• Libéralisme

    LibéralismeLa dictature libérale

    ◘ Analyse de l'ouvrage de Jean-Christophe Rufin (La dictature libérale : Le secret de la toute puissance des démocraties au XXe siècle, JC Lattès, 1994, 313 p.

    Imaginez-vous la démocratie comme une jeune vierge craintive, égarée dans une antre peuplées de dépravés ? Croyez-vous sa vertu menacée de toutes parts par des êtres lubriques qui ne désirent que son avilissement et sa mort ? Craignez-vous qu'elle ne succombe sous les coups d'une horde de barbares ignares et belliqueux ? Détrompez-vous !

    Le dernier livre de Jean-Christophe Rufin vous démontrera, au travers d'une relecture de l'histoire de ce siècle finissant, que la démocratie libérale, quoiqu'elle se déclare toujours faible et menacée, est en fait aussi puissante que retorse.

    En effet, la démocratie libérale présente l'apparence d'un système labile, peu apte aux décisions, déchiré par des tensions et divisions internes. Si ce visage décomposé correspondait à une réalité, nous serions en droit de nous demander par quel mi­racle une organisation aussi débile aurait non seulement survécu à deux guerres mondiales, ainsi qu'à de multiples séismes socio-économiques, et se serait, de plus, imposée dans la plupart des pays développés ?

    Les systèmes totalitaires paraissent plus robustes que les démocraties, parce que les pouvoirs de décisions sont concentrés et que la société semble plus homogène et ordonnée. Au contraire, la démocratie libérale possède une multiplicité de centres de décision et elle est agitée par des courants d'opinion contradictoires. En fait, la violence dont font montre les dictatures est le symptôme de la maladie qui les rongent irrémédiablement : ces sociétés, fondées sur l'adhésion inconditionnelle à une idéologie (aussi floue soit-elle), s'épuisent à discipliner leurs citoyens. À l'éradication d'un groupe d'opposants, que les média du pouvoir totalitaire qualifieront de “victoire”, correspond en fait une perte de substance vive, celle d'un groupe d'élite qui avait le courage de se révolter. Les sociétés totalitaires sont, en quelque sorte, masochistes et autophages… tandis que la contradic­tion anime la démocratie, elle disloque la dictature.

    La polymorphie des démocraties constitue un second avantage par rapport aux dictatures : comme Protée, elles peuvent se présenter tour à tour sous des jours divers, en fonction des forces qu'elles rencontrent. Font-elles face à des communistes ré­volutionnaires, qu'elles enverront des émissaires puisés dans leurs partis communistes nationaux ; font-elles face à une dicta­ture d'extrême-droite, qu'elles délégueront l'un ou l'autre chantre de l'ordre ; font-elles face à une théocratie musulmane, qu'elles choisiront des immigrés provenant de ces pays ou quelque intellectuel converti à l'Islam. Dans n'importe quelle situa­tion, elles se trouveront toujours des collaborateurs, à l'intérieur d'elles-mêmes ou chez l'ennemi. Par contre, un gouverne­ment totalitaire est condamné à une certaine franchise, aussi machiavéliques soient ses dirigeants. Un État communiste peut se vouloir révolutionnaire et agressif, ou accommodant et pacifique, il demeurera un État communiste. Il peut arranger sa mise mais non pas remodeler son visage. Protée, lui, se transforme au gré des circonstances, ou plutôt, du fait de sa structure ex­trêmement complexe et mobile, il présentera son aspect le plus convenable à son interlocuteur.

    Le problème immémorial que les démocraties ont toujours eu à résoudre est celui de la contradiction de la liberté individuelle des citoyens avec la cohésion de la société. La réponse habituelle fut l'instauration d'un contrat social qui mettait fin à l'état de nature en soumettant les hommes à une loi qui bornait leur liberté ; le contrat étant garanti par la crainte de la loi. Mais ce sys­tème, dérivé de la pensée de Hobbes, oscille sans cesse de l'anarchie au despotisme. En ce sens, la Russie communiste en est un parfait exemple : issue d'une guerre civile, elle se reconstitue sous la férule de Staline, puis régresse et retourne au chaos primordial. En effet, dès que le contrat social est instauré, les hommes s'en vont jouir de la paix et oublient peu à peu les affres de l'état de nature. Ils deviennent nostalgiques et, un jour, désirent retrouver leur paradis perdus comme les écologistes.

    L'avatar du Léviathan, la démocratie libérale, a trouvé la parade à ce paradoxe : l'indifférence.

    La démocratie libérale ne propose aucune valeur positive, aucun projet ; elle se contente de dénoncer les travers de ses adver­saires et de proposer à ses sujets la “liberté”, le bien-être matériel, la paix, une réelle immobilité sous une apparente agitation. Dans ce système sans valeurs, et donc sans contrainte, l'homme peut jouir de sa liberté, comme dans l'état de nature. On comprend pourquoi les “droits de l'Homme” ont pris une telle importance dans nos sociétés : ils servent de substitut aux va­leurs positives et assurent une cohésion minimale.

    « La Déclaration des droits de l'Homme, elle, est un socle acceptable. Elle assure à chacun la reconnaissance de son droit au processus de personnalisation, sa capacité d'être un individu et de former quelque regroupement que ce soit avec les autres. Elle est reconnaissance du droit de posséder, de jouir, d'être toujours semblable aux autres et égal, cependant qu'on s'active à être toujours différent et si possible supérieur. La Déclaration des droits de l'Homme permet à la dispersion sociale de s'opérer sans barrière. Le principe de souveraineté du peuple la com­plète car il permet de réintégrer, le moment venu, cette dispersion par la grâce de majorités numériques » (pp. 274-275).

    Si les dictatures nient l'opinion publique, les démocraties, elles, feignent de l'ignorer. La démocratie étant indifférente par rap­port aux citoyens, ceux-ci, sentant qu'ils n'ont plus aucune prise sur le système, s'en détachent et recherchent des solidarités de remplacement plus proches d'eux : l'ethnie, la secte, la minorité d'opinion, l'association caritative, etc. La société se subdi­vise en une nébuleuse de sous-groupes, plus ou moins autonomes, disposant chacun de leur propre “culture”, qui va de la stricte idéologie de certaines sectes, à celle, beaucoup plus diffuse, du “pop / tagg”. Bien sûr, chacun demeure libre de participer à plusieurs de ces mini-sociétés… Toutefois, malgré cette apparente liberté débridée, chaque monade reste liée à l'ensemble. Aussi, « le marginal devient central ». Les média ne portent leur attention que sur l'anormal, l'extraordinaire, le déréglé. La crise de la solitude, l'alcoolisme, la drogue, l'aliénation, la délinquance, les émeutes de banlieue, etc. ne sont pas les symptômes d'une maladie mortelle pour la démocratie, mais des signes de son fonctionnement normal ! Chaque fois que les média évo­quent ces phénomènes marginaux, ils les réintègrent au centre même de la démocratie. La machine fonctionne comme une immense pompe aspirante-refoulante.

    Dans l'Empire romain, l'essentiel de l'armée stationnait aux frontières pour contenir les barbares. Lorsqu'une crise politique interne survenait, tels généraux d'armée se muaient en prétendants au trône impérial et l'on voyait bientôt 2, voire 3 ou 4 colonnes armées converger vers Rome, le cœur de l'Empire, que personne ne défendait. Le vainqueur accédait au trône en gravissant quelques tas de cadavres et, ayant ainsi renouveler l'élite dirigeante par un apport de sang neuf, perpétuait le princi­pat.

    Dans nos démocraties libérales, les groupes révolutionnaires habitent aussi dans les confins de la société, mais il n'existe pas de centre géographique vers lequel les armées pourraient marcher triomphalement, point de citadelle à prendre d'assaut, juste un vaste et morne marécage où s'enlise tout véritable idéal, où l'homme révolté ne peut qu'errer sans jamais trouver le moindre exutoire à sa rage. Par contre, sa simple existence entretient le mythe de la menace.

    À cette indifférence interne aux nations s'ajoutent l'internationalisation du monde libéral. Tant du point de vue économique que du point de vue politique, les centres de décision tendent à se déplacer vers des organismes internationaux voire “universels”, alors que les peuples ne peuvent agir qu'au niveau national. Le pouvoir leur échappe encore un peu plus. Sur ce point, il nous semble que Rufin simplifie le processus : jusqu'à présent, ces institutions (UNESCO, GATT, CEE, ALENA, etc.) n'existent que par délégation ; les décisions sont prises par les représentants des États qui y siègent ; les finances sont des subsides oc­troyés et non des ressources propres ; les soldats de l'ONU sont des militaires des armées nationales affublés d'un casque bleu. Par contre, il est vrai, et fréquent, qu'un gouvernement national peut faire passe une loi en prétextant qu'elle est la consé­quence d'une décision émanant d'une institution “supérieure”, dans laquelle il possède un poids et des voix. Les organismes in­ternationaux ne décident de rien, il servent de caution.

    La démocratie vit de la menace qui masque sa force. Elle en a besoin pour maintenir sa cohésion. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, qui possédaient à eux seuls la moitié de la richesse mondiale et contrôlaient la moitié du globe, firent pourtant mine de craindre l'URSS, qui sortait exténuée du conflit. Cette URSS constituait un partenaire idéal, juste assez fort pour effrayer, juste assez effrayant pour que peu d'Occidentaux y adhérassent. Le monstre joua bien son rôle durant les années 50, mais à la fin de la décennie suivante, il devint évident qu'il s'essoufflait, surtout du point de vue économique. Les démocraties libérales maintinrent encore durant quelques années ce précieux ennemi en vie, sous perfusion (du blé et de l'argent). Pour palier à son anémie, on sortit divers opposants des goulags afin qu'ils témoignassent en Occident des horreurs du régime. Lorsque l'ours défuncta définitivement, les démocraties libérales se mirent en quête d'une menace de remplace­ment.

