l'effet d'une action psychologique, comment le mesurer et comment accéder à l'audience ciblée (McLaurin, 1982) ? Le problème devient encore plus obscur lorsqu'on touche à la propagande militaire. La nature même de la guerre empêche de dire si les effets observés sont dut à la propagande ou bien tout simplement à l'action militaire (McLaurin, 1982). Les prisonniers de guerre sont souvent hostiles et refusent de répondre à des enquêtes sur l'efficacité d'une propagande. McLaurin (1982) propose que le propagandiste intègre un "agent double" à l'intérieur des prisonniers pour avoir des informations plus valides. Deux autres méthodes sont aussi proposées : interviewer à fond un très petit groupe d'individus ressemblant le plus à la population cible ou encore, questionner un "juge" qualifié qui connaît bien la population et la culture cible. Il est à noter que ces 2 dernières méthodes comportent des biais.

Les effets de propagandes en temps de guerre peuvent être évalués de façon quantitative ou qualitative (McLaurin, 1982). Des exemples de critère quantitatif sont : le nombre de prisonniers de guerre, le nombre de déserteurs, le temps pour effectuer un rappel de la propagande, un sondage distribué aux prisonniers et le nombre de pamphlets ou d'heures de diffusion effectuées. L'analyse de contenu des communications ennemies, des interviews, des interrogatoires ou l'analyse des lettres des prisonniers sont des exemples de critères qualitatifs.

CONCLUSION

Les façons d'influencer les adversaires sans utiliser de forces militaires n'ont pas si changé depuis Sun Tzu. L'action psychologique reste une alternative pour les états tentants de s'imposer en relation internationale que ce soit par l'utilisation de propagande, par la désinformation ou par des mesures actives. L'annexe 1 synthétise les principales techniques de chacune des 3 catégories en fonction de leur nature soit offensive ou défensive et selon qu'elle s'adresse à une élite, à la population, aux militaires ou à des groupes/individus influents.

Bloom (1991) remarque que l'actions psychologiques est un sujet difficile à analyser parce qu'elle est difficile à identifier clairement à cause de sa nature clandestine. Selon lui, les auteur qui l'aborde présente plutôt leur jugement moral qu'un bagage de connaissance. De plus, les analyse rigoureuse de ce phénomène sont rarement publié dans des périodique civil. Si il y a des recherche systématique sur une forme d'action psychologique, les résultats sont gardés top-secret.

L'arrivée de l'informatique offre énormément de nouvelle possibilité aux actions psychologiques. En partant avec la prémisse que l'information est devenue une source de puissance et que nous sommes devenus tout à fait dépendant des systèmes informatiques, Schwartau (1993) décrit une nouvelle façon de faire la guerre, l'infoguerre. Il s'agit de toutes formes d'actions prises pour avoir une supériorité informationnelle soit en affectant les informations adverses, les processus basés sur l'information ou les systèmes informatiques (Schwartau, 1993). Toute son oeuvre présente de nouvelles techniques de désinformation et de mesures actives propre à la crise qu'engendre l'explosion des technologies de l'information. La mesure active primaire de son oeuvre est le piratage informatique qui peut être utilisé à des fins de sabotage, de criminalité ou de recherche d'informations confidentielles. De plus, parce que les gens croient qu'un ordinateur est un outil ne pouvant pas se tromper, l'autoroute de l'information devient un excellent lieu pour faire une désinformation afin de briser la réputation d'un individu en modifiant certains dossiers confidentiels peu protégés (crédit, dossier judiciaire, etc.).

"L'usage efficace des moyens de communication constitue d'une façon générale un élément central pour la propagande et la désinformation. Le développement de réseaux informatiques mondiaux amplifie par son échelle, par sa puissance ainsi que par l'absence actuelle de toute législation internationale, le pouvoir de diffusion de toute forme de propagande/désinformation mais il est aussi une ligne de défense contre ceux-ci en laissant à tous une possibilité de s'exprimer." (propagande, article d'Encarta ; Microsoft, 1997) Ce travail a mis l'emphase sur les actions gouvernementales, mais une compagnie privée peut tout à fait utiliser certaines de ces techniques. Certaines formes de publicité se rapprochent de la propagande car elles ne visent pas à inciter un individu à acheter un produit mais à faire percevoir à la population que leurs actions sont pour le bien-être de tous. D'autre part, la désinformation scientifique peut empêcher un concurrent de faire des recherches sur certains terrains. Un spéculateur peut partir de fausses rumeurs ou faire sauter des bombes pour essayer faire baisser un titre à la bourse. De plus, les nouvelles armes de l'infoguerre offrent de bons moyens d'actions directe pour une compagnie (espionnage industriel, sabotage informatique, etc.).

