Joseph Roth, écrivain d’Autriche
La parution des Croquis de voyage de Joseph Roth et la réédition remaniée de sa biographie par l’Américain David Bronsen donnent l’occasion de redécouvrir la vie et l’œuvre d’un des plus grands écrivains autrichiens de ce siècle. Né le 2 septembre 1894 en Galicie, alors la plus vaste province des Habsbourg, de parents juifs, il éprouve un coup de foudre pour Vienne et ses cérémonies catholiques lorsqu’il y arrive en 1913 pour étudier la philologie. Il écrit : « J’avais un goût prononcé pour les parades, j’étais pris de frissons aux roulements incessant d’un tambour, j’assistais aux cérémonies catholiques officielles et si le sang juif qui coulait dans mes veines ne m’en avait empêché, je serai devenu un partisan des mouvements nationalistes les plus durs ». Pacifiste convaincu, il s’engage néanmoins volontairement le 31 mai 1916 au 21ème Bataillon de Chasseurs en compagnie de son ami Wittlin. Au médecin militaire qui leur proposaient d’être greffiers, Wittlin répondit : « Nous estimions que, pour un écrivain, la seule place appropriée en temps de guerre ne pouvait être qu’en première ligne. Car c’est là qu’on apprend à connaître la vie et la mort, même quand on est pacifiste ».
Le 21 octobre 1916, J. Roth assiste profondément ému à l’enterrement de l’Empereur. Il écrivit : « Le soleil froid des Habsbourg se consumait, mais il avait été un soleil ». Bien qu’il n’ait, semble-t-il, pas eu à monter en première ligne, cette période militaire renforcera son amour de cette monarchie dont il dira : « La monarchie impériale et royale était la plus humaine des autocraties ». À la fin de 1918, il devient journaliste « par désespoir de constater l’absolue incapacité de toutes les profession à me satisfaire ». C’est au cours de nombreux déplacements qu’il rédige ces articles qui forment la substance des Croquis de voyage. L’Allemagne, la France, la Russie, l’Albanie, la Serbie, la Pologne et l’Italie sont l’occasion de fines observations .
Déçu, comme tant d’autres, par ce qu’il a vu en Russie (en 1926), il n’éprouve pas plus de sympathie pour le système américain. Jugeant le “progrès” suspect, hostile au libéralisme, attiré par l’Ordre et la tradition, il considérera que le communisme « a engendré le fascisme, le national-socialisme et la haine contre la liberté de l’esprit ». En 1932 paraît son roman le plus connu, La Marche de Radetsky, qui traite de l’Autriche entre 1890 et 1916. En 1933, il s’exile à Paris, convaincu que seul le Vatican peut contenir les Nazis. En 1934, paraîtra L’Antéchrist, où il fustige le monde en décomposition et où l’enlise elle-même ne sera pas épargnée : « Je vois souvent en France des prêtres en motocyclette. C’est à vomir ». Collaborant à la presse de l’émigration, il continue de voyager à Amsterdam (1936), en Pologne (1937) et à Vienne en 1938. Il essaiera, sans succès, de rencontrer les dirigeants autrichiens pour faire échouer l’Anschluß avec l’appui d’Otto de Habsbourg.
Cette année-là, sort La Crypte des Capucins, description de l’Autriche entre 1916 et 1938. On y voit un des personnages affirmer : « L’Autriche n’est pas un État, une patrie, une nation, elle est une religion et l’unique supranation qui ait jamais existé au monde ». Miné moralement par la fin de tout espoir de restauration monarchique, il accepte de co-présider une association d’entraide, la Ligue pour l’Autriche vivante. En butte aux problèmes d’argent, se sentant très seul, adonné à la boisson, il meurt le 27 mai 1939 et est enterré au cimetière de Thiais. Une nouvelle pierre tombale sera inaugurée en 1970 à l’initiative du ministère de l’éducation autrichien.
Fidèle en amitié, d’une très vive sensibilité, âme tourmentée, Joseph Roth demeure un des témoins les plus lucides de la fin de l’Empire austro-hongrois.
♦ David BRONSEN, Joseph Roth, Seuil, Paris, 1994, 375 p.
♦ Joseph ROTH, Croquis de voyage, Seuil, Paris, 1994, 410 p.
Ses romans les plus célèbres ont été édité dans la collection de poche “Points Romans”.
► Jean de Bussac, Nouvelles de Synergies Européennes n°5, 1994.