    Elles se tournèrent d'abord vers un élément pré-existent, qu'elles avaient jusque là tenter d'assimiler au marxisme : l'écologie politique. En effet, celle-ci, à ses débuts, vitupérait contre le société de consommation et réclamait une “croissance zéro”. Elle s'attaquait, comme le marxisme, à un rouage essentiel de la machine libérale : le marché. La convergence des discours éco­logistes et communistes sur la paix, favorisait aussi cet amalgame. Les écologistes se disaient prêts à accepter une capitula­tion au nom de la paix (“Plutôt rouge que mort”). Plus tard, l'écologie renvoya capitalistes et marxistes dos à dos, en dénon­çant leur culte commun de la production.

    Mais, peu à peu, le libéralisme réussit à substituer l'idée de “croissance propre” à celle de “croissance zéro”. Nos savants proposèrent des solutions pour limiter la consommation de matières premières, recycler les déchets, diminuer les rejets dans l'atmosphère… La technologie venait au secours de l'écologie. La “science” redevenait une valeur positive et l'écologie deve­nait une science. Il n'était plus nécessaire de renoncer au “progrès” ni de retourner aux mœurs de nos ancêtres cavernicoles. Dès lors, les écologistes se scindèrent en 2 tendances : les réalistes et les radicaux ; les premiers consentaient à s'allier avec les classes dirigeantes, les seconds demeuraient des activistes. Les radicaux conservaient un rôle utile en tant qu'ils maintiennent l'image de l'Apocalypse écologique, aidés en ce sens par les médias, toujours férus de sensationnel. Mais le mouvement, affaibli par cette saignée, n'était plus dangereux. On avait déjà assisté au même phénomène de scission avec les communistes entre les 2 guerres, les moins virulents formant les partis “sociaux-démocrates” désireux autant d'amender le système que d'y participer ; la minorité se regroupant dans des partis communistes, interdits de pouvoir et trop faibles pour renverser le régime (surtout qu'ils avaient les mains liées par l'URSS elle-même, pour des raisons tactiques).

    Néanmoins, cette nouvelle menace ne comblait pas à elle seule le vide laissé par l'URSS. On y joignit donc le “Sud” et “l'exclusion”.

    L'image du Sud comme ennemi s'est formé bien avant l'effondrement de l'URSS. Durant la guerre froide, certains de ces pays étaient devenus communistes, d'autres menaçaient l'Occident d'embargo sur le pétrole, tandis que quelques-uns produi­saient de la drogue, poison nécessaire aux marginaux engendrés par la société libérale. À cela s'ajouta, plus tard, la menace islamique. L'Islam domine d'importantes populations à la démographie galopante, son avant-garde s'est déjà infiltrée dans nos pays aux frontières poreuses, certains des gouvernements islamiques soutiennent des mouvements terroristes, dont ils né­gocient l'activité avec les démocraties. Mais ce nouvel ennemi manque de crédibilité, aux yeux de Rufin ; son unité politique n'est pas encore réalisée et il ne possède pas d'armement de haute technologie.

    Enfin, il reste la menace de l'exclusion, de la marginalité que nous avons évoqué plus haut. Les 3 remplacent tant bien que mal celle de l'URSS.

    Ainsi, ce système qui tire son nom du mot “liberté” « s'impose à ceux-là mêmes qui la refusent le plus sans pourtant les em­pêcher d'agir contre elles. La plus extrême révolte y est possible : elle n'en nourrit pas moins le système qu'elle est censée détruire. Toutes les oppositions en démocratie sont tournées à son profit et ceux qui visent à sa plus radicale destruction sont les plus utiles ouvriers de son développement » (p. 20). C'est « une dictature dans la mesure où elle s'impose à tous, y compris ceux qui la refusent » (p. 301). Aussi le danger qui menace réellement la démocratie n'est pas de ceux que nous venons d’égrener… La démocratie risque de mourir par manque d'idéal et non pas de périr assassinée par des révolutionnaires. Rufin en conclut que la seule fonction éthique est la dissidence, l'utopie, car la révolte anime le système.

    Les révolutionnaires doivent donc savoir que s'ils gagnent la bataille ou s'ils meurent sous les coups de la répression, ils au­ront contribué à une création.

    Néanmoins, l'assertion de Rufin appelle trois remarques. Premièrement, même si le système libéral est un des plus résistant que l'Histoire ait connu, il n'est pas immortel. Deuxièmement, comme le remarque l'auteur lui-même, il existe des systèmes idéologiques inassimilables par la démocratie. Rufin cite l'Allemagne nazie qui ne faisait pas un bon partenaire menaçant parce qu'elle était à la fois trop proche et trop éloignée du système démocratique : contrairement à l'URSS, elle conservait le dynamisme économique du capitalisme, mais son aspect nationaliste, belliqueux et instable l'éloignait irrémédiablement du li­béralisme. Enfin, si un jour, pour les ennemis radicaux de ce système, qu'ils soient écologistes, fascistes, communistes, etc. rassemblaient leurs forces éparses, ils lui asséneraient un coup mortel, car, jusqu'à présent, le libéralisme contrôle ses me­naces en les divisant. C'est pourquoi, sans doute, les journalistes parisiens s'effraient tant à l'idée d'une alliance “brune-rouge” (mais ils ont oublié le “vert”…).

    ► Frédéric Kisters, Vouloir n°119/121, 1994.

     

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    LibéralismeUne histoire du libéralisme

    ◘ Recension : André JARDIN, Histoire du libéralisme politique, de la crise de l'absolutisme à la constitution de 1875, Hachette, 1985.

    [Ci-contre : Portrait de François Guizot par Jehan Georges Vibert]

    Les plus récentes parutions des éditeurs parisiens démontrent au moins une chose : le libéralisme, ça se vend bien ! André Jardin, qui est, on s'en souvient, l'un des meilleurs spécialistes de Tocqueville, grâce à un livre paru chez Hachette en 1984, nous revient aujourd’hui avec cette monumentale histoire de l'idée libérale, depuis la grande crise intellectuelle de l'absolutisme jusqu'à la fondation de la IIIe République en 1875. Ce livre est important à plus d'un titre. D'abord parce qu'il vient combler une lacune de l'historiographie. C'est en effet le premier ouvrage de fond sur la genèse de la France libérale. La révolution de 1789, mi-jacobi­ne mi-bourgeoise, a enfanté une société libérale. Il fallait nous en conter les péripéties. Ensuite, c'est une analyse souvent pénétrante des valeurs libérales telles qu'elles s'exprimèrent dans le contexte de jadis avec ses sensibilités particulières, celles de l'aristocrate Alexis de Tocqueville, du grand bourgeois Constant ou des "pères fondateurs" que furent Voltaire et Montesquieu. Jardin nous révèle une méthode d'analyse originale qui ne néglige aucun aspect du libéralisme : tant celui des groupes sociaux que celui des individualités pensantes sans oublier les institutions. Ce maître-ouvrage, enfin, peut nous apporter les références chronologiques et historiques nécessaires au grand débat actuel, d'où resurgissent les vieux schémas libéraux que les politiciens occidentaux véhiculent tantôt avec fanatisme tantôt avec cette conviction bourgeoise, naïve et vexante à la fois, un mélange que l'on retrouve souvent chez les “reaganiens” européens.

    Le tout premier essai sur l'évolution du libéralisme européen, Harold Laski nous l'avait livré. Pour Laski, le libéralisme est apparu rapidement comme la transposition idéologique de la croissance capitaliste réelle depuis le XVIe siècle. Cette première phase expansive fut ensuite arrêtée par les régimes traditionnels monarchiques. Ce premier échec fut alors rattrapé par les explosions révolutionnaires d'Angleterre (1688) et de France (1789). Les révolutions libérales ont été la superstructure idéologique du grand mouvement de fond que portait la croissance des forces productives. Ce schéma marxiste, avancé par Laski, est à la fois riche d’enseignements pour une étude du libéra­lisme moderne et trop simple à cause de son “mécanisme” ; en effet, Laski n'a pas assez tenu compte de l'interaction constante qui transforme infrastructure et superstructure en deux pôles indissociables. Face à cette thèse qui date déjà (elle est marquée par son époque : 1950 !), André Jardin ne prétend pas à une ambition égale. Il ne veut pas embrasser une fois pour toute l'histoire du libéralisme mais réduit avec prudence son champ de recherches. Géographiquement d'abord, puisqu'il s'agit du libéralisme en France. Historiquement ensuite, puisqu'il limite sa vision aux XVIIIe et XIXe siècles. Cette prudence l'honore mais on peut pourtant regretter la disparation de ces fortes personnalités qui, dans un effort à la fois intuitif et scientifique, s'affrontaient pour promouvoir une conception planétaire de l'histoire humaine. Notre société libérale actuelle n'a plus besoin de pareils géants. Chénier affirmait que la Révolution française n’avait pas besoin de poètes. On peut dire que notre société refuse les historiens, les grands historiens. Ne sont-ils pas, en un certain sens, eux aussi, des poètes ?…

