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Sénèque

s25c3210.jpgUne grande figure de l'Antiquité romaine : Sénèque

◘ Analyse : Pierre Grimal, Sénèque, Fayard, 1991. (1ère éd. : Belles Lettres, 1978)

Sénèque est l'une des plus belles figures de la Rome anti­que. Philosophe stoïcien, il fut aussi l'un des précepteurs et conseillers les plus écoutés de Néron, de l'accession de ce­lui-ci à la marche suprême du pouvoir en 54 jusqu'en 62. Ac­cusé d'avoir participé à la conspiration de Pison contre Né­ron, on lui enjoignit de se donner la mort, ce qu'il fit très se­reinement en avril 65. On estime généralement qu'il était âgé de 66 ans.

L'ouvrage de Pierre Grimal évoque les 2 grands aspects de la vie de Sénèque, le penseur et l'homme d'influence. À l'empire, et à l'empereur en premier lieu (1), Sénèque a tenté d'apporter la sagesse en tâchant notamment d'orienter subti­lement ce qui ne pouvait être évité. Auprès de Néron, il re­présentait la caution du Sénat. Celui-ci était le garant de la romanité et de ses antiques vertus (ainsi Caton d'Utique fut un des modèles de Sénèque) face au déferlement des reli­gions orientales, du cosmopolitisme et, plus généralement, de la fascination de l'Orient (2). Pourtant, Sénèque s'intéres­sait lui-même énormément aux philosophies orientales. Il sé­journa plusieurs années en Égypte et s'y passionna pour les traditions locales, surtout les traditions religieuses. Il fut ami de Chaeremon, prêtre égyptien, stoïcien, astrologue, autre principal précepteur de Néron. Par contre, Sénèque réprou­vait les cultes orientaux qui recrutaient dans la masse et qui se signalaient par leur prosélytisme et leur cosmopolitisme.

À partir de 62, Sénèque a volontairement délaissé la politi­que et le conseil de l'empereur — qui a tenté de le retenir­ pour se consacrer à la recherche intérieure et à la transmis­sion de sa pensée (3). Il insiste dans ses écrits sur la tran­quillité d'âme, la maîtrise de soi, le désir de servir, l'humanité, l'harmonie avec la nature. Le sage, selon Sénèque et les stoïciens, s'attache à découvrir les causes véritables avec clarté et impartialité. Pour cela, outre la maîtrise de soi, de ses émotions, il doit être un homme de connaissance. Celui-ci peut accéder à la véritable liberté dont le fondement est, nous précise Grimal : « (...) la mort “en esprit”, com­me secret de la liberté » (p. 430). Il y a là, dans la pensée des stoï­ciens comme Sénèque ou Caton d'Utique, de nombreux points de convergence avec l'esprit des samouraïs tel qu'il fut développé au début du XVIIIe siècle par Jocho Yama­moto dans la Hagakuré : maîtrise de soi, action juste (4), in­différence à l'encontre de la mort. Sénèque prône l'engage­ment dans l'action et le détachement à l'égard de celle-ci (cela rejoint l'enseignement de la Bhagavad-Gita). Pour lui, il faut savoir agir avec mesure et s'adapter avec souplesse aux circonstances sans perdre son calme et sa fermeté inté­rieurs. Sinon, non seulement l'on n'est pas maître de son ac­tion, mais en plus l'on risque fort d'être emporté par celle-ci. C'est pourquoi il écrit, dans De la tranquillité de l'âme : « Celui qui agit beaucoup se place souvent sous la domination de la fortune ».

Sénèque disait qu'il faut dans l'existence imiter un ou des modèles que l'on s'est choisis (5). Il est lui-même un remar­quable modèle. Celui d'un homme qui a su conjuguer au plus haut point sagesse et vie de l'esprit avec une action im­portante dans le monde.

► Christophe Levalois, Nouvelles de Synergies Européennes n°6, 1994.

♣ Du même auteur : Sénèque, PUF, coll. Que sais-je ? (n°1950), 1981.

♦ Notes :

  • (1) Sur Néron, voir d'Eugen Cizek, Néron, Fayard, 1982 (aussi Marabout, 1988).
  • (2) Fascination qui s'exerce dans de nombreux domaines, que ce soit par ex. la philosophie, la religion, la politi­que, l'art.
  • (3) C'est le cas, par ex., des Lettres à Lucilius.
  • (4) On parle parfois de geste zen. Cette action est à la fois précise et exécuté avec concentration et pleine conscience. L'action est alors ascèse.
  • (5) Lettres à Lucilius (11, 10) : « Choisis-toi un modèle, celui dont tu aimes la vie, les paroles, le visage même, qui révèle son âme (...) ».
 
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