Dans un très beau livre, intitulé Une histoire culturelle de la Wallonie et édité par Bruno Demoulin, nous avons trouvé une contribution très intéressante due à la plume de l’historien liégeois Francis Balace sur les relations entre la Wallonie et l’Allemagne. Cette analyse historique mérite bien plus d’attention qu’une simple évocation.
Dans l’historiographie conventionnelle, on met trop souvent l’accent sur les “bonnes” relations qu’entretiendrait la Wallonie avec la “mère patrie” française, alors que les liens économiques, politiques et culturels avec le grand voisin de l’Est sont tout aussi importants. C’est surtout dû à la proximité géographique entre Liège et l’Allemagne. La “Cité ardente” (Liège) prend une place dominante dans l’histoire culturelle wallonne au sens le plus large du terme. Il ne faut pas négliger ni sous-estimer le fait que la principauté épiscopale de Liège et aussi les régions romanes du Luxembourg et même du Hainaut ont pendant de nombreux siècles fait partie intégrante du Saint-Empire Romain de la Nation Germanique. Pendant cette longue période, les relations économiques avec les régions germanophones de l’Empire étaient très étroites.
L’analyse de Balace met surtout l’accent sur les deux derniers siècles. Elle prend pour point de départ l’occupation de Liège par les troupes prussiennes après l’effondrement de l’empire napoléonien. Après le Congrès de Vienne, la principauté de Liège est incluse dans le Royaume-Uni des Pays-Bas. Les territoires que l’on appelle aujourd’hui les “cantons de l’Est”, eux, sont réunis à la Prusse rhénane, y compris les communes wallonnes (donc romanophones) autour de Malmédy. Pendant longtemps, on a craint à Liège une annexion prussienne mais, au fil des années, une certaine germanophilie émerge. Cette germanophilie nait en fait à l’Université d’État de Liège, créée en 1817 par le Roi Guillaume des Pays-Bas. Ce dernier souhaitait limiter l’influence française dans le monde universitaire ; il décide dès lors d’inviter un certain nombre de professeur allemands à dispenser des cours dans cette nouvelle université destinée aux provinces romanes. Après 1830, année de l’indépendance de la Belgique, l’intérêt pour la culture et les sciences allemandes ne cesse de croître.
Lorsqu’éclate la guerre franco-allemande de 1870, la société wallonne est partagée : la presse catholique est unanime pour soutenir la France contre la Prusse, puissance protestante et anti-cléricale, tandis que les libéraux optent pour une position contraire, pro-allemande. Pour ces derniers, la nation prussienne est plus développée sur le plan technique et plus moderne dans son administration ; de plus, elle est hostile au catholicisme. Mais cette dichotomie dans l’opinion wallonne change au cours des décennies suivantes ; au début du XXe siècle, les libéraux se montrent de plus en plus critiques à l’endroit du militarisme allemand, poussé en avant par le nouvel empereur Guillaume II. La Wallonie catholique, elle, se méfie profondément de la Troisième République athée et prend des positions de plus en plus pro-allemandes. En règle générale toutefois, et en dépit de ce clivage entre catholiques et libéraux, l’admiration pour le grand voisin allemand est grande avant 1914. Lors de l’exposition universelle de Liège en 1905, tous sont subjugués par l’Allemagne, nation moderne et industrielle, qui a le vent en poupe. Les sujets allemands qui travaillent dans la région liégeoise y fondent leurs propres écoles et l’élite wallonne y envoie ses enfants. À cette époque, l’allemand était la deuxième langue enseignée dans les écoles de Wallonie. Face à cette germanophilie généralisée, un mouvement wallingant pro-français se développe dès les premières années du XXe siècle, afin de faire contrepoids à la germanophilie ambiante dans les milieux économiques et culturels. À Liège surtout, où l’on repère à coup sûr un mouvement intellectuel francophile, les deux groupes s’affrontent. C’est l’époque où le grand historien et médiéviste wallon Godefroid Kurth fonde le Deutscher Verein, une organisation culturelle pro-allemande qui recrute de nombreux membres dans les régions où l’on parle encore un dialecte germanique (notamment dans l’arrondissement de Verviers).
La Première Guerre mondiale provoque une rupture avec l’Allemagne. Durant l’été 1914, Godefroid Kurth écrit : « Je me vois contraint de brûler ce que j’admire ». Depuis lors, le sentiment germanophobe domine en Wallonie. Après la guerre, on regarde de travers les germanophones disséminés en Wallonie. La France devient le grand modèle de l’entre-deux-guerres. La politique de neutralité en Belgique renforce ce sentiment francophile car bon nombre de wallingants du pays liégeois craignent que la “Cité ardente” ne soit abandonnée par les armées belges en cas de conflit, tandis qu’une alliance militaire franco-belge, telle qu’elle existait avant le retour à la politique de neutralité, pourrait barrer la route à une nouvelle invasion.
Sur les plans culturel et historique, les liens sont également rompus. On se met à critiquer sévèrement toutes les études scientifiques sur les racines germaniques de la langue et du folklore en Wallonie. La fameuse étude du Prof. Franz Petri, Germanisches Volkserbe in Wallonien und Nordfrankreich (Héritage ethnique germanique en Wallonie et dans le Nord de la France) de 1937, qui prouve que l’influence germanique en Wallonie a été très importante, suscite d’âpres débats en milieux académiques.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le sentiment anti-allemand se renforce encore en Wallonie. Léon Degrelle et ses adeptes ne forment qu’une minorité, que l’on a certes sous-estimée jusqu’ici. Liège devient une ville ultra-francophile. Tant en 1950, lors de la “Question royale”, qu’en 1960, avec les grèves contre la “Loi unique”, on a parlé ouvertement à Liège d’une annexion à la France. En 1955, l’Allemagne s’oppose à ce que le siège principal de la CECA s’installe à Liège, parce que la ville cultive “une tradition anti-allemande”. Mais les relations ont fini par se normaliser entre Liège et sa grande voisine. Aujourd’hui, les diverses structures économiques de coopération transfrontalière ont à nouveau rapproché, fort étroitement, la Wallonie de l’Allemagne.
► Picard, article paru dans ’t Pallieterke, Anvers, 28 mars 2012.
♦ Histoire culturelle de la Wallonie
Sous la direction de Bruno Demoulin, Histoire culturelle de la Wallonie présente au lecteur une vision complète à la fois historique et thématique de la culture en Wallonie. Elle explore notamment la question brûlante de l’identité culturelle de la Wallonie au fil des siècles, à travers les nombreuses expressions artistiques, musicales, littéraires et autres d’un sentiment wallon. L'ouvrage, richement illustré, a bénéficié d'une iconographie issue, entre autres, des collections des Archives et Musée de la Littérature.
• Histoire culturelle de la Wallonie, B. Demoulin (dir.), Bruxelles, Fonds Mercator, 2012, 400 p., 400 illustrations en couleurs, 50 €. Ouvrage également disponible en néerlandais et en anglais.
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• 31 août 1795 : Un décret du Comité de Salut Public, qui gère nos pays à la suite de l’invasion jacobine, annonce que les anciennes principautés des Pays-Bas espagnols puis autrichiens seront supprimées et remplacées par des “départements” comme en France.
Le tracé de ces départements a donné ultérieurement les “provinces” de l’État belge. Pour reprendre la terminologie du contestataire occitan Robert Lafont, il s’agit de « daller » le territoire, d’oblitérer ces réalités géographiques, historiques, culturelles et linguistiques au profit d’une pensée purement administrative. Georges Gusdorf, de l’Université de Strasbourg, parlera de « géométrisme révolutionnaire ». Il s’agit effectivement d’une démarche visant à faire du passé table rase et à détruire des acquis, des modes de vie, des systèmes de droit né de l’histoire et de l’évolution lente des choses.
Si dans la partie flamande du pays, le tracé des nouveaux départements épouse plus ou moins des frontières traditionnelles, en Wallonie, en revanche, des départements comme celui de Jemappes (le Hainaut), celui de l’Entre-Sambre-et-Meuse (Namur) et de l’Ourthe (Liège) ne correspondent à rien d’ancien. Seul le département des Forêts, regroupant l’ancien Duché de Luxembourg, correspondait au territoire de ce grand duché impérial du moyen-âge. Il est actuellement scindé entre la province wallonne du Luxembourg et le Grand-Duché. Il demeure amputé de la région de Montmédy et de celle de Thionville (Diedenhofen), au profit de la France, de celles de Bitburg et de Prüm, au profit de l’Allemagne (Land de Rhénanie-Palatinat).
Contre l'impérialisme parisien, réhabiliter le wallon !
◊ Entretien avec le philologue wallon Roger Viroux
Avertissement : Début octobre 2005, nous apprenions avec chagrin la disparition du philologue wallon Roger Viroux, militant inépuisable d’une résurrection des dialectes d’oïl de nos régions. Cet entretien avait été recueilli, il y a quelques années, par un journaliste flamand, séduit par cette personnalité hors du commun. En guise d’hommage, nous le reproduisons ici, car il exprime, de manière assez complète, les idées de ce défenseur original du terroir, de la terre et du peuple…
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Dans un numéro de la revue étudiante flamande Ons Leven (n°3-4, déc. 1999/janv. 2000), entièrement consacré à l’intégration néerlandaise (Flandre, Pays-Bas), les éditeurs ont tenu à faire entendre une voix du midi, des provinces romanes. Deux rédacteurs de la revue se sont rendus à Namur par une belle journée de décembre, pour y rencontrer l’aimable philologue Roger Viroux, défenseur et promoteur acharné de la langue wallonne. Il parle un néerlandais impeccable et a répondu à toutes les questions des étudiants dans la langue de Vondel. Roger Viroux sait de quoi il parle et ne met jamais de bémol à ses critiques. Cet entretien est d’ailleurs un modèle de franchise et de cordialité.
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• Monsieur Viroux, pour commencer, nous allons vous poser quelques questions sur votre propre personne, afin que nos lecteurs puissent vous situer. Ce sera une petite introduction à une matière qu’ils connaissent peu. En bref, qui êtes-vous, de quoi vous préoccupez-vous ?
Bon, mon nom est Roger Viroux. J’étais professeur de langues germaniques, d’italien et de wallon. J’ai toujours parlé le wallon, car c’est ma langue, toute ma famille parle le wallon, mes enfants et mes petits-enfants le parlent. Ce n’est pas un cas unique, mais ce n’est plus du tout courant. On a donné des complexes aux Wallons en leur martelant deux choses dans la tête :
• d’abord que le wallon n’est qu’une langue de baragouin, un patois (terme qui dérive de “patte”, pour dire qu’on ne peut pas faire du travail de finesse avec une telle langue, contrairement à un travail manuel fait avec des mains et des doigts habiles) ;
• ensuite — et c’est un corollaire — on leur a dit et répété que le français était une langue supérieure et que le wallon n’était qu’un sabir de maladroits.
Ce reproche de maladresse linguistique, la plupart des Wallons peuvent s’en passer et ne guère s’en soucier, mais leur dire que le français est une grande langue, ça, ils le croient. Le système a fonctionné de telle manière que l’on a fait ou voulu faire des Wallons des unilingues francophones. Et comme ils ne peuvent pas comparer avec d’autres langues, ils pensent vraiment que le français est une langue supérieure et cela les amène souvent à ne pas apprendre d’autres langues. On cultive ainsi l’idée suivante : “Je connais UNE langue, mais c’est une langue choisie, c’est LA grande langue”. Aujourd’hui, on commence en Wallonie à se rendre compte que ce discours est faux, mais cette idée et cette mauvaise habitude restent quand même solidement ancrées.
• Si nous renchérissons sur ce que vous dites, nous pouvons dire que la Wallonie a été, dans une certaine mesure, noyée dans le français, ce qui est le résultat d’une culture jacobine et totalitaire, qui serait le propre de cette langue romane. Les Flamands ont affronté jadis le même mécanisme. Nous avions en Flandre une série de régiolectes et de dialectes sans accès à une langue standardisée ; le français a dès lors tenu lieu de langue standardisée et l’a remplacée. En Wallonie, le wallon n’a pas pu devenir une langue standardisée et a donc été supplanté par le français. Pouvez-vous nous donner quelques explications sur ce processus ? Quels mécanismes y ont joué un rôle clef ?
Oui, nous avons été trahis. D’abord par l’Église qui, par exemple, n’a jamais fait traduire la Bible en wallon, tandis que de nombreux Flamands ont coopéré à la mise au point de la “Statenbijbel” (La Bible des États, c’est-à-dire des futurs Pays-Bas). Ces Flamands étaient les meilleurs traducteurs de leur époque, des virtuoses dans l’art de traduire le grec, l’araméen et le latin. Quand le latin a disparu des églises en Wallonie, il a été remplacé par le français, parce que les riches parlaient cette langue. Ensuite, nous avons été trahis une seconde fois par les syndicats qui n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’imiter la bourgeoisie : parler la langue de cette classe était quelque chose qui donnait statut et considération. Enfin, aujourd’hui, nous avons les médias contre nous. Pour la langue wallonne, avoir accès aux médias est très difficile.