Comme l'affirme Bloom (1991) "Influence techniques will be perceived as more important by all who seek power. With worldwide increases in interdependance, communications technology, and the lethality and sophistication of weapons, propaganda and active measure will become more cost-effective and even more morally appealing" (p.708).

◘ Bibliographie :

ALMEIDA, F., D., Images et Propagande : XXe Siècle, Firenze, Casterman-Giunti Gruppo Editorale, 192 p.
BLOOM, W., R., Propaganda and Active Measure ; chapitre du livre de GAL, R. & MANGELSDORFF, A., D., Handbook of Military Psychology, New york,
Jonh Wiley & Sons Ltd, p 694-709.
DELAUNAY, J., La foudre et le cancer : face à l'atome et à la subversion la guerre se gagne en temps de paix, Pygmalion/Gérard Watelet, 1985, 247 p.
DURANDIN, G., L'information, la désinformation et la réalité, PUF, 1993, 296p.
JOWETT, G., S., « Propaganda and communication : The Re-emergence of a research tradition », in Journal of communication, hiver 1987, p. 97-114
LERNER, Daniel, Propaganda in war and crisis, New York, Arno Press, 1972, 500 p.
LINEBARGER, Paul, Psychological warfare, NY, Arno Press,1972, 318 p.
McCORMACK, Thelma, Studies in communication : The discourses of war and peace, London, Jai Press inc., 1995, 214 p.
McLAURIN, Ron, Military propaganda : Psychological warfare and operation, NY, Praeger Publishers, 1982, 379 p.
MICROSOFT, Propagande, article dans l'Encyclopédie Encarta, 1997.
MONTIFROY, G. A., Géopolitiques internationales, Montréal, éd. Science et culture, 1994, 292 p.
RAKOS, R., F., « Propaganda as stimulus control : The case of the Iraqi invasion of Koweit », in Behavior and social issues, vol. 3, 1993, p. 35-61.
SCHWARTAU, W., Chaos on the Electronic Superhighway : Information Warfare, Thunder's Mouth Press, NY, 1994, 432 p.
TOFFLER, A. ; TOFFLER, H., Guerre et contre guerre : survivre à l'aube du XXIe siècle, Fayard, 1994.
VOLKOFF, V., La désinformation arme de guerre, Julliard/L'Âge d'homme, 1986, 275 p.
WATSON, Peter, War on the mind : The military uses and abuses of psychology, NY, Basics Books, 1978, 533 p.

 

***

◙ Film documentaire Voyage en cybernétique de Lutz Dammbeck (2003, 113 mn)

[cliquer ci-dessous pour lancer la vidéo en plein écran]

• Présentation : L’histoire sanglante de “Una-bomber”, ou comment un mathématicien surdoué devint terroriste pour combattre l’emprise croissante de la technologie.En 1978, Theodore J. Kaczynski, brillant mathématicien diplômé d’Harvard, prend congé d’un monde qui lui fait de plus en plus horreur, en raison, affirmera-t-il, de l’emprise croissante des technologies numériques. Il s’installe dans le Montana pour vivre en harmonie avec la nature. Mais il se met aussi à fabriquer des lettres ou des colis piégés qui visent des universitaires, des chercheurs, des artistes et des responsables du complexe militaro-industriel américain. Il nargue durant dix-sept ans les autorités qui l’ont baptisé “Unabomber”. Le 3 avril 1996, le FBI arrête Kaczynski, qui a tué trois personnes et en a blessé plusieurs autres. Il purge aujourd’hui une peine de prison à vie.Le réalisateur a échangé avec Kaczynski une passionnante correspondance, qu’il utilise ici pour tracer son portrait, sur fond d’une génération hippie désenchantée par l’échec de ses utopies. En contrepoint, des éditeurs, des scientifiques, des artistes multimedia, des experts militaires et des informaticiens donnent leur version d’un monde de communication virtuelle et de haute technologie dorénavant approuvé par le plus grand nombre.

 

 

 

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pièce-jointe :

LE PRINCE SAIT TOUT CE QUI SE PASSE AU MOMENT MÊME OÙ CELA SE PASSE… »



arton110.jpg◘ Entretien avec Éric Werner, essayiste politique, paru dans la revue éléments n°118 (2005).

