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Paganisme russe
Divers Éclairages sur le renouveau païen en Russie
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La “Communauté païenne russe” d'Alexandre Belov
Vers la fin des années 80, pour la première fois à cette époque, quelques hommes décident de fonder une Communauté païenne officiellement, dont l'objectif est “d’éclairer les esprits”. Cette Communauté évite de se surdéterminer dans les domaines de la religion, du dogme et de la politique, ce qui est, généralement, la tare de pareilles organisations. C'est le célèbre écrivain ruraliste Alexandre Belov qui en fut l'initiateur et l'organisateur. La Communauté réussit d'emblée à donner un élan à la morale sociale nouvelle qu'elle entend promouvoir. Mais, malgré tous ses efforts, elle n'a pas pu exercer une influence idéologique en profondeur.
Le point fort de cette Communauté, là où elle s'est consolidée, c'est quand elle a tablé sur les arts martiaux traditionnels. Belov, outre les romans qui l'ont rendu célèbre dans le monde entier, est aussi le créateur d'un art plus affiné du combat singulier, basé sur les traditions nationales russes. La convergence entre les diverses tendances du paganisme s'est donc effectuée dans la revitalisation de l'art martial russe traditionnel, dit la “combat montagnard slave”.
La Communauté s'est aussi donné pour tâche de lutter contre les profanations, parodies, travestissements et primitivisations du paganisme par des néophytes zélés, croyant avoir trouver une “formule libératrice” simple. En se montrant intransigeante, en s'imposant des critères qualitatifs élevés, la CPR se heurta à certains paganismes qu'elle jugeait “insuffisants” ou “inférieurs”, provoquant ainsi de vives tensions : notamment avec V. Emilianov, qui simplifiait à outrance le paganisme pour masquer maladroitement un “anti-sionisme” politique ; ou avec A. Dobrovolski qui confondait paganisme et conduite immorale ; ou encore avec les Païens de Léningrad, dirigés par Bezverkhi et Sidazouk. Cette dernière opposition résultait de la volonté de ces païens de Léningrad de réconcilier la paganisme slave avec l'église orthodoxe et de leurs prises de positions “pro-ukrainiennes” qui les amenaient, à mon avis, à déformer l'histoire de la culture slave.
Dès le début des années 90, la Communauté, toujours dirigée par A. Belov, concentre son activité à construire des castes, principalement une caste militaire, capable de dominer et de gérer l'État. Dans cette optique, la CPR élabore un système bien circonscrit des valeurs spirituelles, impulse des orientations morales et affermit la connaissance du paganisme slave-russe. Le fondement idéologique du mouvement est la création et la diffusion d'une “géo-mentalité paneuropéenne”. Cette géo-mentalité découle de la similitude entre les paganismes antiques (gréco-romains), celtiques, germaniques et slaves. Les principales caractéristiques de la CPR sont donc : 1) une orientation claire en direction des arts martiaux et de leur spiritualité ; 2) une élévation du paganisme au niveau proprement conceptuel, où le concept de paganisme compte plus que ces manifestations circonstancielles. Cette volonté bien tranchée a provoqué une polémique avec les théoriciens du paganisme (exclusivement) slave, comme A. Barkachov, qui estiment que ses arguments sont au-dessus de toute critique.
En mars 1995, les eux mouvements, celui des amateurs de combat “slave-montagnard” (dont le nombre s'élève à 20.000 en Russie) et la CPR d'Alexandre Belov (culte du Dieu du Tonnerre) s'unissaient pour poursuivre un même but : créer un État militaire nouveau et reconstruire la société en la hiérarchisant autour de castes. Parmi celles-ci, la caste militaire doit pouvoir jouer un rôle dominant dans la structure sociale. Elle doit être formée de militaires de carrière, de policiers et de personnalités animés intérieurement par des valeurs de type “kshatrya” [guerrier chevaleresque en sanskrit].
Vladimir Avdeyev, théoricien et idéologue du paganisme moderne en Russie, aide à construire cet “État militaire”. Avec A. Belov, il est l'un des membre du “Conseil de coordination” du mouvement.
► Anatoli Mikhaïlovitch Ivanov, Nouvelles de Synergies Européennes n°13, 1995.
Le combat slave
◘ Entretien avec Alexandre Konstantinovitch Belov
Notre interlocuteur Alexandre K. Belov est un homme d'une force mentale rare. Il a visiblement intégré le sens du combat intégral et l'élévation spirituelle qui lui donnent une maîtrise de son art impressionnante. A. K. Belov rentre d'une tournée en Europe, où sa candidature a été retenue pour organiser des cours d'art martial slave dans les écoles de la police italienne. À cette occasion, il a été accueilli par nos amis milanais de Sinergie/Italia. J'ai eu personnellement l'insigne honneur de le rencontrer à son domicile à Moscou le 11 avril 1996. (G. Sincyr)
• Q. : Dois-je vous appeler Belov ou Sélidor, qui est votre surnom ?
AKB : Comme vous voulez. Sélidor est un surnom païen. C'est un nom “guerrier”. Mais je vous rappelle que les Russes sont les derniers en Europe à avoir gardé la tradition purement indo-européenne de s'appeler d'un nom patronymique.
• Quand avez-vous commencé à vous occuper du “combat slave” ?
J'ai inventé ce type d'art martial. J'ai commencé à le mettre au point à partir de 1972. À la fin des années 70, je pratiquais le karaté et j'avais obtenu le grade supérieur, la “ceinture noire”. Mais plus tard, le karaté a été interdit; j'ai alors entamé des recherches dans nos propres traditions et j'ai découvert une forme de combat russe très intéressante et très puissante. C'est en 1986 que j'ai achevé mon travail de rénovation de la pratique de cet art martial traditionnel oublié que j'ai appelé “combat slave”.
• Quelles différences y a-t-il entre le “combat slave” et les autres formes de combat à mains nues ?
Le “combat slave” est un système d'attaque. Nous ne nous défendons pas, nous attaquons. Le principe d'un combat de défense est absurde, à mes yeux, et n'est pas conforme aux mentalités des Spartiates et des Chevaliers européens. Le combat d'attaque est un combat honnête, sans procédés perfides. Cette tradition est à l'opposé de la tradition orientale. Celle-ci imite les mouvements des animaux alors que nous, nous imitons ceux des armes. Imiter les animaux constitue une perversité pour l'homme. Même chose pour les horoscopes orientaux : ils disent par ex. “c'est l'année du cochon” et ceux qui sont nés cette années-là disent “je suis un cochon”. Ce sont là des simplismes que je trouve dévalorisants.
• Pourtant, il y a un culte du loup chez les Promores, les habitants de la côte de la Mer Blanche ?
Le Loup est le totem des tribus guerrières. Mon totem est le Loup Bleu.
• Où en est la Communauté païenne à Moscou ?
En 1994, une scission a traversé le mouvement païen. Nous nous sommes séparés des païens qui n'avaient que des intérêts mercantiles, pour former une véritable communauté de guerriers. Le guerrier ne peut pas être fondamentalement un chrétien. En effet, comment concilier le métier des armes, le métier de la guerre, avec le précepte chrétien d'aimer son ennemi ? Au combat, le guerrier hait son ennemi, sinon il ne peut pas le combattre efficacement. Un vrai guerrier sera toujours un païen. En tant que Russes et que Slaves, nous vénérons essentiellement Peroun, le Dieu du Tonnerre dans la mythologie de nos ancêtres.