Il y a deux ans, on a organisé une manifestation à Liège et on nous a donnés quelques petites émissions de rien du tout, programmées vers onze heures du soir ! Le théâtre wallon a disparu de la RTBF et l’accès aux journaux est également très compliqué. Nous avons toutefois un peu d’espoir parce que nous pouvons accéder à internet, où personne ne peut nous barrer la route. Le développement du wallon n’est donc pas remis à une date ultérieure et indéfinie, mais une évolution qui a bel et bien commencé. Le théâtre wallon est pourtant très vivant : il existe dans nos provinces environ quatre cents associations théâtrales qui jouent exclusivement en wallon. Quand j’étais enfant, on commençait généralement par jouer une sotie en wallon et puis on jouait une “pièce sérieuse” en français. Maintenant on joue soit en wallon soit en français (mais peu d’associations choisissent cette langue), mais dans la plupart des cas, on joue en wallon seulement. Des revues paraissent également en wallon, elles sont même nombreuses et paraissent dans les quatre coins de la Wallonie : à Liège, à Malmédy, à Bastogne, à Bertrix, dans le centre des Ardennes, à Namur, à Li Banbwès (où je suis secrétaire de l’association), à Charleroi et à La Louvière… La diffusion de ces publications n’est toutefois pas énorme. Notre propre revue, qui paraît quatre fois par an, a vu son nombre d’abonnés croître de manière spectaculaire. Je ne sais pas si c’est le cas également pour nos consœurs. Pour l’instant, nous avons aussi beaucoup de chanteurs qui chantent en wallon, même sur de la musique moderne comme le “rap”… mais, une fois de plus, la diffusion de ce patrimoine est difficile parce que les francolâtres donnent le ton dans les médias, à la radio, à la télévision…
• Si nous vous comprenons bien, ces dernières années, il est question d’une bonne prise de conscience chez les Wallons. Ils semblent se rendre compte, de plus en plus, qu’ils ont une identité culturelle propre. En fait, il y a un parallèle à tracer entre l’émancipation flamande qui a commencé au siècle passé et qui atteint aujourd’hui son accomplissement, d’une part, et la situation des Wallons qui ont aussi eu à combattre une oppression linguistique et ont connu le mépris que l’on vouait à leur “patois”, au nom de la supériorité du français. En Wallonie aussi, le rôle de la bourgeoisie et de l’Église a été désastreux. Ce sont la des signes qui ne trompent pas… Quand on observe l’histoire du mouvement flamand, on voit qu’il a commencé par un combat essentiellement culturel et que, graduellement, il a évolué dans un sens plus politique. Pensez-vous que le mouvement wallon, dont vous nous avez parlé, que la conscience croissante des Wallons de leur spécificité culturelle évolueront également vers quelque chose de plus politique ?
Les choses ne sont pas entièrement comparables. Il est vrai que nous avons eu quelque avantage du fait que le français nous était plus accessible qu’à vous, les Flamands. Il y avait en Wallonie un certain mépris pour les Flamands, mais il a disparu aujourd’hui ; dans nos régions, la peste demeure, ce sont les francolâtres. Récemment, je lisais un texte, rédigé par un certain Maingain, le père du politicien Olivier Maingain ; l’homme critiquait le wallon, alors qu’il ne connaît pas cette langue. Il conseillait aux Wallons de ne pas apprendre le néerlandais, mais, par exemple, d’apprendre l’espagnol à la place. Voyez-vous, un type qui écrit ça, pour moi, c’est un idiot. Moi, j’ai donné cours dans une haute école de commerce et, il y a treize ou quatorze ans, deux enseignants (mais ils n’enseignaient pas les langues) ont fait une enquête parmi les étudiants qui avaient quitté l’école et étaient engagés dans la vie professionnelle, afin de savoir quelles étaient les matières du curriculum dont ils avaient vraiment besoin dans leurs activités professionnelles. Cette enquête a révélé que 72% ont répondu l’informatique ; 67%, le néerlandais ; 15% l’anglais et 3% l’allemand (langue que j’enseignais) et 0% l’espagnol ou l’italien (les langues que les étudiants pouvaient choisir à la place de l’allemand).
• Les médias nous donnent donc de fausses impressions. La Commission Européenne, les firmes supranationales, etc., qui emploient beaucoup de langues, sont présentées comme le summum à la télévision, mais, en fin de compte, il n’y a qu’une fraction minime de la population qui a besoin des langues dans sa vie professionnelle…
Souvent, nous sommes grugés. Lorsque je regarde les informations à la VRT (télévision flamande), j’entends Clinton, Kohl ou Chirac qui parlent dans leur langue et je peux lire une traduction en sous-titre sur le bas de l’écran. Quand la traduction n’est pas exacte, je peux le remarquer, mais lorsque je regarde la RTBF (télévision belge francophone) ou RTL, je vois les lèvres de Clinton bouger, mais je n’entends pas le son de sa voix ; pour la traduction, je suis contraint de me référer à la voice-over française, qui peut être une bonne ou une mauvaise traduction. Quand je passe un peu plus tard à la VRT et que j’entends les mots tels qu’ils ont été prononcés, je remarque que la traduction, souvent, n’a pas été fort exacte. Les gens ont l’impression qu’ils n’entendent jamais ni le néerlandais ni l’anglais à la RTBF ou à RTL, puisque tout s’y passe en français exclusivement. Tandis que Milosevic, par exemple, parle parfaitement l’anglais, de même que les hommes politiques palestiniens ou israéliens. Dans les conférences au sommet au niveau international, tout le monde parle anglais. Mais on n’en dit mot à la RTBF, qui nous trompe donc sans vergogne, ce qui a des conséquences puisque nos gens croient benoîtement ce qu’on leur raconte. Autre exemple : la fable totalement fausse qui veut que la France soit le pays des droits de l’homme, alors que les Français ont repris cette idée des États-Unis qui les avaient proclamés treize ans plus tôt.
• Effectivement, nous avons pu voir il y a quelque temps des documents émanant de la Commission de la Communauté Française (COCOF) à Bruxelles, où le blabla le plus invraisemblable sur les liens indéfectibles qui lierait la francophonie et les droits de l’homme. Et c’est avec de telles solennelles fadaises qu’on a la forfanterie de nous vendre aujourd’hui la “supériorité” de la francophonie…
On emploie les moyens qu’il faut pour y parvenir. La Communauté Française de Belgique verse chaque année 410 millions pour la fransquillonie (ndlr : c’est Roger Viroux lui-même qui a forgé ce concept !), mais, dans cette enveloppe, nous les Wallons, nous ne recevons pas un sou pour l’enseignement de notre propre langue. Alors que nous demandons bien peu de choses : une seule heure de wallon par semaine dans les classes… Lors d’une réunion avec des politiciens à Gembloux, où nous avions été invités, juste avant les élections, on nous a dit : non, ça ne va pas, cela coûterait trop cher.
• Oui, et entre-temps, on trouve bien le moyen de libérer des fonds pour adapter l’enseignement francophone à Bruxelles au modèle jacobin français : on songe notamment à l’introduction de leçons de “civisme” (!) et autres balivernes du même tonneau ! Ne pensez-vous pas que les France tente de pénétrer en Belgique, de la coloniser. Les Flamands dans le nord ressentent cette mainmise comme une colonisation économique, tandis que vous, les Wallons, vous la ressentez davantage comme une colonisation culturelle, une tentative de faire glisser la Wallonie vers la France, envers et contre la volonté de la population. Il existe aussi en Wallonie des personnages comme Gendebien qui répandent la folie du rattachisme. Cela nous semble une évolution très dangereuse. Qu’en pensez-vous ?
Finalement, je crois que la population wallonne ne se laissera pas gruger. Quoi qu’on en pense en Flandre, les Wallons n’aiment pas les Français. Sur le plan économique, il est évident que les Français sont en train de prendre Électrabel. Il y a quelques années, ils avaient repris une grande maison d’édition à Verviers, dont on n’a plus jamais entendu parler par la suite… Aujourd’hui, ils tentent, via Usinor de pénétrer dans l’industrie métallurgique wallonne. Les syndicats à Liège et à Charleroi sont d’ailleurs fous de rage parce que les Français ne leur ont pas donné ce qu’ils leur avaient pourtant promis…
• Encore une question sur l’avenir de la langue wallonne. Nous avons l’impression que si les provinces romanes des anciens Pays-Bas autrichiens dirigeaient à l’avenir leur regard vers le Nord, se mettraient sous la protection de l’espace néerlandais, la langue wallonne aurait véritablement des chances de se développer…
Pour ma part, je pense avant tout que les Wallons auraient intérêt à apprendre le néerlandais et d’autres langues. La connaissance d’autres langues que le français est malheureusement trop peu répandue en Wallonie. Quant à la connaissance du wallon lui-même, elle ne se porte pas beaucoup mieux.
Or si nous examinons philologiquement des dialectes aussi riches que le sicilien ou le sarde, nous constatons qu’ils disposent d’un lexique d’environ 20.000 mots. Le vocabulaire wallon, lui, est estimé à 70.000 mots. La différence entre le wallon et le français est que le français compte évidemment plus de mots — quand vous ouvrez et feuilletez un dictionnaire — mais que le lexique français compte une énorme terminologie empruntée au grec et au latin classiques. Ces vocables scientifiques, on pourrait tout aussi bien les reprendre tels quels dans un dictionnaire du wallon. Lorsque je parle de 70.000 termes pour le wallon de base, je parle de mots véritablement et originellement wallons. Dans cette optique, il n’y a guère de différence entre le français et le wallon. Le wallon existe. Il possède par exemple des préfixes et des suffixes que le français ne possède pas, ce qui offre au wallon de plus grandes possibilités morphologiques. Il pourrait ainsi former plus facilement des mots nouveaux, sans avoir besoin de les emprunter dans d’autres langues.
Si le wallon avait été enseigné chez nous dans les écoles, nos enfants auraient eu moins de difficultés à apprendre leur langue. Le français, quand il est langue d’enseignement, est responsable du retard scolaire de beaucoup d’enfants. Notre identité aurait été renforcée. On nous dit toujours — et pour quelques adversaires acharnés du wallon, c’est l’argument massue — “oui, mais quel wallon ?”. Bon. C’est vrai. Le wallon connaît beaucoup de variétés régionales : pour “pomme de terre”, on dit “crompîre” à Liège [ndt : cf. l’all. de Rhénanie et d’Alsace “Grundbirne”, littéralement “poire de terre”] ; dans le centre de la Wallonie, à Namur et à Charleroi, on dit “Canada” et à l’Ouest, “pètote”. Mais ces variétés ne posent au fond aucun problème. En français, on dit bien “se dépêcher”, “se hâter”, “se presser”, “se grouiller”, “se manier”, etc. Pourquoi les synonymes ne seraient-ils pas possibles en wallon ? Nous nous comprenons tous entre nous : j’ai étudié pendant trois ans à Charleroi et pendant quatre ans à Liège. Je n’ai jamais eu de problèmes de compréhension.
On ne doit pas oublier non plus que les adversaires du wallon orchestrent une propagande analogue à celle qui a été utilisée jadis contre le néerlandais. Le plupart des fransquillons bruxellois savent très bien que la langue enseignée dans les écoles est le néerlandais standard [ndt : commun à la Flandre et aux Pays-Bas], mais ils parleront toujours avec mépris du “flamand”, pour satisfaire leur propre complexe de supériorité [ndt : le “flamand” est une variante dialectale du néerlandais, parlé dans l’ancien Comté de Flandre ; ailleurs, on parle de Brabançon ou de Limbourgeois, etc.]. Si les Wallons pouvaient apprendre le wallon à l’école, ils pourraient également mieux se défendre contre cette notion de “patois” et renforceraient leur conscience de soi. Tournez votre regard vers le Grand-Duché du Luxembourg, où, à l’école maternelle, on parle Letzebuergisch [ndt : variante luxembourgeoise du francique-moselan, commun à une partie de la Rhénanie-Palatinat, à la région de Bitburg, à Diedenhofen/“Thionville” en Lorraine thioise]. À l’école primaire, on donne les cours tantôt en français tantôt en allemand, mais les élèves parlent toujours entre eux en Letzebuergisch, ce qui leur permet d’acquérir une personnalité nationale propre, que nous, Wallons, sommes en train de perdre.
• La francophonie bruxelloise a donc tout intérêt, selon vous, à contraindre la Wallonie à rester dans l’orbite de la francophonie, de façon à refouler les sentiments wallons en toute conscience, pour éviter que la langue wallonne ne devienne un levier pour chasser définitivement les influences néfastes qu’exercent la France et l’esprit universaliste jacobin sur la Belgique. Si l’identité wallonne reçoit une assise linguistique, elle serait plus forte culturellement et pourrait miner le mythe de “l’espace francophone”. De cette façon, une Wallonie plus consciente politiquement, pourrait retrouver son espace historique traditionnel et coopérer plus étroitement avec la Flandre, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Grande-Bretagne et abandonner tout lien privilégié avec la France.
Bien sûr, l’hostilité au wallon de la francophonie bruxelloise sert à conforter leur pouvoir. On préfère une Wallonie qui continue bravement à trottiner dans l’ombre de la France à une Wallonie qui acquerrait une personnalité propre. Vous me posiez tout à l’heure une question sur le rattachisme, qui se veut un “retour” (?!) à la France, alors que jamais dans leur histoire les Wallons n’ont été Français ou ont eu quelque chose à voir avec la France. Nous n’avons jamais formé une “unité” avec ce pays. Sauf pendant l’occupation de 1793 à 1814 et ce fut une des périodes les plus sombres de l’histoire wallonne. Nos églises, nos trésors artistiques et tout ce qui avait une valeur a été systématiquement pillé. En 1818, le Roi des Pays-Bas, Guillaume Ier, a fait revenir de Paris énormément d’œuvres d’art emportées par les hordes de sans-culottes. La commission des restitutions a eu besoin de 180 tombereaux pour ramener ces trésors et il en reste encore toujours dix fois autant en France [ndt : la non restitution des œuvres d’art et des ouvrages des bibliothèques reste toujours un contentieux franco-belge non réglé ; juridiquement, le dossier n’est pas clos]. Par exemple : la bibliothèque des Ducs de Bourgogne se trouve toujours à Paris alors qu’elle aurait dû revenir à Bruxelles. Sous l’occupation française, nos jeunes hommes ont été incorporés de force dans les armées révolutionnaires ou napoléoniennes. On sait que certains d’entre eux se mutilaient pour ne pas être enrôlés. D’autres se sont cachés dans les forêts, comme pendant la dernière occupation allemande. Il est arrivé souvent que des sergents recruteurs français aient été massacrés par la population. On peut difficilement parler de cette époque comme d’une période de gloire et d’épanouissement.
• Ne pensez-vous pas que le recul économique de la Wallonie explique pourquoi certains politiciens tournent leur regard vers la France. La confiance en soi qu’avaient les Wallons a été surtout nourrie dans le passé par l’excellence de son industrie, mais qui n’existe malheureusement plus aujourd’hui. Les Wallons ne savent plus très bien ce qui va leur arriver, c’est pourquoi certains espèrent un avenir lié à la France…
Non, je n’y crois pas. Le rattachisme est une idéologie de collabo. Il y a toujours eu des collaborateurs, depuis Jules César. Du temps de l’occupation française, les prêtres et les fonctionnaires locaux qui ne voulaient pas coopérer avec le pouvoir des Sans-culottes étaient envoyés dans des camps de concentration comme à Oléron, dans l’Ile de Ré ou en Guyane. Ils ont été remplacés par des collabos. Le scénario ressemble à celui que nous avons connu lors des deux guerres mondiales. Entre 1793 et 1814 et pendant les deux guerres mondiales, la collaboration était le fait d’une minorité. J’ai donc le cœur tranquille : le rattachisme ne trouvera jamais beaucoup d’adeptes en Wallonie. En son temps, le Rassemblement Wallon (RW) est mort de sa belle mort et il en est resté quelques survivants et quelques nostalgiques qui veulent l’annexion à la France et qui reçoivent vraisemblablement un soutien de la part de certains services de ce pays. Ils reçoivent sans doute de l’argent, comme Degrelle a reçu de l’argent des Allemands.