    Mais revenons à notre ouvrage. Dès son introduction, l'auteur remarque que la véritable naissance de la notion de “libéralisme” date du Consulat. Il tient en effet pour négligeable la première apparition du mot dans le Journal de d'Argenson, aux environs de 1750. À partir de 1815, la notion devient un mot-clef du vocabulaire politique français. On commence alors à parler de “tendances libérales”, il se forme un “parti libéral” et l'Empereur Alexandre, Tsar de toutes les Russies, est qualifié de “libéral” puisqu'il prône, pour la France, un régime de Charte constitutionnelle… Pourtant, auparavant, les philosophes et les écrivains partisans des libertés individuelles dites “fondamentales” étaient aussi des “libéraux”. En consacrant ces principes, ils étaient libéraux sans le savoir. Comme les autres grands mouvements idéologiques de leur époque, socialisme et romantisme, le libéralisme manquait d'un appui, celui de groupes sociaux acquis à sa cause. Cette conquête, écrit Jardin, est essentielle en ce qu'elle donne une “épaisseur” aux idées jusque là désincarnées. Les partisans de la doctrine s’organisent alors en groupes armés d'une idéologie et d'une stratégie. Leur objectif le plus évident est la conquête du pouvoir politique. Ce pouvoir qu'ils convoitent, il devra être à l'image des idéaux qui les animent. Ils vont appliquer à l'idéologie un processus historico-chimique de “réalisation”. En d'autres termes, traduire dans des institutions précises leurs valeurs fondatrices. C'est précisément cet acte historique­-là qui justifie le mélange méthodologique que Jardin utilise : comparer les idéologies, les institutions et les hommes dans leurs interactions diverses. Son livre est, précise-t-il, une histoire des rapports entre ces forces pendant un siècle donné, le XIXe.

    Une question importante s'est posée dès le départ chez notre auteur : faut-il séparer ou relier l'étude du libéralisme politique et du libéralisme économique ? Il y a sans aucun doute une liaison historique entre ces deux “libéralismes”. Le libéralisme politique a été le masque, le paravent qui justifiait, au plan des idées, la mise en place du libéralisme économique. Ces thèses, que l'on retrouve chez les émules de Marx comme chez certains penseurs contre-révolutionnaires du XIXe siècle (cf. la thèse de Taine qui, dans Les Origines de la France contemporaine, parle de la révolution politique comme de la justification formelle d'un désir immense : accès à un nouveau partage de la propriété foncière), révèlent, par­-delà leur explication mécaniciste de 1789, un aspect de “psychologie collective et individuelle” non négligeable. Si de nombreux penseurs “libéraux” (selon l'analyse de Jardin), à savoir Voltaire, Montesquieu et Fénelon, font avoisiner, dans leurs écrits, idéaux purs et préoccupations économiques, Jardin refuse cette liaison à son avis trop rigoureuse. L’histoire démontre, selon lui, l'erreur de cette théorie du parallélisme. Les créateurs du libéralisme économique, les Physiocrates, n'étalent pas des libéraux proprement dit. Même idée chez les saint-simoniens qui, bien que grands promoteurs de la politique libre-échangiste, n'adhéraient pas au “libéralisme politique”. Enfin, si la bourgeoisie industrielle, créatrice du capitalisme dur du XIXe siècle, veut la liberté des entreprises et la libre initiative des individus (lesquels ?), elle s'appuie sur une puissance publique active, prête à enrayer tout mouvement social et, surtout, en défend l’idée. La notion d’“ordre social” couronne cet édifice, destinée à apaiser toute divergence de fond entre le pouvoir politique et le pouvoir économique. D'ailleurs, reprenant son analyse des groupes sociaux, Jardin nous fait remarquer que la plupart des grands “libéraux” ne sont pas des membres de cette caste des industriels et des hommes d'affaires. Ce sont, pour la plupart, des propriétaires ruraux, des fonctionnaires, des membres de professions libérales (avocats, médecins, etc.). La notabilité est libérale et considère comme un devoir social de se consacrer à la “chose publique”. Toujours cette même idée de “classe utile”, que Saint-Simon consacrera comme seule indispensable à la vie d'un pays moderne. André Jardin ajoute néanmoins qu'il leur arrive d'être victimes de “faiblesses vénales”. Aveu comique s'il en est.

    Cette défense pourtant ne peut nous satisfaire. Il est pour nous difficile voire impossible de distinguer “libéralisme politique” et “libéralisme économique”. Si on voulait dégager des critères discriminants, nous serions, en fin de compte, bien en peine de définir des frontières sûres. Il n'y a pas, ici, de frontières sûres ni de bornes fixes. Les deux terrains sont par trop interdépendants pour qu'il y ait, si ce n'est dans un but idéologique lui-même, différenciation sérieuse entre les deux libéralismes. Il n'y a, au vrai, qu'un seul et unique libéralisme, né de l’idéologie égalitaire bourgeoise. On ne peut pas nier que cette idéologie, avatar récent d'une conception du monde ancienne que l'on retrouve dans les écrits religieux des Pères de l’Église, les seuls vrais inspirateurs du “libéralisme essentiel”, a connu des expressions diverses, liées à des sensibilisés tout aussi diverses. Pourtant, il y a, au fond, référence constante à une matrice commune qui est l'héritage idéologique égalitaire (et nous entendons par “égalitaire” tout ce qui refuse les impondérables liés à un sol et à une communauté historique précise).

    André Jardin ne le nie pas puisqu'il nous conseille de chercher le socle de l’idée libérale dans une conception de l'homme et de l'histoire. L'influence de l'enseignement "humaniste" baigne en effet toutes les réflexions des premiers tenants du libéralisme. L'idée de “Liberté”, comme attribut naturel de l'homme, leur est commune. Ils sont partisans du bonheur individuel (égoïste) comme impératif social et moral catégorique. De ces quelques valeurs (dont on trouvera l'analyse chez Max Weber mais aussi chez Friedrich Nietzsche dont la théorie de la “psychologie du ressentiment” est éclairante à ce sujet), les “libéraux”, qu'ils soient “politiques” ou “économiques”, tirent une même conception de l'histoire. Critique féroce contre l'Empire romain, admiration, mal placée à notre point de vue, des républiques athénienne et romaine — les libéraux se font une “idée” de ces régimes qui n'a que peu de rapports avec ce qu’ils furent réellement et ils négligent le fait incontournable de la “divinisation” du sol et du destin propre à ces cités antiques — exaltation du mouvement des communes bourgeoises au Moyen Âge, à tort une fois de plus, par opposition à l'idée impériale gibeline. Face à l'ordre traditionnel de type impérial et spirituel, les “libéraux” prônent un ordre social “naturel”, que Madame de Staël décrira avec talent.

    Ils ont, quelques soient leurs particularités, un programme commun : respect de l’individu et garantie des “droits de l'homme”, ensuite organisation particulière des pouvoirs politiques, fondée sur le régime représentatif, et la pluralité des autorités, sociales. C'est en vertu de ces mêmes principes que des hommes aussi différents que Voltaire, Royer-Collard et P.L. Courier s'opposeront aux institutions publiques. Pourtant, il est facile de reconnaître, derrière cette phraséologie libérale généreuse et, le plus souvent, sincère, le camoufla­ge d'intérêts économiques précis. Le libéralisme est un[e mystification car prétendant incarner l'intérêt général alors qu'il défend des intérêts particuliers]. Il s'exprime selon des discours spécifiques, différenciés en apparence, uniques au fond. En lisant le livre d'André Jardin, on reconnaîtra sans peine cet héritage commun qui unit, aujourd'hui comme hier, toutes les espèces de libéraux. Et parmi les legs : confiscation du pouvoir par une minorité possédante, dédain des attaches et des enracinements historiques. Le libéralisme organise une société selon des principes égalitaires économiques. Égalitarisme de principe, inégalités injustes de fait, puisque le critère social universel est économique. La propriété, foncière au XVIIIe, industrielle pendant le XIXe puis financière et technique au XXe, est l'axe essentiel de cette nouvelle société. Propriété conçue non plus seulement comme source de pouvoir (la féodalité est aussi un système de partage des terres, donc de fidélité à un espace géographique quasi sacré) mais comme notion suprême, clef de voûte d'une construction “révolutionnaire subversive”. La propriété est un tabou, un principe sacré dont la défense est le point commun à tous les libéraux européens.

    Le pouvoir libéral est une organisation du pouvoir qui se réclame d'une pseudo-­légitimité économique. En contestant l'ancien régime, les libéraux, physiocrates ou penseurs politiques, contestent davantage une conception du pouvoir qui s'appuie encore sur le sacré et la reconnaissance de castes hiérarchisées — il est vrai que les trois états sont alors une image très appauvrie des anciennes sociétés traditionnelles et trifonctionnelles indo-européennes — qu'un pouvoir qui perpétue des injustices intolérables. L'Ancien Régime est un pouvoir figé. Les forces sociales subissent des blocages de plus en plus insupportables. Il n'y a à proprement parler “inégalités” puisque la monarchie capétienne est à la fois au-dessus de la société (il est de “droit divin”) et immergé dans cette même société (le pouvoir joue du jeu contradictoire des forces sociales et se veut toujours “pouvoir de justice”). C'est cette ambiguïté que conteste les “libéraux”. “L’absolutisme” n’est contesté que dans la juste mesure où il retient toute ambition excessive des classes sociales. La bourgeoisie française ne peut plus supporter cette politique de justice, qui protège certaines inégalités comme fécondes socialement. En somme, une monarchie indépendante est “négative” en ce qu'elle ne privilégie pas UNE forme de collaboration par rapport aux autres. Le libéralisme est l'idéologie d'un groupe social. Celle de la “classe qui monte”. Il devient alors une idéologie subversive, qui recueille les vieilles contestations égalitaires sous-jacentes à toutes les sociétés anciennes et trouve enfin une conjoncture historique favorable. Cette conjoncture est la suivante ; les autres forces sociales, oublieuses de leurs propres valeurs collectives (je pense en particulier à la noblesse et au paysannat) adhèrent à cette conception contestatrice. De cet oubli, conjugué avec la volonté conqué­rante de l'idéologie bourgeoise montante, naîtra la révolution de 1789. C'est le point de départ du régime libéral moderne.

