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Partisans baltes

Guérilla dans les forêts de Lituanie

477a7810.jpgEn été 1944, l’URSS occupa une seconde fois la Lituanie. Comme en 1941, commencèrent en 1945 des déportations massives de Lituaniens en Sibérie et dans d’autres régions de l’est de l’URSS, qui ont duré 7 ans. Dès 1944, une collectivisation forcée massive de la propriété privée commença. Une résistance organisée s’opposa à l’occupation, à la terreur et à la collectivisation. Durant toute la période de résistance, environ 100.000 combattants ont participé à la lutte armée. L’ampleur de la lutte a été influencée aussi par les espoirs qu’un conflit entre l’URSS et les pays occidentaux se déclencherait très vite, et ces derniers, en particulier les États-Unis, viendraient en aide à la Lituanie. Mais ces espoirs n’étaient pas réels. Les partisans ont dû lutter contre l’armée soviétique régulière. De plus, le NKVD organisait des provocations et infiltrait en masse ses agents dans les troupes des combattants. Après 1949, la résistance armée commença à s’affaiblir, cependant, elle se poursuivra jusqu’en 1953 dans ces conditions particulièrement difficiles. La résistance armée ayant eu lieu en Lituanie durant toute la décennie qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a été probablement la plus longue en Europe, et elle a été nommée à juste titre "la guerre après la guerre". Bien que cette résistance ait été et reste inconnue en Europe occidentale, l’idée "qu’elle était justement la plus grande contribution à la civilisation du XXe siècle de l’Europe" a retenti dans les publications. Jonas Žemaitis-Vytautas, Adolfas Ramanauskas-Vanagas et Juozas Lukša-Daumantas, leaders et héros de la résistance, occupent aujourd’hui une des places les plus importantes dans le panthéon de la mémoire historique de la Lituanie. [illustration : photo reprise pour la couverture de Forets Brothers de Jouzas Luksa (1921-1951) paru il y a peu]

 

Jusque dans les années 50, les Soviétiques ont dû mener une longue guerre anti-partisans dans les régions “libérées” de l’Ouest

Parmi les premiers mouvements de résistance antisoviétiques dans les régions d’Europe orientale occupées par l’Armée rouge, on compte surtout l’UPA ukrainienne, de loin la plus forte sur les plan du nombre et de l’armement. Mais le mouvement de résistance armée le plus solidement organisée fut sans conteste le Mouvement de résistance unitaire et démocratique de Lituanie.

L’organisation de ce mouvement ne fut certes pas une évidence. Pour l’observateur extérieur, tout mouvement de résistance apparaît comme un organe de combat cohérent, mené par une direction unique. En vérité, unité et cohérence sont des vertus bien difficiles à incarner dans les conditions d’illégalité et de persécution permanente. Les Lituaniens, eux, ont réussi le miracle de donner cohérence et unité à leur mouvement de résistance antisoviétique en 1947, après trois ans de travail préparatoire.

La direction de leur mouvement de résistance était entre les mains d’un Comité Supérieur pour la Libération de la Lituanie, dont la délégation extérieure avait son siège aux États-Unis et représentait simultanément les émigrés lituaniens. À l’intérieur du mouvement, les « combattants de la liberté », sous le commandement des forces armées de guérilleros, constituaient la troupe active, dont les effectifs comprenaient au départ 50.000 combattants ; à la fin de l’année 1948, on les estimaient encore à 20.000. Ces forces étaient subdivisées en unités d’arrondissement et en groupes, et disposaient de juridictions militaires et de cours martiales propres. C’était comme si l’armée lituanienne du Général Vincas Vitkauskas, trahie et livrée à l’Armée rouge le 15 juin 1940, était ressuscitée dans les forêts du pays, avec ses uniformes traditionnels, bien armée et disciplinée.

Les troupes soviétiques perdront 80.000 combattants

giovan10.jpgAprès les Lituaniens, les Allemands constituaient le groupe national le plus important dans la composition de cette armée lituanienne de libération : leur nombre est estimé à quelque 5.000 hommes dont, apparemment, plus de 1.000 officiers, selon l’étude d’Ingo Petersen intitulée Die Waldwölfe. Unter baltischen Freiheitkämpfern 1947-1950 (Les loups de la forêt – parmi les combattants baltes de la liberté 1947-1950) et publié chez K. W. Schütz à Preussich Oldendorf en 1973. Outre des volontaires allemands, on trouvait dans les rangs lituaniens des Russes et des Biélorusses. Avec les Polonais de l’Armija Krajowa, les rapports étaient mauvais car ils avaient délibérément tué des Lituaniens affirmant leur appartenance ethnique.

Au cours des deux premières années de la seconde occupation soviétique, commencée à l’automne 1944, les partisans nationaux lituaniens ont déployé une activité très intense. Dans cette période, des combats de grande ampleur ont eu lieu, ainsi que des attaques armées, menées par des forces nombreuses, parfois de la taille d’un régiment complet doté d’artillerie légère. Lors de ces opérations, les Soviétiques avouent eux-mêmes avoir perdu 80.000 hommes ; les chiffres avancés par les Lituaniens sont plus impressionnants : on parle de plus de 180.000 soldats de l’Armée rouge perdus. Presque l’entièreté des premiers effectifs d’occupation a été détruite. Résultat de cet hécatombe : les fonctionnaires soviétiques ont été saisis d’angoisse, ce qui a entrainé de nombreuses mutations et démobilisations.