• Clairement, vous ne pensez pas grand chose de bon du lobby rattachiste. Vu de Flandre, c’est exact, nous constatons aussi qu’il est numériquement insignifiant, mais, dans certains milieux politiques, culturels et intellectuels, il possède un poids tout de même assez important…
Pensez-vous vraiment que ces “intellectuels” sont si importants et si nombreux ? Prenez l’exemple de la collaboration pendant la Deuxième Guerre mondiale. Moi, je viens d’une famille résistante et, à la fin de la guerre, j’ai dû rentrer dans la clandestinité ; évidemment , en 1944, les Allemands avaient d’autres chats à fouetter que de partir à ma recherche. C’est un fait anthropologique : il y a toujours eu un type d’homme marqué par la tendance à collaborer avec les détenteurs du pouvoir et avec les occupants, comme certains ont été prêts à collaborer avec les Allemands. Ce sont souvent des individus qui ont une haute opinion d’eux-mêmes et qui croient qu’ils ne reçoivent pas ce qui leur est dû et qui veulent saisir leur chance lorsque la situation se modifie dramatiquement. Ils veulent profiter de l’occasion pour monter dans la hiérarchie sociale. Le rattachisme n’est rien d’autre qu’une expression de cette constante anthropologique.
• Dans l’espace néerlandais, où les traditions politiques visent le respect des autonomies locales, ne pensez-vous pas qu’il y a une place pour la spécificité provinciale (au bon sens du terme, au sens de notre idée des XVII Provinces) wallonne ? Ne pourrait-elle pas mieux s’y déployer ?
Il y a des gens qui disent que la révolution belge de 1830 a été une erreur. Imaginons que les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg actuels seraient resté un bloc. Je suis sûr que le wallon y serait devenu une langue enseignée à l’école. Notre identité aurait été mieux préservée. N’oublions pas que la sécession belge de 1831 a reçu le soutien de puissances étrangères. Les événements de 1830 ne pouvaient donc pas conduire à une conservation de notre spécificité. Les francolâtres en ce royaume sont ceux qui nous ont mis des bâtons dans les roues, et qui continuent…
• Professeur Viroux, nous vous remercions cordialement de nous avoir accordé cet entretien.
► Propos recueillis par Michael Vandamme et Wouter van den Meersch, Nouvelles de Synergies Européennes n°45, 2000
• nota bene : La revue trimestrielle Novèles dès Walons scrîtjeûs publie des textes de linguistique, de littérature et d’autres sujets en langue wallonne.
Réponses à Roger Viroux sur la Wallonie, le centralisme français, l’économie et la linguistique
Les explications du Prof. Roger Viroux sont intéressantes, mais je m’insurge, en tant que Français et amoureux de la langue française (la mienne), contre la formulation d’une question qui lui a été posée et où l’on évoque une “culture jacobine et totalitaire, qui serait le propre de cette langue”. Cette formulation est d’une sottise déshonorante et je ne l’accepte pas.
Mouvement flamand et mouvement identitaire français :
Je n’ai, chacun le sait, aucun mépris de principe envers le mouvement flamand, qui est considéré dans nos milieux identitaires français comme le type idéal du mouvement identitaire qui a réussi. Mais je le connais assez pour être conscient de ses dérives. Singulièrement, le fait qu’ayant la chance d’avoir à sa disposition une nation (au sens étymologique, pas dans l’acception administrative du terme) bien individualisée qui a la dimension d’une région, il pense légitime qu’il faille découper une nation (la française en l’occurrence) en unités de même format. La popularité traditionnelle de la cause flamande dans la mouvance identitaire française (et la faible connaissance réelle que cette dernière en a…) fait que personne chez nous n’ose jamais répliquer à ces excès.
Poids et dimensions des nations :
Les projets d’Europe des régions, pour légitimes qu’ils soient, tendent à négliger le fait qu’il des peuples de poids et de dimensions inégales, et qu’il y aura toujours des régions plus dominantes que d’autres. Je n’adhère à l’égalitarisme ni des cultures, ni des peuples (à la vérité, j’irai même jusqu’à défendre un certain darwinisme culturel, moyennant quelques limites). Le recours au modèle impérial, tarte à la crème de ce discours, néglige de son côté le fait que la relative souplesse de ce modèle était autant le résultat que la cause de ses incontestables faiblesses structurelles.
Réflexions critiques sur le modèle fédéral allemand :
Une variante en mineur de ce discours est d’ériger en exemple le modèle fédéral allemand (en perdant de vue les conditions dans lesquelles celui-ci a été imposé), ce que j’ai longtemps fait, jusque vers 1991. J’ai été alors obligé de constater que la brutalité vindicative avec laquelle il avait été appliqué aux nouveaux Länder ne plaide guère en sa faveur. En regard, l’Alsace et la Moselle conservent leurs codes de lois particuliers, en dépit des tentations récurrentes que manifestent les gouvernements de gauche depuis 80 ans pour les grignoter. Je ne tire pas de règle générale de cette constatation, j’estime seulement qu’elle justifie que soient nuancées certaines analyses.
Les Wallons et les guerres napoléoniennes :
À propos, j’ai déjà plusieurs fois vu reproduire l’argument du taux d’insoumission élevé en Wallonie lors des guerres napoléoniennes — mais ce taux était bien plus élevé dans la majorité des régions même françaises de longue date !
La critique du centralisme français est légitime :
Il y aurait tout un procès à faire du centralisme français (ainsi que de la régionalisation bâtarde qui lui a succédé, elle a apporté davantage de maux, dont la corruption, que de solutions), mais j’aimerais qu’on débatte sur des réalités et pas en agitant des fantasmes et des syllogismes. Il est clair que si on confronte le jacobinisme dans ses pires réalisations historiques avec un modèle impérial idéalisé qui reste à instaurer, on sait d’avance ce qui sortira victorieux de la comparaison.
Amitiés et inimitiés historiques :
seul le critère géopolitique permet de trancher ! Concernant les prétendues amitiés/inimitiés historiques, les affinités ou non dictées par la géopolitique, le baratin sur la distinction entre terres d’Empire et autres fadaises, arrêtons les sottises : la vitesse avec laquelle nous avons dû passer (moi compris) de la serbophobie à la serbophilie devrait nous inciter à nous défier des affirmations définitives.
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Pour ce qui est des questions linguistiques, quelques observations :
Symétrie wallon/néerlandais ?
Je maintiens que la symétrie entre wallon et néerlandais est fallacieuse. On peut toujours conjecturer que l’aire flamande-néerlandaise aurait pu être absorbée dans l’espace culturel allemand tandis que le wallon aurait pu prendre son autonomie et se développer en langue de culture, mais la cause était entendue dès le XVe siècle. Ici, tout est question de seuil : le catalan a franchi ce seuil, l’occitan, le Scottish et le vénitien ont été à deux doigts de le passer, le wallon en a été loin (et je n’ignore aucunement que cette langue s’était pourtant élevée au-delà du folklore, on a même écrit des opéras en wallon).
Politiques linguistiques des Églises :
En dépit du respect dû à Viroux, il faut quand même le mettre en garde contre la paranoïa. Je doute que les francophonies parisienne et bruxelloise aient jamais eu pour obsession d’éradiquer le wallon… Quant à la “trahison” de l’Église, soyons clairs : les églises n’ont jamais eu de politique linguistique délibérée, elles se sont toujours appuyées sur les langues considérées comme gagnantes pour faire passer leur propagande, c’est tout. La prédication calviniste a été aussi efficace pour affermir le néerlandais en Hollande que pour faire très tôt disparaître le franco-provençal de Suisse Romande. Les curés catholiques flamands et québecois ont misé sur la langue du peuple, tandis que ceux irlandais ont vite pris acte de la prévalence de l’anglais et ont été vecteurs d’anglicisation (mais en Corse, on prêchait encore en bon italien voici un siècle).
Protéger les tournures dialectales :
Dans ces questions, s’élèvent entre sentiment et raison pratique des conflits qui ne sont pas faciles à résoudre. Je ressens personnellement une sorte de révolte quand je vois qu’en Normandie les tournures dialectales naguère communes ont presque totalement disparu du vocabulaire des moins de 25 ans. Il me plaisait de les retrouver au Québec, mais il faut admettre le souci des responsables de ce pays d’imposer un français standard jusque dans la phonétique (en renonçant aux diphtongaisons systématiques et aux “t” prononcés “ts” ; on peut dire qu’ils se sont rattrapés juste avant la 2e mutation consonantique !), afin de retirer à l’anglophonie dominante son argument traditionnel selon lequel le parlure du Québec n’était qu’un “lousy French”, n’exprimait pas de culture digne d’être préservée.
Critique du tronçonnage des langues européennes :
Le tronçonnage en dialectes des grandes langues européennes me parait moyennement opportun. Le schwyzerdytsch zurichois a pris la signification identitaire que l’on sait, il présente comme tous les idiomes de statut comparable un immense vocabulaire mais aussi une pauvreté syntaxique qui finit par déteindre sur l’allemand employé par ses locuteurs. Je crois sincèrement qu’il a passé ce qu’on pourrait appeler un seuil de nuisance (le letzebuergsch n’en est pas loin) en contribuant à amoindrir le potentiel culturel allemand dans son ensemble. De la même façon, je suis plus qu’agacé par l’insistance avec laquelle les mouvements alsaciens et corses privilégient leurs dialectes respectifs jusqu’à les ériger en normes écrites, alors que leurs formes littéraires respectives ont toujours été le hochdeutsch et l’italien (le corse est au vrai plus proche du toscan classique que le napolitain ou le lombard). J’irais presque jusqu’à oser estimer qu’il aurait peut-être mieux valu que le néerlandais se fonde dans l’allemand (bon, c’est vrai que nous n’aurions pas eu Hugo Claus).
Langues minoritaires au patrimoine insubstituable :
Je fais une exception pour les langages minoritaires qui ne sont pas reconductibles à d’autres, qui représentent un patrimoine insubstituable, mais ils ne sont pas si nombreux (breton, gaélique et basque au premier chef, frison, romanche-ladino-frioulan, sarde, sorabe, quoi d’autre, l’occitan peut-être (mais celui d’aujourd’hui a été tellement pénétré/perverti en profondeur de faits syntaxiques français qu’il est à peine sauvable).
Dialectes : les cas allemands :
L’équation dialecte = identité est moins générale qu’on croit. C’est étonnant comme les mêmes causes donnent parfois des effets opposés. En Allemagne, c’est la même quête de distinction qui incite les Bavarois à cultiver leurs idiotismes (ils redeviennent très salonfähig à Munich) et le Nord-Ouest à abandonner le plattdeutsch (il a radicalement disparu des villes) et à affirmer sa différence en appliquant la norme standard jusqu’au pédantisme. C’est un jeu traditionnel en Allemagne, chaque région affirme son identité à sa façon (en Saxe cela consiste à prendre un accent épouvantable pour parler un allemand impeccable ; en Rhénanie c’est juste le contraire). Soit dit en passant, c’est la raison pour laquelle en Alsace la bourgeoisie urbaine n’a jamais autant cultivé le français qu’à l’époque où elle avait intégré le fait d’appartenir à l’Allemagne, c’était juste une façon de se donner un profil identitaire dans le cadre allemand (ce qui a engendré en France de graves malentendus).
Troisième point : les rapports de force économiques.
Là il faut être très clair. À long terme, notre destin semble (hélas) d’être partie d’un ensemble à dominante anglo-saxonne caractérisé par une classe dominante plutôt blanche et le souvenir d’avoir été plus ou moins chrétiens… Ce n’est pas une perspective qui me réjouit, mais elle paraît inéluctable. Notre devoir est de la reculer autant que possible, par tous les moyens (pour se donner une chance, sait-on jamais). Parmi les moyens possibles, l’Eurosibérie, avec tout ce que cela implique (résistance à l’avancée de l’OTAN, front commun contre la dorsale islamique qui nous borde au Sud, etc.). Mais aussi : favoriser la naissance de groupes industriels capables de jouer leur jeu dans la mondialisation, en étant bien conscients que les forces économiques n’ont pas de nationalité, sinon malgré elles, et rarement une politique linguistique — en dehors des groupes américains, qui, eux, ont une claire vision stratégique de l’aspect culturel de leur conquête mondiale.
Le cas Rhône-Poulenc/Hoechst :
Exemple : tant que Rhône-Poulenc était une compagnie française, elle incarnait cahin-caha des intérêts français. Idem pour Hoechst, côté allemand. Tu sais la suite : les deux groupes ont fusionné leurs pharmacies sous le nom ’Aventis, ont symboliquement établi leur siège à Strasbourg, mais il n’y a plus ni Vorstand ni Directoire, il y a un Board of Directors qui tient ses séances en anglais et une capitalisation dont la majorité tend à migrer vers Wall Street. Toutes les fusions et alliances industrielles entre aires linguistiques différentes suivent le même chemin et favorisent l’émergence d’une classe de managers américanisés (sans MBA obtenu aux USA point de salut).
Electrabel/Tractebel, Solvay, etc. :
Conclusion : puisque nous avons besoin de groupes industriels forts et autant que possible enracinés, il faut encourager en priorité les regroupements à l’intérieur de zones linguistiques homogènes. Dans cet esprit, je ne vois rien de choquant à ce que la sidérurgie wallonne passe sous contrôle français. Idem pour Electrabel/Tractebel (même si ça dessert un pays qui n’est qu’à 40% francophone, mais on ne peut pas faire dans le détail). Idem, de façon symétrique, pour la principale banque belge passée sous contrôle néerlandais. Processus souhaitable et positif. Les reliquats de souveraineté belge, ou autrichienne, quelle importance, la France n’en a pas beaucoup plus… Je ne verrais nulle objection non plus à ce que Solvay conforte sa place dans la chimie française en acquérant le potentiel resté en dehors de Total-Fina-Elf.