    Dans sa postface, André Jardin rappelle cette continuité qui s'inscrit entre le XIXe siècle et notre XXe siècle, continuité qui trouve son fondement, d'une part, dans la constitution de 1875, qui dominera la France jusqu'en 1958 (si on excepte l'épisode constitutionnel de 1940), la IVe République étant la fille légitime de la llle défunte, et, d’autre part, dans la permanence d'un personnel politique stable. Les fils et petit-fils de nos libéraux seront aussi les dirigeants et les héritiers déclarés du patrimoine idéologique du libéralisme du XIXe siècle. C'est cette continuité que l'on constate encore depuis que le général de Gaulle a quitté le pouvoir suprême. Les partis de “l'arc constitutionnel” français (sauf peut-être le PCF mais le Front National [pro-reaganien alors] y compris) sont les rejetons de ce libéralisme historique qui reste pour nous l'ennemi principal. Parce qu'il ne peut rien apporter de réellement neuf.

    ► Ange Sampieru, Vouloir n°13, 1985.

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    ◘ Ressources :


     

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    LibéralismeY a-t-il une “solution libérale” ?

    • Recension : Guy Sorman, La solution libérale, Fayard, 1984, 285 p.

    Guy Sorman, énarque, professeur d’économie à l’Institut d’études politiques de Paris, n’est pas à proprement parler un “théoricien du libéralisme”. Il se déclare plutôt simple “observateur”. Premier fruit de ses observations : un livre intitulé La Révolution Conservatrice américaine (1983). Cet ouvrage racontait les mésaventures, l’évolution, l’itinéraire des groupuscules et des rassemblements plus importants quantitativement qui avaient donné à Reagan sa première victoire électorale. Ce livre était agréable à lire, nous livrait la toile de fond d’une Amérique “profonde”, étrangère à toute forme d’intellectualité. Récemment, Sorman a récidivé avec La solution libérale, compilation d’anecdotes, qui vise à montrer ce qu’est le libéralisme réel, concret, aux USA, en Grande-Bretagne thatcherisée, au Japon et en Allemagne Fédérale.

    L’avantage stratégique que retirent les libéraux, en panne de théories, de ce livre, c’est de parler du libéralisme sans faire appel à la théorie. « J’ai voulu faire un bilan concret du libéralisme réel tel qu’il se pratique à l’étranger, alors qu’en France on parle sans expérience, par effet de mode d’un libéralisme théorique”, déclarait Sorman au Magazine-Hebdo, le 7 septembre dernier. Le libéralisme “concret” de Sorman, c’est le retour aux sources mandevilliennes du libéralisme, à une idéologie qui croit, dur comme fer, que le progrès, c’est la somme des actions individuelles spontanées, motivées par l’intérêt, que ces actions soient d’ailleurs des vices ou des vertus.

    Sorman tire de cette vision, issue tout droit du XVIIIe siècle, un libéralisme libertaire, un spontanéisme social créateur et permissif, capable d’intégrer les idéaux de mai 68. Ce libéral-spontanéisme entend se passer de la classe politique, qui vit (grassement) des structures de l’État-Providence, qu’elle soit de droite ou de gauche. Quand les membres de l’ancienne majorité, en France, se revendiquent du libéralisme, le sien ou celui de Hayek, Sorman parle de hold-up idéologique. Pour lui, le libéralisme ne saurait se confondre avec l’absolu patronal et l’absolu politique : il ne serait alors qu’une réaction conservatrice sans lendemain. Le libéralisme de Sorman est par essence anti-politique et il se résume à un principe simple : la supériorité de l’ordre spontané sur l’ordre décrété.

    Le recours à la spontanéité permet beaucoup d’approximation, beaucoup de conclusions hâtives. C’est le reproche majeur que Pierre Rosenvallon adresse au dernier livre de Sorman. Après la dissolution du marxisme primaire de notre après-guerre, héritier du marxisme vulgaire que De Man avait déjà exécuté en 1926, on assiste à la naissance de son inversion presque parfaite : le libéralisme primaire. Sorman pose sans doute de vraies questions, écrit Rosenvallon, car « il faut effectivement trouver des alternatives à la crise de l’État-Providence, définir des substituts aux régulations keynésiennes d’avant la crise, réduire l’opacité et accroître l’efficacité des services publics, juguler les effets pervers de certaines politiques sociales, limiter les rigidités corporatives, etc. » (« Le petit Hayek illustré », in : L’Expansion, 2/15 nov. 1984).

    Malheureusement, Sorman n’offre aucune solution. Il se borne à remplacer les slogans keynésiens par des slogans néo-libéraux. “À bas l’État, vive le Marché !”. Même si son plaidoyer a-théorique est difficilement réfutable, à cause, précisément, de son a-théoricité, il convient de rappeler quelques principes qui proclament la mort historique du libéralisme mandevillien, matrice de tous les autres depuis deux siècles, et quelques réalités qui prouvent que les succès économico-politiques américains et autres d’aujourd’hui ne doivent rien aux vieilles recettes libérales.

    Reagan et Thatcher n’ont pas arrêté la croissance de la machine étatique. Les dépenses sociales et militaires n’ont pas diminué. Reagan pratique la vieille stratégie politico-économique américaine, dérivée des théories de Carey, qui préconisaient un protectionnisme rigoureux en commerce international couplé à un libre-échangisme à l’intérieur des frontières. Dans cette optique, le politique prime l’économique et l’État se voit revalorisé, en dépit du discours idéologique. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas disparition de l’État.

    Si l’on croit que les vices et les vertus des individus suscitent le progrès, on se place résolument dans une optique fausse : seules quelques sociétés extrêmement urbanisées dévoilent une atomisation excessive du tissu social (Paris, Bruxelles, New York, …). Dans notre vaste monde, on constate que les sociétés économiquement performantes, comme le Japon, sont celles où les cohésions naturelles (familiales, claniques, travail noir en Italie, etc.), religieuses ou national-religieuses (shintoïsme, Sikhs, diasporas juive et grecque, Maronites) sont puissantes et permettent de faire l’économie d’un système de sécurité sociale rigide. Nos sociétés ont été disloquées par le libéralisme, d’essence individualiste, et ont donc besoin de sécurité sociale.

    L’absence de sécurité sociale ne profite qu’à une catégorie d’agents économiques que Sorman distingue parfaitement : la “nouvelle race” cosmopolite qui hante les lieux aseptisés, sans exotisme, des aéroports internationaux, des hôtels, des sièges des multinationales, des grands magasins. Une nouvelle race sans cœur et sans racines, une nouvelle race qui n’a pas le temps de faire des enfants et qui a l’égoïsme abject de refuser aux autres de nourrir décemment les leurs, une nouvelle race sans poésie, toute préoccupée de chiffres et de statistiques sans fondements, ersatz des antiques lectures d’entrailles. Cette nouvelle race ne laissera guère de traces dans l’histoire. La crise balaiera cette engeance peu reluisante de spéculateurs, au profit de producteurs liés à un sol et à une communauté. Les Japonais nous démontrent que les racines ne sont nullement des freins à l’économie. En matière sociale, il y a indubitablement un obscurantisme libéral pour lequel tout agrégat historique constitue une absurdité. Sorman tombe à pieds joints dans ce piège.

    Intégrer les idéaux de mai 68, pour Sorman, c’est injecter le cosmopolitisme dans les mœurs. C’est prendre acte du Testament de Dieu en économie, comme B.-H. Lévy et Guy Scarpetta (Éloge du cosmopolitisme, Grasset, 1981) l’ont fait en littérature : même horreur des racines, même goût pour le brassage des hommes et des marchandises. Hélas quand on prend les vingt mets les plus délicieux et qu’on les mélange, on n’obtient qu’un infâme brouet.

    Se passer d’une classe politique désuète : bonne idée ! À la classe politique qui asseyait son pouvoir sur des discours (creux) idéologiques et moralisants, religieux et hypocrites, ne saurait succéder la “nouvelle race” sans perspective d’avenir, incapable de raisonner à long terme. À la classe politico-idéologique succédera une classe politique d’ingénieurs qui substitueront la compétence et la production à la spéculation et à la publicité et d’historiens qui opposeront la luxuriante diversité de l’histoire, le sens du long terme, aux slogans faciles et aux “testaments de Dieu” froids et arides. Il y aura “lutte de types” et la “nouvelle race” sormanienne s’évanouira comme un mauvais souvenir le jour d’une fête.

    Enfin, l’approximatif et le hâtif sormaniens se révèlent à la page 150 de La solution libérale, où Schumpeter est entrevu comme un théoricien précurseur du néo-libéralisme. C’est classer le grand économiste autrichien un peu vite. Pour Schumpeter, la lutte des classes provient précisément de la haine que suscitent les spéculateurs chez les “types” humains enracinés. Thorstein Veblen, sociologue américano-norvégien du début de ce siècle, a repris cette thèse en valorisant le rôle de l’ingénieur par rapport à la “classe des loisirs” (leisure class), vivant du fruit de ses spéculations.

    Autre grosse lacune de La solution libérale : trop de références américaines. L’Amérique n’est pas l’Europe. L’économie européenne n’a pas besoin d’une solution américaine mais d’une solution autochtone, tenant compte de notre continuité historique. Au fond, il n’y a pas de “solution libérale”, il y a un rêve, une chimère libérale dont se passent aisément les peuples éveillés.

