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Politique
Le politique comme polarisation conflictuelle
Un des critères fondamentaux de l’activité politique, mais qui n’épuise pas, évidemment, sa complexité, nous semble relever d'une polarisation autour d’une réaction d’hostilité. C'est ce que Carl Schmitt nomme la polarité ami-ennemi, en omettant malheureusement dans ses analyses de montrer que la désignation de l'ennemi, pour indispensable qu'elle soit, présuppose une définition et une mise en forme de “l’ami”, c'est-à-dire de la communauté de destin qu'englobe l’unité politique. L'acte politique n'est pas celui du gestionnaire ou de l’administrateur, encore moins celui du marchand et du comptable, mais celui qui mobilise une population en lui “désignant un ennemi”. Désigner l'ennemi, cela peut vouloir dire aussi répondre à un aléa du sort, à un défi. On le sait depuis les travaux d’Eibl-Eibesfeldt et de Lorenz : les organismes vivants du devenir organique, comme les cultures humaines, ne progressent pas parce qu'elles sont prédéterminées par une finalité rationnelle, mais parce que, de façon aveugle et improvisée, des concurrences et des défis aléatoires surgissent et poussent, si l’on entend survivre, à se métamorphoser en de nouvelles structures et à combattre. Une des fonctions centrales du politique apparaît de même nature : le politique prend en charge le destin d’une unité de population, c'est-à-dire qu'il fait prendre conscience des défis aléatoires et des menaces, les désigne comme ennemis, et utilise l’énergie ainsi créée à la réalisation d'un dessein ; en dépit des apparences de finalité et de rationalité de ce dernier, il ne ressort généralement pas d'un “projet”, mais du désir “naturel” de perpétuer la vie du groupe, désir qui s'inscrit dans ce qu'on a pu appeler la “conscience d’espèce”.
Construire un monde sans aléa, comme construire un modèle social dépourvu d’inimitié et d’adversité, c'est non seulement renoncer au politique mais risquer l’anémie et l'entropie historique. Face a ce risque toujours présent, le politique est la pour “réveiller les peuples”, pour leur représenter une adversité, pour leur mettre en figure un ennemi, afin de les mouvoir, de les arracher a la tiédeur et à la mort de “l’être” et les insérer dans le devenir.
Lorsqu'un État, ou une forme souveraine quelconque, renonce au politique, il se trouve toujours des partisans pour reprendre cette fonction à leur charge. Le lieu du politique se déplace alors vers le militaire (terrorisme, etc.) ou le culturel (métapolitique).
Il faut donc distinguer la substance du politique, c'est-à-dire sa fonction, de l’instance qui prend en charge cette fonction, distinction que n’opère pas la politologie universitaire. Lorsque l’instance étatique ne correspond plus à la substance du politique, la première paradoxalement oppressive parce que sans légitimité, et la seconde se voit éclatée, partagée entre diverses institutions partisanes nécessairement illégitimes. II convient donc que l’instance et la substance du politique coïncident dans une institution, qu'elle soit étatique ou d'une toute autre nature. Imaginer cette dernière n'est pas notre propos. Nous pensons simplement qu'il est nécessaire qu'il existe, en un “territoire” institutionnel quelconque, un monopole du politique. C'est l’indispensable condition pour qu'une collectivité puisse connaître un destin historique et, surtout dans le monde moderne, affronter victorieusement les aléas ; mais aussi la condition pour que les hommes puissent vivre en sécurité et connaître des libertés qui soient autre chose que des concepts. En effet, l’activité politique étant par nature celle qui, mobilisant les énergies civiques autour d'une polarité ami-ennemi portant sur des questions de destin collectif, définit les critères de vie et de mort, du meurtre et du sacrifice légitimes, autant qu'elle ne soit pas dispersée entre plusieurs mains. En abolissant le duel, Richelieu nous a donné une leçon : une seule instance, l’État, avait désormais le droit de faire tuer et d'exiger l’auto-sacrifice. Ce monopole du jus mortis est préférable à sa négation. Prétendre en effet que nul n'a “le droit” d'exiger que l’on meure ou que l’on tue pour lui aboutit à dépolitiser l’État, mais certainement pas à abolir cette constante sociologique et éthologique des sociétés humaines qu'il existe toujours des causes pour lesquelles on mourra ou l'on tuera. II est donc préférable de rassembler la définition de ces “causes”, dont la nature est éminemment politique (mais qui peuvent aussi être religieuses) sous le monopole de la légitimité d'une seule instance. Celle-ci doit-elle être l’État ? Nous ne répondrons pas à cette question. Le dépérissement de l’État n'est pas une utopie, si l'on entend par la la cessation de ses activités politiques ; ce qui nous semble une utopie, c'est le dépérissement du politique. Le dépérissement de l’État peut même être qualifie de souhaitable, dans la mesure ou sa fonction essentielle, le monopole de la substance politique, peut être dévolue a un autre type destitution a imaginer dans notre histoire future.
Ces conditions générales posées, on peut, plus pratiquement, définir l’activité politique comme celle qui se propose d'assurer par la force, généralement appuyée par le droit, la “sécurité extérieure” et la “concorde intérieure” d'une unité territorial et culturelle. Par la, l’activité politique garantit l’ordre, au milieu des luttes et des désordres qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions et des intérêts. Cette conception du politique apparait en accord avec ce que les sciences physiques modernes nous disent du “conflit” comme réalité fondamentale de toute nature. Cette dernière est dominée par la lutte entre l’entropie, le retour du chaos inorganique et la déperdition d’énergie dans l’homogène, et la néguentropie, création d'ordre et de complexification par l’échelle du vivant. Le politique, dans cette perspective, est néguentropique : il crée de l’ordre, de la conscience, de la valeur par la voie du “conflit”, par la désignation permanente d'une adversité à surmonter. Toute la tradition philosophique païenne (pré-chrétienne, grecque, romaine, celtique, slave ou germanique) a exprimé une vision semblable, reprise ensuite, dans les sciences politiques, par Machiavel et Hobbes. Nous verrons que cette conception s'oppose, dans la tradition occidentale, aux théories héritées d'une vision irénique, paradisiaque et pacifiste de l’activité politique, directement inspirée du biblisme et des traditions monothéistes.
Définir le politique sous la catégorie de la polarité ami-ennemi, refuser l’irénisme gestionnaire et l’idéalisme pseudo-humanitaire, n'aboutit absolument pas au mépris de la dignité humaine ou au racisme. C'est même exactement l'inverse. Reconnaitre la dimension polémique des rapports humains — et l’homme comme un être dynamique et risque — c'est garantir le respect de tout adversaire conçu comme l’Autre, dont la cause n'est pas moins légitime que la sienne propre.
Les idéologies actuelles, qui prétendent détenir une vérité universelle sous la forme du dangereux postulat de pacification nécessaire de tous les rapports humains et de réduction de toute concurrence à sa forme marchande, envisagent de ce fait tout ennemi politique, idéologique, philosophique ou militaire comme absolu, comme une non-valeur absolue, comme non-homme. Si je me bats au nom de “l’Humanité”, je considère automatiquement mes adversaires comme des “non-humains”, puisqu'ils sont implicitement supposés affronter l’Humanité dont mon idéologie s’érige en représentante. Pour nous, au contraire, l’adversaire doit de nouveau être déclaré légitime ; et légitime sa cause, tout autant que la mienne ; légitime aussi le combat qui nous oppose. Et il ne doit pas s'agir simplement de l’adversaire “économique”, comme dans la mentalité actuelle…
Ne pas valider cette adversité revient, dans la lignée du “pacifisme belliqueux, intolérant et prosélyte des Chrétiens”, à risquer le génocide a chaque affrontement, à transformer celui-ci en bataille pour des absolus. L'ennemi est pensé comme le “dernier” avant la paix finale : ennemi de classe, ennemi de race, ennemi de Yahvé.