• Combien de membres compte votre Communauté ?
Nous sommes environ 40.000.
• Coopérez-vous avec d'autres organisations païennes ?
Non, avec aucune autre organisation. À mon grand regret, je ne connais aucune organisation qui recherche tout à la fois force et sagesse.
• Vous préparez la création d'un grand mouvement. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Notre objectif est de créer en Russie une communauté de professionnels de la guerre, du combat et de la défense, structurée par des référentiels païens. Pour moi, tout guerrier est un prolétaire : il ne possède que sa force. Et seule sa force compte dans sa fonction. Je ne tiens pas le prolétariat pour une classe, mais pour un degré de développement mental.
► Propos recueillis par Gilbert Sincyr et traduits par Anatoli M. Ivanov, Nouvelles de Synergies Européennes n°20, 1996.
Communauté païenne russe et arts martiaux
◘ Entretien avec Alexandre Belov
• Q. : Qu'est-ce que le paganisme pour vous ?
Pour moi, le paganisme est en premier lieu la somme des expériences indépendantes vécues au fil de l'histoire par un peuple particulier, tant dans le contexte des processus vitaux que dans le domaine de la connaissance.
• Comment le paganisme slave a-t-il pu survivre sous la férule du communisme ?
La dictature communiste n'a nullement contrarié les intérêts du paganisme slave. Il faut ajouter que l'athéisme communiste a permis de contenir les attaques chrétiennes contre la liberté de la connaissance. L'ère communiste a ainsi rendu un grand service au paganisme slave.
• Quelle est selon vous la particularité du paganisme slave en comparaison avec les autres paganismes européens ?
La particularité essentielle du paganisme slave est d'avoir cultivé radicalement la “grande idée barbare”, c'est-à-dire l'idée d'unir le Nord de glace à l'élément du feu. La variante russe du paganisme slave a joué un plus grand rôle historique dans les traditions d'Europe orientale que le paganisme slave en général, parce qu'il a réussi à conserver et à maintenir durant des siècles au moins 3 linéaments païens fondamentaux : l'adoration du Soleil, de 3 divinités associées et de Prav (*), c'est-à-dire l'adoration du Dieu du Tonnerre comme divinité principale assurant l'équilibre et l'harmonie de l'univers. Le dernier avatar de Prav se retrouve dans la désignation en langue russe du christianisme d'Orient, Pravoslaviyé, soit “orthodoxie”. Le nom, au départ païen, a été volé par les chrétiens.
• Quels ont été les réunions, rencontres ou événements qui vous ont conduit à créer la “Communauté Païenne Russe” ?
La création de la communauté païenne russe a été suivie par une deuxième naissance : la fondation d'un centre du culte pour toute la Russie, le sanctuaire de Peroun, Dieu du Tonnerre des Slaves anciens, à Radoucha. Cette fondation a été conditionnée, d'une part, par la nécessité de propager la tradition nationale du culte, et, d'autre part, par la nécessité de développer cette tradition en prenant en compte la dynamique du développement dans la société contemporaine.
• Pouvez-vous nous parler de la nature particulière de l'Art Martial Slave, que vous pratiquez et enseignez, et la comparer aux arts martiaux orientaux ?
Goritsa est un art de combat qui récapitule l'expérience historique de la “lutte russe” et la connecte à cette “grande idée barbare” que je viens de vous évoquer. J'ai créé ce système de lutte et je m'en occupe depuis environ 15 ans. Je m'occupe plus généralement d'arts martiaux depuis 24 ans. L'une des particularités principales de Goritsa est d'utiliser les réflexes les plus caractéristiques des lutteurs cherchant à diriger l'attitude de leurs adversaires. Toutes les actions de l'adversaire relèvent de ce complexe que sont toutes les actions bio-mécaniques typiques. Cela permet d'attaquer un adversaire en connaissant à l'avance ses réactions possibles. La Goritsa est un système unique de combat qui privilégie l'attaque. La Goritsa n'est donc pas un système d'auto-défense. Autre particularité de la Goritsa : ses sources remontent à la chevalerie et sont héritées du symbolisme physique de l'arme du combattant pendant la lutte. C'est là que réside toute entière la différence entre cet art martial et sa variante chinoise, qui imite plutôt l'attitude de l'animal. J'ai dénombré plus de 20 différences fondamentales entre l'art martial slave, la Goritsa, et les règles des arts martiaux extrême-orientaux.
• L'Art Martial Slave est-il pratiqué aujourd'hui dans toute la Russie ?
Les objectifs et les tâches de la Goritsa sont difficiles à réaliser dans la Russie actuelle, parce que la caste militaire est déconsidérée par la propagande occidentaliste actuelle au profit d'une vision purement économiciste de la société, portée par les financiers qui ne s'intéressent pas aux arts martiaux.
• Vous revenez d'un voyage en Italie. Vous y avez organisé des démonstrations et répendu votre enseignement. Que pensez-vous de l'expansion de l'Art Martial Slave en Europe ?
La campagne de promotion de la Goritsa en Europe est possible, même nécessaire, parce que cette méthode de combat exprime un mode de connaissance fondamentalement païen, partant non-conformiste dans le contexte actuel. C'est le meilleur moyen pour recréer une caste guerrière dans toute l'Europe, qui soit animée par des principes qui soient vraiment les siens.
• En dehors de la Russie, quelles sont pour vous les traditions européennes les plus intéressantes ?
Ce qui m'attire dans la tradition païenne européenne, c'est surtout la beauté et la sagesse que l'on retrouve dans la poésie épique populaire. Nous découvrons là une éthique authentique. Non importée.
► Propos recueillis par J. de Bussac et traduit par Anatoli M. Ivanov, Nouvelles de Synergies Européennes n°23, 1996.
(*) NDT : “Prav” est un terme difficile à traduire, emprunté au “Livre de Velès”, un faux devenu à mon grand regret très populaire parmi les néo-païens russes. “Prav” est à la racine des mots russes “pravy” (droit), “pravda” (vérité) et “pravoslaviyé” (orthodoxie).
Goritsa : la culture guerrière russe
Les immenses étendues russes, ses steppes secouées par les vents et ses peuples anciens comme le monde, résonnent encore du chant mystique d’ancestrales traditions. Mais la tradition ne meurt jamais, et aujourd’hui les esprits fertiles de savants bien écolés s’agitent au-delà des bouleversements du temps et de l’histoire, à la recherche de ce qui rapprochait les hommes à l’aube de la civilisation. Parmi eux, le professeur Alexander Belov, enseignant titulaire de la chaire d’Histoire des Religions à Moscou.
Fort de son prestige incontestable au sein de la classe guerrière moscovite, il entreprit, au cours des années 70, une longue recherche sur la tradition martiale russe, pour la ré-exhumer systématiquement. Cette entreprise le mena dans les villages les plus reculés, à entretenir des relations avec d’anciens maîtres et de rudes guerriers de souche paysanne, jusqu’à rendre toute sa splendeur à l’art martial de la Goritsa, méthode de lutte assez complète qui, au cours des siècles, s’était scindée en différentes branches.