Il serait bon, aussi, que Bayer et BASF étudient les modalités d’une fusion avant de se faire américaniser séparément, mais voilà : à Bruxelles, les autorités de la concurrence hurleraient à l’abus de position dominante, à la reconstitution de l’IG-Farben… De même qu’elles ont interdit la fusion des poids lourds de Volvo et Scania (avec des attendus délirants, sachant que l’UE est censée être un marché unique)… Le mécanisme est pervers, bien rodé : le seul choix reste le plus souvent une alliance transatlantique (ou transfrontalière intra-européenne, mais comme j’ai dis cela revient trop souvent au même). Pour le transport aérien, le mal est consommé : chaque pays d’Europe a tenu pour des raisons de prestige à conserver son pavillon, il n’y a plus d’espoir de voir apparaître une grande compagnie européenne, il n’y a que des alliances euro-américaines où le partenaire européen tient le rôle mineur (sauf pour British Airways), mais qu’importe, le processus avait été préparé de longue date par l’anglicisation généralisée de cette activité.
Renault, Ford, Volvo, Rover, etc. :
Venons-en à l’aspect le plus grave du sujet. Les commentaires de Viroux sur l’affaire Cockerill-Sambre sont symptomatiques. Ils rappellent ceux entendus à propos de Renault/Vilvorde, ou (au sujet des Allemands de BMW) sur Rover en Angleterre. Il est licite de protester, c’est même un devoir dans ces conditions. Mais je constate que ces protestations sont sélectives. Tandis que chez Rover se déroulaient des manifestations enragées dénonçant les “Huns”, l’annonce de la fermeture de Ford Dagenham a été accueillie dans une passivité résignée. Inversement, quand il était question que Renault fusionne avec Volvo, et quand on lui a également prêté l’intention de prendre une participation hégémonique chez Fiat, des angoisses identitaires se sont exprimées en Suède comme en Italie. Finalement, c’est General Motors qui a pris le contrôle du secteur automobile des deux compagnies — ce qui n’a soulevé AUCUNE RÉACTION. Je ne dis pas qu’il y a complot anglo-saxon contre l’Europe, conjuration médiatique orchestrée — il y a pire : les USA sont spontanément identifiés à une rationalité économique supérieure. Et c’est super-inquiétant.
Des polémiques anti-françaises de Trends :
Dans cette perspective, je me fous de ce que la revue des classes moyennes flamandes, Trends, soit très bien faite : ses polémiques anti-françaises m’apparaissent aussi malfaisantes que la germanophobie biscornue d’un Chevènement, celle bon chic bon genre des milieux libéraux hollandais, et celle plus vulgaire (et ’ailleurs allégrement mêlée de francophobie) des tabloïds anglais. Des inepties restent des inepties, même écrites en bon néerlandais sous l’autorité de Monsieur Crois, par ailleurs excellent journaliste.
► Jack Marchal, Nouvelles de Synergies Européennes n°45, 2000.
Réponses à Roger Viroux et à Jack Marchal dans le cadre du débat franco-wallon
Ayant lu l’entretien réalisé par Ons Leven avec Roger Viroux et les réactions de Jack Marchal qui s’ensuivirent, j’ai voulu participer modestement à un débat dont j’ai bien senti qu’il était plus large qu’il n’y paraissait et que la question impériale en était la clef de voûte. Marchal travaille, dit-il, avec l’association “Terre et Peuple” mais considère l’Empire comme “une tarte à la crème”. Ceci est grave. C’est incohérent et idiot surtout quand on plaide par ailleurs pour l’Eurosibérie. Significativement Marchal déclare que cette “tarte à la crème” serait le propre de “nos milieux”. Un chaos mental et intellectuel sévit donc en France, justement dans les milieux que Marchal qualifie de “nos milieux”. Ce qui me fut confirmé par la suite, vu les échanges entre le Cercle Gibelin et Robert Steuckers à propos des égarements mentaux de la Nouvelle Droite actuelle et de ses tares incapacitantes (pas de réflexion géopolitique, juridique, économique et historique, sans parler du reste).
Les déclarations de Viroux et de Marchal comportent des aspects négatifs et des potentialités sans issues, incompatibles avec notre volonté et notre engagement populaire et impérial. Brabançon attaché à la ville de Bruxelles, ville qui, chaque année, voit les étendards d’or frappés de l’aigle du Saint Empire saluer l’entrée de Charles-Quint lors de la fête dite de l’Ommegang, j’offre ces quelque réflexions à qui veut les lire, amis ou ennemis.
Polemos étant le père de toute chose, contribuons à ce que survienne une plus grande clarté, annonciatrice de rassemblements et de luttes féconds. Luttes qui impliquent l’élimination des incohérences paralysant l’approfondissement des thèmes qui sont les nôtres ainsi que de leurs hérauts passés, présents ou à venir (qu’ils se rassurent les ignorer suffira).
Ce texte sera livré en deux parties. La première entend rappeler des continuités historiques nécessaires pour “vertébrer” le débat (normalement, tout ce qui concerne le rattachisme ne devrait pas toucher nos milieux en France. Néanmoins quand on voit leur incapacité à remettre quoi que ce soit en cause dès qu’on touche à la France ou à prendre pour des “attaques” de simples critiques légitimes des pires aspects de leur histoire, il y a de quoi se poser des questions…). La seconde concernera le modèle Impérial et visera à rétablir le sens de celui-ci.
LA WALLONIE ET LE WALLON
• 1) La démarche de Viroux est intéressante car elle témoigne de l’existence d’érudits et de personnes impliquées dans le mouvement wallon, mais qui ne sont pas francolâtres et rattachistes. Ce qui fut et est très souvent le cas (hormis quelques exceptions). Néanmoins je ne pense pas que l’apprentissage du wallon soit un thème porteur car :
a) Si la Wallonie existe administrativement et mentalement depuis peu, il n’existe pas de peuple wallon tel quel, légitimé par sa participation dans l’histoire en tant que peuple au sens où l’entend un Max Hildelbert Boehm, à savoir un peuple comme communauté et comme espèce acquérant des caractéristiques propres par sa participation auto-réalisante à l’Histoire. Conception dynamique et plurilogique, organique et non réductrice.
b) ce découpage territorial unitaire, ne recouvrant pas cette réalité populaire, est insuffisant et risqué car son caractère pragmatique (rassemblement des francophones non bruxellois au sein du fédéralisme centrifuge belge) permet des ambiguïtés et n’offre pas d’assise institutionnelle garantissant son insertion et sa participation à l’instauration d’une Europe fédérale et Impériale.
Il n’y eut jamais de sentiment d’appartenance des hommes et des femmes des “provinces wallonnes” à une Wallonie comme instance d’unité. Les Wallons ne peuvent se sentir attachés qu’à leurs provinces, au sens médiéval et moderne du terme (les XVII Provinces), ainsi qu’à leurs villes ; ce qui fut le cas pendant tout ce que Le Goff appelle le long Moyen-Âge, particularisme qui voyaient les villes prendre la tête de révolte lors des successions dynastiques notamment, par exemple Gand lors de la mort de Charles le Hardi, follement appelé Le Téméraire par les Français en 1477, et qui fut renforcé par le phénomène de la première révolution industrielle (voir le sentiment d’appartenance des Carolorégiens et des Borains a leurs terres industrieuses).
La seule entité englobante de type politique pour les terres wallonnes au sein d’un ensemble plus vaste et qui mérite notre attention furent les cercles ; organisation rêvée par Charles Le Hardi, sauvegardée par Maximilien Ier et réalisée par Charles Quint en 1548 (”Cercle de Bourgogne” pour les Pays-Bas, hormis Liège intégrée dans le Cercle de Westphalie) dont l’aspect juridique et symbolique garde toute leur force dans notre perspective Impériale : souveraineté continentale et droit des peuples.
Je préfère proposer ces institutions aux “Wallons” dans une volonté de continuité historique et je pense qu’elles offrent des potentialités fortes pour relever les défis que nous soumet notre contemporanéité, que d’opter pour un mythe en devenir qui vu son manque de cohérence et de consistance risque de servir le modèle stato-national, à savoir : la Wallonie et sa langue. J’ajoute que les personnes qui portent et revendiquent la Wallonie sont pour le moins douteuses et incultes ; j’entends par là les hommes politiques wallons de tous bords.
• 2) Il me semble que c’est une erreur que de trop absolutiser la langue (sur ce point je rejoins Marchal). L’équation identité égale langue n’est pas automatique et procède d’un réductionnisme rationaliste. Il est d’autres réminiscences qui vivent en nous.
Je rappelle à ce propos qu’en ce qui concerne le wallon et la France, tout n’est pas aussi simple. Ainsi le wallon de Liège a beau être le plus proche de l’allemand, cela ne préserve pas les Liégeois du pire parisianisme pour ne pas dire plus. Liège étant la seule ville de Belgique où le 14 juillet des Sans-Culottes est fêté malgré la nature de son wallon fort germanisé et son usage plus répandu qu’ailleurs (la seule perspective linguistique d’un Viroux qui cite la proximité du wallon de Liège avec l’allemand lui fait manquer cette aporie). Il faut dire que, vu les ressentiments des Liégeois envers leur prince-évêque, déjà ils avaient détruit leur majestueuse cathédrale gothique en offrande aux sans- culottes ébahis. Point de non retour ?
Au delà de toute sotériologie dialectale, une organisation impériale de notre continent intégrant les principes de subsidiarité et les principes fédératifs, permettrait aux hommes et femmes du Brabant, du Hainaut, des provinces de Liège… et d’ailleurs de parler toutes les langues qui leur plairaient ; français y compris ; sans que ne se pose cet aberration juridique et historique qu’est le “rattachement” à la France.
Avant d’en venir à cette imbécillité honteuse et deux fois traîtresse, je me permettrai d’ajouter que la logique maternelle du refuge dans la pratique du wallon, implique son enseignement. Voilà qui pose problème. Les programmes scolaires comportent un nombre d’heures déterminé et l’esprit du temps n’est pas à l’augmentation du travail scolaire : en effet, le ministre du fondamental [i.e. l’école primaire], l’écolo Nollet, propose la suppression des devoirs à domiciles pour le niveau primaire. Dès lors, tout ajout d’une matière dans le cadre actuel présuppose la disparition de certain cours, or je connais des personnes et des enseignants du Sud du pays qui verrait bien la suppression du grec et/ou du latin au profit du wallon. Funeste erreur, car n’oublions jamais la richesse de l’apprentissage de ces langues mortes. Car outre la formation d’analyse résultant de l’étude de la langue latine ou grecque elle-même, celles-ci offrent un matériau et un bagage de réflexion politique, philosophique et historique incomparable, essentiel à l’avènement d’hommes libres, de ce fameux citoyen que l’on invoque partout et tout le temps et que l’on nie dans sa concrétude.
Thucydide déniaise autant que Machiavel. Tacite nous renseigne sur les anciens Germains, sur leurs institutions politiques et leur esprit (Fidélité et Liberté) qui nous est si cher ; Polybe, ô combien moderne, réfléchit sur le sens de l’Empire Romain, lui, le Grec vaincu et otage diplomatique, collaborateur de Rome…
Alors, face à l’entreprise d’aliénation totalitaire qui sévit à l’heure actuelle et qui atteint un stade tel qu’il n’en fut jamais, ne jetons par nos anciennes armes qui pourraient bien se révéler des plus utiles. Maximilien Ier, pour défaire les Turcs revalorisa la vielle infanterie, n’hésitant pas à montrer l’exemple en mettant pied à terre
LE RATTACHISME, UNE IDÉOLOGIE DE TRAITRES, ANTI-IMPÉRIALE PAR ESSENCE
Anti-impériale, par essence, au sens ou cette idée est condamnée par le passé et par l’avenir. Ni légitimité “historique” ni légitimité prospective puisque l’Europe (de Dublin à Vladivostock, s’entend) marche vers son assomption en tant que grande puissance alliant les caractéristiques du “Grossraum” schmittien et du fédéralisme.
Anachronisme politique et anachronisme historique comme Charybde et Scylla de notre destin, une telle volonté ne peut provenir que de traîtres attachés à l’État-nation de mouture française et ce, à double titre, vu qu’il s’agit dans leur chef de l’acceptation de ce modèle illuministe et du rattachement concret de nos terres à ce modèle et à son incarnation réelle, à savoir la république française. Avant de dire et de démontrer à quel point ce rattachement est injustifiable du point de vue historique, je voudrais rappeler que la voie jacobine est une voie sans issue et dire (comme le fait Robert Steuckers et l’association Synergies Européennes montrant bien que c’est des constitutions allemande, suisse, espagnole, autrichienne dont il faut s’inspirer afin de permettre une existence organique de notre continent et de nos peuples).
DES CONTINUITÉS HISTORIQUES… ?
Dans notre époque soucieuse de mémoire et de souvenir, nous les “Bons Européens” et les “hommes de la plus longue mémoire” jetons également un regard sur le passé et souvenons-nous. Viroux a raison de rappeler les affres de la domination française lors du régime dit “français” (1794-1815) où, après l’invasion des révolutionnaires, nos contrées subirent le joug de l’usurpateur Napoléon Ier. Néanmoins, jamais il ne faut se cantonner à ce temps de délires exclusivement. Certes cette époque vit, en plus de son cortège de méfaits, l’introduction de pratiques juridiques oppressantes et irréalistes contre lesquelles nous devons lutter. Mais c’est aussi sur toutes les présences de la France sur nos territoires qu’il convient de se pencher. Sinon, on risque de passer à coté de l’essentiel et de se voir rétorquer des justifications mettant en cause la nature du régime napoléonien ou les “excès” des révolutionnaires. Que ce soit Napoléon ou Louis XIV, François Ier ou Louis XV, il s’agit là toujours de synonymes d’invasion et de destruction pour nos peuples. L’opposition aigrie de la France à l’Empire et la même volonté centralisatrice qu’on retrouve des Capétiens aux révolutionnaires de 1789, tel que l’a démontré Alexis de Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution, furent à la source de nos malheurs passés. Ce brillant analyste normand avait entrevu la destruction des libertés concrètes et des droits de l’homme non individualiste, d’essence germanique ainsi que le triomphe du vulgaire et la mise au pas des individualités libres, créatrices, en un mot aristocratiques ; saisissant par ces deux niveaux, le caractère totalitaire du monde à venir : le nôtre.