Dans la conception machiavélienne de la guerre et du politique, à laquelle nous nous rattachons pour son caractère à la fois païen et antique et très nécessaire au monde moderne mis en péril par les doctrines absolues, on ne combat pas militairement ou politiquement pour une “cause juste” — aucune cause n'est “juste” — mais pour ses intérêts, selon l’ordre permanent des rapports humains. Le combat s'en trouve alors relativisé, dans le même temps qu'il est légitime. II cesse d’être sérieux ; il devient jeu, certes indispensable, mais au moins susceptible d’être normé par un code. Ce sont les meilleurs lutteurs qui sont les moins cruels, dit le proverbe.
► Guillaume Faye, Vouloir n°14, 1985.
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pièce-jointe :
La politique concerne d’abord la vie présente. Elle est une dimension de l’existence humaine. Elle est l’effort de l’homme tourné vers l’avenir. Faisant appel au sérieux et à la gravité d’une implication à la fois personnelle et sociale, elle n’a rien à voir avec le spectacle électoral remuant les passions collectives, triste farce de faux-monnayeurs. C’est en confrontant politique et dépolitisation que la réflexion critique d’Alain de Benoist proposée aujourd'hui serre au mieux le sujet en le problématisant. Elle invite à nous poser les bonnes questions : par-delà la fonction de la politique, à savoir la gestion des affaires de la cité, sa légitimité n’est-elle pas de concourir à un monde des possibles s’accordant avec un projet de civilisation et une situation ? Au cours de cette étude sur la vocation de la politique, le rapport entre LE politique et l’impolitique seront nécessairement définis et précisés. L’enjeu en est décisif : le discrédit d’un système représentatif à bout de souffle pourrait favoriser l’émergence d’une authentique démocratie organique, c’est-à-dire participative et fondée sur le principe de subsidiarité. Et qui rendrait au peuple la souveraineté qui lui a été confisquée. Au poète Char demandant s’il n’était donc pas possible d’« échapper à la honteuse contrainte du choix avait entre l’obéissance et la démence », il nous faut répondre par le pari d’une lucidité ne refusant en rien d’assumer un destin.
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Quand triomphent l'économie et la morale
La politique est-elle encore possible ?
Au sortir d'une période électorale agitée et riche en rebondissements de toutes sortes, en illusions et en déceptions, le moment est venu de se poser enfin les vraies questions. Les hommes politiques ne sont-ils que des pantins, à l’image de leurs caricatures télévisuelles ? Détiennent-ils le vrai pouvoir ? Ont-ils une véritable légitimité démocratique ? Et quelles sont les réelles instances dirigeantes de notre société ? Les décideurs économiques ? Les juges ? Les experts ? Les médias ? Les “autorités morales” ? Un dossier d'Alain de Benoist pour comprendre notre temps [voir aussi son éditorial « La politique retrouvée » et son article « Le politique renaît sous d'autres formes »].
[Ci-dessous : Véritable fondateur de la démocratie athénienne, dont il fut l'infatigable défenseur contre les prétentions oligarchiques, Périclès est resté le modèle inégalé du "grand politique", soucieux de la grandeur de sa patrie, à laquelle il conféra un éclat incomparable, et du bonheur de son peuple, qu'il dota des pouvoirs les plus étendus. Victime de la peste, il aurait dit au moment de sa mort à ses amis qui évoquaient ses hauts faits : "Vous ne parlez pas de ce qu'il y a de plus grand et de plus glorieux dans ma vie : c'est que jamais je n'ai fait prendre le deuil à aucun Athénien". Mais les hommes politiques d'aujourd'hui savent-ils encore qui était Périclès ?]
Que ce soit pour s'en réjouir ou le déplorer, nombreux sont les auteurs qui parlent aujourd'hui d'une “fin” du politique ou de son dépérissement. D'autres pensent pouvoir constater une “dépolitisation” (1). Cette doléance n'est pas nouvelle, mais elle s'exprime depuis quelque temps avec plus de vigueur et paraît correspondre plus étroitement à la réalité. Comment une telle éventualité peut-elle être pensée et quelles en sont les modalités ?
Le premier constat qu'il faut faire est que les idéologies aujourd'hui dominantes sont des idéologies pour lesquelles le politique n'est pas consubstantiel à la nature humaine, mais un élément surajouté, un artifice — c'est-à-dire quelque chose dont on pourrait aussi bien se passer.
Sur ce point, l'opinion des Modernes diffère totalement de celle des Anciens. Ce que veut dire Aristote lorsqu'il définit l'homme comme un “animal social et politique”, c'est que le politique représente une dimension constitutive du social, et plus précisément du social-historique ou social humain. L'appétence politique s'inscrit ainsi dans la nature de l'homme. Pour les théoriciens contractualistes du XVIIe et du XVIIIe siècle, au contraire, la nature de l'homme n'est pas intrinsèquement sociale : à l’état de nature n'existent que des individus, qui n'“entrent en société” que dans un second temps, par un acte de volonté supposé rationnel.
Pour les Modernes, c'est le souci de sécurité, de la survie ou de la conservation de soi qui explique le passage de l’état de nature à l’état social. Selon Hobbes, l’homme entre en société pour échapper à la “guerre de tous contre tous”. Selon Locke, il y entre pour que soient mieux garantis des droits individuels dont il était déjà porteur à l’état de nature. L’homme n’est donc plus politique par nature, mais le devient par nécessité. Sa véritable nature est à la fois présociale et prépolitique ; c'est celle d'un individu indépendant, non relié. La nécessité, liée à la peur ou à l’intérêt, se substitue au télos, lié à la recherche de l'excellence dans le vivre-ensemble, la recherche du bien commun et les valeurs partagées. « On peut dire, écrit Myriam Revault d'Allonnes, que la modernité politique s'instaure globalement sur la base de ce retournement : de l'orientation vers la fin à la détermination par l'origine. Quel est alors le nom donné à cette origine ? C'est l'individu ou plus exactement la multiplicité des individus à la fois mis en posture de fondement — tenus pour autosuffisants — et livrés à eux-mêmes et à leurs désordres jusqu'à ce qu'intervienne la mise en ordre ou la régulation émanant d'un principe à la fois unificateur et extrinsèque : la société politique » (2).
Ici se constate une autre coupure, tout aussi fondamentale, entre les Anciens et les Modernes. Ces derniers, on vient de le voir, placent la nécessité à l'origine du politique. Or, chez les Grecs, c'est exactement l'inverse : la sphère publique correspond par définition à celle de la liberté, tandis que tout ce qui ressortit de la nécessité et du besoin, à commencer par les considérations économiques, se trouve rabattu sur la sphère privée.
Il en résulte une transformation radicale du statut de la liberté. Alors que dans l’Antiquité, la liberté s'atteignait d'abord par la participation active et constante des citoyens à la vie publique, pour les théoriciens modernes, et tout particulièrement pour les théoriciens libéraux, la liberté se définit comme ce dont on ne peut véritablement jouir que dans la sphère privée. Cela signifie que la liberté n'est plus ce que permet la politique, mais ce qui lui est soustrait. La liberté, en d'autres termes, réside d'abord dans la garantie de pouvoir échapper à la sphère publique, de pouvoir se libérer du politique. « La liberté commence au moment où finit la politique […] [Elle] ne concerne plus la finalité de l'existence politique — de la cité — mais la part de l'existence qui échappe à la politique » (3).