Dans la Russie d’aujourd’hui, on assiste à un important réveil de la classe guerrière, à un développement virtuel d’un archétype de bellator bien enraciné dans la branche autochtone de la grande famille indo-européenne. Une rigoureuse conscience de classe rapproche ceux qui appartiennent à cette caste, pour laquelle la conception fondamentale est drujima (Un pour tous, tous pour un).
À cette renaissance s’ajoute la volonté d’élargir toujours plus la caste elle-même, pour réunir les esprits les plus vifs, l’élite des énergies russes, dans les différents clans guerriers, comme celui des “Loups Bleus” auquel appartient le Prof. Belov. Et cela en vertu de profondes racines philosophico-religieuses qui sont à la base du grand édifice de la Goritsa.
C’est pourquoi la formation d’un aspirant guerrier exige un travail long et complexe. Les prémices ne sont guère favorables : si virtuellement quiconque peut s’entraîner dans la Goritsa, seulement celui qui est choisi par un Maître peut espérer accéder aux niveaux les plus hauts. Parmi les candidats, seuls trois sur dix y parviendront.
Prav, Jam & Nam
L’acceptation du candidat guerrier de la part du Maître, repose sur une fascinante faculté sémiotique : du premier regard le maître est en mesure de juger s’il est opportun de choisir le candidat et dans quelles conditions. Par exemple, il peut se servir d’une classification des typologies humaines basée sur les trois principes de la Nature Prav, Jav et Nam.
Au début de l’entraînement, l’élève tente de rejoindre la sublimation spirituelle en travaillant d’abord sur sa propre personnalité et ensuite sur l’énergie intérieure (ce dernier argument est traité seulement avec les initiés). Dans un deuxième temps on accède à une identité collective puisque l’homme, être essentiellement social, peut tirer une grande force des rapports humains. Symboliquement cette conception est représentée par la lettre “I”, l’Individu, inscrite dans la lettre “O”, la Collectivité, qui enserre l’individualité.
Un pari pour les instincts au-delà des blocages du néo-cortex
Le pratiquant, à qui on attribue un compagnon (appelé “Oncle”), est personnellement suivi par le Maître, car l’enseignement doit être adapté aux caractéristiques spécifiques de chacun. Le système d’entraînement tend à exclure l’activité du cortex cérébral pour favoriser celle de parties plus primitives du cerveau, comme le noyau lenticulaire, l’étage inférieur du pédoncule cérébral et le cervelet. En fait, par cette technique, le guerrier agira de manière instinctive, sans interférences de pensée, qui freineraient l’action et empêcheraient un tonus musculaire correct. Comment arrive-t-on à ce résultat ?
Au cours d’un entraînement sont proposés environ cent vingt mouvements différents. Le néo-encéphale n’est pas en mesure de les traiter tous, alors il subit une sorte de blocus, pendant que le subconscient prend la relève en amorçant sa propre activité. Durant les premiers mois, le pratiquant, sur base de ces principes, s’entraîne trois fois par jour en raison de quinze minutes par séance.
Justement parce qu’il est fondé sur de complexes réactions psychophysiques, ce type d’entraînement peut provoquer de sérieux problèmes s’il est pratiqué sur un système neuropsychique inadéquat. D’autre part, il est vrai aussi que les instructeurs de Goritsa se décarcassent littéralement afin que leur art puisse profiter à des personnes affligées par des problèmes psychologiques en leur donnant, par la pratique, une meilleure confiance en soi et un meilleur équilibre intérieur.
Ainsi, depuis quelque temps les sections spéciales de l’Armée Russe s’entraînent dans la Goritsa, non seulement pour son utilité au combat, mais aussi pour l’attitude qu’elle insuffle d’aller toujours de l’avant, sans jamais reculer. Attitude très utile même dans certaines situations au quotidien, comme quand on éprouve une certaine crainte vis-à-vis de personnes en position d’autorité. On peut donc engager un combat psychologique et verbal, source de stratégies capables de renverser la situation à son propre avantage, sans parler de l’efficacité certaine que recèle implicitement une mentalité de “gagnant”.
Parmi les disciplines de la Goritsa, il en existe certaines qui possèdent des propriétés curatives: en se basant sur les théories de la médecine ésotérique russe, on stimule des points spécifiques du corps par des mouvements, des percussions et des massages.
À la base de cet art martial : le néo-paganisme
Un des aspects essentiels de la culture guerrière russe concerne son substrat religieux-spirituel complexe. À sa base, on découvre un courant théologique très ancien, aujourd’hui connu sous le nom de néopaganisme, qui englobe la vie du pratiquant sous tous ses aspects. Dans cette religion, dont Alexander Belov a été longuement ministre, la position centrale est occupée par les différentes manifestations de la Nature, beaucoup d’entre elles étant symbolisées par des divinités. Ces divinités ne font pas l’objet de vénération, n’étant pas directement reconnues comme quintessences suprêmes: leur rôle est de rappeler à l’adepte (et cette valeur paradigmatique recèle la puissance du symbole) une image bien précise.
La même fonction est attribuée aux simulacres de dieux, de telle sorte que même une image du Christ pourrait être acceptée dans cette perspective et exploitée d’après les coordonnées historico-religieuses qui la caractérisent (par exemple, la bonté et l’amour universel). Il n’y a pas d’acte de foi plus élevé pour ceux qui reconnaissent un sens religieux à la Nature et à ses merveilles !
En quête d’une proximité qui frôle le fusionnement, depuis le mois de mai jusqu’aux premières neiges, les guerriers de la Goritsa s’exercent dans des milieux naturels, en courant et en s’entraînant dans les bois, parmi les arbres séculaires.
C’est le contraire de ce qui se passe dans des villes comme Milan, par exemple, où l’élément “pierre” est prédominant, où l’interaction négative de ces murailles avec l’esprit empêche ce dernier de se détendre : voici pourquoi, dans les grandes métropoles sans végétation, beaucoup de personnes sont affligées par des troubles psychiques. Quand le Prof. Belov vit le Dôme de Milan, tout en étant frappé par la force religieuse qu’il dégageait, il ne l’estima pas plus intense que celle produite par une tempête en montagne.
Dans ce credo essentiellement animiste, qui présume une étroite connexion entre tous les éléments de l’Univers, on accepte une tétralogie élémentaire, développée dans le schéma suivant : Air - Soleil / Feu - Terre
Les quatre éléments se déplacent perpétuellement en sens rotatif, en engendrant une figure graphique proche du svastika tantrique, pendant qu’au centre sied le dieu Ra. Ra, racine lexicale (et ici la mystique païenne montre le lien lexical de signification-signifant) extrêmement ancienne et commune, et tout particulièrement dans un sens théologique, à plusieurs cultures, depuis le dieu Ra des Égyptiens jusqu’au dieu Rama des Indiens.