Sous couvert de lutte contre le terrorisme et sous prétexte de sécurité, un système de surveillance généralisée se met en place dans le monde. Que restera-t-il des libertés ? Le mot démocratie aura-t-il encore un sens ? Autant de questions angoissantes, auxquelles l’auteur de L’avant-guerre civile et de L’après-démocratie apporte des réponses historiques, philosophiques et techniques.

 

Quelles sont, selon vous, les origines historiques de cette entreprise de contrôle et de surveillance des personnes, à laquelle les moyens techniques modernes ont donné une accélération foudroyante ?

EW : L’entreprise elle-même est ancienne, il en est question par ex. chez Aristote à propos de la tyrannie. S’interrogeant sur les moyens de préservation de la tyrannie, Aristote relève qu’« on oblige ceux qui résident dans la cité à vivre constamment sous le regard du maître et à passer leur temps aux portes de son palais ». Il poursuit en disant que le tyran doit « s’efforcer de ne rien ignorer de ce que chacun de ses sujets peut dire ou faire, mais d’avoir des espions, comme à Syracuse les femmes qu’on appelait délatrices, et les oreilles du prince que Hiéron envoyait partout où se tenait quelque réunion ou association ». Hiéron espionne donc ses propres concitoyens, ce qui revient à les considérer comme des ennemis en puissance. Il veut tout savoir à leur propos, ne rien laisser dans l’ombre.

On pourrait en dire autant du prince moderne. Lui aussi veut tout voir et tout écouter. On en a un exemple avec le réseau d’écoute planétaire Échelon, qui intercepte 80 % des communications a travers le monde. Ce sont les oreilles du prince. Quant à l’œil du prince, on en aura bientôt un équivalent performant avec la carte d’identité biométrique obligatoire et lisible à distance, qui assurera la « traçabilité » du citoyen tout au long de sa vie.

La société de surveillance est-elle assimilable purement et simplement au totalitarisme ?

C’est, dirions-nous, une forme particulière de totalitarisme, mais il convient de bien en préciser la nature. On est très loin par ex. des descriptions d’Alexandre Zinoviev dans Le communisme comme réalité. Zinoviev décrit une société où tous s’espionnent en permanence les uns les autres, s’espionnent et se dénoncent. Chacun est sous le regard de l’autre et tient l’autre sous son propre regard. Le travail de collecte de l’information est l’œuvre des citoyens eux-mêmes agissant en délateurs. C’est une surveillance à l’horizontale.

Ici en revanche elle s’opère à la verticale. Le prince dispose désormais de moyens lui permettant de recueillir lui-même l’information nécessaire ; cela se fait même automatiquement. L’information est donnée immédiatement et en temps réel. Le prince sait tout ce qui se passe au moment même où cela se passe. De nombreux recoupements sont ensuite possibles par croisement des informations ainsi recueillies avec celles des fichiers informatiques déjà existants. On retrouve ici une métaphore traditionnelle du pouvoir, celle du maître tout-puissant embrassant du regard l’ensemble de l’espace social. Mais il ne s’agit plus ici d’une métaphore, c’est la réalité.

Bref, la police travaille ici toute seule, sans l’aide de personne. L’ancienne société communiste (mais aussi nazie) était très largement une société de délateurs. Or, la délation ne joue en l’espèce qu’un rôle marginal. On est en présence d’une forme de totalitarisme où le totalitarisme ne passe pas par les individus. Elle ne leur est pas immanente, mais transcendante. C’est une superstructure au sens strict, autrement dit elle ne se situe pas au même plan que le reste de la société, mais la domine.

Il est vrai que cette superstructure est impressionnante. On estime aujourd’hui à près de 60.000 le nombre de fonctionnaires travaillant pour la NSA, l’agence américaine en charge du réseau Échelon. C’est considérable. On pense ici aux gardiens de la cité platonicienne, cette classe intermédiaire entre les rois-philosophes et la classe inférieure, en charge des problèmes de sécurité. Dans le célèbre chapitre de la Démocratie en Amérique intitulé « Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre », Tocqueville dit que le souverain réduit « chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouverneur est le berger ». Le berger est le berger, mais il y a aussi les chiens de garde.

En un sens, tout cela est le produit de la technique. Prenez l’informatique, ajoutez-y l’Internet, les satellites de communication, 2 ou 3 autres gadgets encore, et vous obtenez la société de surveillance. Or, la technique tend toujours à aller jusqu’au bout d’elle-même. Ce que l’homme est techniquement capable de faire, il le fait.