Cette conception “soustractive” de la liberté se conforte de l'idée que le pouvoir politique n'est qu'un mal nécessaire, que tout pouvoir représente par nature un danger : toujours suspecté de vouloir s'étendre, il menace forcément la liberté, puisque celle-ci se définit comme la part de l'existence qui lui échappe. Selon les classiques, la raison d'être du politique est avant tout de permettre et de garantir aux individus la jouissance de leurs besoins et de leurs satisfactions privées. La question fondamentale n'est plus celle du pouvoir politique, mais celle de sa limitation. L'individu “privé” se trouve ainsi, non seulement coupé, mais virtuellement opposé au citoyen. « D'une problématique de l'intégration dans la communauté naturelle, on passe donc à une problématique de la séparation ou de la dissociation », note Revault d'Allonnes (4), qui ajoute : « À partir du moment où la liberté est définie comme la part de l'existence individuelle retirée à la politique, on ne doit pas s'étonner qu'une telle logique — logique de la séparation et de l'indépendance individuelle contre le pouvoir — porte en germe le conflit de l'individu et du citoyen, du privé et du public, ainsi que la préférence pour les satisfactions privées » (5).
La distinction du public et du privé prend du même coup une signification nouvelle. Alors que chez les Grecs, la sphère privée ne pouvait être le lieu de la liberté, puisqu'elle représentait fondamentalement l'espace de la nécessité et du besoin, cette même sphère privée, redéfinie comme “société civile”, va se trouver globalement opposée au public, domaine du pouvoir, de la contrainte et de la domination. Le concept de “société civile”, qui surgit lorsque la communauté politique n'est plus regardée comme un fait de nature, est ce concept qui, posant le social comme synonyme de privé, l'ampute en même temps de sa dimension politique. La politique n'est plus une dimension du social, mais un trait de la sphère publique.
Primat du politique ou autonomie du politique ?
À la question de savoir ce qui permet alors au social d’exister, puisque la communauté n'est plus un fait de nature, la réponse, bien connue, allègue la dialectique des intérêts égoïstes et la multiplication des échanges : le lien social est institué par le contrat et maintenu par le marché. Le recours à ces deux concepts — qui, comme l'a montré Hegel, relèvent en fin de compte des mêmes présupposés abstraits — permet de mieux saisir l'antagonisme entre la société civile et la sphère publique. La société civile ne peut venir qu'en premier, tant chronologiquement qu'en importance, puisque c'est par les échanges dont elle est le lieu que les intérêts privés accèdent à la sphère publique. Dans la perspective du contrat, le pouvoir est perçu comme un pis-aller : exigeant d'être constamment tenu en laisse, il a pour seule fonction essentielle de garantir les droits individuels et la possibilité pour les individus de chercher à maximiser leurs intérêts privés. Dans la perspective du marché, il reste un auxiliaire de l’économie (il instaure un espace de marché), tendanciellement voué à l'extinction, puisque à terme la simple dialectique des intérêts est censée réaliser l'autorégulation optimale de la société (6).
L'idée à retenir est que la politique, ayant commencé à un certain moment de l'histoire humaine, peut également finir : créée, selon les théoriciens contractualistes, par un acte de volonté, elle pourrait aussi bien disparaître par un autre acte de volonté ; il suffirait que les hommes n'en aient plus besoin.
Certains parlent alors de la nécessité de réaffirmer le “primat du politique”. En niant le caractère "naturel" de la politique, en en faisant une pièce rapportée, les Modernes contestent en effet ce primat. Mais que veut-on dire exactement lorsque l'on parle du “primat du politique” ? De la priorité du bien commun sur les intérêts particuliers ? De la supériorité des valeurs politiques sur les valeurs économiques ou marchandes — mais aussi religieuses, esthétiques ou guerrières ? Veut-on dire que le politique passe avant la culture ou avant le social, dont il n'est pourtant qu'une dimension ? L'expression, on le voit bien, reste équivoque. C'est pourquoi, plutôt que de parler d'un “primat” du politique, il vaut mieux affirmer sonautonomie.
« Chaque activité humaine, écrit Julien Freund, se développe selon sa propre loi, selon son Eigengesetzlichkeit, que détermine la spécificité de la relation de sa fin aux moyens. Le but de l'économie n'est pas celui de la politique ou de l'art, et par conséquent les moyens pour atteindre le but de l'économie ne sont pas non plus ceux de la politique ou de l'art. Chaque activité a son but spécifique, et de ce fait ses moyens spécifiques, ce qui signifie qu'elles ne servent pas toutes les mêmes valeurs […] Il s'ensuit que les valeurs économiques ne se confondent pas avec les valeurs politiques ou artistiques. Le conflit peut naître précisément de la volonté de chercher à les confondre, ou bien [de] les réduire à un même étalon de valeur » (8). Affirmer l'autonomie du politique, c'est affirmer que celle-ci ne saurait, sans se dénaturer, être rabattue sur une autre forme ou dimension de l'activité humaine, qu'il s'agisse de la science, de la morale, de l'éthique, de l'esthétique, de l'économie, de la métaphysique ou du droit. La politique doit être politique, ce qui signifie que ses principes ne peuvent être dérivés ou posés comme dépendant d'autres principes qui, eux, ne le seraient pas. La légitimité politique, par ex., est elle-même une notion politique : rechercher le critère de cette légitimité dans la morale, le droit, la religion, etc., c'est déjà trahir sa nature. Ici, on parlera, non de “primat du politique” mais de primat de ce qui, en politique, est proprement politique sur ce qui est impolitique. Julien Freund définit l'impolitique comme « ce qui contrevient à la pertinence dans l'action politique ou qui blesse l'esprit et la vocation de la politique » (9). Ajoutons que l'impolitique consiste aussi à faire de la politique sans comprendre ce qu'est la politique.
Or la politique est aujourd'hui le plus souvent conçue d'une façon impolitique, non seulement parce que la nature exacte du politique n'est plus perçue, mais aussi parce que la politique se trouve de plus en plus menacée par les tendances hégémoniques de l'économie, du droit, de la morale et de la technique. Domination du marché et des valeurs marchandes, juridisme hypertrophié, vue du monde moralisante, expertocratie : telles sont les grandes figures contemporaines dont les prétentions grandissantes s'affirment au détriment du politique et accélèrent sa désymbolisation.
L'emprise la plus visible est celle de l'économie. Les Grecs, on l'a vu, excluaient du champ du politique tout ce qui avait trait au système des besoins. Aristote, par ex., souligne avec force que l’économie appartient à la sphère domestique et privée (oikos) et que, comme telle, elle ne concerne pas la société politique. L'homme libre réalise sa liberté en participant à la vie politique ; être libre exige de s'arracher aux contraintes utilitaires et à la dynamique des besoins. « La frontière qui sépare le domaine du privé et celui de la polis, écrit Myriam Revault d'Allonnes, n'est pas seulement le problème de la philosophie, mais celui de la pratique concrète dans la mesure où elle passe à l'intérieur du citoyen lui-même. L'identification de soi à la vie politique — la constitution d'une identité politique — suppose que la sphère de l'appartenance politique l’emporte sur la sphère de l'appartenance domestique, familiale, bref sur tout ce qui relève des besoins et des intérêts privés » (10).
L'Occident est cependant la seule civilisation où l'économie, naguère “encastrée” dans le social, s'en est d'abord émancipée, avant de réinvestir le social en le conformant à ses valeurs et à ses lois. On sait que la promotion de cette “idéologie économique” est elle-même inséparable de la formation de l'individu au sens libéral-bourgeois du terme (11). L'aboutissement de ce processus est l'instauration de la “société de marché”, c'est-à-dire de cette société où, non seulement les valeurs marchandes priment toutes les autres, mais où le modèle du marché est considéré comme paradigmatique de tous les faits sociaux.