Au XVe siècle, Louis XI — que nos instituteurs, jadis, nommaient “l’Universelle Aragne”, reprenant ainsi le mot de Charles le Hardi — ayant obtenu justement la perte du visionnaire Charles le Hardi (mort en 1477 devant Nancy), s’empara par les armes de la Bourgogne, de la Franche-Comté, de la Picardie et de l’Artois et menaça la Flandre et le Hainaut. Sa malsaine volonté de puissance faisait de lui un ennemi résolu de l’Empire et de la bonne entente européenne. Sa volonté impérialiste (au sens évolien), son opposition aux Ducs de Bourgogne, au fiefs libres (Franche-Comté) et à l’Empire prennent une véritable valeur paradigmatique.
Au XVIe, c’est l’opposition de François Ier à Charles Quint, prince naturel de nos Pays -Bas et empereur universel, dernier grand gibelin qui nous fait souffrir du Français. Et la chose mérite d’être soulignée car cette souffrance est occasionnée en même temps à l’Europe entière. En effet, si François Ier qui garde la Bourgogne “française” (celle de la région vinicole) et qu’il envahit les Pays-Bas pour prendre la Flandre et l’Artois considéré comme acquis à la couronne ; ce continuateur de Louis XI n’hésita pas à s’allier avec Soliman et l’Empire ottoman. La chose se répéta lors des guerres de l’Autriche contre les Turcs dans les Balkans. En 1736, alors que les Impériaux combattaient sous les ordres du Prince Eugène, de Charles de Lorraine et de l’Archiduc François, les Polonais sous ceux de Jean Sobieski, que les Russes participaient à la lutte de libération de l’Europe Sud-orientale et de la rive septentrionale de la mer Noire, la France encouragea les Ottomans à sortir de leur léthargie (sic) via l’intermédiaire de leur ambassadeur Villeneuve. Louis XV sollicitait et jouait le jeu des Turcs contre les Habsbourg… et contre la Russie, jugée menaçante. Vous avez dit guerre contre l’Europe ? Il est des constantes diplomatiques troublantes.
Cette alliance est chose souvent relevée du strict point de vue de l’histoire narrative mais je voudrais soumettre à l’appréciation de mes lecteurs cette troublante continuité politico-historique. À l’heure ou le projet otano-sionistico-ubuesque d’intégrer la Turquie à l’Union Européenne nous est imposé (en contradiction avec le traité de Rome qui prévoit la condition du caractère européen du candidat à l’adhésion), le sociologue Emmanuel Todd propose de favoriser et de pousser en avant cette adhésion. Cet universitaire, qui écrit pourtant des choses quelquefois intéressantes (notamment sur l’immigration ou sur Friedrich List), est en faveur de l’adhésion turque car il pense que cela favoriserait et le modèle jacobin et la création d’un axe jacobin en Europe (in : la revue suisse L’hebdo, 16 Décembre 1999, p.40). La république française comme tête de pont ou plutôt aboutissement de la dorsale islamique ?
La France comme intermédiaire entre les USA et l’islamisme politique ; au grand dam de notre sociologue, qui, par ailleurs, croit combattre l’un et l’autre ! Méfaits d’une étude purement idéologique qui se jette dans le mirage du kémalisme, version loukoum du jacobinisme, et de l’état-nation (ce qui est du pareil au même). Cet halluciné, dans sa lancée, plaide pour un “nouvel universalisme à la française”. Pitié : l’Universel, oui ; l’universalisme, jamais ! Je recommande la lecture d’Alexandre Del Valle à Monsieur Todd car, par compassion, je ne voudrais pas qu’il reste l’allié objectif de ce qu’il croit combattre. Ce serait dommage et pour lui et pour nous.
C’est en vue de protéger les Pays Bas de l’impérialisme français que Charles-Quint constitua le cercle de Bourgogne en 1548, créant ainsi une unité dynastique héréditaire qui devait consacrer une fois pour toute l’unité bourguignonne et empêcher sa désagrégation au fil des attaques successives de la France, grâce à la protection allemande.
Au XVIIe, période de guerre civile européenne, s’il en est, ce furent les politiques continues de Richelieu, Mazarin et de Louis XIV qui provoquèrent les incursions des troupes françaises dans le Sud de notre pays qui, pour éviter les pillages et les destructions, se couvrit de moulins et d’églises fortifiées lesquelles étaient reprises ensuite comme avant-postes français. Notre pays devant essentiellement devenir aux yeux du roi, une forteresse et une vaste garnison protégeant son pré carré. Lors de l’année 1695, les bombardements français détruisirent le vieux Bruxelles (quartier de la Grand place et partie centrale de la ville). Je laisse là le XVIIe siècle, trop de facteurs étant liés dans une guerre civile d’ampleur continentale.
Le XVIIIe avait débuté tout comme il finit (1794-1815) par l’invasion et la domination française. La soldatesque arriva en 1700, à la faveur de la guerre de succession d’Espagne. Elles restèrent jusqu’en 1702, c’est la période du régime “anjouin”. Louis XIV voulant offrir le trône espagnol (et donc les Pays-Bas) à son petit-fils, le Duc d’Anjou. L’affaire fut réglée entre les puissances à notre détriment. La politique anti-européenne du monarque eut comme conséquence l’imposition du “Traité de la Barrière” à nos contrées au grand regret de l’Empereur, lequel sachant bien que cela impliquait des mesures désagréables pour la population (entretien de troupes étrangères aux frais du pays, réquisitions et impôts, …). Sombre siècle qui vit en 1746, l’entrée de Louis XV à Bruxelles lors de la guerre de succession d’Autriche (1740-1748) la France profita de la montée sur le trône de l’Impératrice Marie-Thérèse (décidément voilà un pays qui sait faire place aux femmes politiques… De tout temps !) pour attaquer l’ennemi héréditaire : l’Empire, qu’il soit habsbourgeois ou non.
Commandées par le Maréchal de Saxe, les troupes de Louis XV prirent possession des Pays-Bas de la façon la plus vaste qu’il n’avait jamais été : tous les Pays-Bas, avec Berg-op-zoom au nord (Hollande) et Maastricht à l’Est furent enlevés.
Ceci fut le résultat de la bataille de Fontenoy (11 mai 1745), mais ce qui est plus grave, c’est que ces campagnes furent suivies d’exactions et de pillages épouvantables (que les historiens comparent aux razzias des Arabes… Décidément !).
Villes et campagne furent pillées, la population violentée et les réquisitions entraînèrent un cycle de famine pour deux ans. C’est également durant cette guerre que fut saccagé le magnifique château de Tervueren, demeure des Ducs de Brabant, de Bourgogne, de Charles-Quint et des Archiducs Albert et Isabelle. Les troupes du Maréchal de Saxe qui y séjournèrent n’y laissèrent que des dégâts. Logique me rétorquera-t-on, ce sont les méfaits naturels d’une guerre et du logement des militaires. Les troupes hollandaises qui y séjournèrent aussi le laissèrent intact !!
Je rappelle également l’opposition française au ravitaillement des populations belges et néerlandaises lors de la Première Guerre Mondiale (cf. Henri Haag, Le ministre Brocqueville et les luttes pour le pouvoir, Louvain-Paris, 1990) ainsi que le traitement encouru par les autorités belges et les partisans de la politique de neutralité de la Belgique lors de la seconde Guerre Mondiale. Lors de l’”exode” du mois de mai 40, ils furent arrêtés (sans motif concret, de manière illégitime en contradiction avec la plus simple légalité et ce, qu’il soient publicistes, littérateurs, parlementaires en théorie inviolables, journalistes ou homme politiques… livrés aux Français par des autorités complices et placés dans des camps de concentration républicains (notamment celui du Vernet).
Ayons ensemble, une pensée pour Joris van Severen et son compagnon Jan Rijckoort abattus ignoblement à Abbeville par des flics saouls répondant à on ne sait quels ordres sur ces terres qui virent couler tant de sang depuis les attaques de Louis XI contre L’Empire. J’ajoute qu’un des soucis constant des autorités belges durant l’occupation fut de prévenir et d’empêcher toute annexion de la part de la France. Léopold III envoya plusieurs émissaires officieux pour s’enquérir des visées possibles de cette dernière. C’est Laval qui empêcha la réalisation et, du moins, l’émergence de volontés semblables au sein du gouvernement français.
Face à ce bilan et les continuités qu’il implique, je ne peux appeler un rattachiste que par le nom de “traître”. Et j’espère que l’on a bien compris que du petit-nationalisme, qui plus est belgicain, n’a bien entendu pas sa place ici (c’est idiot, triste et inutile). Les exemples de Maurice de Saxe et d’Eugène de Savoie témoignent d’une attitude autre que le repli dans des sotériologies dialectales qui sont parfois porteuse d’ambiguïté quant aux affinités électives entre les peuples et les cultures. Ainsi le Breton et son usage n’a pas les même potentialités métapolitiques que le Wallon (sans parler de leur différence de statut, vu la disparition des langues celtiques ; ce que souligne Marchal).
À ces traîtres je demande ce qui légitime leur action. Je leur dit que leur “rêve” est une injure à toute notre Plus Grande Histoire passée et à venir car si nous sommes les hommes de la plus longue mémoire, nous sommes aussi des peuples long-vivants (concept ô combien métapolitique emprunté à Raymond Ruyer par Guillaume Faye et dont on ne s’est pas encore rendu compte et de sa pertinence et de sa force révolutionnaire).
Viroux en comparant l’idéologie des francolâtres à une idéologie de collaborateur est certes sympathique car il est possible qu’il arrive à jeter le doute chez ces olibrius (quoique j’en doute). Néanmoins, il faut savoir à quoi l’on “collabore” et quel est le système de valeurs qui nous inspire, si Viroux est patriotard c’est son affaire. Quant à moi j’ai choisi la perspective européenne et c’est l’axe référentiel souverain.
Je préfèrerais poser une question à nos hexagonophiles, et les sommer de répondre (ce qui risque de leur provoquer plus qu’un doute, sûrement des crises de spasmes, des éructations et des nuits agitées. Tant mieux, le manque de sommeil tue son homme) : au vu de notre histoire totale, qui a fait le plus de mal à nos populations, à nos provinces, à notre culture, à l’Europe l’Allemagne ou la France ; la France ou l’Autriche ? L’Autriche dont l’orientation pro-européenne allant essentiellement dans le sens d’un plus grand élargissement, d’une plus grande intégration (notamment militaire) et d’un approfondissement du principe de subsidiarité (comme en témoigne la déclaration Schüssel-Haider du 2 février 2000) est aujourd’hui combattue par la France seule (hormis le bouffon Miche, facilement manipulé par le Quai d’Orsay).
LA CONSPIRATION DU RATTACHISME
Le spectre du rattachisme plane en effet dans l’air du temps. Dès lors, je tiens à mettre en garde tous ceux qui acquiesceraient à l’argument simpliste de Viroux qui consisterait à ne pas trouver cette idée dangereuse sous prétexte qu’elle concernerait qu’un petit nombre de personnes. Illusion naïve ! Une minorité agissante est capable de bien des choses, surtout si elle est implantée dans les sphères du pouvoir et qu’elle profite de relais culturels (l’impact de la “francophonie”).
Arguons que l’inculture aidant, beaucoup de citoyens ne trouveraient rien à redire, voire n’en seraient pas capables. Que l’on se souvienne de la pseudo-réaction de la population belge lors de l’affaire Dutroux. Beaucoup de Wallons, par ressentiment envers les Flamands, par absence de connaissances historiques, par mauvaise compréhension des phénomènes politiques (le rattachement.… pourquoi pas, on fait l’Europe !) seraient capables d’y accorder leur sympathie ou leur masse d’inertie
Car il faut rappeler qu’au-delà des traîtres qui sévissent en Belgique au sein de mouvements explicitement rattachistes (RWF, le demi-dingue Gendebien) ou au sein du FDF ou du PS (J. Happart, C. Eerdekens, à qui le député Tony Van Parus (sic) répondit en pleine assemblée : Tu veux la France… Vas à la France ou encore le médiateur de la si mal nommée “Communauté française” ; fils d’un rattachiste célèbre, impliqué dans le mouvement wallon ; (les deux allant quasi toujours de pair, hormis une ou deux exceptions), cette hérésie a ses admirateurs-propagateurs en France. Lesquels se retrouvent sur un éventail très large : du PS au MNR !
De Mitterrand qui s’enquérait de savoir combien de membres comptait la Communauté française qu’il prenait pour un mouvement rattachiste à Bruno Mégret qui envisage de proposer un référendum aux Wallons sur le sujet. Rien ne va plus à Paris, on peut être diplômé de différentes universités et polytechnicien, partisan de l’État-nation et anti-européen et proposer des absurdités juridiques de ce type illégitime, illégal et contraire à ses propres principes juridico-diplomatiques (mais suis-je bête ; pour les jacobins tout homme a deux patries, la sienne et la France, et s’il n’en est convaincu, on l’envahira ou on lui coupera la tête pour le lui apprendre. Ce n’est pas pour rien que la France apprécie et porte le pseudo-droit d’ingérence, son illuminisme la prédestine à ce genre d’aberration) ; ce droit d’ingérence est un facteur belligène, s’il en est (cf. la guerre du Kosovo). Mais que l’on se rassure le Boerenkrijg n’est pas pour demain, ce référendum étant prévu pour après la victoire électorale du MNR !
À l’approche des élection communales (octobre 2000), les murs du Brabant (d’habitude, c’est plus au Sud ) se voient recouverts d’affiche du RWF appelant au rattachisme, sur fond d’hexagone bleu et de coq rouge. Ces affiches non seulement existent mais ne sont ni arrachées, ni commentées. Signe des temps ? Ce coq qui orne le drapeau wallon est insupportable et stupide et nous le considérons, avec Jean Cocteau, pour ce qu’il est : un animal sur un tas de fumier (ce qui pour l’auteur des Enfant terribles symbolisait bien la France). Je rappelle que d’Ostende à Arlon les blasons des provinces belges portent des lions et que de nombreuses villes possèdent l’aigle impérial dans leurs emblèmes. À nous la force généreuse, la liberté et la hauteur des vues, à vous la basse-cour et le fumier ; affinités électives, disais-je ?