Il est intéressant de noter les traces de la syllabe RA dans les toponymes d’une frange centrale du territoire russe qui s’étend du Nord au Sud, comme si elle y avait été véhiculée par les migrations des peuples vers les régions méridionales, depuis la chaîne de l’Oural jusqu’à la Mer d’Aral, au nom hiératique de la Mer Caspienne.
Ra/Rot : le démiurge immobile
Le dieu russe Ra, plus tard appelé Rot, est tellement éloigné des hommes qu’il ne se préoccupe pas de leurs affaires. Toutefois, il reste le démiurge immobile qui déplace les éléments de l’Univers. Parmi ceux-ci le feu, au dieu duquel est consacré un style (aux propriétés curatives), qui représente l’art martial de la Goritsa, puisque le feu est le symbole de l’action et de la dynamique pures : les mouvements circulaires du guerrier doivent envahir l’espace, comme le feu envahit l’air.
L’importance idéologique de certains principes cosmiques, et de l’iconographie religieuse qui s’y rapporte, est telle qu’un disciple se voue à une divinité, choisie parmi celles qui s’accordent le mieux avec sa personnalité, et cette divinité sera son guide dans son itinéraire existentiel et spirituel.
Mais le dieu majeur de cette religion est relié à la trinité de base de la philosophie néo-païenne russe : Nam, terme qui veut désigner le fait de “prendre l’énergie” (se rapportant aussi, par exemple, à ces personnes qui, comme on dit, aspirent l’énergie d’autrui), Jav, “donner l’énergie” ; et Prav, le plus important, l’équilibre entre les deux. Les guerriers ont pour tâche le maintien de cet équilibre. À la conception Prav est lié le dieu principal de l’Olympe russe, comme le Zeus grec : Perun, qui représente aussi l’action continue.
Aujourd’hui, au moment où s’accentuent et s’intensifient les relations entre les peuples et les cultures, la possibilité nous est donnée d’accéder à un patrimoine de sagesse de grande élévation. Nous devons espérer que des esprits ouverts et talentueux parviendront à cueillir le message, pour le perfectionnement permanent et régulier de l’homme et de la vie humaine.
► Stefano Pernatsch, Nouvelles de Synergies Européennes n°23, 1996.
Grigori P. Yakoutovski, prophète slave
Grigori Pavlovitch Yakoutovski, né en 1955 à Moscou de père biélorusse et de mère russe, est “bachelier de psychologie” de l'Université de Moscou, thérapeute-psychologue et auteur de manuels présentant des méthodes pratiques d'entraînement psychologique. Après ces études, il s'est plongé dans l'histoire, la philosophie, l'ethnographie, l'histoire de l'art, les sciences religieuses, les sciences occultes et mystiques, ce qui a changé radicalement son existence et ses activités professionnelles. Depuis 1990, il est actif comme lecteur, narrateur, chanteur, organisateur de fêtes et de cérémonies inspirées par les réflexes religieux innés des Slaves de l'Est. Les prêtres de l'Eglise orthodoxe l'appellent le “prophète slave”. Désignation significative car une prophétie a annoncé qu'à la fin du XXe siècle un Slave fera renaître la foi païenne et que l'orthodoxie ne réussira pas à redevenir la religion de la Russie nouvelle. Grigori P. Yakoutovski est l'auteur de plusieurs livres, dont Langue de la magie et magie de la langue (une étude sur la mystique traditionnelle slave et une tentative de la réactiver dans nos temps présents) et Monde russe et paradis terrestre (une étude sur l'histoire, l'ethnographie, la mythologie et la magie des Slaves de l'Est). L'essentiel de la vision de l'auteur se résume ainsi : il faut considérer la mythologie, la mystique, la philosophie et la culture des Slaves de l'Est comme un élément prépondérant dans la civilisation mondiale, et plus particulièrement dans le domaine indo-européen, et il faut tenir compte des particularités historiques et ethno-psychologiques de ce peuples est-slave qui a joué un rôle déterminant dans le destin du monde et continuera à le jouer pour l'avenir de l'humanité tout entière. En fait, Yakoutovski nous explique qu'il faut davantage réveiller et réactiver les traditions que les faire renaître.
En 1992, naît la société ”Koupala” (Centre pour l'Unité Culturelle des Slaves de l'Est). Elle organise des fêtes et des cérémonies selon l'esprit immémorial et traditionnel du peuple, ainsi que des expositions pour les artistes et les artisans qui s'inspirent de cette tradition populaire slave. Elle organise également des séminaires et collecte des informations sur l'histoire, l'ethnographie et la culture du peuple. La mission historique que s'assigne le centre “Koupala” est, pour l'essentiel, de diffuser de l'information, à l'échelle la plus large possible. “Koupala” respecte le choix des autres et se porte garant afin que les opinions, points de vue et thèses de tous les invités soient pris en considération et que tout cela soit coordonner pour qu'une vaste coopération puisse s'établir dans le pays et en dehors. “Koupala” ne travaille pas comme une entreprise commerciale, n'impose à personne une organisation strictement hiérarchisée et n'est pas une communauté religieuse au sens traditionnel du terme. C'est une association regroupant des hommes et des femmes qui partagent une même vision mystique de la vie et de l'homme, supposant une prédominance des forces divines sur les spéculations humaines, trop humaines. “Koupala” se place en dehors de toute lutte politique, de tout esprit de concurrence et de toutes les discussions strictement scientifiques. “Koupala” est ouvert à tous les contacts avec tous les représentants de toutes les traditions païennes, afin d'enrichir le patrimoine commun de tous ceux qui s'inspirent des religions enracinées et visent à promouvoir de concert des idées communes.
► Anatoli Mikhaïlovitch Ivanov, Nouvelles de Synergies Européennes n°13, 1995.
Vladimir B. Avdeyev : écrivain et philosophe païen
Vladimir Borissovitch Avdeyev, né en 1962, est un écrivain russe contemporain. Il a commencé sa carrière littéraire par la publication d'une série d'essais de “style romain” (notamment dans la rubrique “Prose d'élite” de la revue littéraire moscovite Literatournaïa Gazeta en 1989) et par deux romans remarqués, La Passion selon Gabriel (1990) et Le facteur de membres artificiels (1992). Ces romans s'inscrivent dans une tradition littéraire plus philosophique et européenne que classique et russe.
Le dépassement du christianisme (1994), troisième grande œuvre de cet auteur, est un traité d'histoire et de philosophie, axé principalement sur les problèmes des religions non conventionnelles. Ce livre contient notamment une analyse des différences structurelles existant entre les religions monothéistes et polythéistes. Il ouvre de nouvelles perspectives sur le développement des conceptions religieuses de notre monde contemporain. Les déductions tirées par l'auteur sont dépourvues de toute ambigüité : nous sommes à la veille d'une nouvelle ère cosmique, l'ère du Verseau, qui apportera un changement complet dans les paradigmes religieux dominants, annonciateur d'un épanouissement nouveau des religions panthéistes et polythéistes. Vladimir Avdeyev est païen par conviction : ses œuvres sont polémiques contre le christianisme, hostiles aux monothéismes. Il exprime clairement ses convictions, ce qui le rapproche d'une certaine “nouvelle droite”. Avdeyev critique le christianisme non dans le cadre d'une nouvelle école historique ou mythologique, mais le définit comme un phénomène à la fois “occulte” et politique.