L’action politique assimilée à la gestion des choses
Dans la perspective de l'idéologie économique, la politique ne peut être qu'un dérivé ou un résidu. D'une part, la naissance de la politique est censée s'expliquer par des considérations ayant trait à la nécessité, c'est-à-dire en dernière analyse par des considérations économiques. Elle ne relève donc en son essence que du calcul d’intérêts. L'action politique, d'autre part, est largement assimilée à la gestion des choses. Enfin, selon les théoriciens libéraux, une société entièrement soumise aux mécanismes du marché verra se réaliser spontanément l'harmonie naturelle des intérêts : grâce à l'intervention de la “main invisible”, qui fait s'accorder l'offre et la demande, la composition des intérêts égoïstes sur un marché défini à la fois comme lieu généralisé de l'échange et comme opérateur du social aboutira miraculeusement à créer une situation d'optimum à l'intérieur de la société globale. À plus ou moins brève échéance, la compétence politique sera donc supplantée par l'effectivité économique. « C'est la réduction du social à l'échange généralisé entre les producteurs qui aboutit à l'éviction ou à l'exténuation du politique » (12).
Karl Marx, lui, n'est pas assez naïf pour croire à l’harmonie naturelle des intérêts, et il n'a pas de mal à voir que cette thèse vise en fait à légitimer une aliénation économique caractéristique du mode de production capitaliste (d'où sa critique roborative de la réification des rapports sociaux). Il reprend en revanche à son compte la définition libérale de l'homme comme individu producteur, ce qui l’amène à manquer lui aussi le sens du politique. Comme l'écrit Myriam Revault d'Allonnes, « pour Marx, l'accomplissement de l'homme se fera au sein d'une humanité complètement socialisée, affranchie du politique : une société civile délivrée de la soumission à la production capitaliste, où les échanges se feront entre libres individus producteurs et où le travail sera libéré. En d'autres termes, une humanité socialisée autorégulée. C'est dans cette perspective que s'inscrit l’horizon du “dépérissement de l'État” où l'on a pu voir, à juste titre, une sorte de symétrique inversé de la problématique libérale » (13).
La société politique ne prolonge pas la cellule familiale
La politique, en réalité, ne saurait être réduite à l’économie, d'abord parce que le bien commun n'est pas la simple somme des biens particuliers, ensuite parce que les aspirations et les désirs divergents ne s'ajustent jamais spontanément. C'est en cela qu'il est ridicule de parler de “marché politique”, non qu'il n'y ait pas aussi en politique une offre et une demande, mais au sens où les équilibres politiques, même au travers du vote, ne s’établissent pas d'eux-mêmes définitivement.
L'enflure de l'économie a aujourd'hui débouché sur la marchandisation généralisée, c'est-à-dire sur l'idée que tout ce qui est de l'ordre du désir ou du besoin peut (et doit) être négocié — la contrepartie évidente étant qu'on ne produit que les biens qui peuvent se vendre, tandis que l'on ignore ce qui n'a pas de prix. Dans cette optique, le citoyen est d'abord considéré comme un consommateur, et la politique s'administre sur le modèle de l'entreprise privée. Le modèle normatif devient le comportement du négociant sur le marché. Parallèlement, les contraintes économiques et financières restreignent de plus en plus la marge de manœuvre des gouvernements, qui sont mis en demeure de s'incliner, par “réalisme”, devant les “lois du marché”.
Cette intronisation de la société de marché, note Marcel Gauchet, « représente beaucoup plus qu'un phénomène intellectuel. C'est à une véritable intériorisation du modèle du marché que nous sommes en train d'assister — un événement aux conséquences anthropologiques incalculables, que l'on commence à peine à entrevoir […]. C'est la constitution intime des personnes qu'elle contribue à remodeler » (14). « Réduire le politique à une tâche de gestion économique — constate pour sa part Marcel Hénaff —, c'est oublier sa fonction souveraine de reconnaissance publique des citoyens » (15).
Une autre forme d'impolitique, qui entretient un lien ténu (mais rarement aperçu) avec “l’idéologie économique”, est celle qui consiste à voir dans la société politique un prolongement ou un analogon de la cellule familiale. Surtout commune dans les milieux réactionnaires ou conservateurs, cette erreur a été propagée par d’innombrables auteurs qui ont régulièrement décrit le souverain comme le “père” de son peuple ou comparé le pouvoir politique à celui du chef de famille (cf. le patriarcalisme d'un Bossuet affirmant que "le premier empire parmi les hommes est l'empire paternel").
Aristote a critiqué avec force cette comparaison. « Ceux qui croient que chef politique, chef royal, chef de famille et maître d'esclaves sont une seule et même notion — écrit-il —, s'expriment d'une manière inexacte. Ils s'imaginent en effet que ces diverses formes d'autorité ne diffèrent que par le nombre plus ou moins grand des individus qui y sont assujettis, mais qu'il n'existe entre elles aucune différence spécifique » (16). Or la différence existe et elle n'est pas de degré mais de nature : la famille, n'ayant pas de caractère public mais constituant seulement une unité économique et un lieu de relations affectives, interpersonnelles et intergénérationnelles, n’appartient pas à la sphère du politique. C'est également ce qu'affirmera Jean-Jacques Rousseau, dans sa réfutation de Filmer : les citoyens ne sont pas des “enfants”, et la puissance paternelle est étrangère à la puissance politique (17). De même Carl Schmitt, quand il contestera ce lieu commun de la justification du principe monarchique qu'est l'assimilation du monarque à un père : « Si le monarque est conçu comme le père de famille étatique et si on en déduit la notion dynastique d'une monarchie héréditaire, l'idée première est celle de famille et non pas celle d'État » (18).
L'hypertrophie du droit aux dépens du politique est une autre conséquence de la montée en puissance de l'idéologie libérale. En même temps qu'ils expliquaient la naissance de la politique et de la société par un acte de volonté contractuelle, les premiers théoriciens libéraux ont en effet posé l'individu comme titulaire de droits inhérents à sa propre nature, c'est-à-dire de droits subjectifs antérieurs à toute société (le droit objectif ne naissant que des conventions introduites parle contrat social). L'idéologie des droits de l'homme a ainsi posé d'entrée la supériorité et l'antériorité du droit, ouvrant du même coup la possibilité d'une limitation du politique par le juridique.
Il en est résulté une transformation notable de la notion d'égalité. De politique chez les Anciens (tous les citoyens jouissent de prérogatives politiques égales, car aucun d'entre eux ne saurait être plus ou moins citoyen qu'un autre), l'égalité devient d'abord juridique chez les Modernes. Appartenir à la société ne confère plus automatiquement l'égalité politique — c'est pourquoi la refondation moderne de la politique n'est pas liée à l'institution de la démocratie —, mais s'exprime sous la forme d'une égalité naturelle des droits. Le droit ne se définit plus fondamentalement comme l'équité dans la relation, mais comme un attribut intrinsèque de la nature humaine, dont le devoir n'est plus la contrepartie. L'égalité ne consiste plus dans l'égale possibilité de participer à la chose publique ou de détenir un pouvoir politique, mais dans le fait d'être titulaire du même droit que les autres, cette qualité déterminant l'égale dignité de tous (19). Le politique n'intervient qu'en aval, pour garantir cette égalité des droits.