    ► Michel Froissard (pseud. RS), Vouloir n°10, 1984.

     

    Libéralisme

     

    Histoire du libéralisme en Russie

    ◘ Recension : Victor Léontovitch, Histoire du li­bé­­ra­lisme en Russie, Fayard, 1986, 479 p. (Préf. d'A­. Soljé­ni­tsyne).

    Ouvrage fouillé, très complet, le livre de Victor Léontovitch commence par une approche théo­rique du libéralisme dans le contexte russe. N'ayant connu ni un régime aristocratique féodal (une démocratie limi­tée aux aristocrates) ni l'in­dépendance de l'autorité spirituelle (le pape) face aux pouvoirs temporels, la Russie a forcément développé un libéralisme différent de celui de l'Eu­rope occidentale. Dans le programme de gou­vernement de l'Impératrice Catherine II, ap­pa­raissent des idées libérales issues de Mon­tes­quieu et appelées à moderniser la Russie, à construire un ré­seau de manufactures et à renforcer l'éducation pu­blique. Ces mesures fu­rent jugées trop révolution­naires par son fils Paul Ie et aussitôt annulées. Alexandre Ier, petit-fils de l'Impératrice, poursuivra son œuvre émancipatrice. Léontovitch souligne l'influence de ministres comme Spéranski et Karam­zine. Spéranski avait élaboré un projet de « royaume orthodoxe » caractérisé par une sorte d'« abso­lutisme libéral ». Karamzine voudra codifier le droit russe se­lon des idées proches de celles de Savigny, lequel souhaitait maintenir les règles issues de la coutume et de la jurisprudence, de même que les variantes régio­nales du droit, contre toutes les tentatives d'homo­généisation des peuples et du continent euro­péen sous l'égide d'un droit unique, comme, par ex., le Code Napoléon. Mais libéraliser, dans la Russie, du XIXe siècle, signifie émanciper les paysans. C'est ce problème crucial qui blo­quera l'évolution de la Russie vers un li­béralisme à l'occidental. Au lieu de voir triom­pher le libéralisme, la Russie a vu triompher les radicalismes de toutes moutures. Dans sa pré­face, Soljénitsyne explique que la non réussite du libé­ralisme, a fait naître d'autres dégradations idéo­lo­giques, comme l'absolutisme dé­mocra­ti­que ou la dé­mocratie impérialiste. Comme les idées à la fois tra­ditionalistes et émancipatrices de Ka­ramzine et Sa­vigny ne parviennent pas à infléchir les réformes dans un sens évolu­tion­naire, la Russie ne connaîtra que des tentatives rupturalistes extrêmes, malgré les projets d'un Witte ou d'un Stolypine au début de ce siècle. L'application de projets libéraux idéaux et abstraits ne pouvait pas fonctionner en Rus­sie. Victor Léontovitch explore à fond les méandres de cette lancinante ques­tion paysanne russe, avec ses moujiks qui passent du servage aristocra­tique/auto­cratique au servage étati­que/kolkho­zien. Un chapitre nous éclaire sur ce qu'est le droit paysan tra­ditionnel, où ce sont les « feux » qui possèdent des terres com­munales et non des individus qui possèdent des terres individuelles. Ces terres ne pouvaient être héritées, et à la disparition d'une fa­mille, d'un feu, par mort ou stérilité, elles revenaient à la commune ; ce con­texte rend bien sûr l'application d'un libéralisme indivi­dualiste à l'occidentale très problé­mati­que…

    ► Robert Steuckers, Orientations n°11, 1989.

     

    Libéralisme

     

    L'idée de perfectibilité infinie : noyau de la pensée révolutionnaire et libérale

    Libéralisme♦ Recension : Ernst BEHLER, Unendliche Perfektibilität : Europäische Romantik und Französische Revolution, Ferdinand Schöningh, Paderborn, 1989, 320 p.

    Le Professeur Ernst Behler, qui enseigne à Seattle aux États-Unis, grand spécialiste de Friedrich Schlegel, sommité internationale, vient de se pencher sur ce rêve optimiste de la perfectibilité absolue du genre humain, rêve sous-tendant toute l'aventure illuministe et révolutionnaire qui s'est enclenchée au XVIIIe siècle. Ce rêve, qui est le noyau de la [seconde] Modernité, se repère dès la fameuse “querelle des anciens et des modernes”, dans l'Aufklärung allemand, chez l'Anglais Godwin, chez Condorcet (de loin le plus représentatif de la version “illuministe” de ce rêve), Mme de Staël, Constant, les Romantiques anglais (Wordsworth, Coleridge) et aux débuts du Romantisme allemand (Novalis, Schlegel). L'évolution de cette pensée de la perfectibilité, aux sinuosités multiples depuis l'Aufklärung jusqu'au romantisme de Novalis et Schlegel, a été appréhendée en 3 étapes, nous explique Ernst Behler dans son livre Unendliche Perfektibilität : Europäische Romantik und Französische Revolution.

    La première étape s'étend de 1850 à 1870, et constitue une réaction négative à l'endroit du romantisme. La deuxième étape, de 1920 à 1950, est marquée par 3 personnalités : Carl Schmitt, Alfred Bäumler et Georg Lukacs. La troisième étape, non encore close, est celle des interprétations contemporaines du complexe Aufklärung / Romantisme. À nos yeux, il est évident que les interprétations de la deuxième étape sont les plus denses tout en étant les plus claires. Pour C. Schmitt, le Romantisme, par son subjectivisme, est délétère par essence, même si, en sa phase tardive, avec un Adam Müller, il adhère partiellement à la politique de restauration metternichienne. Face à ce Romantisme germanique dissolvant, aux discours chavirant rapidement dans l'insignifiance, C. Schmitt oppose les philosophes politiques Bonald, de Maistre et Donoso Cortès, dont les idées permettent des décisions concrètes, tranchées et nettes. À l'occasionalisme (terminologie reprise à Malebranche) des Romantiques et à leur freischwebende Intelligenz (intellect vagabond et planant), Schmitt oppose l'ancrage dans les traditions politiques données.

    Alfred Bäumler, le célèbre adversaire de Heidegger, l'apologiste de Hitler et le grand spécialiste de Bachofen, pour sa part, distingue une Frühromantik dissolvante (romantisme d'Iéna) qui serait « l'euthanasie du rococo », le suicide des idées du XVIIIe. Cette mort était nécessaire pour déblayer le terrain et inaugurer le XIXe, avec le Romantisme véritable, fondateur de la philologie germanique, rénovateur des sciences de l'Antiquité, promoteur de l'historiographie rankienne, avec des figures comme Görres, les frères Grimm et Ranke. Avec ces 2 phases du romantisme, se pose la problématique de l'irrationalisme, affirme Bäumler. L'irrationalisme procède du constat de faillite des grands systèmes de la Raison et de l'Aufklärung. Cette faillite est suivie d'un engouement pour l'esthétisme, où, au monde réel de chair et de sang, la pensée oppose un monde parfait “de bon goût”, échappant par là même à toute responsabilité historique. Nous pourrions dire qu'en cette phase, il s'agit d'une irrationalité timide, soft, irresponsable, désincarnée : le modèle de cette nature, qui n'est plus tout à fait rationnelle mais n'est pas du tout charnelle, c'est celui que suggère Schelling. Parallèlement à cette nature parfaite, à laquelle doit finir par correspondre l'homme, lequel est donc perfectible à l'infini, se développe via le Sturm und Drang, puis le romantisme de Heidelberg, une appréhension graduelle des valeurs telluriques, somatiques, charnelles. À la théorie de la perfectibilité succède une théorie de la fécondité / fécondation (Theorie der Zeugung). À l'âge « des idées et de l'humanité » succède l'âge « de la Terre et des nationalités ». La Nature n'est plus esthétisée et sublimée : elle apparaît comme une mère, comme un giron fécond, grouillant, “enfanteur”. Et Bäumler de trouver la formule : « C'est la femme (das Weib) qui peut enfanter, pas “l'Homme” (der Mensch) ; mieux : “l'Homme” (der Mensch) pense, mais l'homme (der Mann) féconde ».

    Georg Lukacs, pourfendeur au nom du marxisme des irrationalismes (in : Die Zerstörung der Vernunft), voit dans la Frühromantik d'Iéna, non pas comme Bäumler « l'euthanasie du rococo », mais l'enterrement, la mise en terre de la Raison, l'ouverture de la fosse commune, où iront se décomposer la raison et les valeurs qu'elle propage. Comme Schmitt, qui voit dans tous les romantismes des ferments de décomposition, et contrairement à Bäumler, qui opère une distinction entre les Romantismes d'Iéna et de Heidelberg, Lukacs juge l'ère romantique comme dangereusement délétère. Schmitt pose son affirmation au nom du conservatisme. Lukacs la pose au nom du marxisme. Mais leurs jugements se rejoignent encore pour dire, qu'au moment où s'effondre la Prusse frédéricienne à Iéna en 1806, les intellectuels allemands, pourris par l'irresponsabilité propre aux romantismes, sont incapables de justifier une action cohérente. Le conservateur et le marxiste admettent que le subjectivisme exclut toute forme de décision politique. Cette triple lecture, conservatrice, nationaliste et marxiste, suggérée par Behler, permet une appréhension plus complète de l'histoire des idées et, surtout, une historiographie nouvelle qui procèdera dorénavant par combinaison d'éléments issus de corpus considérés jusqu'ici comme antagonistes.