V. Avdeyev théorise également la “contre-révolution païenne”, ce que ne font pas les autres idéologues contemporains de la “Révolution conservatrice” en Russie, dont, en particulier, Alexandre Douguine, plus connu dans les médias occidentaux, qui propage un mélange théorique peu conventionnel, où confluent les constructions nées dans les salons européens et les archétypes de l'orthodoxie russe. Vladimir Avdeyev est aujourd'hui membre du Conseil de Coordination de l'Union des Communautés Païennes Russes, dirigé par le célèbre écrivain ruraliste Alexandre Belov. Un congrès de ces “communautés païennes russes” a eu lieu à Moscou en mars 1995. Les congressistes ont décidé de former en Russie une caste de “kshatryas”, c'est-à-dire de militaires et de combattants, vivant en confromité avec les fondements de la conception païenne du monde.
► Anatoli Mikhaïlovitch Ivanov, Nouvelles de Synergies Européennes n°13, 1995.
L’Union des communautés païennes russes
« Entretien avec Vladimir B. Avdeyev
• Qu'est-ce que le paganisme pour vous ?
VBA : Pour moi, le paganisme, c'est l'ensemble des expériences religieuses de l'humanité en dehors des monothéismes de tradition sémitique. Étant donné que je suis ce que je suis, c'est-à-dire un homme de l'hémisphère septentrional, appartenant au groupe des peuples indo-européens, je consacre évidemment toute mon attention aux traditions païennes de ces peuples et je m'intéresse tout spécialement à leurs cultes solaires. Du point de vue philosophique, je me définis comme un polythéiste radical. Du point de vue politique, comme un "contre-révolutionnaire païen". Quant à moi personnellement, le paganisme n'est pas simplement un engouement rationaliste, un refus passionnel de la religion monothéiste, mais le reflet du sens de la vie telle que Je la conçois : voilà pourquoi j'estime nécessaire de réhabiliter les traditions païennes, tant sur le plan cultuel que sur le plan philosophique. Je pense que je suis aujourd'hui le produit d'une longue chaîne de réincarnations. Je sens revivre en moi des hérétiques du Moyen Âge, condamnés au bûcher par l'Inquisition parce qu'ils avaient osé revendiquer la liberté de pensée. Mais les plus sublimes figures que je sens revivre en moi sont celles de la Rome antique : je me sens tantôt légionnaire tantôt officier de rang moyen. Chaque évocation de l'Empire romain suscite en moi, en mon âme, une sorte de tremblement mystique, des larmes de nostalgie m'inondent les yeux ! Un spécialiste russe de la philosophie grecque, après avoir lu mon livre "Surmonter le christianisme", m'a dit ces fortes paroles, que je n'oublierai jamais : « Je comprends maintenant que le christianisme est pour vous un ennemi personnel ». Il avait raison. C'est le christianisme qui a bafoué ce légionnaire qui est toujours en moi, c'est le christianisme qui a tué par le feu l'hérétique sublime qui vit toujours au fond de moi-même.
• Comment le paganisme russe a-t-il réussi à survivre sous le communisme ?
C'est très simple. Les communistes luttaient contre le christianisme, en identifiant, comme l'avait fait Karl Marx, la religiosité en général à celle de l'église chrétienne. Le communisme a donc aidé les païens russes à se débarrasser du joug chrétien. C'est là un aspect du communisme que l'on a encore insuffisamment étudié. Après 70 années de captivité à Babylone, une nouvelle race de Juifs a surgi, nous dit la Bible ; après 70 années de soviétisme, une race nouvelle de Russes est née à son tour, et moi, néopaïen russe, j'appartiens à cette nouvelle race de Russes. L'instinct du paganisme est profondément installé dans le sang russe, comme d'ailleurs dans le sang de tous les autres peuples de la Terre. Seule la biologie peut l'expliquer, pas la sociologie.
• Quelle est la nature particulière du paganisme russe quand on le compare aux autres paganismes européens ?
Dans mes démarches, je n'opère aucune coupure entre le paganisme russe et les autres paganismes de la famille des peuples indo-européens, appartenant à cette tradition polaire, védique et nordique. Pour nous, ce refus de toute coupure est impératif car si nous nous élèverions par forfanterie au-dessus des autres, nous ne serions plus des païens, qui acceptent la diversité et respectent les modalités cultuelle s des autres peuples, mais des monothéistes, qui se croient élus et autorisés à bafouer les cultes des autres. Le paganisme que nous dé fendons n'est pas seulement une tolérance fondamentale, mais aussi un intérêt permanent à l'égard de l'Autre. Dans le cas de notre héritage, celui des traditions cultuelles et de l'idéologie trifonctionnelle des Indo-Européens, nous constatons que les valeurs de nos mythologies, différentes dans leurs récits, sont les mêmes et qu'elles peuvent s'appliquer dans chacune de nos traditions. Vous vous souviendrez certainement, mon cher Jean, qu'à Moscou, dès notre première rencontre, nous avons traité de sujets très sérieux, sans nous être jamais vus, et que nous nous sommes entendus comme si nous étions de vieux complices. Nous sommes tout simplement les représentants d"'idéologies" (au sens dumézilien) mutuellement complémentaires. Les Dieux des Celtes, des Germains, des Romains ou des Grecs m'appartiennent aussi parce qu'ils personnifient des forces que je connais déjà, parce qu'elles animent mes propres Dieux slaves. Je peux donc compter sur ces forces comme vous pouvez compter sur les forces des divinités slaves. Et quand nos adversaires communs se moquent des divinités celtiques ou germaniques, je me sens défié et je riposte, comme s'il s'agissait de quolibets lancés à l'adresse des divinités slaves. J'appartiens à la tradition indo-européenne, à la sphère polaire-nordique, telle est ma richesse, tel est mon engagement.
• Quels ont été les signes avant-coureurs de la renaissance du paganisme russe dans les dernières années de l'ère communiste (1980-1991) ?
Je vous l'ai déjà dit : les 70 années du pouvoir soviétique ont préparé la renaissance du paganisme russe. Aujourd'hui, on ne peut plus sérieusement parler d'un "sens de l'histoire", on ne peut que constater de fait une contre-révolution païenne. En 1989, sous Gorbatchev, je suis devenu membre de l'Union des Écrivains, et j'ai toujours pu parler librement, dire que j'étais païen, personne ne s'opposait violemment à mes assertions. Mainte nant, je ne suis plus le seul à affirmer des positions païennes, mais je suis hélas entouré de beaucoup de charlatans.
• Quelles ont été les rencontres les plus importantes dans votre voie personnelle, philosophique et païenne ? Pouvez· vous nous parler de vos lectures, des grands événements de votre vie ?