Le problème est que, contrairement à ce que prétend la théorie libérale, ce n'est pas le droit mais le politique qui est fondateur. C'est seulement quand un pouvoir instituant a mis en place un cadre dans lequel un système de normes positives peut prendre place qu'une activité juridique peut exister. (C'est également la raison pour laquelle la légitimité ne peut se ramener ou se déduire entièrement de la loi). Seul, en outre, le politique peut donner au droit sa validité empirique — sinon, comme le dit Julien Freund, « comment le droit dépourvu de force pourrait-il triompher de la force ? » Les finalités politiques, enfin, ne peuvent être anticipées par les normes juridiques. Le droit et la politique ne sont donc pas coextensifs l'un à l'autre, ne serait-ce que parce que la raison juridique n'est pas une raison de puissance, mais une raison procédurale. Et c'est précisément parce qu'ils ne sont pas coextensifs qu'un conflit peut toujours éclater entre eux. On ne peut donc faire une théorie juridique de ce qui échappe au droit.
La vogue de l'idéologie des droits de l'homme se traduit de nos jours par une prolifération sans fin de “droits” assortis de revendications contradictoires, qui entraînent elles-mêmes une multiplication sans cesse croissante des procédures judiciaires. La judiciarisation de la vie quotidienne progresse au fur et à mesure que les consommateurs de droits se transforment en autant de plaideurs et de chicaneurs. Ce qui relevait naguère de la vie conviviale dépend désormais de réglementations de plus en plus minutieuses et assorties de sanctions.
Quand les juges se placent au niveau des politiques
Portés par cette montée du juridique, les juges s'érigent eux-mêmes en autorités morales, qui se placent d’emblée au-dessus des politiques. L'élargissement toujours plus accentué de la régulation juridique aux dépens de la volonté politique « est porté par l'utopie anti-politique d'un mode de règlement direct des litiges entre les personnes qui se substituerait avantageusement à la réforme d'ensemble du collectif qui les englobe » (20).
Parallèlement, le droit international se transforme pour substituer son emprise à l'autorité des pouvoirs politiques. Enfant naturel du mariage du juridique et de la morale, ce nouveau droit international, dont le Tribunal pénal international (TPI) est l’emblème, prétend dicter sa loi aux États sans la puissance desquels ses décisions resteraient pourtant lettre morte. « Le pouvoir judiciaire — écrit Xavier Darcos — se fonde de plus en plus souvent, non sur les lois ou la Constitution d'une nation, mais sur des théories supérieures, tels les droits de l'homme ou les “principes supérieurs de l'humanité” inscrits dans une Charte des droits fondamentaux déjà validée par les États européens. Dés lors, les juges peuvent exercer un pouvoir quasi illimité sans les entraves des formalités judiciaires ou législatives locales, et ils fondent leur légitimité sur des textes aussi impératifs qu'évasifs » (21). En mars 1999, l'intervention occidentale au Kosovo a constitué le tournant décisif à la faveur duquel le principe du “droit d'ingérence” l’a emporté sur le droit international tel qu'il existait auparavant. Les observateurs avisés n'ont pas eu de mal à montrer l'hypocrisie fondamentale d'une telle démarche “humanitaire”, motivée en réalité par des intérêts de puissance (22).
On se bornera ici à remarquer que c'est au moment même où la notion d'humanité devient de plus en plus problématique, du fait notamment des progrès des sciences de la vie, que se donnent à entendre en son nom les exigences et les réquisitions les plus démesurées. Par le biais des droits de l'homme et du “droit d'ingérence humanitaire”, l'empire de la morale se donne une dimension planétaire. Interdiction est faite aux politiques, présumés méchants, de défendre leurs prérogatives face aux pensées pieuses qui composent le discours du Bien. Un déluge d'idéalisme moralisateur submerge les derniers points de résistance d'un réalisme invariablement décrit comme cynique ou pervers. Cependant, dans ces invocations rituelles à une “humanité” abstraite, il n'est pas interdit d'apercevoir son contraire : une parfaite indifférence envers les êtres singuliers. Rousseau dénonçait déjà en son temps « ces prétendus cosmopolites qui […] se vantent d'aimer tout le monde pour n'avoir droit d'aimer personne » (23). Qu'aurait-il dit devant l'actuel déferlement d’“humanitaire” qui met en accusation, au gré des intérêts des uns ou des autres, tous ceux qui sont supposés faire obstacle au règne du Bien ?
L'humanitaire contemporain est bien l'héritier de cette “politique de la pitié” qui, au XVIIIe siècle, divisait déjà le monde en “malheureux” et “bienheureux” (24). Il fait fond sur des sentiments généreux, mais en les coupant de toute distance critique. La générosité dégénère alors en sensiblerie abstraite, qui se nourrit d'un voyeurisme, portant à ressentir à distance plus qu'à réfléchir, devenu monnaie courante à la télévision. « La télévision fournit en un instant les substances qui mobilisent facilement l'opinion : l'indignation, l'horreur, l'émotion, le spectacle du deuil ou de la souffrance. Troublé dans sa bonne conscience, le public découvre les maux auxquels il échappe et voit le scandale de son propre confort. C'est alors pour remédier à son malaise qu'il pétitionne ou s'acquitte de quelque don, avant d'oublier à nouveau l'injustice universelle et de reprendre ses querelles de voisinage ou ses histoires de famille » (25). Cette philanthropie éthérée, où l'on fait profession d'aimer tout le monde à l'exception de ses voisins, n'est évidemment que la contrepartie de l'individualisme et de la solitude qu'il engendre.
Retour en force de la morale dans la sphère publique
Une première forme du recours à la morale comme mode de réduction de l'espace politique consiste dans l'apparition des “comités éthiques”, la reconnaissance des “autorités morales”, la vogue des organisations “caritatives”. En laissant entendre que les problèmes sociaux (chômage, exclusion, etc.) sont avant tout des problèmes moraux, l'idéologie dominante rabat la justice sociale sur la charité, désarmant ainsi les revendications. « On tend toujours plus à poser les problèmes politiques en termes moraux, observe Emmanuel Renault, en incitant ainsi les protagonistes des conflits politiques à abandonner le point de vue ordinaire de leurs souffrances particulières pour accéder à l'horizon universel où l'accord de tous sera enfin possible » (26).
Alors que l'ancien libéralisme se caractérisait par une relative disjonction de la politique et de la morale, cette idéologie morale apparaît comme constitutive d'un nouveau sens commun. Il y a là un certain paradoxe. D'un côté, le libéralisme prétend se garder de statuer sur la morale au sens de la “vie bonne”, qu'il réduit aux normes censées régir la vie privée, la politique se ramenant de son côté à la gestion moralement neutre des affaires publiques, avec comme résultat que les sociétaires se voient dotés d'une citoyenneté désincarnée, sans lien avec leurs identités ni avec les modalités de leur socialisation. Mais d'un autre côté, la morale opère un retour en force dans la sphère publique. Le paradoxe se résout lorsqu'on comprend que cette morale n'est pas ordonnée au bien mais au juste.
La désillusion a aussi joué son rôle. Elle explique le ralliement de tant d'anciens représentants de la pensée critique à cette nouvelle vague d'humanisme moral. Convertie au modèle kantien auquel se réfèrent la plupart des théories politiques contemporaines (Habermas, Rawls, Apel), une large partie de la gauche radicale ne voit plus de recours contre l'aliénation que dans le recours à des normes morales. « La morale comme pis-aller, dit encore Emmanuel Renaut, voilà également ce que pratique la part de la génération 68 qui s'est convertie à l'humanitaire et au devoir d'ingérence » (27). On ne peut finalement qu'être d'accord avec Pierre-André Taguieff, qui écrit : « L'humanitarisme compassionnel, qui ne voit guère l'humanité que dans la victime, est aujourd'hui le pire ennemi du civisme […] qui, concevant l'homme comme animal politique, suppose que l'humanité de l'homme ne s'accomplit pleinement que dans et par la vie civique, au sein d'une communauté politique particulière » (28).