Que la France abandonne son drapeau tricolore, son hymne d’assassins qui est surtout rouge du sang d’Européens (le sang impur censé abreuver leurs sillons était le sens de nos soldats wallons des régiments de Ligne, de Beaulieu, de Clerfayt, de Latour, etc., et celui de leurs camarades hongrois, croates, prussiens, autrichiens et lombards) et surtout qu’elle cesse d’opprimer nos compagnons d’hier et de demain. Qu’elle adopte une Constitution laissant vivre et participer de manière organique les Bretons, les Lorrains, les Provençaux et tous les peuples de son territoire à notre destin commun : l’Empire.
► Lothaire Demambour pour le “Cercle Empire et Puissance et la “Sodalité Guinegate”, 2000.
Le lobby pro-français en Wallonie
En France, pense-t-on sérieusement à annexer la Wallonie, et même Bruxelles, à la “mère-patrie” hexagonale ? Oui, si l’on croit ce qu’écrivent certains sites sur Internet ou certains journaux. Ainsi, le ministre français des affaires européennes, Pierre Lellouche, se serait exprimé ouvertement, lors d’une réunion, sur les effets positifs qu’aurait une réception de la Wallonie dans le giron de Mère-France. La question demeure ouverte : quel est le degré de réalisme de tels plans ? Quel zèle déploient donc les décideurs pour que cesse d’exister la frontière qui sépare encore la Wallonie de la France ?
Soyons clairs dès le départ : l’intérêt que porte la France à la Wallonie est encore relativement réduit. Il existe certes quelques parlementaires néo-gaullistes en France qui ont montré un bien vif intérêt pour les anciens départements de Jemmapes (= Hainaut), de Sambre-et-Meuse (Namur), de l’Ourthe (Liège) et des Forêts (Luxembourg wallon + Grand-Duché). Jean-Pierre Chevènement, nationaliste de gauche, lorgne, lui aussi, vers le Nord. En fait, l’intérêt que portent les Français pour ce Septentrion wallon reste fort marginal. Les Français ne connaissent pas trop bien les réalités belges. Lors d’une visite, fin des années 90, le Président français de l’époque, Jacques Chirac, s’était demandé si « la Belgique comptait en fait plusieurs cantons ».
Cet intérêt assez chiche pour la Wallonie procède de tout un éventail de raisons. D’abord, Paris ne s’est intéressé qu’aux régions flamandes bordées par l’Escaut. Ensuite, la Wallonie n’est, pour les Français, qu’une sorte d’annexe délabrée du “Nord”. Elle est à leurs yeux une région dépourvue d’intérêt. De surcroît, on sait aussi en France que ce n’est pas seulement la Wallonie mais la Belgique tout entière qui se trouvent partiellement sous contrôle économique français, par le biais des “secteurs utiles”, notamment via la position dominante qu’occupe Électrabel / GDF / Suez. Les Français savent aussi que les frontières existantes sont des vaches sacrées à l’intérieur de l’UE. Paris a bien l’intention de toujours les respecter. Sauf s’il y a évidemment une majorité claire et nette de Wallons qui opterait pour une annexion à la France. La situation peut rapidement se modifier.
Pour le moment, ce n’est certainement pas le cas. Le lobby pro-français en Wallonie est actuellement faible. Il s’agit surtout de personnages qui lorgnent vers le Sud depuis des décennies comme les chefs de file du Rassemblement wallon, Paul-Henry Gendebien et le constitutionnaliste liégeois François Perin. Or le poids politique de ces deux hommes est inexistant. Comme on le sait fort bien, le parti rattachiste RWF n’a jamais été capable de dépasser 1% des voix en Wallonie.
Cette situation pourrait peut-être se modifier complètement en cas de dislocation de la Belgique. Si tel est le cas, une attitude pro-française pourrait subitement émerger en Wallonie, pour autant qu’elle soit latente. Pour avancer une telle hypothèse, nous n’avons qu’un seul exemple historique : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, beaucoup d’associations wallingantes se sont engouées pour la France. C’est un fait : le mouvement wallon (officiel) a toujours cherché à se profiler comme un mouvement de résistance anti-allemand se référant à la personnalité du Général de Gaulle. La date du 18 juin 1940 est significative à cet égard. Ce jour-là, rappelons-le, De Gaulle prononce, depuis Londres, son fameux appel à poursuivre la lutte contre l’Allemagne. Or la date du 18 juin est aussi, par un pur hasard, celle de la bataille de Waterloo en 1815. Pour les tenants du wallingantisme, ce fut une défaite calamiteuse car, en conséquence, les Wallons furent inclus dans le “Royaume-Uni des Pays-Bas”, instance politique qu’ils abominent. Nous ne devons pas oublier non plus que la Congrès National Wallon de 1945 avait opté pour une annexion à la France. S’il y a scission de la Belgique, cette vieille histoire sera certainement exhumée du placard.
Cependant, cette nostalgie des Wallingants s’avèrera insuffisante pour amener une majorité du peuple de Wallonie dans le giron de la France. Pour réussir une pareille opération, il faut des hommes politiques connus et populaires. Il y en a : quelques politiciens socialistes comme Christophe Collignon ou Claude Eerdekens lorgnent depuis longtemps vers la France. Ils se sentent étroitement liés à la région “Nord/Pas-de-Calais”, qui est un bastion rouge. Ils n’auront de cesse de souligner que la Wallonie et cette région du Nord de l’Hexagone ont beaucoup de points communs.
Quelques figures de proue de la mouvance libérale portent leur regard plus loin : vers Paris. C’est bien connu : une personnalité comme Didier Reynders était fort heureux de voir la Banque Fortis reprise par BNP-Paribas. Cet homme connaît son chemin dans les salons de la capitale française. Il est d’ores et déjà écrit dans les étoiles que Reynders, quand il quittera la politique, occupera à Paris une fonction importante à la BNP-Paribas.
Si besoin s’en faut, Reynders est prêt à jouer les utilités et à devenir l’une des chevilles ouvrières du lobby pro-français de Wallonie. Il sait qu’il obtiendra, pour ce faire, le soutien de l’homme d’affaires wallon Albert Frère, qui est devenu plus français que belge. Frère a été l’un des personnages les plus importants quand il s’est agi de vendre à l’encan quelques grandes entreprises belges à la France. Parmi les protagonistes français de cette affaire, nous avons les dirigeants de Dexia, dont Pierre Mariani, qui auront tout intérêt en cas de scission de la Belgique à conserver de solides liens économiques avec le Septentrion wallon (et avec le reste aussi…).
► Picard, ‘t Pallieterke, Anvers, 22 septembre 2010.
Sur la situation politique en Belgique et en Wallonie
Synergies Européennes – École des cadres – Namur
♦ Interview–éclair de Benoit Ducarme, Namur, 2009
• Comment justifieriez-vous la situation politique de votre pays et de votre région en ce lendemain des élections régionales et européennes, où, contrairement aux législatives de 2007, aucune crise politique majeure ne semble agiter le monde politique ?
L’étranger, surtout français, spécule ouvertement sur un éclatement du royaume, qui permettrait à l’Hexagonistan de parachever la politique dite des “Réunions” de Louis XIV en absorbant la Wallonie, ultime lambeau pantelant de la Reichsromanentum, la “romanité impériale”, qui comprenait aussi l’Artois, le Cambrésis, les provinces aujourd’hui wallonnes, la Lorraine, la Franche-Comté, la Bresse, la Savoie. Cette remarque préliminaire n’est ni académique ni une réminiscence du passé émise par un “nationaliste” fou. En Espagne vient de paraître un livre Una pica en Flandes – La epopeya del Camino Español (Edaf, Madrid, 2007), dû à la plume de Fernando Martinez Lainez. Ce livre est une promenade de Milan à Namur le long de l’itinéraire des “tercios” hispaniques en marche vers les Pays-Bas pour lutter contre calvinistes et Français. Implicitement, cet ouvrage espagnol nous donne une grande leçon de géopolitique : nos provinces, romanes comme thioises, de l’ex-cercle de Bourgogne ou de la Rhénanie allemande, sont mortellement mutilées, leurs bassins fluviaux sont morcelés, la voie vers la Méditerranée par la Meuse, la Moselle, la Meurthe, le Rhin, la Saône et le Rhône est occupée, stratégiquement démembrée, politiquement balkanisée. L’espace du “Camino Español” nous liait à l’Italie du Nord et à la Méditerranée, ne nous enfermait dans aucune logique mutilante, ne nous infligeait aucun repli étouffant. La politique française a visé depuis plus de mille ans l’anéantissement de la Lotharingie, du Grand Lothier. Elle veut aujourd’hui en avaler le dernier morceau, la Wallonie, ce qui entraînerait, pense-t-elle, une absorption quasi automatique du Luxembourg grand-ducal et donc une domination sur un morceau supplémentaire de la vallée de la Moselle. Resteraient sur la rive occidentale du Rhin, la Sarre et le Palatinat. En revanche, sur les rayons des librairies de Lorraine, de Franche-Comté et de Savoie, les ouvrages historiques bien étayés s’accumulent pour rappeler le passé impérial, “espagnol” ou anti-républicain de ces provinces perdues du Grand Lothier (exemples : Philippe Martin, Une guerre de Trente Ans en Lorraine – 1631-1661, éd. Serpenoise, Metz, 2002 ; Gérard Louis, La Guerre de Dix Ans – 1634-1644, Presses Universitaires de Franche-Comté, Cahiers d’Études Comtoises n°60, Besançon, 2ème éd., 2005). Une lueur d’espoir, plus vive bien que ténue, que dans une Wallonie livrée aux prébendiers, aux traitres, aux francolâtres et à toutes sortes d’autres déments.
Le danger d’absorption est d’autant plus réel que nous avons assisté à la fusion Fortis/BNP Paribas et que la domination du secteur énergétique par Electrabel-Suez est un fait bien établi. Electrabel-Suez, on le sait, gonfle ses factures pour les consommateurs belges (wallons, flamands, germanophones, allochtones et autochtones sans distinction), tandis qu’on maintient les prix les plus bas possible pour les ménages hexagonistanais. Le quotidien flamand “Het Laatste Nieuws” (24 juin 2009) vient de dénoncer ce scandale et cette forme nouvelle de colonialisme-ersatz (Prix annuel moyen de l’électricité d’un ménage belge : 660 euros ; pour un ménage hexagonistanais : 414 euro, soit une différence de 246 euros !).
Par ailleurs, les résultats électoraux ne présentent plus aucune symétrie entre les diverses régions du royaume d’Albert II. La Wallonie se complait toujours dans un vote de gauche, une gauche qui allie tous les travers “dinosauriens” du socialisme véreux et immobiliste aux dérives festivistes (comme l’entendait le regretté Philippe Muray), exprimées par les factions “écolo” et “CdH”. La Flandre, elle, vote centre-droit, avec un solide zeste de nationalisme régional. La crise de 2007, je le rappelle, a focalisé la haine de ce pôle idéologique socialo-festiviste contre deux personnalités politiques flamandes : Yves Leterme, proposé alors comme Premier ministre, et Bart De Wever, le leader de la NVA flamande, tous deux plébiscités en juin 2009, parce que martyrs d’une certaine “arrogance francophone”, tandis que les bourgmestres de la périphérie bruxelloise, décrits comme victimes du “nazifascisme flamand”, ne font pas vraiment un tabac. Joëlle Milquet, présidente du CdH francophone, avait mené la fronde, en 2007, avec un acharnement terrible, en récoltant ainsi le sobriquet de “Madame Non” en Flandre. Pour appuyer les charges de cette furie à la volubilité légendaire, nous avions les entrefilets haineux du principal quotidien bruxellois, Le Soir, un torchon très prétentieux, et d’autant plus prétentieux qu’il n’a aucune consistance, ne publie aucune enquête approfondie ni aucune analyse de fond, pour ne débiter rien que des clichés, slogans et schémas droit-de-l’hommistes-cartériens, festivistes, soixante-huitards, trotskistes et gauchistes. Une gazette qui tombe des mains, avec son cortège imaginaire de croquemitaines, de “scélérats” posés comme tels sans la moindre nuance, cloués au pilori, tous venus de Flandre, d’Autriche, de Russie, de Suisse, d’Iran, d’Israël ou d’Allemagne, avec, grimaçants comme les diables d’un tableau de Jérôme Bosch, des Haiders, Berlusconis, Letermes, De Wevers, Poutines, Ahmadinedjads, Blochers ou autres Netanyahous, prêts à déclencher des orgies de sang.
La plaie de la Belgique, le germe de sa déliquescence, de son enlisement dans l’impolitique, c’est justement l’esprit que véhicule le Soir. Ceux qui auront un jour le courage politique de porter le fer contre ce chancre sauveront le pays, limiteront les clivages entre communautés linguistiques à des discussions parfaitement gérables, réconcilieront le pays avec son hinterland centre-européen, alpin et slave, donneront aux francophones de Bruxelles et de Wallonie une presse digne d’être lue partout en Europe et dans le monde.
Les hystéries de Joëlle Milquet, des journalistes du Soir et du pôle franolâtre bruxellois qu’est le FDF, avec son leader imbuvable, Olivier Maingain, ont contribué à créer une césure totale entre les communautés linguistiques et culturelles du pays, en dépit des tentatives de coopération entre deux grands quotidiens, le Soir (justement !) et le Standaard. Dans un pays, ou même dans une vaste région géographique comme l’espace sis entre Seine et Rhin, situé au carrefour de quatre grandes langues européennes, il ne me paraît ni sot ni utopique d’imaginer, chaque jour, entretiens et articles traduits de personnalités culturelles ou universitaires venues des deux côtés des frontières linguistiques, de Hollande ou d’Allemagne. Les idées sur les fonctionnements et dysfonctionnements de l’État belge du sénateur Alain Destexhe, le seul lucide au sein du MR libéral, ne méritent-elles pas d’être explicitées en néerlandais dans la presse flamande ? De même, les analyses sur la partitocratie et la “verzuiling” de professeurs comme Luc Huyse (KUL) et Chris Deschouwer (VUB) ne méritent-elles pas plus ample publicité dans les journaux bruxellois et wallons ? La même remarque vaut pour le monde des arts, des lettres et de la politique. Faudra-t-il en rester ad vitam aeternam aux insultes et aux approximations ? Aux blocages et aux invectives de l’été et de l’automne 2007 et aux enlisements inféconds de 2008 sur fond de crise économique mondiale ?