La loi s’efforce dans une certaine mesure d’encadrer cette évolution, mais les textes en la matière sont aisément tournés ou réinterprétés, quand ils ne sont pas purement et simplement ignorés. Très souvent, d’ailleurs, on change les textes pour les adapter à la pratique. Mais les nouveaux textes ne sont pas plus respectés que les anciens. C’est une course-poursuite incessante entre la loi et la pratique existante, course dans laquelle la pratique conserve toujours une longueur d’avance. On le vérifie aussi dans d’autres domaines, les biotechnologies par ex. Là aussi, il existe des commissions d’éthique s’employant à fixer des limites au développement technique. Mais ces limites sont constamment transgressées. On va toujours au-delà de ce qu’il est théoriquement permis de faire. L’éthique s’efforce de suivre, mais n’y parvient le plus souvent qu’avec peine.

Cela étant, il ne faut pas négliger non plus l’évolution propre du régime occidental, évolution marquée, ces dernières décennies, par le lent déclin de la démocratie tocquevillienne et son remplacement progressif par un système oligarchique, avec à sa tête une caste fonctionnant le plus souvent en vase clos (nomenklatura, « suprasociété », etc.). En simplifiant, on pourrait dire que la technique contribue à accélérer encore cette évolution. Mais l’inverse est vrai aussi. On l’a vu en particulier depuis les attentats du 11 septembre. La carte d’identité biométrique lisible à distance aurait probablement été de toute manière fabriquée un jour, mais le 11 septembre en a très certainement accéléré l’apparition.

Chacun a d’ailleurs été frappé à l’époque par la rapidité avec laquelle certains projets qui dormaient jusque-là dans les tiroirs en sont inopinément sortis pour acquérir aussitôt presque force de loi. Tout s’est plus ou moins joué en 3-4 semaines. Il y a en fait convergence entre 2 lignes de développement historiques, l’évolution sociale d’une part, le progrès technique de l’autre, convergence mais aussi interaction. Les effets de l’évolution sociale se cumulent en l’espèce avec ceux de certaines avancées technologiques.

Comment la société de surveillance coexiste-t-elle avec les institutions héritées de la démocratie tocquevillienne, en particulier le Parlement, traditionnellement en charge de la défense des libertés civiles ?

Toutes sortes de groupes et d’associations combattent à l’heure actuelle la société de surveillance. Mais leurs critiques ne sont guère relayées au plan institutionnel. Les députés votent ce qu’on leur demande de voter, sans trop s’intéresser au contenu même des textes qu’on leur soumet.

Je me souviens d’une émission il y a quelques années à la télévision Suisse sur l’espionnage électronique, émission au cours de laquelle il était notamment question du système Satos 3, le système d’écoute de satellites de télécommunications helvétique, étroitement lié au réseau Échelon, dont il serait, selon certains experts, un partenaire « junior ». Ce système avait été mis sur pied en secret au cours des années 90, puis, à un moment donné, le Parlement en avait légalisé l’existence, non pas directement d’ailleurs, mais indirectement, à l’occasion d’un débat budgétaire. Des députés étaient donc interrogés à ce sujet, quatre si je me souviens bien. J’ignore s’ils jouaient ou non la comédie, mais s’ils la jouaient, ils la jouaient alors très bien. À les en croire (je caricature à peine), ils ne savaient rien, n’étaient au courant de rien, etc. Ils disaient peut-être la vérité ! Peut-être, effectivement, n’étaient-ils au courant de rien.

En 2000, autre exemple, la Commission européenne avait chargé un expert écossais, Duncan Campbell, de rédiger un rapport sur le réseau Échelon, rapport qui a été publié sous forme de livre au début 2001. C’est une enquête très complète et documentée, où l’on apprend une foule de choses intéressantes. Campbell lui-même avait été auditionné par une commission du Parlement européen. Entre-temps il y a eu les attentats du 11 septembre et, bien évidemment, le rapport Campbell est passé à la trappe. En tout cas, on n’en a plus entendu parler.

Mais si le rapport Campbell est passé à la trappe, c’est peut-être pour une autre raison encore. Comment, en effet, les institutions européennes pourraient-elles endosser un tel rapport, alors qu’elles-mêmes, depuis belle lurette, sont engagées dans de vastes programmes d’espionnage électronique, comme en témoignent les activités semi-clandestines d’Europol, la super-police européenne créée en 1997 pour lutter, disait-on déjà à l’époque, « contre le terrorisme et d’autres formes graves de criminalité internationale » ? Dès sa création, en effet, Europol avait mis sur pied un réseau très efficace de stations d’écoutes permettant d’espionner n’importe qui en Europe (les téléphones mobiles, l’Internet, etc.). Les Européens sont donc bien mal placés pour venir faire la leçon aux Américains.