    Dans le livre de Behler, il faut lire aussi les pages qu'il consacre à la vision du monde de Condorcet (très bonne exposition de l'idée même de “perfectibilité infinie”) et aux linéaments de perfectibilité infinie chez les Romantiques anglais Wordsworth et Coleridge. Un travail qu'il faudra lire en même temps que ceux, magistraux, de ce grand Alsacien biculturel (allemand / français) qu'est Georges Gusdorf, spécialiste et des Lumières et du Romantisme.

    ► Robert Steuckers, Vouloir n°65/67, 1990.

    (repris dans : Nouvelles de Synergies Européennes n°14, 1995)

     

    Libéralisme

     

    Quatre bonnes raisons pour ne pas se dire "libéral"

    La gauche au pouvoir ? Elle serait la bienvenue, car nous verrions enfin à l'œuvre ce groupe de professeurs qui, après un long voyage à travers le communisme, puis la sociale-démocratie, puis sa variante “craxiste”, sont devenus les propagandistes du grand écouménisme libéral actuel. À droite aussi, aujourd'hui, on veut participer à cet écouménisme. Et l'on assiste à une curieuse querelle entre la droite et la gauche pour savoir qui sont les vrais libéraux. La guerre des étiquettes… L'étiquette libérale, tous la revendiquent, de Jirinovski à D'Alema. Pour ma part, je ne crois pas que c'est un grand progrès de se mettre à réfuter les -ismes nés au XXe siècle pour se réfugier dans un -isme qui a dominé le XIXe. Il me semble plus opportun d'énumérer les 4 bonnes raisons qui me poussent à refuser le libéralisme.

    • La première de ces raisons, c'est que l'adhésion au libéralisme d'aujourd'hui ne peut pas faire la différence. Si vous recherchez un lieu, une identité, une alternative à la gauche centriste, tout en vous situant dans la droite centriste, vous ne trouverez pas ce lieu dans le libéralisme. Les libéraux se définissent toujours comme libéraux, même quand ils restent des jacobins. Même l'aile radicale de la gauche occidentale s'avance sous la bannière du “libéralisme”. Ensuite, plus personne ne peut aujourd'hui réduire l'adversaire du centre-gauche à une sorte de noyau dur, en disant qu'ils ne sont que des pseudopodes du communisme. Les communistes sont toujours là, comme ils l'ont toujours été. Mais on ne peut certainement plus définir le centre-gauche comme l'émanation d'une centrale communiste toute-puissante, rigoriste sur le plan doctrinal et machiavélique dans ses politiques d'entrisme et de noyautage. Les communistes ont perdu le fanatisme de leurs vertes années, plus aucun élan idéaliste ne traverse leurs troupes. Les choses sont pourtant claires aujourd'hui en Italie, le clivage en politique passe désormais entre le pôle de la “démocratie” et le pôle de la “liberté”. À gauche comme à droite, l'engagement dans ces 2 nouveaux pôles, selon les médias, sont à considérer comme des pas en avant, vers un “Bien” pré-défini, dont on ne peut plus s'écarter, des pas en avant qui ne peuvent plus être corrigés par des pas en arrière. Le but des manœuvres politiques aujourd'hui consiste tout simplement à veiller à ce que l'adversaire, qui est au pouvoir, ne bascule pas dans des logiques “illibérales” qui risquent de ne plus garantir ni démocratie ni liberté.

    • La seconde de mes raisons reflète plus complètement encore le sens de la première : le libéralisme, du moins tel qu'il est conçu aujourd'hui, n'est pas un contenu mais un conteneur. La conception actuelle de la politique politicienne en Italie veut donc que le conflit politique ne se déroule plus que dans les cadres de la liberté et de la démocratie. Cependant, les contenus concrets de ce conflit, la teneur tangible des affrontements, ne peuvent nullement se réduire à un simple cadre. La liberté n'est pas une valeur en soi mais est la condition qui permet à ceux qui en bénéficient d'exprimer leurs propres valeurs. La liberté, c'est donc comme l'oxygène : celui-ci n'est pas le but de notre existence mais tout simplement la condition indispensable à la vie. Parler de “liberté” ne suffit pas. Il faut évoquer une liberté pour quelque chose, en vue de quelque chose. La liberté peut être la voie d'accès à la dignité ou à la barbarie. Il faut donc savoir avec quoi la liberté se conjugue. Laissée à elle-même, la liberté peut redevenir le cheval de Troie d'un libéralisme sauvage. Élevée au rang de “valeur”, elle devient la prothèse d'un relativisme absolu et d'un nihilisme pratique. Quand on ne croit plus à rien, alors on se déclare “libre”. Mais le libéral est celui qui tolère. Il est bien-pensant et tolérant. Mais la tolérance en elle-même peut être issue de l'indifférence à l'égard des autres et peut générer l'indifférence au mensonge, à l'injustice, à l'existence d'autrui. En effet, nous ne devons pas simplement tolérer l'autre, comme si nous lui concédions avec quelque peine le droit d'exister et de se manifester (même si, pour le reste, nous le condamnons à l'insignifiance). Nous devons bien plutôt respecter l'autre, prêter attention à sa personne et écouter sa voix. La tolérance peut se conjuguer au nihilisme. Le respect jamais.

    • La troisième de mes raisons se situe sur le plan historique. Les libéraux européens qui se disent “de droite” aujourd'hui et qui admirent tant le modèle anglo-saxon, devraient se rappeler que, dans les démocraties anglo-saxonnes, le terme “liberal” désigne précisément la gauche, tandis que le vocable “conservateur” désigne la droite. En Europe, une question s'impose : pourquoi n'avons-nous jamais vu s'ancrer profondément dans nos réalités politiques des “partis libéraux de masse” ? En Italie, notre tradition nationale veut que le libéralisme soit à droite. On s'est obstiné à vouloir le faire émerger dans les partis de droite. Le résultat de cette tentative d'ancrage à droite, c'est que le libéralisme italien ne s'est jamais posé comme une doctrine visant à limiter l'État, mais, au contraire, s'est érigé comme une théorie visant son expansion. Les droites italiennes qui se prétendent aujourd'hui libérales ont-elles oublié les thèses des frères Spaventa, les hégéliens de droite, ont-elles oublié le droite historique qui visait le renforcement de l'État et nationalisait les chemins de fer ? Le libéralisme conservateur de Croce et le libéralisme “absolu” de Gentile ne leur disent-ils donc plus rien ? De même que leur évolution ultérieure vers le fascisme ? Ce que je vais dire déplaira à beaucoup de monde, mais ceux qui affirment aujourd'hui en Italie qu'ils sont de droite ou de centre-droit, devraient plutôt, en toute bonne logique, s'efforcer de représenter d'une façon actuelle l'enracinement national, populaire et catholique de l'Italie profonde, de s'exprimer par le biais d'une sensibilité conservatrice sur le plan des valeurs et par le biais d'une pratique réformiste sur les plans politique et social.

    • Enfin, ma quatrième raison nous conduit directement sur le terrain politique. Ce n'est pas parce qu'ils se sont réclamés du libéralisme que Berlusconi, Fini et Bossi ont gagné les élections de 1994, ce n'est pas la référence à l'idéologie libérale qui a consolidé le large consensus de 1996, qui englobe les démocrates-chrétiens. Que cela plaise ou non, j'affirme que c'est le populisme qui sous-tend cette victoire et ce consensus. Un populisme nationaliste et localiste, télévisuel et aussi purement libériste. Mais globalement, ce populisme n'est en rien libéral. C'est pourquoi certains modérés comme Dini et Montanelli se sont prononcés contre la formation des 2 “pôles” parce que l'un et l'autre ne sont nullement satisfaisants sur le plan de l'idéologie libérale. Il faut travailler pour donner à ce populisme rigueur et tenue, pour consolider ses fondements et étayer son aura culturelle. Les hommes qui se disent de “droite” ne doivent pas fuir le seul terrain où ils pourront à la longue trouver un consensus. Bien sûr, dans une coalition de centre-droit, on conviera toujours des libéraux, car telles sont les règles présidant à la constitution de toute majorité parlementaire. Mais l'erreur et surtout l'incohérence résident dans la réduction de tout à un dénominateur commun libéral. À moins que toutes ces bonnes gens, par le truchement de l'alibi libéral, veulent s'enrôler dans le grand Parti Unique de la Pensée Unique qui risque de nous conduire à un nouveau consensus “consociatif”, distributeur de prébendes, mais cette fois avec un vernis libéral. Que Dieu nous libère de ces ultimes libéraux-là…

    ► Marcello Veneziani, 1996.

    (article tiré de Pagine Libere, Rome, n°7/8, 1996)

    [Synergies Européennes, Pagine Libere (Rome) / NdSE (Bruxelles), Novembre, 1996]

     

    Libéralisme

     

    LibéralismeLa fin du libéralisme

    • analyse : Der Monat neue Folge n°286 : Wie tot ist der liberalismus ? Nachdenken über ein Grundprinzip, Beltz Verlag, Weinheim, 1983.

    Définir le libéralisme n’est pas une mince affaire. La revue trimestrielle Der Monat neue Folge (n°286) s’y est essayé. Son enquête commence par une analyse du libéralisme allemand et de la perte de vitesse enregistrée par la FDP. Cette formation risque en effet de ne plus franchir la barre des 5% aux prochaines élections. L’histoire du libéralisme allemand, retracée par Erwin K. Scheuch, est jalonnée de scissions. La conclusion, tirée par Günter Verheugen : aucun parti n’a le monopole du libéralisme économique. Et le libéralisme, en tant que doctrine, a survécu à plus d’un parti libéral. L’idéologie libérale est donc une sorte de religion qui traverse le corps social de part en part.