Curieusement, et en dépit des préjugés tenaces entretenus par la classe politique francophone et par le petit monde journalistique bruxellois, c’est dans l’hebdomadaire satirique et nationaliste flamand ’t Pallieterke, publié à Anvers, que l’on trouve une chronique, intitulée “Li bia bouquet”, rédigée par un journaliste averti et entièrement consacrée à la Wallonie, son passé et son actualité. Cette chronique est un modèle de ce qu’il faudrait faire et à plus grande échelle. Car nous marinons dans un bien étrange paradoxe : nous avons une classe politique qui hurle contre le “séparatisme” flamand, se gargarise d’un pseudo-idéal d’unité “belge” mais ne fait rien, strictement rien, pour qu’il y ait compréhension mutuelle de part et d’autre de la frontière linguistique. Alors les fossoyeurs de cette Belgique, que Milquet entendait si bruyamment défendre au nom de son salmigondis verbeux inspiré par le festivisme le plus nauséeux, sont-ce quelques politiques flamands, maladroits et patauds, qui quémandent une petite avancée vers un confédéralisme mieux balisé ? Ou sont-ce les tenants de ces blocages qui prétendent, sourds aux bruits, à la musique et aux variétés du monde, tenir une vérité unique, indépassable, et l’imposer à l’Europe entière, Paris excepté, en commençant par y convertir de gré ou de force les six millions de Flamands du royaume d’Albert II ?
Pour revenir à votre question, la situation semble donc tout aussi bloquée qu’au lendemain des élections législatives de 2007, sauf qu’elle est silencieuse et dépourvue d’éclats. Le scénario demeure en place, comme une bombe à retardement : une crise similaire peut éclater du jour au lendemain. Le processus de confédéralisation, voulu par la majorité flamande, ne trouvera pas le moindre début de concrétisation. Ce qui entraînera bien entendu une crispation légitime dans le Nord du pays. On me rétorquera que les Wallons craignent que cette confédéralisation les priverait d’un fond de solidarité fédérale, dont l’absence les plongerait encore davantage dans le marasme. Peut-être. Mais toute entité politique, étatique ou infra-étatique, doit viser un maximum d’auto-centrage, pour éviter tout aléatoire, trouver en elle-même les sources de son financement. La Wallonie n’a peut-être pas de “fenêtre” directe sur la mer, sauf par le Canal Albert qui se situe quasiment in extenso sur le territoire flamand, mais elle n’en est pas pour autant “mal située” en Europe du Nord Ouest. Elle doit éviter de limiter ses choix à trois options seulement :
Les solutions existent pourtant et selon un modèle déjà en vigueur : celui de l’euro-région regroupant les Limbourgs néerlandais et flamand, la province de Liège avec le territoire de la Communauté germanophone (Eupen, Saint-Vith, Bütgenbach, Weywertz) et les Kreise d’Aix-la-Chapelle et Düren. Cette euro-région fonctionne à merveille. Trilinguisme et convivialité sont ces atouts et images de marque. Pourquoi cette convivialité ? Parce que le projet est certes fort vernaculaire, territorialement réduit, mais unanimement impérial et principautaire, avec des références locales uniquement, sans qu’il n’y ait, posé comme la “déesse raison” le culte jacobin et hexagonistanais, devant lequel il faut faire moults génuflexions. Ce n’est donc pas l’intransigeance flamande qui brouille les cartes et risque de faire imploser le “brol” mais la présence du culte républicain et la francolâtrie.
La Wallonie, effectivement, est située dans ce que les auteurs français d’atlas historiques bien conçus, Jean et André Sellier, appellent l’espace “lotharingien et germanique” (cf. “Atlas des peuples d’Europe occidentale, La Découverte, Paris, 3ème éd., 2006). En associant ces concepts, ces auteurs signalent à nouveau, en dépit des occultations précédentes, qu’existe cette réalité historique, géographique et géopolitique. La notion d’un espace lotharingien, jouxtant l’espace germanique centre-européen, est redevenue concrète et actuelle. L’évoquer n’est plus du tout un archaïsme, une nostalgie comme au temps des chromos “Historia” du Prof. Schoonbroodt, ni une vision d’écrivain, comme dans le magnifique ouvrage de Gaston Compère, “Je soussigné, Charles le Téméraire, Duc de Bourgogne”. La Wallonie doit entretenir des relations privilégiées avec les Länder de Sarre et du Palatinat, avec les départements du Nord flamando-hennuyer et du Pas-de-Calais artésien, avec la Lorraine et l’Alsace, avec la Franche-Comté et la Savoie, le Dauphiné et la Provence, la Suisse romane et alémanique, selon les principes de diversité et de convivialité qui fonctionnent parfaitement pour l’euro-région mosane-rhénane. Les Flamands et les Néerlandais doivent renforcer leurs liens avec les Länder voisins de Rhénanie du Nord-Westphalie et de Basse-Saxe. La restitution, même informelle du Grand Lothier doit donner à la Wallonie une possibilité de joindre l’Italie du Nord, les trois régions du Piémont (avec le Val d’Aoste), de Lombardie et de Vénétie. Tel avait été son fait jadis. Telle doit être sa vocation dès demain.
La crise belge ne trouvera aucune solution dans le cadre institutionnel belge actuel mais Flamands, Wallons, Germanophones, Bruxellois ne règleront leurs problèmes qu’en se hissant au niveau lotharingien, attitude fière et affirmatrice, attitude offensive et, face aux manigances et agissements jacobins, contre-offensive. Une attitude rendue possible par les dispositions de l’Union Européenne en faveur des autonomies régionales. Une attitude servie par une mémoire historique, qu’il s’agira de raviver.
Sur l'identité wallonne
Intervention de Jean-Luc Gascard à la journée identitaire du Château Coloma (3 mars 2012)
• Quel est la place de la culture et de la langue wallonne au sein des peuples européens ?
Le wallon a toute sa place dans l’histoire des peuples d’Europe. Wallon vient de Wahl, un vieux mot germanique utilisé par les Germains pour désigner les populations celtophones et romanes. La langue wallonne est très ancienne et comme le picard, le champenois ou encore le normand, elle est une langue d’Oïl qui fait partie du groupe des langues gallo-romanes. Bon nombre des évolutions que l’on considère comme typique du wallon sont apparues entre le VIIIe et le XIIe siècle et vers 1200, la langue wallonne était nettement individualisée. Le wallon n’est donc pas un français abâtardi ou incorrect, c’est une langue en soi qui n’a simplement pas aussi bien réussi que le patois français et nombre des belgicismes découlent directement du wallon. Je rappelle que les peuples wallons n’ont jamais fait partie de la France, sauf quand ils ont été occupés, mais faisaient partie du SERG et particulièrement la Principauté de Liège. La place des wallons de l’Est étaient certainement d’être à l’époque un pont entre les mondes germaniques et romans. Il paraît qu’il y aurait 15 à 20 % des mots wallons qui seraient d’origine germanique et c’est sûrement dans le dialecte du wallon oriental, celui de Liège et d’Ardenne, que cela se retrouve le plus et qui rend notre dialecte si particulier. Je vais me permettre de vous lire comme exemple quelques courtes phrases :
Dji’m rapinse qui s’a lèyî prinde a s’badjawe = je me rappelle qu’il s’est laissé prendre à son bagout
Fareût veûy kimint qu’i s’sètche foû di spèheûr = il faudrait voir comment il va se débrouillerMoussî ainsi, i ravisse on spâwta = habillé ainsi, il ressemble à un épouvantail (les Blancs Moussî de Stavelot sont donc simplement ceux qui sont habillés de blanc, pour la Laetare, le carnaval local, qui aura lieu dans 15 jours !)
Dja’n hête a m’deût = j’ai une écharde à mon doigt
En entendant cela, vous comprenez bien… que vous n’y comprenez rien du tout(pas plus d’ailleurs que la majorité des jeunes liégeois et ardennais actuels), ce qui prouve bien tout simplement que le wallon n’est pas du français. J’ai encore vu quand j’étais gamin des anciens à qui il fallait traduire en wallon, parce qu’ils ne comprenaient pas le français. Heureusement, même s’il est en nette perte de vitesse, le wallon est encore parlé et compris par une petite minorité de wallons de souche (la preuve !). Par contre, le wallon est forcément ignoré de la masse exotique… et est donc une langue identitaire par excellence. Et, heureusement, on trouve encore des jeunes qui s’impliquent dans le théâtre dialectal et qui sont parfaitement conscients de l’aspect identitaire de leur dialecte.
En ce qui concerne la culture (les industries, mœurs, habitudes culinaires, folklore, architecture, …), on perd souvent de vue, à force de “vivre dedans”, qu’elle existe bel et bien. Elle n’a rien à envier à ses voisines. Si tout le monde connaît l’importance de la peinture flamande et la richesse des villes de Flandre au MA, beaucoup moins nombreux sont ceux qui connaissent l’importance de l’art mosan à l’époque ottonienne, son orfèvrerie, ses églises imposantes, son “école liégeoise” et encore moins savent que les marchands de la vallée mosane allaient vendre leurs produits dans toute la Germanie, jusqu’à Vienne et Prague et en Italie sur les marchés de Ligurie. Et je suppose que je ne dois pas vous parler de l’importance des industries minières et métallurgiques chez nous, sans parler de l’industrie du verre et de la laine, qui ont fait de la Wallonie au XIXe siècle une des économies les plus prospères du monde.
Donc, quand j’entends certains en Flandre qui essaient de nous faire passer pour des barakî à moitié inculte, des nawe (fainéant) et des accros depuis 1830 aux subsides de la vache à lait flamande, mon sang wallon bouillonne d’indignation. On n’est peut-être plus ce que l’on a été, mais nous ne sommes pas les ratés pour lesquels on veut nous faire passer. Nous avons toujours notre place parmi les peuples d’Europe.
Si le monde politique le désirait réellement, le wallon serait un excellent facteur de cohésion identitaire, tant au niveau local que régional. Mais, pour les raisons idéologiques que nous ne connaissons que trop bien, les autorités n’apportent aucun soutien à la langue wallonne, ou si peu. Sa survivance au niveau populaire démontre donc une réelle volonté de certains Wallons de rester eux-mêmes, bien au-delà des chimères idéologiques universalistes et égalitaristes.
Un pouvoir politique identitaire, soucieux de valoriser toutes les identités enracinées d’Europe, trouverait dans la défense du wallon et de la culture wallonne un important objectif politique (cohésion identitaire ethnique). On peut toujours rêver !
• Dans le cas ou la Wallonie obtiendrait son autonomie, en cas d'éclatement de la Belgique, quel en serait le bénéfice pour la culture wallonne ?
En l’état des choses, le bénéfice serait minime, parce que, malheureusement, il n’y a plus concordance entre la Wallonie et les wallons. Je m’explique : comme je vous l’ai dit tout à l’heure, le wallon est parlé par ses populations depuis bien longtemps. Mais depuis bien longtemps, les élites wallonnes ont adopté le français, et cela avant bien des contrées de l’actuelle France. Et comme en Flandre, ces élites ont tenté d’imposer la francisation généralisée à notre population. Le terme fransquillon servait aux wallons du peuple, déjà pendant l’occupation française, pour décrire ces pédants qui ne jurait que par le français. Mais alors qu’en Flandre, le mouvement flamand se battait depuis 1840 pour l’usage de la langue flamande et sa culture, le mouvement dit wallon lui n’entendait défendre que l’usage du français.
Le mouvement wallon naissant s'inscrit donc dans une perspective belge telle qu'ont été défini les contours et surtout l'identité linguistique de cet État en 1830. Il considère l'acquisition de la langue française comme une forme d'adhésion à la Belgique et aux grands principes de liberté dans la Constitution. On peut donc bien dire que l’unitarisme belge s’est fait d’abord et avant tout au détriment de la langue, et donc de la culture, wallonne puisque le flamand, lui, a survécu. Dans ma propre famille, tous les gens de la génération de mes grands-parents en Ardenne parlaient wallon, mais on a dénigré à l’école le wallon auprès de la génération de ma mère. Ainsi, il y a quelques années, alors que je parlais avec une de mes tantes de l’intérêt de continuer à parler notre langue, elle me répondit : « arrête avou soula, c’est sale, c’è s’t one langue po les biesses (arrête avec ça, c’est sale, c’est une langue pour les bêtes [càd les cons, les demeurés mais les animaux aussi]) ! ». C’est pourtant la langue de ses parents, mes grands-parents !
Étonnez-vous après cela que le wallon tend à disparaître parmi tous mes cousins et cousines et tous les gens de ma génération. Le pire, c’est qu’avec l’abandon de la langue wallonne se perd aussi le lien avec notre histoire et notre culture wallonne. Et je ne vous parle même pas des générations qui suivent. En fait, ils sont devenus des Francophones, c’est-à-dire des gens indifférenciés, sans véritables racines. Et quand on n’a pas de racines, on est voué à flotter aux vents de toutes les modes et opportunismes. Par exemple quand un grand défenseur des francophones comme Maingain est disposé à faire apprendre aux enfants des écoles de sa commune l’arabe, pour mieux accepter leur présence. Qui s’intègre à qui, je vous le demande ?
C’est ce hiatus entre Wallonie et wallons qui fait notre perte. On appelle encore trop souvent wallons les gens qui vivent en Wallonie, alors qu’ils ne sont souvent plus que des Francophones. C’est si vrai que, récemment, un homme politique a appelé à créer une « patrie francophone ». Une patrie francophone ! Fâ s’ti ko arradjî (intraduisible = +ou- c’est pas croyable), qu’es que c’est coula por une arrêdje ? éco one saqwê qu’a tchoukî foû dol tiesse d’one biesse libéral (qu’est-ce que c’est que cela pour une affaire ? Encore une chose qui a poussé hors de la tête d’un bête libéral) ! Évidemment, cela est fort utile pour noyer les populations autochtones, nous les wallons, dans le magma des allogènes de toutes sortes qui viennent nous envahir et aussi pour garder un lien avec Bruxelles. Ou pire, nous intégrer à la France. Ça, jamais ! Je préfère encore demander l’asile politique en Flandre. Qui sait, ils pourraient peut-être nous accorder… des facilités ?