Cela étant, chacun comprend bien que les institutions européennes n’ont plus rien à voir avec la démocratie tocquevillienne. On a basculé ici dans autre chose.

Les systèmes de surveillance, de contrôle, de fichage, etc., étaient jusqu’ici l’apanage des États. La globalisation risque-t-elle de les déposséder de ce privilège, et si oui au profit de qui ?

Les en déposséder, je ne dirais pas cela, au moins si l’on parle des grands États. Seuls, par ex., les États-Unis ont aujourd’hui les moyens de faire fonctionner un réseau d’espionnage de l’ampleur et de la complexité d’Échelon. Eux seuls et personne d’autre. Les États restent par ailleurs, il ne faut pas l’oublier, détenteurs du monopole de la violence physique légitime. Même à l’âge de la globalisation, cela n’est pas sans importance. On dit volontiers que l’information est source de pouvoir.

Mais l’inverse est vrai aussi : le pouvoir rend plus facile la collecte de l’information. L'État n’est évidemment pas le seul acteur social à vouloir se renseigner sur la vie privée des gens, leurs habitudes, leurs fréquentations, leurs pensées et arrière-pensées, etc. Mais la loi lui octroie des droits que les autres n’ont pas, comme celui d’organiser des descentes de police chez les gens pour saisir des disques durs d’ordinateur et en recopier ensuite le contenu (quel qu’il soit, d’ailleurs). C’est un privilège non négligeable. L'État a moins besoin également de se cacher pour se livrer à des activités d’espionnage. L’aura particulière dont il bénéficie (ce qu’on appelle sa légitimité) l’en dispense. Occasionnellement au moins, il peut agir au grand jour. Il gagne ainsi un temps précieux dans ses enquêtes, et donc peut aussi les boucler plus vite.

Quelles sont les finalités de tels systèmes : s’agit-il seulement de lutter contre l’insécurité, ou l’insécurité ne serait-elle au contraire qu’un prétexte ?

Beaucoup reprochent à la police sa relative mollesse, pour ne pas dire son inaction, en matière de lutte contre l’insécurité, inaction que reflètent les courbes de la criminalité. Mais c’est mal comprendre la fonction actuelle de la police. La fonction actuelle de la police n’est pas de combattre l’insécurité; elle est, ce qui est différent, de contrôler et de surveiller les personnes. Pas seulement certaines personnes, comme le prétendent les dirigeants (délinquants, criminels, terroristes, etc.), mais toutes. C’est ce qu’on veut dire lorsqu’on parle de société de surveillance.

La société de surveillance est à elle-même sa propre fin. Ou si l’on préfère, sa finalité propre c’est le pouvoir. Or, sur ce plan-là, elle est très efficace. En tant que société de surveillance, elle fonctionne, on peut le dire, plutôt bien. L’accroissement des chiffres de la criminalité n’y change rien, pas plus que la multiplication, elle aussi bien documentée, des zones de non-droit. Même si le territoire tout entier se transformait en zone de non-droit, la société de surveillance n’en continuerait pas moins à fonctionner. La police sait d’ailleurs fort bien ce qui se passe dans les zones de non-droit (qui fait quoi, quand, comment, etc.). Mais elle n’intervient pas.

En ce sens, effectivement, l’insécurité n’est qu’un prétexte. On ne développe pas la société de surveillance pour lutter contre l’insécurité, on utilise au contraire l’insécurité comme prétexte pour justifier la société de surveillance. Car c’est un bon prétexte. Au nom de la lutte contre l’insécurité, les gens sont prêts à avaler pas mal de choses. Non pas toutes peut-être, mais beaucoup quand même, en proportion même des peurs que leur inspire l’insécurité. Souriez, vous êtes filmés. Rien qu’en Grande-Bretagne, le nombre de caméras de vidéosurveillance dans les rues, les gares, les grands magasins, etc., avoisine aujourd’hui les 3 millions.

Et que dire de l’Internet ? Puisqu’il arrive aux terroristes d’échanger entre eux des courriels, il est bien normal que l'État cherche à les intercepter. Or, il ne peut le faire qu’en identifiant tous les internautes et en en dressant le profil. Quoi de mal à cela? C’est l’application stricte du principe de précaution. Et les gens en redemandent. D’où ce paradoxe : la justification de la société de surveillance est la lutte contre l’insécurité, mais c’est son échec même en tant qu’instrument de lutte contre l’insécurité qui fait qu’elle prospère en tant que société de surveillance.