Dans un premier temps, les Soviétiques ont tenté de maîtriser la situation en optant pour un combat ouvert et frontal : ils ont dès lors renforcé leurs garnisons en les dotant d’unités mobiles, des commandos d’extermination relevant du NKVD. Les pertes lituaniennes, dues à l’action de ces unités spéciales soviétiques fortes de 80.000 hommes, se seraient élevées à 12.000 hommes, selon les chiffres avancés par l’Armée rouge. Les Lituaniens, eux, estiment avoir perdu 25.000 combattants. En dépit de ces pertes énormes, et bien que l’Armée rouge n’hésita pas à détruire d’énormes zones forestières, les Soviétiques ne parvinrent pas à briser la pugnacité des partisans lituaniens.

Vu la situation, les Soviétiques décident de changer de stratégie en 1947 et d’appliquer des méthodes indirectes, plus efficaces. C’est de cette époque que date le fameux ordre que donna le Politburo au commandant en chef des troupes de sécurité soviétiques, le Général Victor Abakoumov : le Département IX de l’Armée de la Baltique devait, si les troupes d’occupation étaient mises en danger mortel, procéder à la déportation de la population civile voire à sa liquidation physique. Si, jusqu’alors, les Soviétiques ne procédaient qu’à des arrestations individuelles au sein de certaines catégories de personnes, à partir de 1947, ils commencèrent à déporter des Lituaniens en masse, surtout dans les régions où la résistance était bien ancrée comme celles autour des villes de Vilnius et Siauliai.

Dans la région de Vilnius, 70.000 personnes furent déportées vers l’intérieur des terres russes, rien que pendant l’été 1948 ; le nombre total de Lituaniens déportés s’élève à 500.000 personnes, ce qui équivaut à environ 20% de la population de 1945. Simultanément, des groupes de colons russes tentèrent de s’installer dans les régions évacuées ; ils étaient bien armés et se montraient assez agressifs. Jusqu’en 1952, la résistance armée a réussi à les chasser des villages et des fermes isolées et abandonnées qu’ils occupaient. Il a fallu attendre l’ère Brejnev pour qu’un nombre appréciable de Russes puisse s’installer en Lituanie.

Ces attaques violentes eurent de l’effet. Les Lituaniens ont été contraints, dès 1949, à modifier les buts de leurs manœuvres et à changer de tactique. Si, jusqu’alors, le principal objectif du mouvement de résistance avait été de lutter activement contre l’occupant, il devint après 1949 de protéger la population lituanienne, de maintenir intacte sa substance, gravement menacée par les mesures prises par les Soviétiques. L’organisation s’est ainsi transformée : de formation de combat qu’elle était, elle se transforma en réseau de renseignement. L’époque des grands combats était passée mais le mouvement de résistance, en prenant à son compte de nouvelles formes de combat, réussit à infiltrer jusqu’aux plus hautes instances du pouvoir soviétique et de l’Armée rouge. Le mouvement disposait d’informations de premier plan qui lui permettait d’avertir à temps des personnes menacées et d’exercer une action dissolvante qui a contribué, en fin de compte, à mettre un terme, d’abord politique, à l’occupation soviétique.

Le combat armé entre 1949 et 1953 avait pour principale caractéristique que l’occupant, qui disposait d’un potentiel quasi inépuisable d’hommes, de matériel et d’armements, devait toujours engager des troupes fraiches dans la région pour combler les pertes dues à la lutte contre la résistance lituanienne. Il n’était pas rare de voir des combats s’engager avec, d’un côté, une trentaine de partisans lituaniens, et 800 agents du NKVD, de l’autre. Dans ce type de combat, les pertes étaient souvent d’un Lituanien contre 15 voire 30 agents du NKVD, comme en l’apprend en lisant les mémoires d’un Lituanien exilé, N. E. Suduvis (pseudonyme), publiées sous le titre de Seul, tout seul – Résistance sur le littoral baltique (New Rochelle, États-Unis, 1964).

Moscou a dû recourir à un autre moyen : détruire les forêts de Lituanie, où se cachaient les partisans nationalistes. À plusieurs reprises, les régions forestières furent soumises à des bombardements intensifs, utilisant des bombes incendiaires réduisant en cendres d’énormes territoires boisés. Vers 1953, il restait environ 2.000 partisans nationalistes lituaniens en mesure de combattre ; pour leur ôter toute base logistique, les Soviétiques déportèrent 200.000 ruraux hors du pays ; dix divisions de l’Armée rouge durent protéger le transport de cette masse en wagons à bestiaux, pour éviter que les combattants ne les libèrent en cours de route. À la fin de cette période de combat, vers l’automne 1954, 120.000 hommes du NKVD, accompagnés de chiens pisteurs, firent littéralement la chasse aux 700 à 800 partisans qui subsistaient vaille que vaille. De plus, des agents spéciaux furent infiltrés dans les unités de partisans, avec pour mission de révéler les cachettes, afin que le NKVD puissent faire usage de gaz anesthésiants et d’autres substances toxiques contre les derniers combattants, qui résistèrent véritablement jusqu’au dernier homme.