Mais il ne faut bien sûr pas perdre espoir. Il y aurait comme un frémissement d’intérêt. Il n’est que de voir l’intérêt porté à des émissions comme Ma Terre ou celle sur les Wallons du Wisconsin. Ou même le théâtre wallon à la télé. Et aussi l’existence de nombreux groupes de musique traditionnelle. Et que l’on ne vienne pas me dire que c’est trop difficile de garder ou même d’apprendre notre langue autochtone. Elle n’est sûrement pas plus difficile pour nous que le chinois, le russe ou l’arabe. Ou même le flamand. Le jour où j’ai commencé à parler wallon à l’école, mes collègues ont rigolé malade, se demandant d’un air ahuri ce que ça pouvait être et ce qui pouvait bien encore passer par la tête de ce grand original. Maintenant ils n’y font même plus attention et comprennent souvent ce que je dis. Qui sait, encore un peu et je pourrais vous convertir au Liégeois ? Ce n’est qu’une question de volonté. Les Luxembourgeois, les Gallois préservent bien leur langue, pourquoi pas nous ?
Pour résumer, pour retirer un bénéfice quelconque d’une autonomie, ce qu’il nous faut, c’est faire la différence entre Wallons et Francophones. Le wallon est celui qui a ses racines, c’est-à-dire ses ancêtres, en Wallonie et aussi qui parle, qui vit wallon. Et par-dessus tout, ce qu’il nous faut, c’est garder notre fierté. J’entendais à la fin d’un concert d’un groupe acadien ce cri du cœur : soyez toujours fiers de qui vous êtes, et les dieux savent si les Acadiens ont failli perdre leur identité et souffrent encore pour la garder. C’est la fierté qui les sauvent et qui nous sauvera. Tout le reste, programmes, subsides, etc. en dépend. Je vous dis donc pour terminer : je suis wallon, pas francophone, et dji su fir de mè p’tite patreye (je suis toujours fier de ma petite patrie) « amon nos’aut »(entre nous, entre gens de chez nous).
“Merde pour la République !” : les soulèvements paysans de Wallonie (1795-1800)
Nous sommes à Jodoigne, en Brabant wallon, fin novembre 2008. À l’Hôtel des Libertés s’ouvre une exposition qui s’intitule “La révolte des Chouans en Hesbaye Brabançonne”. Cette ouverture est assortie d’une conférence sur le sujet et d’une marche commémorative dans les villages avoisinants, avec figurants costumés selon les modes des années 1795 à 1800.
Toutes ces activités, qui ramenaient la petite ville du Brabant wallon dans l’atmosphère de la fin du XVIIIe siècle, avaient un seul objectif : maintenir vivant le souvenir de la “Guerre des Paysans” [1798], celle qui éclata dans le Brabant wallon. L’insurrection débuta dans les villages d’Opprebais, de Roux-Miroir et d’Incourt ; les insurgés anti-français réussirent par deux fois à prendre la ville de Jodoigne. En fin de compte, les “brigands”, comme les appelaient les Français, eurent le dessous et furent impitoyablement massacrés à Beauvechain, Piétrain et Hasselt. La cause de ce soulèvement populaire dans cette partie de la Hesbaye, qui fait actuellement partie du Brabant wallon, fut la même que dans les deux Flandres, le Limbourg et l’actuel Brabant flamand ; une résistance contre la politique anticléricale des Français et un soulèvement contre la conscription par tirage au sort.
La commémoration en Wallonie de ces événements, qui datent de 210 ans, révèle deux choses. D’abord, qu’il y a eu en Wallonie un soulèvement paysan en bonne et due forme. Ensuite, que le souvenir de cette révolte n’a pas entièrement disparu. Dans la première partie de notre exposé, nous allons nous pencher essentiellement sur la dite “révolte des brigands” en Wallonie. Dans la seconde partie, nous consacrerons plutôt notre attention sur la place que prend ce soulèvement dans la mémoire collective des Wallons.
Immédiatement après la fameuse bataille de Jemappes en 1792 et l’occupation française des Pays-Bas autrichiens qui s’ensuivit, des révoltes anti-françaises eurent lieu en Wallonie. Des milices bourgeoises et des paysans armés dans les régions frontalières de Chimay, Bertrix et Florenville livrèrent bataille contre les troupes françaises avant le soulèvement général des paysans en 1796. Pour reprendre le contrôle de la région de Chimay, les Français durent envoyer une armée entière dans la “botte” du Hainaut.
La figure centrale du soulèvement paysan wallon est indubitablement Charles-François Jacqmin ou Charles de Loupoigne (1761-1799), connu aussi sous le sobriquet de “Charelpoeng” en Flandre. Ce Brabançon wallon était originaire de Braine-l’Alleud, avait servi de sergent recruteur pour l’Armée Impériale & Royale autrichienne et avait commandé des milices populaires pro-autrichiennes après la seconde défaite des armées impériales et royales à Fleurus en 1794. Bien avant la “Guerre des Paysans” proprement dite, qui éclata en 1798, Charles Jacqmin de Loupoigne avait organisé une guérilla contre l’oppresseur français. Qui se déroulait souvent de manière ludique. On désarmait les soldats français, on pillait les caisses communales, on abattait les “arbres de la liberté”, on libérait les conscrits et on intimidait les collaborateurs. Cette guérilla ne fit pratiquement pas couler de sang.
Charles de Loupoigne s’activait essentiellement dans la région de Genappe et Wavre. Il ne réussit pas à prendre Louvain et Jodoigne. Les Français le condamnèrent à mort par contumace, mais ne purent jamais le capturer. Les nombreuses forêts, chemins creux et cachettes du Brabant wallon étaient idéaux pour mener une guerre de guérilla. En 1799, les Français n’avaient pas encore réussi à capturer Charles de Loupoigne. En juin de cette année, leur chasse à l’homme finit par aboutir, plutôt par hasard : dans un combat livré aux gendarmes français, “Charelpoeng” tomba les armes à la main à Loonbeek près de Huldenberg en Brabant flamand. Ce fut la fin de sa légende.
Mais Charles de Loupoigne ne fut pas le seul “brigand” wallon. Dans la région de Virton, en Gaume, la population rurale résistait, elle aussi, aux Français. On connaît mieux la “Klöppelkrieg” du Luxembourg germanophone, un soulèvement de septembre 1798 qui s’est étendu également à la Wallonie, dans les régions de Vielsalm et de Stavelot. À Neufchâteau, dans les Ardennes luxembourgeoises, les annales signalent en novembre 1798 un soulèvement anti-français. Les insurgés démolissent de fond en comble la “mairie” en hurlant « Merde pour la République ! ».
Dans la région située entre Sambre et Meuse, on abattit les “arbres de la liberté” dans de nombreux villages. Cette région a donc connu une résistance mais sans soulèvement armé. Dans la région de Jodoigne, le soulèvement fut bel et bien armé et ce sont ces événements-là que l’on vient de commémorer. Le chef de cette “Guerre des Paysans” en Brabant wallon n’était pas Charles Jacqmin de Loupoigne mais un certain Antoine Constant (1749-1799). Celui-ci parvient en novembre 1798 à prendre Jodoigne et à en chasser les Français. Dans les semaines qui suivirent, Antoine Constant mena ses actions dans le département de l’Ourthe (l’actuelle province de Liège) et marcha à la tête de ses compagnies sur Hasselt pour aller rejoindre les insurgés flamands. À Hasselt, l’armée rurale des Pays-Bas autrichiens fut définitivement écrasée. Antoine Constant y fut fait prisonnier. Les Français le jugèrent et il fut exécuté le 9 février 1799. Le paysannat insurgé était exsangue. La révolte étouffée dans le sang.
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Dans la première partie de notre brève étude sur les soulèvements paysans contre le républicanisme français, nous avons parlé de quelques événements de cette lutte populaire d’il y a 210 ans, qui a connu des épisodes marquants en Wallonie, contrairement à ce que l’on croit habituellement, en prétendant que cette révolte n’a été qu’une affaire flamande ou luxembourgeoise. Cette ignorance vient du fait que les francophones belges ne se souviennent plus guère aujourd’hui de ce soulèvement paysan. Des commémorations comme celle qui a eu lieu à Jodoigne le mois dernier sont exceptionnelles. Comment cela se fait-il que cette période de l’histoire soit perçue différemment chez les Francophones et chez les Flamands ?
Est-ce un impact de la langue et de la culture françaises, qui fait que les liens avec l’occupant français étaient plus forts ? Les Wallons ont-ils été des “fans” de la révolution française ? Les historiens doutent que les idées révolutionnaires aient été populaires en Wallonie. L’historien Erik Martens, qui a principalement axé ses recherches sur cette période, explique la moindre virulence du soulèvement paysan en Wallonie par la situation géographique des provinces romanes des Pays-Bas autrichiens. Elles étaient plus éloignées de l’Angleterre, d’où aurait pu venir une aide, et plus proches de la frontière française où étaient casernées de solides garnisons comme à Maubeuge, Avesnes, Mariembourg, Givet et Sedan. Il est exact aussi qu’une partie du soulèvement wallon a été directement inspirée par la Flandre, le long de la frontière linguistique. Sur l’axe Tournai-Enghien, ce furent surtout des milices flamandes venues de Renaix (Ronse) et du Pajottenland qui provoquèrent les escarmouches avec les troupes françaises. Malgré cela, il faut dire que les principaux soulèvements du Brabant wallon ont une origine purement locale, tout comme celui qui a animé les forêts des Ardennes luxembourgeoises et comme la guérilla anti-française qui a fait rage autour de Chimay.
Alors pourquoi la “Guerre des Paysans” n’est-elle pas inscrite dans la mémoire collective des Wallons d’aujourd’hui ? Nous pourrions poser la question autrement. Pourquoi cette guerre paysanne est-elle, ou a-t-elle été, pendant si longtemps commémorée en Flandre ? La réponse est simple : elle y a toujours été considérée comme une révolte contre une de ces occupations étrangères, française de surcroît, que l’histoire des pays flamands a si souvent connues ; l’historiographie flamande n’a jamais cessé de braquer ses projecteurs contre ce genre de soulèvements. Cette disposition d’esprit explique aussi l’immense succès qu’a connu la commémoration du centenaire de la “Guerre des Paysans” en 1898. La “Guerre des Paysans” étant un soulèvement populaire contre la France, elle trouvait parfaitement sa place dans l’univers mental du mouvement flamand.
En Belgique francophone, rien de tout cela. Car, surtout après 1918, la Belgique francophone a pris, comme jamais auparavant, une attitude pro-française. La France était subitement devenue l’alliée et les épisodes désagréables de l’histoire wallonne, où les Français s’étaient méconduits dans les provinces romanes des Pays-Bas espagnols puis autrichiens, furent recouverts d’un silence de plomb. Après 1918, les castes dominantes francophones ont fait l’impasse sur l’histoire propre de la Wallonie, pour aller fabriquer une “nouvelle histoire”. Ce fut principalement le cas dans les cénacles maçonniques et wallingants (en fait rattachistes), où l’on se mit à exalter, de la manière la plus irrationnelle et la plus dévote, les acquis, faits et gestes de la période d’occupation française (1792-1814). Dans cette littérature pieuse, on raconte, sans rire, que cette occupation violente fut une « libération » de l’Ancien Régime et, surtout, qu’elle nous a ouvert, à nous pauvres sauvages mal dégrossis de Flandre, de Wallonie et de Rhénanie, les portes de la culture française, posée comme « universelle » et « supérieure ». Dans les cercles wallingants, on va jusqu’à considérer que la bataille de Waterloo a été une défaite !
En Wallonie, on ne trouve donc aucun monument commémoratif nous rappelant l’héroïsme du peuple en armes contre la barbarie moderne des sans-culottes. Tout au plus reste-t-il l’un ou l’autre indice dans les folklores locaux, exploitable par le tourisme. Dans tout le Brabant wallon, on ne trouve que deux rues qui portent le nom de Charles Jacqmin de Loupoigne. Il existe toutefois un circuit touristique pour randonneurs pédestres et cyclistes qui porte le nom de ce courageux capitaine. Il n’existe qu’un seul monument à l’honneur de “Charelpoeng” ; il se trouvait à Loonbeek en Brabant flamand, au lieu où il tomba les armes à la main en 1799. Ce monument avait été commandité par Paul Verhaegen, belgiciste et francophone de Flandre, qui fut pendant un certain laps de temps Président de la Cour de Cassation. Paul Verhaegen avait fait ériger ce monument car il estimait que Charles de Loupoigne avait été « un grand Belge ».
L’ironie de l’histoire veut que dans les années 30 du XXe siècle, et jusqu’en 1944, les Flamands venaient fêter sous ce monument le souvenir de la défaite de la Chevalerie française devant Courtrai en 1302, lors de la fameuse “Bataille des Éperons d’Or”. Charles de Loupoigne est devenu ainsi un “héros flamand”, alors qu’il était un pur Wallon. Dans les années 40, les cercles inféodés à la collaboration y ont également tenu des manifestations, si bien qu’en septembre 1944, le monument fut partiellement détruit par les résistancialistes. Après la guerre, il n’a plus été question de replacer le monument en son lieu d’origine et de le restaurer car, disaient les esprits bornés, il rappelait l’occupant allemand ! En 1949, des fidèles l’ont transporté dans une chapelle à Sint-Joris-Weert où il a finalement été placé contre le mur extérieur du petit édifice religieux. Il s’y trouve toujours.
Parce que le lien a été fait entre la “Guerre des Paysans” et le mouvement flamand, la Belgique francophone a fini par considérer que ce soulèvement populaire de la fin du XVIIIe siècle avait été « anti-patriotique ». Cependant le débat autour de la “Guerre des Paysans” demeure sensible côté francophone parce que certains historiens soulignent qu’il y a un rapport entre la “Guerre des Paysans” et le soulèvement des “chouans” et des Vendéens dans l’Ouest de la France. En 1793, la population de cette région royaliste a été décimée et parfois exterminée par les sans-culottes. Dans bon nombre de cercles de la droite conservatrice française, on demande que ce crime politique soit reconnu comme un génocide. La France républicaine ne veut rien entendre, bien sûr, parce qu’elle estime que ce serait faire une concession à “l’extrême droite” et que cela ruinerait le mythe de la “révolution française”. C’est pourquoi la Belgique francophone, toujours servilement à la remorque des modes, des folies et des veuleries parisiennes, se montre très réticente et hésite à parler de manière positive de la “Guerre des Paysans”.
Ceux qui osent émettre un jugement positif sur cet épisode héroïque de l’histoire des Pays-Bas du Sud, risque immédiatement l’excommunication hors de l’église des gauches.
► Picard, article paru en deux parties dans ‘t Pallieterke n°51 & 52/2008. (trad. fr. : Robert Steuckers)