On rejoint ici une idée que vous avez développée dans vos travaux, celle de l’insécurité comme condition du « tout sécuritaire ».

La société de surveillance n’est pas folle. Si le ressort même de la société de surveillance est l’insécurité, pourquoi la société de surveillance la combattrait-elle ? Ce que craignent les dirigeants, leur véritable hantise en fait, ce n’est pas l’insécurité, ce sont les réactions éventuelles des personnes face à l’insécurité. Car là, ils ne plaisantent pas. Les lois en la matière sont appliquées dans toute leur rigueur. C’est le seul domaine où elles le sont, mais là elles le sont. Le moindre écart dans ce domaine se paye au prix fort.

La législation sur le port d’armes et l’acquisition d’armes à feu est également devenue très restrictive. La conséquence en est que les actes de légitime défense, à plus forte raison encore d’autodéfense, se font aujourd’hui de plus en plus rares, il y a 3 ans, une lycéenne de 15 ans, bonne élève et sans histoire, tua son agresseur, un individu « bien connu des services de police », en lui plantant un coup de couteau. Le procureur la fit aussitôt incarcérer. « Face à un acte aussi grave, il était difficile de ne pas marquer le coup », déclara-t-il. Effectivement, c’est exceptionnel. En règle générale, les victimes préfèrent ne pas se défendre. C’est ce que voulait dire le procureur.

Il est exceptionnel également que d’éventuels témoins se portent au secours des victimes. Quand, sur certaines lignes de transports en commun, des voyageurs se font frapper, racketter, etc., les gens se plongent aussitôt dans leur journal ou regardent ailleurs. On explique ordinairement cette attitude par la peur, peur d’être soi-même frappé ou blessé si l’on intervenait. Mais l’explication est insuffisante. Il faut aussi prendre en compte la perception même que les gens ont de l’attitude du pouvoir en la matière. Les gens sentent en effet très bien que le pouvoir n’est que modérément contre l’insécurité mais plutôt pour. Ce n’est pas toujours clair dans leur tête, mais ils le sentent. Ils sentent aussi très bien que s’ils affichent des attitudes par trop négatives à l’endroit des délinquants et des criminels (de certaines catégories d’entre eux en tout cas), les autorités risquent d’en prendre ombrage. Et donc, comme ils ne veulent pas d’histoires, ils s’adaptent. C’est très intériorisé. Si l’on peut parler aujourd’hui de « totalitarisation » des individus, c’est à ce niveau-là surtout qu’elle se situe. Cela n’épuise évidemment pas le thème de l’insécurité comme instrument de pouvoir, mais c’en est un aspect important.

Et le terrorisme ? Les dirigeants n’auraient-ils pas un tout petit peu peur du terrorisme quand même ?

Schématiquement, on pourrait distinguer entre 3 espèces de terrorisme. 

La première est le terrorisme des dirigeants. Les spécialistes n’en traitent que rarement, mais elle n’en a pas moins son importance. Zinoviev dit dans un de ses livres : « Le terrorisme est le signe d’une société démocratique. En régime totalitaire, le terrorisme est une prérogative du pouvoir ». Ce trait me plaît assez. 

Ensuite, il y a le terrorisme des opposants. Il est très spectaculaire, mais relativement inoffensif. On a beaucoup écrit à son sujet. Les terroristes agissent ici par colère, esprit de vengeance, idéalisme aussi. Ils en veulent aux dirigeants pour différentes choses (injustices, cruautés, actions criminelles en tout genre), et en font donc leur cible privilégiée. En règle générale, ils la manquent. 

Enfin il y a une troisième espèce de terrorisme, celle qui nous intéresse ici, terrorisme de personnes originellement recrutées, entraînées et payées par les dirigeants, mais qui entretemps, pour telle raison ou telle autre se sont retournées contre eux (Ben Laden). C’est l’histoire de l’apprenti sorcier. L’un des arguments de Machiavel contre le système des mercenaires est que ces derniers sont souvent tentés de se révolter contre le prince qui les utilise, Or, souligne-t-il, de telles révoltes sont redoutables. Le prince en sort rarement indemne. 

En même temps il peut y trouver son compte. On ne parlera pas ici de connivence, le terme est très excessif. Mais la réalité n’en est pas moins celle qu’on observe. À chaque nouveau raid terroriste, les dirigeants en profitent pour renforcer un peu plus encore Leur pouvoir, grâce à de nouvelles lois empiétant toujours davantage sur la sphère privée ou sur les libertés publiques. L’enchaînement est presque mécanique, il n’y a jamais de temps d’attente. Les projets sont toujours prêts au moment voulu. Le plus souvent, d’ailleurs, il s’agit d’une simple légalisation de la pratique existante. Il y a mise en adéquation de la loi avec ladite pratique. Tout ce que les dirigeants faisaient jusque-là clandestinement, ils le feront désormais au grand jour. Entendons-nous bien. 