    Deuxième partie de l’ouvrage : les libéralismes italien (Luigi Barzini), britannique (Max Beloff) et français (JF Revel). Barzini affirme la teneur hautement “révolutionnaire” du libéralisme italien. Beloff retrace son itinéraire du socialisme au libéralisme pour aboutir au conservatisme. Jean-François Revel explique qu’en France, le libéralisme est conçu comme synonyme d’économie de marché, de “jungle capitaliste”. Il signale, en outre, que la critique actuellement la plus radicale du libéralisme provient des rangs de la “Nouvelle Droite”, pour qui la civilisation américaine demeure l’ennemi principal (Alain de Benoist).

    Troisième volet de l’ouvrage : les avatars du libéralisme américain. Le célèbre sociologue conservateur Robert Nisbet affirme que le libéralisme du XXe siècle finira dans les oubliettes de l’histoire. Aux États-Unis, libéralisme signifie davantage “idéologie libertaire”, individualisme absolu, refus de toute espèce de contrainte sociale (en ce sens la vogue psychanalytique et le style hippy sont des manifestations de libéralisme). Pour Nisbet, cette mentalité n’a cree que du nihilisme. Le XXIe siècle sera celui des absolus religieux, des traditions ; il réhabilitera les pensées du long terme. Arthur Schlesinger jr., lui , affirme la nécessité d’un libéralisme musclé pour affronter les défis de la fin de ce siècle.

    Quatrième partie : les racines historiques des libéralismes avec un texte absolument remarquable de Günter Maschke (Zwischen allen Stühlen : ldeengeschichtlicher Exkurs). Tiède, ni chair ni poisson, ni de droite ni de gauche, le liberalisme refuse et la souveraineté de l’État et la souveraineté du démos. C’est une position “entre deux chaises”. C’est le refus d’affronter l’attitude politique par excellence : la décision. Ce refus implique trahison, compromissions boiteuses et servilité. Cette idéologie, hissée aujourd’hui sur le pavois par tous les politiciens médiocres, révèle toutefois un formidable potentiel destructeur, un potentiel de dissolution sans pareil. La quintessence du libéralisme, c’est le refus de toute forme claire, bien définie du politique. L’équilibre des compromissions, écrit Günter Maschke, c’est la paralysie du corps politique ; le soi-disant contrôle parlementaire, c’est l’obstruction de tout par tous ; la discussion, les débats, à l’intérieur du cadre libéral imposé, c’est une guerre civile interminable, sans issue.

    Finalement, le seul libéralisme qui apporte des résultats, c’est ce lui qui décide d’en haut, qui offre des libertés concrètes et les garantit. Quelque peu “paternaliste”, ce libéralisme vise l’unité politique du peuple. Maschke rappelle l’œuvre des ministres prussiens Stein et Hardenberg qui œuvrèrent entre 1807 et 1825. Ces hommes incarnaient l’intelligence politique. Leurs analyses objectives, leurs connaissances historiques leur dictaient une conduite juste, ferme, efficace. Le libéralisme, notamment celui de 1848, a ouvert la voie à une vision hyper-subjectiviste du politique, à la non-prise en compte des héritages historiques, au primat des intérêts matériels sur le sens du devoir. Cette orientation subjectiviste conduit à une succession interminable de crises, dues aussi à l’absence totale de clarté et d’esprit de décision.

    Ce subjectivisme est aussi la matrice de l’interventionnisme tous azimuths des États occiddentaux actuels, qualifiés par Carl Schmitt (dont Maschke est l’un des éditeurs) d’États totaux quantitatifs. Mis à part le messianisme des von Mises et von Hayek, revenu à l’avant-scène avec Thatcher et Reagan, ces États libéraux sociaux-sentimentaux hissent le moralisme et l’économisme (avec toutes les institutions intermédiaires parasitaires qu’elles font naître) au-dessus de leur seule tâche intrinsèque : le politique. C’est-à-dire la protection du peuple à l’intérieur et à l’extérieur. C’est dans ce sens, écrit Maschke, qu’il faudra méditer la sentence énoncée en 1923 par Moeller van den Bruck : “Par le libéralisme, les peuples périssent !”.

    ► Luc Nannens, Vouloir n°5, 1984.

    *** 

    Contre un ordre économique occidental !

    La civilisation occidentale, dont la tête est le système économique occidental, est bien le produit fini de l’universalisme égalitaire des philosophies monothéistes inspirées de la conscience biblique. Le libéralisme américain a été l’instrument historique de la mise-en-forme de ce projet.

    Sa logique : l’arasement des cultures sous un mode de vie (way of life) économiste planétaire. Sa stratégie : elle digère, sans y répliquer, les contestations socio-politiques par l’engluement des peuples dans des "habitudes de mœurs" (standard habits). À quoi sert de crier “US go home”, si l’on porte des jeans ? Sa conséquence : elle infuse dans toutes les sociétés le virus de la société marchande et de sa pseudo-culture néo-primitive, selon le mot d’Arnold Gehlen. Pour Konrad Lorenz, pire que l’asservissement ou l’oppression qui, eux, demeurent consciemment subis, elle invente la domestication physiologique des groupes humains, synonyme d’une mortelle tiédeur.

    La civilisation occidentale transforme le monde en clientèle. Porteuse d’anti-destin, elle bâtit, plus efficacement que le marxisme soviétique, une expérience sociale de fin de l’histoire. Elle entend réaliser l’extension à toute la Terre, et le triomphe, du type bourgeois. Instrument le plus silencieux du meurtre des cultures et des histoires des peuples du monde, massifiées selon un modèle qui prend le hideux visage d’un métissage d’embourgeoisement et de primitivisme, ou bien par la conjonction du paupérisme et de la déculturation, la civilisation occidentale atteint à la forme la plus raffinée de sauvagerie. Sa dynamique homogénéisante fait de cette civilisation une forme dangereuse d’involution culturelle. Elle qui se gargarise tant de “progrès” marque en fait une régression anthropologique.

    ► Guillaume Faye, Vouloir n°5, 1984.

     

    Libéralisme

    pièce-jointe :

     

    Du libéralisme au néolibéralisme

    Le libéralisme économique admet un invariant : la défense de l’économie de marché, garante de liberté individuelle et d’efficacité collective. Mais ce courant de pensée est plus complexe qu’il y paraît. Aujourd’hui, atteint de plein fouet par la crise financière, résistera-t-il à cette situation ?

    “Libéralisme” est un mot aux significations multiples, porteur d’une lourde charge polémique (1). Fièrement revendiqué par les uns, il sert à diaboliser les autres. Il peut même, lorsqu’il traverse un océan, signifier à son point d’arrivée le contraire de ce qu’il voulait dire au départ. Ainsi, en Europe, un libéral désigne habituellement un adepte du laisser-faire et un adversaire de l’intervention étatique dans l’économie alors qu’au Canada anglais et aux États-Unis, un liberal est au contraire un partisan de l’intervention, un keynésien et même un social-démocrate.

    Le libéralisme classique

    Comme c’est souvent le cas dans le domaine des doctrines et des courants de pensée, les appellations naissent parfois très longtemps après l’émergence de ce qu’elles désignent. “Libéralisme” apparaît ainsi pour la première fois en 1818 sous la plume de Maine de Biran pour qualifier la doctrine des libéraux français. “Libéral” est beaucoup plus ancien ; son utilisation pour caractériser un partisan des libertés politiques apparaît au milieu du XVIIIe siècle.

    Le libéralisme s’applique à plusieurs dimensions de la réalité humaine et sociale. Il désigne ainsi la tolérance face aux actions et aux opinions d’autrui, dont on respecte l’indépendance et la liberté individuelle. On peut le qualifier alors d’individuel ou de moral. Dans un deuxième sens, le libéralisme s’applique au domaine politique. Il émerge comme opposition à l’absolutisme des monarchies de droit divin et s’identifie à la démocratie (2). Un troisième sens est économique. Le libéralisme s’identifie alors au laisser-faire, au libre-échange, à la liberté d’entreprise et à la limitation stricte des interventions gouvernementales dans l’économie.

    Au moment de la transition entre les sociétés féodale et capitaliste, les trois formes de libéralisme sont étroitement liées. John Locke en Grande-Bretagne et Voltaire en France sont deux exemples de personnages résolument libéraux dans les trois sens du terme. Mais avec François Quesnay et les physiocrates, à la fin du XVIIIe siècle, on assiste déjà à une dissociation entre ces trois dimensions. F. Quesnay et ses amis sont des partisans résolus de la monarchie de droit divin. Ils sont des apôtres non moins résolus du laisser-faire, expression qu’ils sont du reste les premiers à utiliser.

    Le libéralisme économique s’appuie sur une conception particulière des rapports entre l’économique et le social et du fonctionnement de l’économie, fonctionnement décrit par l’économie politique classique, fondée et développée, entre autres, par Adam Smith, Jean-Baptiste Say et David Ricardo. Fascinés par la physique newtonienne, ces penseurs cherchent à construire une physique sociale, dans laquelle la loi de la gravitation universelle sert de modèle au postulat de la rationalité de l’individu, de l’Homo œconomicus mû par son égoïsme, son intérêt personnel. Dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), œuvre fondatrice de la pensée économique libérale, A. Smith illustre par la fameuse parabole de la main invisible l’une des idées fondamentales du libéralisme : poursuivant ses intérêts matériels personnels sans égard pour ceux de ses concurrents, chaque individu est amené, comme par une main invisible, « à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions (…). Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société que s’il avait réellement pour but d’y travailler ». Il faut toutefois ajouter qu’A. Smith, auteur de La Théorie des sentiments moraux, a du laisser-faire et de ses conséquences une conception plus nuancée que ses successeurs et en particulier ceux qui, aujourd’hui, se réclament de lui. Il en est de même de Léon Walras, qui a cherché pourtant à traduire mathématiquement la parabole de la main invisible dans son modèle d’équilibre général. Pour L. Walras, qui se définissait politiquement comme socialiste, l’équilibre général ne génère pas nécessairement la justice sociale.

