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Représentation

ReprésentationLa représentation

♦ Analyse : La représentation, François d’ Arcy (dir.), Economica, 1985.

L’une des questions les plus essentielles de l’ère des masses est celle des modes de représentations de ces dernières. Les régimes politiques modernes, par-delà la nature de leur référent idéologique, ont cherché avec constance à assurer la représentation des opinions populaires. Cette “représentation”, notion apparemment claire et univoque, cache en réalité une situation complexe à l’origine de nombreuses controverses. Il semble en tout état de cause que la démocratie se définit par la reconnaissance du rapport étroit qui lie gouvernants et gouvernés. L’ouvrage dont nous parlons cherche pourtant à mieux appréhender ces modes de liaison entre le peuple et ses élites dirigeantes. Il est la synthèse du IIème Congrès de l’Association Française de Science Politique, tenu en janvier 1981, et constitue indubitablement une somme nécessaire pour la connaissance de cette notion si usitée par les politiciens occidentaux.

Il est en effet difficile de définir une notion qui recouvre de nombreuses définitions. Pour la plupart de nos contemporains, la théorie représentative est le fondement de tout régime démocratique. Elle construit d’un point de vue idéologique (Cf. Rousseau et Hobbes, analysés dans la première partie par L. Jaume) et historique (cf. la note sur les origines de la représentation par P. Avril) le régime démocratique moderne, réalisé par les constituants de la Révolution française. Pourtant, dès le départ, on peut repérer les contradictions qui continuent, aujourd’hui, à opposer les tenants d’un régime de “démocratie représentative” et les partisans d’une démocratie “directe”, ces derniers refusant la confiscation de cette représentation par une minorité de professionnels. Marquée par les principes de droit privé, en particulier la célèbre “théorie du mandat”, la théorie de la démocratie représentative va demeurer le système dominant en Europe et aux États-Unis jusqu’au siècle présent. Les “représentants” (et les notes de P. Dujardin sur les sources du langage de la représentation sont éloquentes à ce sujet) sont les seuls habilités à “représenter” le peuple. Par la procédure électorale, ce dernier (qui est moins une “volonté générale” telle que l’entendait Rousseau qu’une collection d’individualités) aliène la plus grande part de sa souveraineté au profit d’une “élite” à prétention représentative. Cette aliénation (au sens quasi-marxiste du terme) est la cause de la critique rousseauiste de la démocratie représentative.

A contrario, Hobbes soutient qu’elle est le passage obligé vers une société démocratique. Au bout du compte, la société de démocratie représentative est une société à deux niveaux. À la base, un “peuple” qui devient un “souverain d’impuissance”, qui délègue sans moyen de contrôle aucun son pouvoir originel à une caste politique. Le refus du système du “mandat impératif”, qui limitait fortement l’indépendance de cette castes dans ses libertés de décision, est dénoncé par les critiques de la “démocratie directe”. En vertu de quels principes en effet les “représentants du peuple” que sont les députés et sénateurs des démocraties occidentales seraient-ils investis de la souveraineté qui appartient, au départ, au peuple ? Cette problématique n’a pas encore, trouvé de réponse satisfaisante.

En arguant du fait que ce transfert constitue une nécessité due à l’efficacité du pouvoir législatif face au pouvoir exécutif, les démocrates des XIXe et XXe siècles apportaient une réponse qui confortait leur pouvoir de groupe social. En aucune façon, ce dernier argument ne résolvait la question plus générale du “transfert de souveraineté”. Soulignons au passage que, dans la théorie du mandat en droit privé, ce transfert était limité dans son objet et sa puissance. Or la toute-puissance parlementaire des régimes actuels résume la position dominatrice des “représentants du peuple”. Dans une seconde partie, la question du néo-corporatisme est traitée avec précision dans son rapport avec la notion de représentation.

On constate aujourd’hui l’émergence de nouvelles formes de représentation. Cette diversification des images de la représentation tient à plusieurs causes. L’une d’elles est le scepticisme croissant des populations européennes vis-à-vis des structures traditionnelles de représentation. La défense des intérêts privés réclame par là une reconnaissance de sa spécificité et de sa “légitimité”. L’échec du projet de Sénat des professions et des régions proposé en 1969 par le général de Gaulle fut aussi le résultat d’un blocage social. Les sénateurs en tant que corps socio-politique ne purent en effet supporter cette atteinte à leurs privilèges les plus solides.

Pourtant, malgré cette situation croissante de blocage des fondements structurels de nos sociétés néo-libérales, on ne pourra nier, depuis quelques années, des poussées “libertaires”, autrement dit, de la volonté multiforme de nos contemporains de dégager de nouvelles formes d’organisation et de représentation des intérêts communautaires. On rappelle à cet égard, dans la troisième partie, des cas de syndicalisme et de mouvement associatif. À propos de ce dernier, le mouvement écologiste en RFA est exemplaire à plus d’un égard. Porteur d’un nouveau projet populaire, il s’est intégré aussi dans les structures politiques traditionnelles du système ouest-allemand. En participant aux élections par exemple. Le mouvement écologique est sans aucun doute une des formes de représentation révolutionnaire qui est l’indice de cette contestation des anciennes formes bourgeoises de la représentation. “Changer la vie”, non pas dans le cadre figé du système où, par-delà les grands principes des partis régimistes, il y a conservation d’un consensus global sur ce qui va dans le sens du statu quo. Mais “changer la vie” dans ce que cette formule peut avoir de réellement révolutionnaire.

Il est évident que les régimes occidentaux ont prétendu confisquer à leur profit la notion de représentation. Pour ce faire, ils l’ont investi de leur propre discours idéologique. La représentation, c’était la création et la conservation d’un système politico-économique dans lequel la classe bourgeoise était la maîtresse des centres de décision. En particulier des centres politiques de décision. Le mode de sélection des membres de cette caste du pouvoir était divisé en deux aspects. Un mode apparent qui privilégiait le pouvoir des urnes, donnant l’illusion aux citoyens de conserver sa souveraineté. Un mode réel de pouvoir qui, en créant les instruments de conquête du pouvoir que sont les partis politiques de nature oligarchique, ramenait l’exercice et la propriété de ce dernier à une minorité privilégiée d’un point de vue économique.

D’où l’intérêt que nous devons porter à l’émergence de toute nouvelle structure de représentation. Elle révèle ainsi le décalage grandissant entre le pays légal et un certain pays réel. Sans adhérer au credo maurrassien dépassé par bien des côtés, il faut favoriser tout mouvement visant à une réelle contestation du système de représentation actuel. La notion de représentation retrouvera par là même toute la richesse de sa signification originelle. Et des pratiques tout aussi nouvelles.

► Ange Sampieru, Vouloir n°19/20, 1985.

 

 

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