La question du terrorisme ne se confond naturellement pas avec celle de son instrumentalisation. Les poseurs de bombes ont leurs objectifs propres, qui n’ont rien à voir avec ceux des dirigeants. La haine qu’ils affichent à l’encontre de ces derniers n’a rien de feint, elle est très réelle. S’ils pouvaient les faire disparaître en même temps que les centaines de gens modestes qu’ils tuent dans le métro, les avions ou les trains de banlieue, ils seraient au comble du bonheur. Ils prient tous les jours pour ça. Mais ils n’en sont pas moins, objectivement parlant, leurs complices. L’inverse est aussi vrai aussi d’ailleurs. 

Certains ont relevé qu’Échelon, malgré ses 40.000 employés et ses 120 satellites de communication, n’avait pas pu empêcher le 11 septembre. C’est une bonne remarque. Plus récemment encore, l’espionnage électronique n’a rien pu faire pour déjouer les attentats du 7 juillet 2005 à Londres. Dieu sait pourtant si l’Internet est aujourd’hui surveillé. Mais on n’avait rien vu venir. On dira que s’il n’y avait pas Échelon, Europol, etc., le bilan en matière terroriste serait plus lourd encore qu’il ne l’est aujourd’hui. Mais on peut retourner l’argument : trop de surveillance ne tue-t-elle pas la surveillance? 

Les États-Unis ont considéré après le 11 septembre que les moyens dont ils disposaient pour combattre le terrorisme étaient insuffisants, et donc qu’il fallait les accroître encore, ce qu’ils ont fait. Or, peut-être en avaient-ils justement trop, de moyens. En cela, ils ressemblaient à ces chevaliers lourdement armés du Moyen Âge, qu’une simple secousse suffisait à déstabiliser. Ils ployaient sous le poids de leurs propres armes. Face à un adversaire plus mobile et entreprenant, cela ne pardonne pas. Ce thème est développé par Montaigne dans un chapitre important des Essais. Que dirait-il aujourd’hui d’Échelon ? 

Bref, les populations sont perdantes sur 2 tableaux : de moins de moins de liberté, d’une part, de sécurité de l’autre. C’est l’inverse exactement du contrat hobbésien. L’homme aliène sa liberté, mais au lieu, comme chez Hobbes, d’obtenir en échange la sécurité, il obtient l’insécurité. On est nécessairement conduit, dès lors, à se demander si le même schéma d’analyse que celui applicable à la petite et moyenne criminalité (schéma, je le rappelle, rendant compte du lien fonctionnel entre l’insécurité, d’une part, le pouvoir de l’autre) ne le serait pas aussi au terrorisme. Je ne dis pas que les dirigeants n’ont pas peur du terrorisme, bien sûr qu’ils en ont peur. Mais peut-être en ont-ils moins peur encore qu’ils n’aiment le pouvoir. C’est là le point. 

Relevons en passant que les dirigeants continuent à travailler avec zèle à l’établissement d’une société multiculturelle, alors même que cette société est volontiers reconnue comme le terreau même en lequel s’enracinent certains des affects nourrissant le terrorisme. Mais ils n’en sont pas à un paradoxe près. En résumé, le terrorisme n’est qu’un élément parmi d’autres d’une situation qu’il importe, autant que possible, d’analyser dans sa globalité. On ne saurait en particulier se désintéresser des particularités propres de la société de surveillance, dans l’ensemble de ses manifestations.

La dépossession de l’individu de tout droit à l’« opacité », à l’autonomie, ne correspond-elle pas à un besoin d’irresponsabilité latent, tel que Zinoviev l’a décrit pour expliquer le succès du communisme ?

Beaucoup disent que l’homme n’aime pas la liberté : elle l’accable, le fatigue, etc. Et donc il cherche à s’en débarrasser. Dostoïevski développe longuement ce thème dans la Légende du Grand Inquisiteur. C’est certainement une clé d’interprétation intéressante pour l’histoire récente. Vous citez Zinoviev, on pourrait aussi rappeler l’ouvrage d’Erich Fromm, La peur de la liberté, consacré au nazisme.