Mais le combat n’était pas encore fini…

Jusque dans les années 60, les combats se poursuivirent de manière sporadique au niveau local, principalement avec la participation de petites troupes d’assaut qui frappaient des objectifs limités et précis, perpétrant des attaques ciblées et des actions de sabotage avant de disparaître sans laisser de traces. Par vengeance, le NKVD rasa des villages entiers, incendiant des maisons abritant femmes, enfants et vieillards. Souvent, les agents spéciaux du NKVD revêtaient des uniformes lituaniens et abattaient de la manière la plus bestiale des Lituaniens innocents pour mettre ces massacres sur le compte des résistants.

Le 17 mars 1965, l’un des derniers combattants armés de la résistance lituanienne, Antanas Kraujelis, fut trahi et encerclé dans son abri souterrain. Sa situation était désespérée : il se tua afin d’échapper à la captivité. Le responsable de cette action, le Major du KGB Nakhman Douchanski s’est réfugié en Israël en 1989 ; il fut jugé par contumace mais l’État hébreu ne l’extrada pas et il mourut en exil. Le 6 juillet 1965, Pranas Koncius tombe les armes à la main. Le dernier combattant à être demeuré armé dans les forêts jusqu’en 1971 fut Benediktas Mikulis. En 1980, il fut condamné à de nombreuses années de prison. Le Commissaire du peuple à la justice de l’époque, Pranas Kuris, est devenu juge lituanien à la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 1994, par la grâce de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Durant l’hiver 1986, le dernier combattant lituanien de la liberté, Stasys Guiga, meurt d’une grave maladie dans une cachette secrète, poursuivi par toute une armée de sicaires, jamais découvert et invaincu.

► Christian Nekvedavicius (article paru dans Junge Freiheit, Berlin, n°4/2010 ; tr. fr. : RS).

◙ Lecture complémentaire sur notre blog : billet sur la figure du partisan.

• Bibliographie en français :

  • L'opposition en URSS 1917-1967 : Les armées blanches - Trotski - Boukharine - Vlassov - Les partisans nationalistes - Les croyants - L'intelligentsia, Roland Gaucher, Albin Michel, 1967, 430 p., 1967.
  • Les Français dans l'histoire de la Lituanie, Gilles Dutertre, L'Harmattan, 2009.

• Galerie-photos de Frères de la forêt.

• Films : Vent d'Est de Robert Enrico (1991, sorti en 1993, sorti en DVD) évoque la question de partisans après-guerre à travers une histoire méconnue. Vienui vieni (Utterly Alone, 2004) de Jonas Vaitkus.

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Proches d'Algirdas Klimaitis en 1950, de g. à d. : Juozas Luksa dit "Daumantas" (auteur de Fighters for Freedom), Viktoras Vitkauskas - "Saidokas", Petras Naujokas - "Kietis", Bronius Trumpa et Kazys Sirvys
 

 

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Témoignage :

LA LONGUE NUIT D'UN FRÈRE DE LA FORÊT

 

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Cheveux longs et tenue de guérillero, le “Frère de la forêt” a perdu la rigidité de l'ancienne armée lituanienne. Plus de 30.000 de ses camarades ont combattu l'Armée rouge jusqu'en 1955. 20.000 au moins en sont morts, au combat ou en déportation.

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Avec l'éclatement de l'Union soviétique, les Lituaniens sont enfin indépendants. Libres, il leur faut aujourd'hui se forger un avenir. Et, surtout, apprendre leur propre histoire, occultée par 45 ans d'occupation soviétique. Les jeunes découvrent ainsi avec respect l'héroïque combat des « Frères de la forêt », ces maquisards abandonnés par l'Occident, qui ont résisté aux troupes du NKVD les armes à la main jusqu'en 1954. Balys Gajauskas, 66 ans dont 37 passées au goulag, était l'un d'eux.

 

gajaus10.jpgBalys Gajauskas [né en 1926] est un homme discret. Presque effacé. Lors­qu'il marche dans les rues de Vilnius, rien ne le distingue d'un pai­sible retraité de l'Est. Le cheveu rare, visage lisse et le regard lointain, il participe aux débats du parlement lituanien de Vilnius. Balys Gajauskas est député, mais il n'a rien d'un notable sexagénaire, réchappé de l'ex-nomenk­latura communiste. Il est tout simplement un héros national.

Depuis l'échec du putsch de Moscou, les députés lituaniens, ses collègues, se réunissent désormais sans appréhension. Les OMON, ces fameux “bérets noirs” des troupes spéciales du ministère de l'Intérieur soviétique ont quitté la république depuis plusieurs mois. Malgré ­la présence sur le territoire de près 100.000 soldats de la CEI en attente de rapatriement, les couleurs de la vieille nation balte — jaune, vert, rouge — flottent librement. Résistant à toute forme d'oppression, qu'elle soit russe, polonaise ou allemande, derniers Européens à avoir renoncé au paganis­me pour adopter le christianisme (le roi Mindaugas se convertit en 1251 [mais le tournant majeur reste le Traité de Kréva en 1385  qui, inaugurant le rapprochement avec la Pologne face au danger de l'Ordre teutonique, impose le catholicisme à tout le pays, ce qui lui permet de resserrer les liens avec l’Europe occidentale, donnant ainsi une impulsion à son développement économique et culturel. Au fil de l’histoire, la religion en Lituanie a été indissociable de la formation d’une conscience nationale, d’un sentiment national. En effet, elle est une forme de différenciation face à son immense voisin russe]), les Lituaniens, hommes libres, n'ont jamais plié devant les fils de Staline.