Mais il y a en fait bien d'autres manières tout aussi impolitiques de poser les rapports entre la politique et la morale, selon que l'on subordonne la première à la seconde, qu'on les fait se confondre plus ou moins complètement ou que l'on donne à l'action politique un caractère “éthique” qui lui est étranger.
La première position est celle de l'Église. L'enseignement catholique traditionnel ne confond pas la politique et la morale, l'une et l'autre se distinguant par leurs fins (le bien commun temporel dans un cas, le bien parfait de la personne dans un autre) comme par leurs moyens mais il affirme que la première doit constamment rester soumise à la seconde — tout comme la loi civile doit être soumise à la “loi naturelle”. Dans cette optique, la politique est regardée comme une cause matérielle du salut humain, la morale comme sa cause formelle (29). En cas de conflit, c'est toujours la morale qui doit l'emporter.
La confusion s'aggrave dans la philosophie kantienne. En 1796, dans son Projet de paix perpétuelle, Kant soutient que la politique doit emprunter ses principes à la morale. L'action politique consisterait à appliquer les principes moraux (le point de vue que la conscience morale adopte spontanément pour juger une action) à cette réalité particulière qu'est la nature humaine. C'est ce point de vue qui sera vigoureusement réfuté par Hegel : à la morale formelle de Kant, qui parle de morale (Moralität) sans tenir compte de l'éthicité (Sittlichkeit), c'est-à-dire sans prendre en compte les conditions sociales et politiques de la réalisation d'une vie morale, Hegel oppose une éthique de l'effectuation de la liberté, dans laquelle ce sont au contraire les conditions politiques et sociales de l'existence qui font que les normes morales peuvent acquérir un sens (30).
Une autre source de confusion entre morale et politique est le calvinisme puritain, bien étudié par Michael Walzer dans La révolution des saints (31), qui aspire à une transformation radicale du monde au nom de Dieu. La politique devient ouvre sainte et dogmatique de la rédemption. Elle vise à régénérer l'histoire, à faire naître un homme nouveau. Une fois sécularisée, cette aspiration inspirera toutes les révolutions modernes.On voit immédiatement que la morale dont il s'agit ici n'est pas une exigence qui s'adresse fondamentalement au comportement individuel ou qui se limite à l'éthique personnelle. C'est avant tout une morale collective, liée à la notion biblique de “justice” et qui exige l’avènement d'une “politique morale” (32). La politique aurait pour but de faire naître une société “plus juste”, c'est-à-dire qu'elle aurait vocation à changer le monde, à le “réparer”. Aspiration qui relève de cet “acosmisme” que dénonçait à juste titre Hannah Arendt, et qui dénie bien entendu toute autonomie au politique (33).
Dans une démocratie, l'identification de la politique à la morale est en fait d'autant plus inconséquente que la pensée démocratique ne peut se mouvoir que dans l'immanence, faute de quoi la souveraineté populaire n'est plus respectée. L'idée que la politique est une œuvre de salut n'est qu'une idée religieuse sécularisée. Elle est sans aucun rapport avec ce qu'est véritablement le politique. Car le but du politique n'est pas de changer le monde ni de le corriger pour le rendre conforme à un idéal moral, moins encore de travailler à l’avènement d'une cité harmonieuse définitive, d'une Jérusalem terrestre dont la naissance coïnciderait avec la fin du devenir historique. Il est d'aménager la société pour la rendre la plus vivable possible au plus grand nombre possible de membres d'une communauté donnée. La politique ne consiste pas dans la recherche d'une société parfaite. Elle ne travaille pas à l’avènement d'une forme collective “idéale”. Elle travaille ici et maintenant, avec les choses telles qu'elles sont, en plaçant toujours le nécessaire sous l'horizon du possible.
Toute politique “idéale” n’est qu’une impolitique
La conception morale de la politique se rencontre aujourd'hui surtout à gauche. Mais — on le réalise trop rarement — elle trouve aussi son pendant à droite avec une vision éthique de la politique qui n'est pas moins inappropriée. Dans cette vision, l'action politique est avant tout ramenée à des attitudes éthiques “exemplaires” et à la forte sincérité des convictions, avec en arrière-fond une intransigeante radicalité, qui s'exprime surtout par des slogans : on rêve de “politique de l'idéal”, de politique “héroïque”, “métaphysique”, “absolue”. Les régimes totalitaires ont fait grand usage de cette rhétorique, pour susciter “l’enthousiasme” des masses. La conséquence en a été la guerre, le culte de la violence et finalement l'autodestruction. Cette vision ne méconnaît pas moins que la précédente la nature du politique. Toute politique “idéale” n'est qu'une impolitique.
Une autre forme de politique morale consiste dans la volonté d'instaurer un pouvoir politique vertueux. On parle alors de “moraliser la politique”. Une telle exigence, qui se double en général d'un réquisit de “transparence” et de “visibilité”, repose sur le postulat erroné selon lequel il est possible de faire coïncider l'action politique et l'idéalisme moral. Elle est liée, dans bien des milieux, à l'intime conviction que le pouvoir politique implique toujours le mensonge et la tromperie-idée propagée à l'origine par les théoriciens libéraux, mais qui a fini par se répandre partout. L'exigence de vertu s'oppose alors aussi bien à l'opacité de l'action politique, toujours interprétée comme dissimulation, qu'au pragmatisme de la Realpolitik ou de la “raison d'État”.
Bien entendu, il est préférable que les hommes politiques soient honnêtes plutôt que corrompus ou vénaux, tout comme il est préférable qu'ils se conduisent eux-mêmes selon les principes dont ils se réclament. Malheureusement, leur honnêteté, pas plus que leurs convictions, n'est une garantie de leurs qualités d'homme politique. Pour le dire autrement, qu'un homme politique soit honnête ou non, n'a politiquement aucune importance. Ce qui compte politiquement est d'abord qu'il mène une bonne politique, et ensuite qu'il paraisse vertueux, car s'il apparaissait malhonnête ou corrompu, ce serait un facteur de désordre social et politique. L'exemplarité de l'homme politique s'exerce, en d'autres termes, sur le seul plan de la visibilité publique ; il n'a pas de comptes à rendre quant à sa morale privée. Il n'y a dans cette constatation aucune “hypocrisie”. Qui la conteste montre seulement par là qu'il n'a qu'une approche impolitique du politique. En politique seul compte l’apparaître, pour cette simple raison qu'il n'existe pas, dans le domaine des affaires publiques, de moyens permettant de distinguer l'être et l'apparence. Machiavel le dit éloquemment : les affaires publiques ne sont pas du ressort de la confession privée. C'est pourquoi « si la condition fondamentale de la politique est de se dérouler dans l'apparence, nous n'avons pas à nous poser le problème de l'écart entre les profondeurs de l'être caché et la visibilité du paraître […] Tenter de “moraliser” la politique en la soumettant aux normes de l'intériorité, c'est l'anéantir. Soustraire la validité de l'action politique à la sanction des motifs intimes est la condition même de son existence et de son exercice » (34).
Julien Freund écrit que l'identification de la morale et de la politique est « l'une des sources du despotisme et des dictatures » (35). Une telle identification conduit en effet nécessairement à faire sortir la politique du domaine des affaires publiques, à la faire s'excéder d'elle-même. Ce n'est pas un hasard si le jacobinisme français a été plus loin qu'aucun régime antérieur dans la volonté d'identifier la politique et la morale. L'exigence de “vertu” et, corrélativement, la lutte contre “l’hypocrisie”, telles que les concevaient Saint-Just et Robespierre — c'est-à-dire jusqu'à prétendre extirper de l'âme du citoyen toutes les pensées mauvaises, jusqu'à vouloir supprimer l'intention de faire le mal qui naîtrait dans le for intérieur —, a très logiquement abouti à la Terreur.