La première chose que je dois vous dire, c'est que je suis originaire d'une famille de militaires de carrière. La morale des guerriers est chez moi un héritage familial, et cet héritage s'est toujours heurté au moralisme chrétien. Ensuite, j'ai bénéficié d'une excellente formation d'ingénieur en équipement électronique pour l'industrie spatiale. J'ai été officier. Pendant toutes mes études et mon service militaire, j'ai été attiré par la culture européen ne et je n'aimais pas la philosophie russe quand elle était trop teintée de christianisme. Une sorte de misérabilisme chrétien était et reste à la mode chez nous. Quand j'étais enfant, je fréquentais l'église mais je n'y ressentais aucune illumination mystique. Au contraire, quand je lisais Nietzsche, Schopenhauer, Stirner et Spengler, je devenais un autre homme! Après m'être ainsi frotté de philosophie allemande, après avoir appris avec discipline le métier d'ingénieur, après avoir vécu un service militaire rude et formateur, j'ai pu faire mon choix en toute conscience. Julius Evola, Miguel Serrano, Dumézil, Eliade et les courants néo-païens d'Europe occidentale l'ont ensuite mieux structuré. Mais l'événement principal dans ma vie fut une initiation à l'âge de 17 ans : je l'ai reçue de mon père qui a péri pendant une séance de spiritisme. C'est comme s'il m'avait parlé d'outre-tombe et m'avait dit qu'à la place du Christ, un autre homme avait été crucifié. C'est la révélation de cette imposture colossale qui m'a définitivement fait basculer dans le camp du paganisme. En effet, en étudiant plus tard l'histoire du christianisme des origines, j'ai été convaincu que mon père avait dit la vérité. Mon choix a été définitif et total.
• Pouvez-vous nous parler des objectifs de l'Union des Communautés Païennes Russes, dont vous êtes un membre important ?
Notre objectif est la création en Russie d'un pouvoir russe, authentiquement russe, un pouvoir de l'ethnos russe, une ethnocratie, subdivisée en castes et en fonctions précises. Nous avons l'intention d'aider tous les autres peuples européens à adopter les principes ethnocratiques, à retrouver leurs forces en eux-mêmes. L'union de tous ceux qui entendent concrétiser ces principes ethnocratiques est la garantie du succès à l'échelle planétaire.
• Selon vous, quels sont les groupes païens russes actuels qui sont les plus prometteurs pour l'avenir ?
Le paganisme ne connaît ni premiers ni derniers. On ne peut pas être plus ou moins païen, on ne peut qu'être païen ou ne pas l'être. Le mouvement païen international a besoin des efforts de tous, des plus modestes aux plus prestigieux, sauf, bien entendu, de ceux qui travestissent en paganismes leurs pulsions inavouables ou qui se déclarent païens par pur opportunisme. Je pense qu'à l'heure actuelle le mouvement d'Alexandre Belov offre le plus de perspectives et a le plus de chances dans l'avenir. Quant à moi, je ne m'occupe que de philosophie païenne et je n'ai aucun maître en Russie. J'ai tout commencé seul, en partant quasiment de zéro. Avant que je ne connaisse un certain succès, on sympathisait prudemment avec le paganisme, on se bornait à étudier l'ethnographie et l'histoire. Je suis le premier à avoir commencé un combat ouvert contre les monothéismes politiques.
• Y a-t-il des liens entre les groupes païens et les mouvements écologiques ?
Il existe des relations, sans doute, mais, de mon point de vue, il me semble aléatoire de s'occuper d'écologie quand le mental de la population est encore fortement pollué. Il faut d'abord retrouver une conscience originelle, sans adstrats mutilants, avant de s'occuper plus globalement de sauver une nature, dévalorisée par les monothéismes et les dualismes.
• En dehors de Russie, quels sont pour vous les traditions païennes d'Europe les plus intéressantes ?
Toutes les traditions m'intéressent mais en première ligne je m'intéresse à la philosophie et à l'idéologie du paganisme, à sa part active et à sa part ésotérique, je vise le sens supérieur que révèle la théurgie dans les traditions indo-européennes, je veux l'union de l'occultisme et de la politique. Je voudrais trouver aujourd'hui des hommes comme l'Empereur Julien et son maître spirituel Maxime d'Ephèse. Je suis sûr que si je rencontrais des hommes de cette trempe, le résultat de mon travail intellectuel et de mes recherches occultistes trouverait une concrétisation positive.
• Quel sera le thème de votre prochain livre ?
Les titres de mes livres sont toujours très explicites. À présent, je termine une longue monographie, intitulée "Le Christ inconnu", qui est une histoire occulte et politique du christianisme primitif. Ultérieurement, j'ai l'intention de commencer un autre gros ouvrage, "La contre-révolution païenne".
► Propos recueillis par J. de Bussac et traduits par Anatoli M. Ivanov, Nouvelles de Synergies européennes n°23, 1996.
Le paganisme nordique de Vadim A. Kolossov
Vadim Alexandrovitch Kolossov est âgé de 29 ans, docteur en sciences physiques et mathématiques, professeur à l'Université d’État de Moscou, président du Club païen nordique “Asgard”, coordinateur du centre d'analyses “Démocratie nationale” et rédacteur-en-chef de la revue du même nom (à Moscou).
En 1992 à Moscou a été fondée une association non officiel le regroupant les païens russes partisans d'un ordre social démocratique. Cette association s'est donnée le nom d’“Asgard”, et dotée de plusieurs branches politiques, les organisations de la droite radicale telles le Parti National-Démocratique et Social de Russie (PNDSR), l'Union Nationale-Anarchiste de la Jeunesse Russe (UNAJR) et le Centre d'Analyses “Démocratie Nationale” (CON). Kolossov était l'initiateur et le leader de cette association. En 1994, pour donner des idées et des orientations au mouvement national-démocratique russe, Vadim Kolossov a organisé à l'Université de Moscou un séminaire consacré aux problèmes de futurologie, de géopolitique et de la tradition. En mars 1995, après une campagne acharnée menée par la presse “libérale”, ce séminaire a finalement été interdit. Libéraux, communistes et chrétiens se sont unis pour tenter d'étouffer ces premiers germes de la renaissance païenne russe.
Dans tout le conglomérat des traditions russes, le mouve ment national-démocratique a choisi la tradition du Nord-Ouest de la Russie, c'est-à-dire la tradition des Vénètes de Novgorod et de Pskov. C'est une tradition qui se définit comme “apollinienne” et démocratique ; elle aurait gardé les traits génériques d'une certaine tradition des Étrusques, considérés, au contraire de la plupart des thèses énoncées en Occident, comme de proches parents des Vénètes qui auraient migré à la limite de notre ère depuis l'Italie septentrionale jusqu'à la Mer Baltique.
L'orientation “apollinienne” en Russie n'est pas le fruit d'un hasard : le mouvement national-démocratique a été fondé à la limite de deux ères, affirment ses animateurs : celle, dionysienne, du Poisson (élément : l'eau) et celle, apollinienne, du Verseau (élément : l'air). Parmi les thèmes principaux abordés par le Centre “Démocratie Nationale”, il y a la futurologie et “l’historiosophie païenne”. Vadim Kolossov publie beaucoup d'articles sur ces thèmes dans la revue de la droite radicale Ataka.
► Anatoli Mikhaïlovitch Ivanov, Nouvelles de Synergies Européennes n°13, 1995.