baltic10.jpgAvec l'indépendance retrouvée, et la démocratie restaurée, les débats enflammés divisent dorénavant les parlementaires. Sajudis (le mouve­ment), la formation du président Vytau­tas Landsbergis, vainqueur des élec­tions législatives de février et mars 1990, est désormais divisée en sept fractions rivales. Parmi les 80 élus de Sajudis (sur 141), Balys Gajaukas jouit, lui, d'un prestige incontesté. Il est député de Plungé, près de Palanga, sur la mer Baltique. Lors des débats qui agitent ses collègues, l'homme reste serein. Comme si ces choses-là ne le touchaient pas vraiment. Pourtant, Balys Gajaukas a longtemps œuvré pour l'indépendance de son pays. Il l'a payé cher, très cher.

« En 1948, j'ai été arrêté par les hommes du MGB, le ministère de la sécurité de l'État, ancêtre du KGB, explique-t-il, attablé au restaurant de l'hôtel Draugiste (Amitié) à Vilnius. Depuis quatre ans, je combattais dans les rangs des partisans contre les troupes d'occupation soviétique. Après avoir été torturé, j'ai été condamné à 25 ans de goulag. Soumis à un régime particulier, je suis retourné dans mon pays en 1973. Quatre ans plus tard, j'ai été à nouveau condamné à dix ans d'internement. En rentrant chez moi, j'ai retrouvé la même occupation : il fallait bien recommencer... C'est en 1988 que j'ai été libéré.  »

Depuis, Balys Gajauskas a été pro­posé par ses compatriotes à la députation. Le 24 février 1990, il a été élu triomphalement. En marge de ses activités parlementaires, il préside l'Union des déportés et des prisonniers poli­tiques à Kaunas, l'ancienne capitale lituanienne [pendant l'entre-deux-guerres]. Fondée en juillet 1988, cette association s'est fixé pour objectif, outre le fait de réunir les anciennes victimes des camps de concentration, de retracer l'histoire du martyre litua­nien. Elle revendique, en quatre ans d'existence. 130.000 membres !

Avant de comprendre le long combat solitaire des Frères de la forêt — un mouvement créé en Estonie en août 1940 par Alfons Rebane, devenu officier SS, et qui désigne l'ensemble des maquisards antisoviétiques baltes — quelques précisions s'imposent. Au début du siècle, le pays appartient à l'empire tsariste, avant de passer sous contrôle allemand en 1915. En 1919, l'Armée rouge conquiert la Lituanie, puis est chassée par les corps francs [stationnés en Courlande ; cf. Baltikum de D. Venner]. En 1923, les Polonais s'emparent de la capitale Vilna (rebaptisée Wilno, l'actuelle Vilnius).

vilkas10.gifCette conquête, comme les revendications allemandes sur le port de Memel, sur la mer Baltique, favorisent l'éclosion d'un sentiment nationaliste en Lituanie. Autour d'un professeur d'his­toire, Augustinas Voldemaras (1883-1942) [leader du mouvement ultranationaliste Tautininkai], se forme un mouve­ment fasciste, les Loups de fer [Geležinis Vilkas], qui constitue sa milice. Alliés aux conservateurs de Smetona [Parti national chrétien-démocrate], les Loups de fer, aidés par l'armée, fomentent un coup d'État en 1926. Un État corporatiste et autoritaire voit le jour. Les deux ten­dances — révolutionnaires et droite autoritaire — se déchirent, et force reste au Vadas (Chef) Smetona. Le pays se rapproche du Reich mais au terme du pacte germano-soviétique, l'URSS occupe la Lituanie en 1940. Malgré l'abandon du pays par l'Alle­magne, le SD favorise immédiatement la constitution de réseaux clandestins antisoviétiques. Un Front des acti­vistes lituaniens [Lietuviu Aktivystu Frontas ou LAF] dirigé par le colonel Kazys Skirpa, ancien attaché militaire à Berlin, regroupe Loups de fer et parti­sans de Smetona, réconciliés. Les com­munistes et le NKVD multiplient les vagues d'exécutions et de déportations. L'élite intellectuelle lituanienne est décapitée.

Dès le déclenchement de l'opération Barberousse, le 21 juin 1941, les Loups de fer passent à l'offensive. Ils libèrent  Kaunas et Wilno, capitale historique du grand-duché de Lituanie. Jusqu'en 1942, les nationalistes croient pouvoir composer avec les Allemands. Déçus, il commencent alors à rejoindre les forêts, qui servent de refuges à des bandes de soldats soviétiques, des maquisards polonais ou des juifs sio­nistes. Comparativement à leurs cou­sins Estoniens et surtout Lettons, qui ont formé au total trois divisions de Waffen SS, les Lituaniens ont été peu nombreux à collaborer avec les nazis. À la fin de 1944, les survivants des unités collaborationnistes, alors que les Allemands tiennent encore la “poche de Courlande”, regagnent aussi les forêts pour continuer la lutte.