En voulant prendre le contrôle de la sphère privée, les régimes totalitaires du XXe siècle ont eux aussi démontré le caractère moral, et donc inquisitorial, de leur vue du monde. Ils ont en même temps révélé leur nature anti-politique, dans la mesure où, en abolissant la distinction du public et du privé, ils abolissaient du même coup l'un des présupposés fondamentaux du politique. Ce terrorisme du bien rebondit aujourd'hui avec la thématique “humanitaire”, qui conduit automatiquement à mettre hors humanité ceux que l'on combat au nom de l’humanité. Myriam Revault d'Allonnes n'a donc pas tort d'affirmer que « toute tentative pour réaliser “politiquement” la morale interdit la dimension même de l’institution politique », et que les systèmes totalitaires ont été « la tentative la plus extrême que l'humanité ait jamais connue […] de destruction totale de la politique » (36). Quand “tout est politique”, on peut aussi bien dire que rien ne l'est plus.
Un mal peut parfaitement créer les conditions d’un bien
L'erreur de toute vision morale de la politique est de séparer le bien et le mal à la façon dont le fait la religion : en croyant que le bien ne peut engendrer le bien, et que le mal ne peut engendrer que le mal. La réalité historique atteste du contraire. C'est ce que Max Weber appelle le paradoxe des conséquences. Du fait de la complexité de l'action historique, et de l'impossibilité d'en appréhender tous les paramètres, une bonne intention peut avoir des conséquences néfastes ou désastreuses, tandis qu'un mal peut parfaitement créer les conditions d'un bien. L'éthique de la conviction ne s'oppose pas toujours à l'éthique de la responsabilité (37) mais lorsqu'elle conduit à absoudre les mauvaises conséquences au nom de la pureté première, à ne juger des conséquences qu'à l'aune des intentions initiales — « nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la fin » disait Pascal dans ses Provinciales —, elle devient irresponsable.
La politique ne peut être soumise à la morale, et moins encore confondue avec elle, car l'une et l'autre ne sont pas du même ordre. Un commandement politique n'a rien d'un devoir moral, d'un “commandement” (Gebot) au sens du Décalogue ; c'est seulement un ordre (Befehl). L'action politique ne relève pas non plus de la vérité. Prendre une décision politique, que ce soit par le moyen du suffrage ou d'un acte de gouvernement, c'est manifester l'autorité permettant de créer les conditions nécessaires à ce que soit atteint un objectif concret, non énoncer une vérité. Enfin, contrairement à ce que prétendait Socrate, morale et politique ne peuvent s'identifier parce que ce qui est moralement juste, du point de vue personnel et privé, n'est pas nécessairement synonyme de ce qui est politiquement bon, du point de vue public et de la communauté. Un choix politique en vue du bien commun ne peut donc s'effectuer selon les principes de la morale privée ; il diffère du choix moral que fait un individu pour son bien personnel.
« Morale et politique n'ont pas du tout le même but — écrit encore Julien Freund. La première répond à une exigence intérieure et concerne la rectitude des actes personnels selon les normes du devoir, chacun assumant pleinement la responsabilité de sa propre conduite. La politique au contraire répond à une nécessité de la vie sociale et celui qui s'engage dans cette voie entend participer à la prise en charge du destin global d'une collectivité » (38).
Est-ce à dire que la politique ignore toute préoccupation “morale” ? Certainement pas. Elle a au contraire son ethos mais un ethos qui lui est propre. La politique accomplit le bien dans la mesure où elle reste ordonnée à son but : servir le bien commun, permettre à chacun de réaliser sa liberté en participant aux affaires publiques (39). Mais il faut quelque naïveté pour croire que cette morale civique, axée sur l'amour de la chose publique, ne contredit jamais la morale tout court. Machiavel qui, dans sa critique de Savonarole, avait déjà montré que l'instauration du règne de la vertu morale équivaudrait à une abolition du politique, rapporte significativement, à propos d'un conflit survenu entre Florence et la papauté, que les Florentins ont « préféré la grandeur de leur cité au salut de leur âme ». Montesquieu exprime quelque chose de semblable quand il écrit, dans l’avertissement de L'esprit des lois : « Ce que j'appelle vertu dans la république […] n'est point une vertu morale, ni une vertu chrétienne, c'est la vertu politique ».
La dernière menace qui pèse sur la politique tient dans la montée de l'expertocratie. Dans une société dont la complexité interne ne fait que croître, et où lirai se fractionne en une multitude d'instances politico-administratives opérant à plusieurs niveaux, le rôle des technocrates devient inévitablement plus grand. Les politiques, de leur côté, se retranchent derrière l'avis des experts, qui ne manquent pas de faire valoir la complexité de leurs dossiers, en sorte qu'en cas d'échec plus personne n'est responsable ni coupable.
Plus profondément, la dépolitisation résulte ici de l'idée que pour tout problème politique ou social il n'y a finalement qu'une seule solution technique possible, et qu'il appartient aux experts de déterminer rationnellement cette solution optimale (40). La conséquence en est l'exercice de plus en plus rationalisé et bureaucratique de la domination, et l'oubli de la part des politiques que c'est à eux qu'il appartient de décider des finalités de faction publique — avec en filigrane l'idée que la démocratie est une chose trop fragile pour être confiée au peuple et que, pour rester “gouvernable”, elle doit le plus possible être soustraite à la participation et à la délibération publiques.
De même que l'idéologie économique tend à aligner le gouvernement des hommes sur l'administration des choses, l'expertocratie constitue la politique en activité fabriquée relevant de la seule maîtrise rationnelle. Elle donne à penser que la politique est de l'ordre du faire — Hobbes, déjà, préconisait un “agir dans le style du faire” — et que ce faire obéit aux lois de la raison. Elle est l’héritière de ces théoriciens des Lumières qui croyaient, en s'appuyant sur le modèle des sciences exactes, pouvoir transformer l'action politique en une science appliquée fondée sur les normes de la physique ou de la mathesis. L'objectif, en supprimant la pluralité des choix, est d'éliminer l'aléa, l'incertitude, l'indétermination et la précarité — et aussi le conflit, par définition producteur d'incertain. L'espoir, toujours déçu, est de faire coïncider le rationnel et le réel en forgeant un avenir “scientifiquement” prévisible.
La compétence politique ne relève pas de l'expertise
Ramener la politique à l’expertise revient donc à déposséder le citoyen de ses prérogatives en réduisant le jeu politique à l'exercice d'une rationalité universelle. Aristote, lorsqu'il évoque la notion de sagesse pratique (phronésis), montre cependant bien la différence qui existe entre le rationnel et le raisonnable. Contestant avec force que la politique puisse jamais être une science, il met en garde « contre l'idée qu'on puisse atteindre au même degré de rigueur et de précision dans l'ordre des choses humaines, variables et soumises à la décision, que par ex. dans les sciences mathématiques » (41). La conclusion qu'on doit en tirer est que les experts ne peuvent jamais avoir qu'un rôle subordonné. La compétence politique ne relève pas de l'expertise, car ce n'est pas aux experts qu'il appartient de déterminer les finalités de faction publique. Le peuple assemblé dans sa diversité réunit des compétences dont aucun individu ne peut disposer isolément. Le citoyen n'a pas besoin d'être un expert pour participer à la délibération et exprimer ses préférences ou ses choix. Selon Julien Freund, « la détresse du politique est en grande partie imputable aux bouleversements que la technique a introduits dans notre monde » (42). Disons plus précisément que l'évolution des techniques a, en l'espace de quelques décennies, plus fait pour transformer en profondeur la vie des sociétés qu'aucun gouvernement n'aurait jamais pu espérer le faire. C'est en ce sens que l'on peut dire, avec Massimo Cacciari, que « l'affirmation de l'immanence technique, c'est la dépolitisation globale » (43).