Pour autant, je ne dirais pas personnellement que l’homme n’aime pas la liberté, c’est trop radical comme formule. On ne saurait dire non plus que les hommes aiment la société de surveillance d’un amour fou, on se tromperait fort en le pensant. Les gens n’ont pas peur de la liberté, ils ont peur de l’insécurité, plus exactement encore, ils craignent l’insécurité davantage encore que la perte de la liberté. Voilà la réalité. D’où leur adhésion à la société de surveillance, adhésion non pas enthousiaste mais résignée. Entre 2 maux, il faut choisir le moindre. La société de surveillance confisque la liberté des citoyens, mais leur promet en échange la sécurité. En fait, on l’a vu, la société de surveillance n’est pas plus une société de sécurité que de liberté. Le « tout sécuritaire » n’est qu’un mythe. Mais les gens ne s’en rendent pas compte.

Voyez-vous une possibilité de briser l’étau qui se referme ainsi sur les possibilités de liberté ?

Le prince est aujourd’hui en position de presque tout voir et tout entendre. Mais presque. Il y a un certain nombre de choses qu’il ne peut ni voir ni entendre : les pensées, par ex. Une pensée est par principe invisible. On ne peut pas non plus l’entendre, sauf évidemment lorsque la personne qui pense communique cette pensée à autrui. Mais nul n’est obligé de communiquer sa pensée à autrui, chacun peut très bien la garder pour lui-même. Et donc elle reste hors de prise, personne n’y a accès. C’est très certainement une limite importante à l’entreprise de contrôle et de surveillance des personnes. 

Les techniques d’imagerie cérébrale elles-mêmes n’ont pas accès au contenu de la pensée. Elles rendent visible le fait qu’une personne est en train de penser, oui, mais elles ne rendent pas visible la nature même de ces pensées ou leur contenu. Si par ex. quelqu’un se propose de porter atteinte à la vie du tyran, cette pensée elle-même restera toujours hors d’atteinte du tyran, et le tyran le sait bien. C’est pourquoi il ne se sent jamais complètement en sécurité. Platon disait de lui qu’il est le plus malheureux des hommes. Pour l’essentiel, cela s’explique par le fait qu’il ne parvient pas à lire dans les pensées de ses sujets.

En 2002, le gouvernement travailliste anglais lança une idée qui fit momentanément parler d’elle, celle consistant à implanter sous la peau des pédophiles déjà condamnés une puce électronique enregistrant les battements de cœur et la tension artérielle de l’individu surveillé. Cette puce, reliée à un satellite de communication, renseignerait ainsi la police sur les signes avant-coureurs d’une éventuelle récidive. Ce n’était évidemment qu’un ballon d’essai. On voulait voir comment réagirait l’opinion.

Or de tels projets, les mêmes ou d’autres analogues, fleurissent aujourd’hui un peu partout, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Ils ont même tendance à se banaliser, on y fait de moins en moins attention. Ils finiront donc bien un jour ou l’autre par se concrétiser. On commencera par les pédophiles, puis on passera à d’autres catégories de délinquants, les voleurs ou les escrocs par ex. À terme, tout le monde aura sa puce électronique. Pour autant, les dirigeants devront encore patienter avant d’avoir accès à la pensée. Les émotions sont peut-être contrôlables (au travers des battements de cœur, de la tension artérielle, etc.), mais non la pensée. C’est sur cette limite même que bute aujourd’hui le pouvoir.

Théoriquement il y aurait bien une issue, ce serait de supprimer la pensée elle-même. Certains y ont bien sûr songé. Car en supprimant la pensée, on supprime simultanément aussi la nécessité d’avoir à la surveiller. Dès lors que la pensée se transforme en non-pensée, elle devient par là même inoffensive. À défaut donc de pouvoir lire dans la pensée des gens, le tyran fera en sorte qu’ils ne pensent pas, ou le moins possible. Il les décérébrera.

Toute la question est de savoir s’il est possible de décérébrer complètement une personne, de lui désapprendre à penser. Une seule et unique personne peut-être, mais une majorité de personnes ? Tout un peuple ? Jusqu’ici au moins cela ne s’est jamais produit. Cela ne signifie évidemment pas que cela ne se produira jamais. En y mettant les moyens (à l’école, dans les médias, etc.), peut-être y arrivera-t-on un jour. Mais jusqu’ici non. La non-pensée ne s’est jamais jusqu’ici complètement substituée à la pensée. Le pouvoir bute donc ici sur une deuxième limite, celle liée à l’existence même de la pensée. Non seulement il ne saura jamais ce que pensent les gens, mais il devra se faire à l’idée que les gens ne désapprendront peut-être jamais à penser.

 

 

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