Ces quelques milliers d'hommes forment l'embryon d'une résistance qui va durer jusqu'au début des années 50. Pour punir le pays, comme tous les autres peuples ayant voulu échapper à son joug, Staline, de 1945 à 1953, fait déporter des centaines de milliers de Lituaniens (de 300.000 à 500.000 personnes). Combien en sont morts ?

« Aujourd'hui encore, on ne connaît pas avec précision le nombre des vic­times, morts de froid, de privations et de famine, explique Balys Gajauskas. Il faudra des années, vérification faite après consultation des archives du KGB pour le savoir. »

Selon lui, la résistance armée a réuni 30 à 50.000 hommes et femmes, en l'espace de dix ans.

« Après 1944-1945, en pleine terreur stalinienne, les paysans, les fermiers et les intellectuels prenaient eux aussi le chemin des bois, pour échap­per à la répression, poursuit-il. Tout le système d'organisation territoriale et de défense était celui de l'armée litua­nienne, avec uniformes et grades. Cela a duré jusqu'en 1948. Après, à cause du manque d'armes, de la pression des troupes du NKVD et des commissaires politiques, il a fallu changer de tactique. Constituer des petits groupes de cinq à dix hommes. Et s'adapter à la guérilla. »

Quelques photos, miraculeusement sauvées des années noires de l'après-guerre, montrent les combattants, équipés d'armes hétéroclites, soviétiques et allemandes. Les symboles nationaux très anciens qui les unissent sont le Vitys (chevalier) à che­val, et la croix à deux traverses. Ou encore les Colonnes de Gédiminas, symbole héraldique de ce roi du XIIIe siècle, fondateur de Vilnius. Les Frères de la forêt — comme leurs homologues baltes — évoquent leur lointaine histoire. Ils ont recours aux traditions ancestrales des Baltes. Leur nom seul est très évocateur.

Adorateurs de Saule (le soleil) et de Menesis (la lune), ceux que les missionnaires évangélisateurs venus d'Allemagne nommaient “les Sarra­zins du nord” ont toujours vénéré arbres et forêts. La Lituanie, réellement convertie aux XVIIe et XVIIIe siècles, est toujours fortement imprégnée de paganisme. Depuis le regain indépen­dantiste et culturel amorcé il y a quelques années par Sajudis, on voit au bord des routes ou dans les zones boi­sées, de gigantesques totems sculptés dans les troncs, représentant hommes et animaux. D'innombrables croix rayonnantes évoquent les anciens mythes (cf. le livre de Philippe Jouet, Religion et mythologie des Baltes, Arché/Belles Lettres).

Dès août 1945, le général soviétique Kruglov — un assistant de Béria — planifie l'écrasement de la résistance. Il se fixe février 1947 comme date limite et lance dans la bataille deux divisions du NKVD. « Pour nous réduire, ils ont bombardé les forêts, par l'aviation ou l'artillerie, se sou­vient Balys Gajauskas. Il nous a donc fallu creuser des galeries sous terre, parfois reliées à des caches dans les maisons amies ». Tout cela était très artisanal, mais les résistants diffusaient tout de même de nombreux journaux clandestins, constituaient d'innombrables réseaux, sans moyens radios.

Pour éviter les représailles sur leurs proches, la plupart des Frères de la forêt disposaient d'un nom de guerre : parfois un nom d'oiseau ou d'arbre. Certains préféraient se défigurer et se brûler la cervelle plutôt que d'être capturés, leur identification entraînant la déportation immédiate de leur famille.

vanaug10.jpgGajauskas se souvient d'Adolfas Ramanauskas, alias Vanagas. « C'était un chef mythique, surnommé “le Faucon”, il a été arrêté et fusillé en 1956 ». La période de résistance la plus forte se situe entre 1946 et 1949. En 1950-1952, les possibilités d'action se restreignent, et l'aide internationale tant espérée ne vient toujours pas. Les opérations continueront pourtant jus­qu'en 1955. Ce record de longévité est à peine croyable : le dernier combattant de la liberté de Lituanie, Kraujelis-Siaubunas, s'est suicidé en 1965 dans la région Moletai (nord du pays) pour ne pas tomber entre les mains de l'occupant. L'itinéraire carcé­ral de Balys, le mènera tour à tour jusqu'en 1988 aux confins de l'empire soviétique, en Extrême-Orient, non loin de Baïkonour, près de la frontière chinoise, à Vladivostok ou près de Moscou. Trente-sept années de captivité...

Il ne garde pas de rancœur apparente envers les Occidentaux, qui ont abandonné ses Frères de la forêt à leur sort.

« Je pensais que l'Occident était aveugle, qu'il ne comprenait rien. Nos simples paysans étaient meilleurs poli­tiques que vos intellectuels, dit-il sans haine. Je ne pense rien de l'attitude des Américains. Je comprend que chacun ait ses intérêts, mais il y a l'intérêt général. Ils proclament de grandes idées, et, en même temps, ont accepté notre esclavage. Quant j'étais au gou­lag, des intellectuels français sont venus à Moscou soutenir les communistes. "Comment peuvent-ils soutenir le servage ?" nous demandions-­nous. »

Depuis trois ans, Balys Gajauskas et ses 800 camarades combattants mira­culeusement réchappés de l'étau sovié­tique se réunissent en automne, à Kau­nas. Nul doute qu'ils se posent toujours la question...