Le “gouvernement des experts”, le “gouvernement des juges” ou le “gouvernement des marchés financiers” ne sont que des formules pour évoquer la façon dont l'espace du politique semble aujourd'hui se restreindre comme peau de chagrin. Toute la question est de savoir comment cet espace peut retrouver ses prérogatives, et surtout comment il peut être remodelé.
► Alain de Benoist, éléments n°105, 2002.
Notes
- Cf. not. Pierre Birnbaum, La fin du politique, Seuil, 1975 (2e éd. : Hachette, 1995) ; Nicolas Tenzer, La société dépolitisée, PUF, 1990 ; Myriam Revault d'Allonnes, Le dépérissement de la politique. Généalogie d'un lieu commun, Aubier, 1999 (2e éd. : Flam., 2002) ; La fin des souverainetés, n° spécial de la Revue politique et parlementaire, Paris, 2001.
- Op. cit., 2e éd., pp. 72-73.
- Ibid., p. 93.
- Ibid., pp. 93-94.
- Ibid., p. 8.
- « Il est à peine besoin de souligner que le développement de l'économie et des rapports monétaires et marchands, précise encore Myriam Revault d'Allonnes, celui des forces productives et de la division du travail ainsi que la montée en puissance de la bourgeoisie sont les éléments qui ont rendu possible ce bouleversement conceptuel » (ibid., p. 97).
- On peut évoquer ici l'erreur classique concernant le politique d'abord maurrassien. Maurras n'a jamais défendu le primat du politique, mais seulement son antériorité, sa priorité chronologique. Il l'a rappelé lui-même dans sa Réponse à André Gide (éd. de la Seule France, 1948) : « Dans l'ordre du temps, le moyen passe avant la fin » (p. 22). Or, pour lui, c'est la politique qui est le moyen, tandis que l'économie constitue la fin. Dans L’Action française du 16 février 1923, il écrivait déjà : « Quand nous disons “politique d'abord”, nous disons : la politique dans l'ordre du temps, nullement dans l'ordre de la dignité ». Jean Madiran, qui juge pour sa part le “politique d'abord” maurrassien « philosophiquement insoutenable », rappelle à ce propos une phrase de Thomas d'Aquin : « Le but est premier dans l'ordre de l'intention, mais il est dernier dans l'ordre de l'exécution » (Maurras, NEL, 1992, p. 179).
- « Polythéisme des valeurs et monothéisme religieux », in : Études sur Max Weber, Droz, Genève, 1990, p. 186.
- Politique et impolitique, Sirey, 1987, p. I . Cf. aussi Roberto Esposito, Categorie dell'impolitico, Il Mulino, Bologna 1988.
- Op. cit., p. 48.
- Cf. Louis Dumont, Homo aequalis : Genèse et épanouissement de l'idéologie économique, Gal., 1977.
- M. Revault d'Allonnes, op. cit., p. 122.
- Ibid., p. 135.
- La religion dans la démocratie : Parcours de la laïcité, Gal., 1998, pp. 86-87.
- « De la philosophie à l'anthropologie. Comment interpréter le don », in : Esprit, fév. 2002, p. 155.
- Politique, I, 1, 1252a.
- Cf. S. Goyard-Fabre, Qu'est-ce que la politique ? Bodin, Rousseau et Aron, Vrin, 1992, pp. 26-27 ; A. de Benoist, Famille et société, Labyrinthe, 1996.
- Théorie de la Constitution, PUF 1993, p. 431.
- M. Revault d'Allonnes remarque : « L'égalité devient alors équivalence : nul n'est irremplaçable dans un monde où chacun vaut l'autre et où tout se vaut. Les régimes totalitaires déploieront les conséquences extrêmes de cette atomisation qui transforme les individus en une masse d'échantillons interchangeables » (op. cit., p. 85).
- Marcel Gauchet, op. cit., p. 87.
- « Politique et globalisation morale », in : Commentaire n°97, 2002, p. 58.
- Cf. not. Daniel Bensaïd, Contes et légendes de la guerre éthique, Textuel, 1999 ; Régis Debray, L'emprise, Gal., 2000 ; Noam Chomsky, Le nouvel humanisme militaire. Leçons du Kosovo, Page deux, Lausanne, 2000.
- Le Contrat social, 1ère version, I, 2, 287.
- Cf. Luc Boltanski, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias apolitique, Métailié, 1993.
- Xavier Darcos, art. cit., p. 56.
- Mépris social : Éthique et politique de la reconnaissance, éd. du Passant, Bégles, 2000, p. 10. « Lorsque la politique déçoit, la morale console », ajoute Régis Debray (L'emprise, op. cit., p. 71).
- Ibid., p. 13.
- Marianne, 21 mai 2001, p. 69.
- Cf. Rémi Fontaine, Politique et morale : Éléments de philosophie chrétienne, Morin, Bouéres, 2002, qui estime que « confondre morale et politique, c'est mélanger la cause et la condition ».
- Cf. Charles Taylor, Hegel et la société moderne, Cerf, 1998.
- Belin, 1997.
- « La morale ne consiste pas à agir moralement, mais à énoncer le bien sous formes de pétitions, d'admonestations, de sermons comminatoires » constate Xavier Darcos, qui remarque encore que « les mêmes “sauvageons” qui jouent les casseurs de banlieue et qui lapident la police et l'école, sont prêts à manifester, le cœur sur la main, contre le racisme ou en faveur de n'importe quel thème tiers-mondiste » (art. cit., pp. 55 et 57).
- Pour un exposé particulièrement amphigourique, et même franchement ridicule, de cette critique morale du politique, cf. Benny Lévy, Le meurtre du Pasteur : Critique de la vision politique du monde, Grasset, 2002. Polémiquant au passage avec Spinoza, l'auteur, qui définit le politique comme “l'empire du rien” et comme un “lieu vide” institué par la mort de Moïse, se propose explicitement de « sortir de la vision politique du monde ». On croit comprendre que la sortie se situe quelque part dans la tradition biblique, c'est-à-dire dans l'abandon de l'autonomie humaine au profit de l'absolu.
- M. Revault d'Allonnes, op. cit., pp. 236-238.
- Qu'est-ce que la politique ?, Seuil, 1967, p. 6.
- Op. cit., pp. 220 et 261-262.
- « L'éthique de la conviction et l'éthique de la responsabilité, écrit Max Weber, ne sont pas contradictoires mais elles se complètent l'une l'autre et constituent ensemble l'homme authentique, c'est-à-dire un homme qui peut prétendre à la vocation politique » (Le savant et le politique, Plon, 1959, p. 199).
- Qu'est-ce que la politique ?, op. cit., p.6.
- J. Freund : « Si l'expression de politique morale est inadéquate, il y a une morale de la politique. Celle-ci consiste à garantir le plus efficacement possible la sécurité des personnes et de leurs biens ainsi que celle des activités non politiques, afin qu'elles puissent s'épanouir selon leur loi propre » (Politique et impolitique, op. cit., p. 157).
- Cf. Fernando Vallespin, El futuro de la politica, Taurus, Madrid 2000.
- M. Revault d'Allonnes, op. cit., p. 62.
- Politique et impolitique, op. cit., p. 409.
- « Le nouveau sujet du monde, c'est la volonté de puissance », in : Libération, 23-24 fév. 2002, p. 45.
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