    Keynes et le nouveau libéralisme

    John Maynard Keynes se définissait comme libéral, et fut d’ailleurs membre actif du Parti libéral anglais pendant la plus grande partie de sa vie (3). Mais son libéralisme consistait en une défense sans compromis de la liberté individuelle, en particulier sur le plan moral, et de la démocratie politique. Il ne croyait pas au laisser-faire. Dans La Fin du laisser-faire (1926), il écrit : «  Il n’est nullement vrai que les individus possèdent, à titre prescriptif, une “liberté naturelle” dans l’exercice de leurs activités économiques. (…) Il n’est nullement correct de déduire des principes de l’économie politique que l’intérêt personnel dûment éclairé œuvre toujours en faveur de l’intérêt général ».

    Keynes n’est évidemment ni le premier, ni le seul à remettre en question le laisser-faire. Les porte-parole des diverses tendances du socialisme, certains penseurs chrétiens, les économistes de l’école historique allemande et de l’institutionnalisme américain ont mené dès le XIXe siècle la lutte contre le libéralisme économique. John Stuart Mill considérait que la liberté économique n’avait pas le même statut que la liberté individuelle et politique, et pourrait éventuellement laisser la place au socialisme. Mill est le précurseur d’un courant de pensée qui va se développer à la fin du XIXe siècle au sein du Parti libéral britannique, et dans lequel Keynes s’inscrit : le nouveau libéralisme. Les nouveaux libéraux considèrent que le libéralisme classique a accompli son œuvre et que, désormais, le capitalisme génère des maux dangereux : crises, chômage, pauvreté, inégalités de revenus inacceptables. C’est à l’État que revient la responsabilité de corriger ces maux, et cela à travers un interventionnisme très actif.

    Keynes décrivait le nouveau libéralisme — qu’il appelait parfois libéralisme social ou socialisme libéral — comme une « troisième voie » entre libéralisme et socialisme. Il a donné dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), sans doute l’un des ouvrages les plus influents avec la Richesse des nations d’Adam Smith, un fondement théorique à l’interventionnisme, une rationalisation économique à l’État providence. Ce fondement passe par une critique radicale de l’économie classique et de l’idée de l’autorégulation de l’économie par le marché. Le principal message de la Théorie générale est qu’il n’existe aucun mécanisme qui assure spontanément le plein-emploi dans les économies capitalistes. La persistance du chômage et celle d’écarts inacceptables dans les revenus et les fortunes sont des caractéristiques structurelles des économies capitalistes, qui ne peuvent être corrigées que par une intervention active de l’État. La révolution keynésienne remet donc le politique, et les objectifs sociaux, au premier rang par rapport à l’économique.

    Alors que Keynes prônait, à la fin de son livre, l’« euthanasie du rentier » et une large socialisation de l’investissement, c’est une version plus modérée du keynésianisme qui s’est imposée dans la plupart des économies dans les trente années de l’après-guerre. La majorité des économistes, comme les décideurs et l’opinion publique, admettaient que le droit à l’emploi, à un revenu décent, à la protection sociale doit être garanti par les pouvoirs publics et que des politiques actives d’intervention de l’État dans l’économie peuvent permettre l’atteinte de ces objectifs. Mais cela n’impliquait pas nécessairement de changements structurels importants dans les économies.

    Aux frontières du libéralisme

    Comme le mot “libéralisme”, “néolibéralisme” est aussi porteur d’ambiguïté. Contrairement à ce que l’on peut penser, il est d’un usage très ancien. On le trouve sous la plume de Lamartine, en 1843, comme synonyme de libéralisme. Plus tard, il est employé parfois comme synonyme de nouveau libéralisme, par ex. par Walter Lippman. Mais il sert aujourd’hui à désigner la résurgence, dans les années 1970 et 1980, d’une forme radicalisée de libéralisme économique que l’on oppose au keynésianisme et à l’interventionnisme. Mouvement idéologique et politique, il s’appuie sur une diversité de courants théoriques dont les principaux sont le monétarisme, l’école autrichienne, l’économie de l’offre, la nouvelle économie classique et l’anarcho-capitalisme.

    Adversaire et critique opiniâtre de Keynes, dès la fin des années 1920, Friedrich von Hayek s’est donné comme ambition explicite de donner de nouveaux fondements idéologiques, politiques et économiques au libéralisme (4). Il a modernisé la parabole smithienne de la main invisible dans sa vision de la société et du marché comme « ordres spontanés », nés de l’action humaine sans planification préalable. Dès 1944, dans La Route de la servitude, il affirme que toute forme d’intervention de l’État dans l’économie, en particulier pour établir une mythique justice sociale, ne peut mener qu’à des résultats contraires à ceux escomptés, et paver la voie au totalitarisme. La crise des années 1970 et 1980 est pour lui le fruit des politiques keynésiennes d’intervention, et le chômage est la cure indispensable pour rétablir les équilibres qui ont été rompus par ces politiques.

    Milton Friedman est le porte-parole le plus connu et le plus efficace du néolibéralisme. Il est le principal théoricien du monétarisme et met au premier rang la lutte contre l’inflation plutôt que la lutte contre le chômage. Apôtre infatigable du marché et du laisser-faire dans tous les domaines de l’activité économique, M. Friedman oppose à l’interventionnisme keynésien le désengagement de l’État, la privatisation et la déréglementation, l’affaiblissement du pouvoir syndical et plus généralement des contraintes qui pèsent sur le marché du travail, telles que l’assurance-chômage et le salaire minimum. Ces contraintes sont responsables du niveau élevé de ce que M. Friedman a appelé le « taux naturel de chômage ».

    Au monétarisme de M. Friedman a succédé, dans les années 1980, la “nouvelle économie classique”, en référence explicite à l’économie classique que Keynes avait attaquée. Poussant à la limite l’idée de la rationalité de l’Homo œconomicus, cette école fait l’hypothèse que tous les marchés sont toujours en équilibre, et que les individus utilisent rationnellement toutes les informations dont ils disposent. Ils peuvent prévoir, en particulier, les effets de toutes les politiques économiques, qui sont donc inefficaces. Pour la nouvelle économie classique, tout chômage est volontaire et résulte d’un choix des travailleurs.

    À la frontière extrême du néolibéralisme, on trouve des courants comme l’économie de l’offre et l’anarcho-capitalisme. Les premiers, inspirateurs de la “reagonomique”, prônent la réduction des impôts des plus riches et la suppression radicale des programmes de protection sociale qui servent à protéger paresseux et déviants. Le mouvement anarcho-capitaliste, appelé aussi libertarien, propose l’élimination totale de l’État, et la privatisation des fonctions que lui réservait A. Smith : l’armée, la police et la justice.

    Ces courants de pensée partagent certaines convictions qui constituent un support idéologique pour les politiques de déréglementation et de démantèlement de l’État providence menées à partir des années 1980 dans plusieurs pays, accompagnées par une dérégulation financière à l’échelle mondiale. Le néolibéralisme peut par ailleurs s’accommoder d’un État autoritaire. M. Friedman et F. Von Hayek ont ainsi, en se référant à la situation chilienne, laissé entendre que, dans des cas exceptionnels, une dictature politique pouvait s’avérer nécessaire pour rétablir la liberté économique. Le néolibéralisme peut aussi s’accommoder, sur le plan des valeurs morales, d’une remontée du conservatisme et du fondamentalisme religieux, comme on l’a vu aux États-Unis.

    Les politiques néolibérales ont mené à une impasse, génératrice d’un nouveau retournement idéologique. L’injection massive de liquidités dans les économies, le sauvetage d’entreprises financières en péril n’ont pas suffi à prévenir une crise d’une ampleur qui approche celle de 1929. Des dirigeants politiques connus pour leur adhésion au néolibéralisme deviennent brusquement partisans d’une “refondation du capitalisme”, d’une soumission de la finance à l’entreprise, d’une réglementation de la spéculation et même de nationalisations d’entreprises. Ce n’est pas un retour intégral aux idées de Keynes, mais à un interventionnisme important. Il est impossible de prévoir le futur avec certitude — c’est l’un des messages de Keynes —, mais il y a tout lieu de croire que la domination de l’idéologie néolibérale a fait son temps.

    ► Gilles Dostaler, Sciences Humaines - Grands dossiers n°14, 2009.

    Notes :

    • (1) Voir, pour une présentation plus détaillée des idées exposées dans ce texte, G. Dostaler, « Néolibéralisme, keynésianisme et traditions libérales », La Pensée n° 323, 2000.
    • (2) Mais Hayek, parmi d’autres, refuse d’identifier le libéralisme, qui est pour lui la valeur suprême, et la démocratie, qui tend à se transformer en dictature de la majorité et des classes moyennes. Il se réfère en cela aux thèses de Tocqueville.
    • (3) Sur Keynes, voir G. Dostaler, Keynes et ses combats, Albin Michel, nouv. éd. révisée et augmentée, 2009.
    • (4) Voir G. Dostaler, Le Libéralisme de Hayek, La Découverte, coll.« Repères », 2001.


     


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