► Arnaud Lutin, Le Choc du Mois n°49, février 1992.

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Maquisards de la région de Vytis (nord de la Lituanie) à la fin des années 40. Le jeune homme assis, fusil-mitrailleur soviétique en mains, porte sur son foulard la croix de Vytis (« le chevalier »), l'un des plus vieux symboles nationaux.

 
 
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Nouvelles études sur la guerre des partisans en Biélorussie (1941-1944)

Alors que se dessinaient progressivement les frontières des territoires partisans soviétiques et “ennemis”, ces conflits se radicalisèrent. L’ensemble de la population, même civile, fut alors prise dans cette spirale de violence aux dynamiques profondément locales, s’inscrivant dans une logique de guerre civile. Celle-ci était nourrie tant par la violence de l’occupation allemande que par l’exacerbation de tensions remontant à l’entre-deux-guerres et particulièrement à la collectivisation. L’épuration dont se chargèrent les partisans s’inscrit ainsi dans la continuité des conflits ayant secoué l’URSS depuis la révolution tout en préparant l’épuration légale menée à la libération par les autorités soviétiques.

 

Deux historiens, Bogdan Musial et Alexander Brakel ont analysé la guerre des partisans contre l’occupation allemande en Biélorussie entre 1941 et 1944 

018_5710.jpgParmi les mythes appelés à consolider l’État soviétique et la notion de « grande guerre patriotique de 1941-45 », il y a celui de la résistance opiniâtre du peuple tout entier contre l’« agresseur fasciste ». Cette résistance se serait donc manifestée dans les régions occupées avec le puissant soutien de toute la population, organisée dans un mouvement de partisans patriotiques, qui n’aurait cessé de porter de rudes coups à l’adversaire et aurait ainsi contribué dans une large mesure à la défaite allemande.

Après l’effondrement de l’Union Soviétique et avec l’accès libre aux archives depuis les années 90 du XXe siècle, ce mythe a été solidement égratigné. Pourtant, en Russie et surtout en Biélorussie, la guerre des partisans de 1941-45 est à nouveau glorifiée. Ce retour du mythe partisan a incité l’historien polonais Bogdan Musial à le démonter entièrement. Après avoir publié en 2004 un volume de documents intitulé Partisans soviétiques en Biélorussie – Vues intérieures de la région de Baranovici 1941-1944, il a sorti récemment une étude volumineuse sur l’histoire du mouvement partisan sur l’ensemble du territoire biélorusse. Au même moment et dans la même maison d’édition paraissait la thèse de doctorat d’Alexander Brakel, défendue en 2006 et publiée cette fois dans une version légèrement remaniée sur « la Biélorussie occidentale sous les occupations soviétiques et allemandes », ouvrage dans lequel l’histoire du mouvement local des partisans soviétiques est abordé en long et en large.

Ce qui est remarquable, c’est que nos deux auteurs ont travaillé indépendamment l’un de l’autre, sans se connaître, en utilisant des sources russes et biélorusses récemment mises à la disposition des chercheurs ; bien qu’ils aient tous deux des intérêts différents et utilisent des méthodes différentes, ils concordent sur l’essentiel et posent des jugements analogues sur le mouvement des partisans. Tant Musial que Brakel soulignent que le mouvement des partisans biélorusses, bien que ses effectifs aient sans cesse crû jusqu’en 1944, jusqu’à atteindre des dimensions considérables (140.000 partisans au début du mois de juin 1944), n’a jamais été un mouvement populaire au sens propre du terme, bénéficiant du soutien volontaire d’une large majorité de la population dans les régions occupées par les Allemands. Au contraire, la population de ces régions de la Biélorussie occidentale, qui avaient été polonaises jusqu’en septembre 1939, était plutôt bien disposée à l’égard des Allemands qui pénétraient dans le pays, du moins au début.

Jusqu’à la fin de l’année 1941, on ne pouvait pas vraiment parler d’une guerre des partisans en Biélorussie. Certes, les fonctionnaires soviétiques et les agents du NKVD, demeurés sur place, ont été incités depuis Moscou à commencer cette guerre. Mais comme en 1937 le pouvoir soviétique a décidé de changer de doctrine militaire et d’opter pour une doctrine purement offensive, tous les préparatifs pour une éventuelle guerre des partisans avaient été abandonnés : inciter les représentants du pouvoir soviétique demeurés sur place à la faire malgré tout constituait un effort somme toute assez vain.

Le même raisonnement vaut pour les activités des petits groupes d’agents infiltrés en vue de perpétrer des sabotages ou de glaner des renseignements d’ordre militaire. Pour créer et consolider le mouvement des partisans en Biélorussie à partir de 1942, il a fallu faire appel à une toute autre catégorie de combattants : ceux que l’on appelait les “encerclés”, soit les unités disloquées à la suite des grandes batailles d’encerclement de 1941 (les Kesselschlachten), et aussi les combattants de l’Armée rouge qui s’étaient échappés de captivité ou même avaient été démobilisés ; vu le destin misérable qui attendaient les prisonniers de guerre soviétiques, ces hommes cherchaient à tout prix à échapper aux Allemands. De très nombreux soldats de ces catégories ont commencé à monter dès l’automne 1941 des “groupes de survie” dans les vastes zones de forêts et de marécages ou bien ont trouvé refuge chez les paysans, où ils se faisaient passer comme ouvriers agricoles. Peu de ces groupes ont mené une véritable guerre de partisans, seuls ceux qui étaient commandés par des officiers compétents, issus des unités encerclées et disloquées par l’avance allemande, l’ont fait. La plupart de ces groupes de survie n’avaient pas l’intention de s’attaquer à l’occupant ou de lui résister activement.