Mythes et réalités du néo-paganisme russe contemporain
Aujourd’hui, partout en Europe, des associations tentent de raviver les traditions païennes. Dans ce vaste panorama, le cas russe est l’un des plus particuliers qui soit ; d’abord à cause de l’immensité du pays ; ensuite, à cause de la répression qui a frappé tous les mouvements de réaffirmation nationale ou identitaire à l’ère soviétique. Quoi qu’il en soit, le néo-paganisme, comme tous les autres regroupements pouvant être englobés dans la catégorie du “nationalisme”, tels les néo-monarchistes tsaristes, les nationaux bolcheviques ou les divers partisans d’un nationalisme fort, connaîtront indubitablement un essor considérable dans ce pays immense, plus que dans d’autres contrées du continent, si l’on excepte toutefois le culte de l’ancienne religion scandinave en Islande, où celle-ci se trouve mêlée à certains éléments d’origine moderne, comme dans le réseau “Asatru”, ou la réémergence du paganisme balte en Lituanie, à l’initiative du mouvement “Romuva”.
Le voyageur curieux, qui circule dans les rues de Moscou et y visite les librairies du centre ou les échoppes de livres d’occasion ou les points de vente des magazines patriotiques, constatera la pléthore de publications qui font référence aux traditions païennes de l’antique “Rus” (nom médiéval et scandinave de la Russie). Certaines de ces publications reproduisent et commentent les travaux d’académiciens et d’historiens sérieux et établis ; d’autres reflètent l’imagination fébrile et l’inspiration toute personnelle de leurs auteurs.
Ensuite, nous trouvons des groupes qui célèbrent des rituels solsticiaux dans les nombreuses forêts qui couvrent le territoire russe, comme les adeptes de Rodnovery (Foi des ancêtres), qui érigent également des stèles à l’effigie et à l’honneur des anciens dieux slaves.
Il faut tenir compte d’un fait : à la différence des autres traditions européennes comme l’antique paganisme gréco-romain, ou des traditions celtiques ou germaniques, nous savons finalement peu de choses sur le passé de la Russie pré-chrétienne. On connaît les noms des dieux, on connaît aussi certains rituels matrimoniaux et funéraires, mais il nous manque des éléments fondamentaux que l’on retrouve dans d’autres mythologies (voir les sagas scandinaves et les cosmogonies et légendes de la Grèce antique) et qui nous permettraient de connaître avec exactitude la Weltanschauung des Slaves de l’antiquité. Raison pour laquelle les néo-païens russes d’aujourd’hui se voient contraints de se référer à des mythes relativement modernes pour légitimer leurs démarches.
Notre article se donne pour objectif d’analyser deux de ces mythes de référence, les plus importants, afin de voir quelle est leur influence sur les milieux païens de la Russie actuelle. Le premier de ces mythes se réfère à la découverte, à la fin des années 80 du XXe siècle, des ruines d’Arkaïm, une ancienne cité, de petites dimensions, située dans la région des Monts Oural. Le second de ces mythes se retrouve dans le fameux “Livre de Veles”, qui prétend raconter l’histoire du peuple russe depuis la préhistoire jusqu’à la conversion au christianisme.
Arkaïm : la Cité du Soleil
En 1987, un groupe d’archéologues de l’Université russe de Tcheliabinsk se réunit pour aller récupérer des pièces éparses, trouvées préalablement sur un site, dans une vallée qui devra être inondée suite à la construction d’un barrage au sud des Monts Oural. Leur surprise fut grande quand, en travaillant, ils découvrirent les restes d’une petite cité de forme circulaire, présentant des caractéristiques inconnues jusqu’alors, du moins dans cette zone. Les mesures de datation révélèrent une ancienneté remontant aux XVIIe et XXe siècles avant l’ère chrétienne. Les archéologues russes ont calculé que la population de cette petite cité devait s’élever à environ 2.500 habitants, véritable métropole pour l’époque.
La découverte fit l’effet d’une bombe non seulement dans les milieux de l’archéologie mais aussi dans les cénacles patriotiques de cette Russie, qui vivait les dernières années du régime soviétique. Immédiatement, des spécialistes proclamèrent qu’Arkaïm fut le berceau du prophète perse Zarathoustra, ce qui est au demeurant possible, en dépit des distances, si l’on tient compte du fait que les bâtisseurs de cette petite cité étaient en réalité des proto-indo-iraniens qui ont séjourné au sud de l’Oural avant de se mouvoir, avec armes et bagages, vers le sud. D’autres hypothèses conduisent les archéologues à penser que le site était un observatoire astronomique semblable à Stonehenge, mais de plus grandes dimensions.
Finalement, les autorités décident de ne pas construire le barrage et la découverte fut annoncée urbi et orbi dans tous le pays. Plus tard, les archéologues ont découvert encore plus de vestiges de petites cités circulaires dans cette région ; les archéologues baptiseront donc ce complexe du nom de “Culture de Sintashta-Arkaïm”, laquelle appartient à la proto-histoire indo-iranienne. La découverte n’intéressait pas seulement les spécialistes de la science archéologique mais aussi, bien sûr, tout le petit univers des patriotes, qui après la longue parenthèse soviétique, sortait de la clandestinité et trouvait, pour justifier sa vision du monde, un argument pertinent, une preuve tangible. Une découverte, présentant de telles caractéristiques, n’échappa nullement à tous ceux qui, en marge de la récupération générale de l’orthodoxie et du passé impérial, cherchaient des références “nationalisables” sur lesquelles s’appuyer.
On a donc proclamé qu’Arkaïm avait en fait été la capitale d’un empire “aryen” qui s’était étendu des plaines de l’Ukraine jusqu’au cœur de la Sibérie, que la population de cet empire était slave, et, enfin, que dans les textes antiques sacrés tels l’Avesta perse ou le “Livre de Veles”, controversé, l’existence d’un centre comme Arkaïm était mentionné. D’une part, nous pouvons dire qu’il est fortement exagéré de déclarer “slave” une population aussi ancienne, en un lieu aussi éloigné ; mais, par ailleurs, il est absolument certain que des éléments indo-aryens ont joué un rôle important dans les territoires du sud de la Russie au cours de la proto-histoire. La présence de peuples comme les Scythes, les Sarmates et les Ossètes (ou Alains, qui habitent aujourd’hui dans la Caucase) le démontre. Autre argument pertinent : tant les langues slaves que les langues indo-iraniennes appartiennent au groupe dit “satem” des langues indo-européennes ; les correspondances lexicales sont également fort nombreuses, plus nombreuses qu’entre les autres langues indo-européennes.
Actuellement, Arkaïm est l’un des sites archéologiques les mieux conservés en Russie aujourd’hui, même si chaque année des centaines de touristes et de curieux s’approchent du lieu, tandis que les archéologues continuent leurs fouilles dans les environs à la recherche de nouveaux indices. Le 16 mai 2005, le Président russe Vladimir Poutine a visité le site et s’est intéressé à son bon état de conservation. L’intérêt que portent les autorités russes à ce site est important pour que les vestiges demeurent bien conservés.
Le “Livre de Veles”
À la différence du site d’Arkaïm, le second élément mythique du néo-paganisme russe contemporain, le Livre de Veles, suscite nettement la controverse. Il génère d’âpres discussions dans les milieux patriotiques russes. Peu d’universitaires estiment crédible la teneur du Livre de Veles (Velesova kniga en russe) et beaucoup doutent de son authenticité. Néanmoins, très nombreux sont les historiens amateurs et les chercheurs indépendants qui propagent l’idée de son authenticité.