Sous la pression de la crise de l’hiver 1941/42 sur le front, les autorités d’occupation allemandes ont pris des mesures au printemps 42 qui se sont révélées totalement contre-productives. Avec des forces militaires complètement insuffisantes, les Allemands ont voulu obstinément “pacifier” les régions de l’arrière et favoriser leur exploitation économique maximale : pour y parvenir, ils ont opté pour une intimidation de la population. Ils ne se sont pas seulement tournés contre les partisans mais contre tous ceux qu’ils soupçonnaient d’aider les “bandes”. Pour Musial, ce fut surtout une exigence allemande, énoncée en avril 1942, qui donna l’impulsion initiale au mouvement des partisans ; cette exigence voulait que tous les soldats dispersés sur le territoire après les défaites soviétiques et tous les anciens prisonniers de guerre se présentent pour le service du travail, à défaut de quoi ils encourraient la peine de mort. C’est cette menace, suivie d’efforts allemands ultérieurs pour recruter par la contrainte des civils pour le service du travail, qui a poussé de plus en plus de Biélorusses dans les rangs des partisans.

C’est ainsi que les partisans ont pu étoffer considérablement leurs effectifs et constituer des zones d’activités partisanes de plus en plus vastes, où l’occupant et ses auxiliaires autochtones n’avaient plus aucun pouvoir. Mais l’augmentation des effectifs partisans ne provient pas d’abord pour l’essentiel d’autochtone biélorusses volontaires, car ceux-ci ne rejoignent les partisans que rarement et presque jamais pour des motifs idéologiques ou patriotiques mais plutôt pour échapper à la pression et aux mesures coercitives imposées par les Allemands. Dans “leurs” régions, les partisans, à leur tour, ont recruté de force de jeunes hommes et, pour leur échapper, certains fuiront également dans les forêts.

200px-Soviet_guerilla.jpgMalgré l’augmentation considérable des effectifs partisans à partir de 1942, le bilan militaire de la guerre des partisans en Biélorussie demeure vraiment maigre. Elle n’a pas provoqué, comme le veut le mythe soviétique, la perte de près d’un demi million de soldats allemands, mais seulement de 7.000. À ce chiffre, il faut ajouter un nombre bien plus considérable de policiers et de gardes autochtones, en tout entre 35.000 et 50.000 hommes. Comme la plupart des unités d’occupation engagées en Biélorussie étaient inaptes au front, le fait qu’elles aient été décimées ou maintenues sur place n’a pas pour autant affaibli les premières lignes. De même, la “guerre des rails”, amorcée par les partisans en 1943, avait pour but d’interrompre les voies de communication ferroviaire des Allemands mais n’a jamais atteint l’ampleur qu’escomptaient les Soviétiques ; à aucun moment, cette guerre des rails n’a pu bloquer l’acheminement logistique allemand vers le front. Quant aux renseignements militaires que devaient glaner les partisans pour le compte de l’Armée rouge, ils n’ont guère fourni d’informations utiles. En revanche, ce qu’il faut bien mettre au compte des partisans, c’est 1) d’avoir rendu de vastes zones de Biélorussie inexploitables sur le plan économique et 2) d’avoir rendu peu sûres les positions de l’occupant sur les arrières du front.

Le peu d’importance stratégique de la guerre des partisans en Biélorussie a plusieurs causes. Les partisans ont certes pu se fournir en armes, au début, en puisant dans les stocks abandonnés sur les champs de bataille de 1941, mais, dans l’ensemble, leur base logistique est demeurée faible, en dépit d’approvisionnements aériens sporadiques. Les armes et surtout les munitions, de même que les explosifs pour les actions de sabotage, sont demeurés des denrées rares. Plus grave encore : les partisans disposaient de trop peu d’appareils radio. Même si, à partir de 1942, le mouvement partisan disposait d’un état-major central et d’états-majors régionaux, qui lui étaient subordonnés, et donc d’une structure de commandement solide à première vue, il lui manquait surtout de moyens de communiquer, pour permettre au mouvement partisan de se transformer en une force combattante dirigée par un commandement unitaire et opérant à l’unisson. On en resta à une pluralité de “brigades” isolées, sous la férule de commandants locaux de valeurs très inégales et que l’on ne pouvait que difficilement coordonner.

On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que la plupart des groupes partisans évitaient autant que possible de perpétrer des attaques directes contre les Allemands et se bornaient à combattre les collaborateurs de ceux-ci, comme les gardes de village, les maires et les policiers ; ou exerçaient la terreur contre tous ceux qui, forcés ou non, travaillaient pour les Allemands. Les principales actions qu’ils ont menées, et quasiment les seules, furent des “opérations économiques” : se procurer des vivres, de l’alcool et d’autres biens d’usage auprès de la population rurale. Celle-ci ne cédait pas ses avoirs aux partisans volontairement et de gaîté de cœur, contrairement à ce qu’affirme le mythe soviétique. Les paysans donnaient mais sous la contrainte ou sous la menace de violences et de représailles. Dans le meilleur des cas, les partisans tenaient plus ou moins compte des besoins vitaux de la population rurale mais, dans la plupart des cas, ils pillaient sans le moindre état d’âme, incendiaient, violaient et assassinaient. Pour la plupart des paysans biélorusses, les partisans n’étaient rien d’autre que des bandes de pillards.

13931210.jpgQuasiment nulle part les partisans se sont montrés à même d’offrir une véritable protection à la population autochtone contre les troupes allemandes et contre les raids de confiscation et de réquisition qu’elles menaient. Lors d’actions ennemies de grande envergure, les partisans se retiraient, s’ils le pouvaient. Les ruraux habitant les zones tenues par les partisans risquaient en plus d’être considérés par les Allemands comme des “complices des bandes” et de subir des représailles : villages incendiés, massacres ou déportation de la population. Les survivants juifs des mesures allemandes de persécution et d’extermination n’ont que rarement trouvé refuge et protection chez les partisans, tandis que ces mesures cruelles étaient acceptées sans trop de réticence par les autochtones biélorusses ou polonais.

Musial et Brakel ne cessent, dans leurs études respectives, de souligner la situation désespérée dans laquelle fut plongée la majeure partie de la population biélorusse après le déclenchement de la guerre des partisans. Dans leur écrasante majorité, les Biélorusses, les Polonais et aussi les Juifs — auxquels les intentions exterminatrices, motivées par l’idéologie nationale-socialiste, du SD  [Sicherheitsdienst : police de sécurité allemande] et de la SS, ne laissaient aucune chance, même si les pratiques avaient été plus ou moins “rationalisées” dans le but de ne pas laisser trop d’habitants filer vers les partisans —  aspiraient à sortir de la guerre sains et saufs, sans avoir à prendre parti. La politique violente pratiquée tant par les occupants que par les partisans soviétiques (et, dans les régions anciennement polonaises, par l’armée secrète polonaise) ne leur laissait pourtant pas d’autres choix que de prendre parti.

Dans ce glissement, les affinités politiques et idéologiques et l’appartenance ethnique ne jouèrent pratiquement aucun rôle. La plupart optaient pour le camp dont il craignaient le plus la violence. Dans les grandes villes et le long des principales voies de chemin de fer, l’option fut généralement pro-allemande ; dans les zones forestières tenues par les partisans, l’option fut en faveur du camp soviétique, ou, dans certaines régions, en faveur de l’Armia Krajowa polonaise. Dans ce contexte, la guerre des partisans en Biélorussie constitue une guerre civile, ce que corrobore notamment les pertes en vies humaines ; une guerre civile où, dans tous les camps, on trouve plus de combattants forcés que volontaires. Il y eut des centaines de milliers de victimes civiles, devenues auparavant, sans l’avoir voulu, soit des “complices des bandes” soit des “collaborateurs des fascistes” ou ont été déclarées telles avant qu’on ne les fasse périr. Brakel résume la situation : « Le combat partisan contre le cruel régime allemand d’occupation est bien compréhensible mais, pour les habitants de l’Oblast de Baranowicze, il aurait mieux valu qu’il n’ait jamais eu lieu ». Cette remarque est certes valable pour la région de Baranowicze et vaut tout autant pour le reste de la Biélorussie. Et pour la plupart des guerres de partisans ailleurs dans le monde.

Ce qui est intéressant à noter, c’est que deux historiens, indépendants l’un de l’autre, ne se connaissant pas, l’un Allemand et l’autre Polonais, ont eu le courage de mettre cette vérité en exergue dans leurs travaux et de démonter, par la même occasion, le mythe des “partisans luttant héroïquement pour la patrie soviétique”, tenace aussi dans l’Allemagne contemporaine. On ne nie pas qu’il eut des partisans communistes soviétiques en Biélorussie pendant la Seconde Guerre mondiale : on explique et on démontre seulement qu’ils étaient fort peu nombreux. Brakel et Musial ne sont pas des “révisionnistes”, qui cherchent à dédouaner l’occupant allemand et ses auxiliaires : ils incluent dans leurs démonstrations certains leitmotive des historiographies à la mode et ne tentent nullement de se mettre délibérément en porte-à-faux avec l’esprit de notre temps. Dans leur chef, c’est bien compréhensible.

► Dag Krienen (recension parue dans Junge Freiheit, Berlin, n°47/2009 ; tr. fr. : RS).

Références :

Bogdan MUSIAL, Sowjetische Partisanen 1941-1944 – Mythos und Wirklichkeit, Schöningh Verlag, Paderborn, 2009, 592 p., 40 €.

Alexander BRAKEL, Unter Rotem Stern und Hakenkreuz : Baranowicze 1939 bis 1944. Das westliche Weissrussland unter sowjetischer und deutsche Besatzung, Schöningh Verlag, Paderborn, 2009, XII + 426 p., nombreuses illustrations, 40 €.

 


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