L’histoire de la découverte et de la diffusion du Livre de Veles est déjà étonnante et rocambolesque. Tout commence en 1919. Durant la guerre civile russe, un officier de l’Armée Blanche, Izenbeck, découvre dans un manoir abandonné une série de planchettes de bois sur lesquelles figurent d’étranges inscriptions. En 1924, exilé à Bruxelles, Izenbeck confie les planchettes à Youri Mirolioubov, un autre Russe blanc en exil dans la capitale belge. Mirolioubov est paléographe et byzantiniste de profession. Il photographie les planchettes et en retranscrit le contenu. Le texte est écrit, dit-il, en vieux slavon, dans une variante de l’alphabet cyrillique, influencée par les runes scandinaves.
Le texte commence par une invocation au dieu slave Veles et raconte l’histoire du peuple russe depuis environ 20.000 ans avant JC jusqu’à la conversion de la Russie au christianisme, au Xe siècle de notre ère. On allègue que le texte a été écrit par des prêtres païens entre les Ve et IXe siècles après J.C. Voilà, en résumé, l’histoire, qui y est contée : il y a plusieurs millénaires, les plus lointains ancêtres du peuple russe vivaient en un pays riverain de l’Océan Glacial Arctique (notons la similitude avec les autres mythes de l’antiquité comme celui de l’Hyperborée, de Thulé ou des Védas hindous). À cause des glaciations, ils furent obligés de se déplacer vers des zones plus chaudes au sud. Lors de cette migration, ils se sont divisés en clans et ont guerroyé contre d’autres peuples. Les “Oriyanos”, ou “Aryens”, du Livre de Veles sont mis en équation avec les Slaves, car ceux-ci, d’après le texte, procèdent directement de la matrice aryenne au contraire des autres peuples tels les indo-iraniens, les germains, etc. Ces “Oriyanos” se seraient portés vers la Chine, la Perse, puis la Mésopotamie, l’Égypte et le bassin méditerranéen, où ils fondèrent la ville de Troie avant d’affronter les Grecs. Plus tard, ils se fixèrent définitivement dans la plaine russe, mèneront une vie pacifique sous la houlette bienveillante de leurs dieux et de leurs monarques, ne faisant front que contre des envahisseurs comme les Goths et les légions romaines de l’Empereur Trajan. Notons que le texte nous présente les Romains et les Grecs comme des barbares et octroie aux Russes un haut niveau éthique et un degré élevé de spiritualité. Le reste du document évoque les rois successifs de cette Russie mythique, comme Bravline ou Bus’Beloyar, qui régnèrent jusqu’à notre haut moyen âge, soit jusqu’au moment où les Scandinaves et les missionnaires byzantins mettront fin à cette civilisation et créeront les conditions de la naissance de la Russie telle que nous la connaissons encore aujourd’hui.
Revenons à notre époque. Les planchettes de bois originales du Livre de Veles vont disparaître pendant la Seconde Guerre mondiale ; on parle d’une confiscation par l’Ahnenerbe allemand, intéressé à posséder toutes sortes de documents antiques ; on parle aussi d’un incendie qui les aurait détruites. Il reste donc les photographies et les transcriptions de Mirolioubov. À partir de 1957, certains membres de l’Académie soviétique commencent à recevoir des lettres d’exilés russes qui leur parlent du Livre de Veles et des transcriptions de Mirolioubov. On leur envoie également des copies des photos des planchettes. La réaction des académiciens soviétiques fut unanime : il s’agit, selon eux, d’une falsification, réalisée sans doute vers la moitié du XIXe siècle.
Malgré cela, dans bon nombre de milieux comme dans certains cénacles plus nationalistes des Jeunesses communistes ou même du Parti communiste, le texte acquiert une certaine popularité. Les autorités ne cessent toutefois de veiller afin que le nationalisme ne renaisse d’aucune manière. Avec la chute de l’Union Soviétique en 1991, plus rien n’empêchait les fans du Livre de Veles de relancer la publication du texte, assorti de leurs commentaires et opinions. Les milieux néo-païens devinrent ipso facto les récepteurs les plus avides de cette littérature exégétique. Parmi les exégètes les plus connus, citons Aleksandr Asov qui affirme dans des revues d’histoire et dans des programmes de télévision l’authenticité du texte, qui revêt dès lors un caractère éminemment sacré.
Notre point de vue est le suivant : le Livre de Veles contient tout de même pas mal de contradictions. D’abord, les premiers fragments dateraient du Ve siècle de notre ère, à une époque où les peuples slaves ne connaissaient aucun type d’écriture ; ensuite, aucun texte de l’antiquité ne mentionne les attaques des “oriyanos” proto-russes ; enfin, notre scepticisme vient du fait que le texte est écrit dans une langue grandiloquente, qui rappelle curieusement l’Ancien Testament.
Mais, quel que soit le jugement que l’on puisse porter sur le Livre de Veles et sur les péripéties de sa découverte et de son exploitation, on ne peut esquiver le fait que les mythes, les légendes et les narrations sont d’une importance capitale pour les hommes, surtout les hommes d’aujourd’hui, qu’il faut faire rêver, alors qu’ils sont pris dans le rythme trépident de la vie moderne, qui détruit et annihile les identités. Lui montrer un passé où tout était possible est donc une bonne chose.
► Oriol Ribas, Tierra y Pueblo n°13, sept. 2006.
♦ Bibliographie :
- V. DEMIN, Severnaya prarodina Rusi, Ed. Veche, Moscou, 2005
- I. STROGOFF, Revolyutsia seychas !, ed. Amphora, Moscou, 2002
- A. ASOV, Slavyanskie Bogi I rozhdenie Rusi, ed. Veche, Moscou, 1999
- W. LAQUEUR, La Centuria Negra, Anaya & Mario Muchnik, Madrid, 1995
• Pour prolonger : L’Héritage païen de la Russie (F. Conte, tome I, 1997) [recension] Présentation éditeur : Aujourd'hui libérée du système soviétique, la Russie retrouve son passé et la richesse de la culture du monde paysan, que ni le tsarisme ni le communisme n'ont réussi à faire disparaître. S'appuyant sur des enquêtes effectuées à la fin du siècle dernier (notamment par les ethnographes) et sur le renouveau actuel des recherches, Francis Conte évoque cette mosaïque faite de mythes et de croyances. Par-delà les caricatures du moujik popularisées en Occident, ce livre traite du monde alentour : les éléments, la forêt, les animaux, la maison (izba) avec lesquels la paysannerie russe a toujours entretenu des relations spécifiques, fondées sur un ordre symbolique transmis par les contes et légendes, mais aussi par les rituels liés aux grands événements de la vie. Cette perception du sacré intimement mêlée à la foi orthodoxe forme une religiosité originale toujours vivace en dépit des ruptures, un “néo-paganisme” singulier qui s'inscrit dans le courant de redécouverte, par les Russes, du sens de leur longue histoire.